Publié le 14 Mars 2020

Rue d’Isly, 26 mars 1962, 14 h 50 : devant la poste, les Algérois se jettent à terre pour échapper aux tirs.

Rue d’Isly, 26 mars 1962, 14 h 50 : devant la poste, les Algérois se jettent à terre pour échapper aux tirs.

Situation en Algérie en mars 1962.

 

Nous sommes le 18 mars 1962. Le général de Gaulle, Président de la République, vient d’annoncer les Accords d’Evian. Voilà des mois qu’il a tranché. Cette guerre ne peut être gagnée politiquement, même si l’armée française a réussi sur le terrain. Le lendemain, 19 mars, aura lieu le cessez-le-feu dans cette Algérie qui est encore française pour quelques semaines.

 

En face, il y a les Pieds-Noirs – Européens installés depuis, parfois, des générations sur le sol algérien – et ceux qui sont prêts à tout, y compris à régler cela dans le sang, pour que les départements français d’Algérie ne changent pas. C’est l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) dirigée par le général Salan, qui bénéficie d’un grand prestige dans les rangs de l’armée et de la population européenne. Ce dernier lance un appel aux combattants de son organisation : « harceler toutes les positions ennemies dans les grandes villes d’Algérie ». Il s’agit pour l’OAS, et ses partisans, de provoquer un soulèvement contre l’armée française et les Algériens du FLN (Front de Libération National).

 

A Alger, des partisans se barricadent dans le quartier de Bab El Oued. Des unités de l’armée française viennent au contact et décident d’interdire l’entrée du quartier aux Européens qui veulent soutenir l’OAS. Cette unité est le 45e régiment de tirailleurs, composé de militaires d’expérience mais aussi de jeunes recrues.

 

La manifestation.

 

Le 23 mars, six jeunes soldats – ils sont des appelés du contingent – sont pris pour cible par des partisans de l’OAS et abattus. Les soldats qui entourent Bab El Oued décident de passer à l’action. Les combats font une quinzaine de victimes. Mais pour contrecarrer le plan de l’armée, l’OAS lance un appel à la grève et demande aux Européens de venir les secourir. Une manifestation est montée le 26 mars, alors que tout rassemblement a été interdit par le préfet, Vitalis Cros.

 

Plusieurs milliers de personnes convergent donc pour aider les partisans de l’OAS. Parmi ces manifestants, il y a des familles entières, avec femmes et enfants.

 

Tout à coup, une rafale d’arme automatique est lâchée. Plusieurs hypothèses – excuses ou explications – sont données : l’OAS a tiré sur les soldats alors que les manifestants approchaient. D’autres versions contredisent cela. Un ordre d’ouverture du feu a-t-il été donné ? Trop tard… Les soldats du 4e RT, qui ont plus l’habitude de traquer les fellaghas dans le djebel que de faire face à des manifestants, n’écoutent pas les ordres de leurs supérieurs qui appellent à cesser le feu.

 

Le drame se noue en quelques minutes. Le bilan officiel est de 46 morts et de 150 blessés. Bilan jamais validé par d’autres sources qui, elles, parlent de 80 morts.

 

Au soir de cette tuerie, le général de Gaulle prend une nouvelle fois la parole. Il n’a pas un mot pour ce qui s’est passé dans la journée à Alger. Il parle au nom de la Nation et de ses intérêts supérieurs. Il appelle les Français à ratifier les Accords d’Alger. Cette guerre politiquement ne peut être gagnée. Mais tous les Français n’ont pas le droit de voter : un décret du 20 mars 1962 empêche ceux des départements d’Algérie de participer à ce référendum.

 

Que faire ? Lâchés par l’armée, voyant que l’OAS ne peut défendre l’Algérie française, malmenés par les Algériens, des dizaines de milliers de Pieds-Noirs décident de s’exiler en métropole. C’est « la valise ou le cercueil » !

 

Quant aux victimes ? Les familles n’ont jamais eu le droit de récupérer les corps, beaucoup ayant été clandestinement enterrés au cimetière Saint-Eugène, aujourd’hui cimetière Bologhine, dans le nord d’Alger.

 

Pour l’historien Benjamin Stora : « le silence fait sur ce massacre est un des exemples les plus marquants de la censure pratiquée pendant la guerre d’Algérie : comme pour beaucoup d’événements, le gouvernement français n’a jamais reconnu sa responsabilité ».

 

 

 

 

Sources :

 

  • Crédit photographique : Paris Match.
  • Encyclopédie Wikipédia.
  • Jean Monneret, Une ténébreuse affaire : la fusillade du 26 mars 1962, Offset, 2007.
  • Benjamin Stora : Les guerres sans fin, un historien entre la France et l'Algérie, Paris, Stock, 2008 ; Les immigrés algériens en France : une histoire politique, 1912-1962, Hachette Littératures, 2009 ; Le mystère De Gaulle : son choix pour l'Algérie, Robert Laffont, 2009.

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #Algérie

Publié le 23 Février 2020

Lieutenant Blanc – 5 – Promotion parachutistes classe 1951.

Discours du chef de bataillon Stevenin, commandant l’Unité cadres 563/1.

 

  • « Parachutistes de la classe 1951, quel est le nom de Baptême que vous avez choisi pour votre promotion ?
  • Promotion du Lieutenant Paul Blanc, mon commandant.
  • Votre choix montre que vous voulez tous suivre l’exemple d’un Brave.

 

Né le 25 septembre 1921, Paul Blanc a 19 ans en 1940. Il est à Tlemcen. Les événements malheureux de juin 1940 l’ont impressionné vivement. Il se prépare à laver l’injure faire à la France. En 1942, il s’engage. En 1943, il est nommé sous-lieutenant de Réserve. En 1944, il fait campagne en Italie. Blessé, il est fait prisonnier à San Casciano. Il est interné en Allemagne, d’où, après trois tentatives d’évasion il réussit à gagner la Slovaquie. Il rentre en France en juin 1945 pour être affecté au 1er RCP. En décembre 1945, il est promu lieutenant d’Activité. En janvier 1947 il part pour l’Indochine où, dès février, il entre en campagne avec la ½ brigade de marche parachutiste. De février à novembre 1947, il est parachuté trois fois. Le 7 avril 1948, il est tué par balle en entraînant ses parachutistes à l’attaque.

 

Il est titulaire de : la Croix de Guerre 39-45 ; la Médaille des Evadés ; la Croix de Guerre des T.O.E. ; la Médaille Coloniale avec agrafe « Extrême-Orient ».

 

Il a mérité deux citations à l’Ordre de l’Armée et deux citations à l’Ordre du Corps d’Armée.

 

Le 7 juillet 1948, il est fait chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume avec la citation suivante : « Paul Blanc, lieutenant 1er RCP – Officier d’élite d’un courage et d’une audace jamais démentie. Commandant en second d’une compagnie de parachutistes, a brillamment participé aux opérations aéroportées et terrestres de son unité depuis le 12/2/47 où il s’est révélé un véritable entraîneur d’hommes. Au cours de l’opération parachutée de Cu Van (Tonkin) s’est particulièrement distingué aux combats de Quanc Vihn le 27 novembre 1947, de Phang Me le 1er décembre et de Cu Van les 4 et 10 décembre en abattant de nombreux rebelles, récupérant des armes et détruisant trois dépôts très importants de grenades. S’est à nouveau distingué dans le Secteur N.E. en menant une lutte sans merci aux rebelles. Le 4 mars 1948 étant tombé dans une forte embuscade a magnifiquement entraîné sa troupe à l’attaque d’une formation adverse forte de 400 hommes, malgré un tir très violent d’armes automatiques et de mortiers, lui causant des pertes sévères et récupérant armes et munitions. A trouvé une mort glorieuse à la tête de ses hommes le 7 avril 1948 au cours de la réduction d’une embuscade sur la route de Cao Bang à Lang Son (Tonkin). Laisse à tous le souvenir d’un chef remarquable et téméraire, animé au plus haut point du sentiment du devoir et de l’esprit de sacrifice.

 

Jeunes parachutistes de Moselle, votre promotion portera désormais le nom de Lieutenant Blanc. A Madame Blanc, je donne l’assurance que vous garderez en vos cœurs le souvenir d’un Brave parachutiste que fut son mari, et que s’il le fallait un jour, vous suivrez son exemple.

 

Metz, le 22 mai 1950. »

 

 

 

 

Sources :

Archives familiales.

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Publié le 21 Février 2020

Lieutenant Blanc – 4 – Citations.

Citation du 4 avril 1947 à l’Ordre du corps d’armée, par le général de Perier :

 

« Blanc Paul – Lieutenant 1ère compagnie – Demi-brigade de Marche Parachutiste.

Lieutenant adjoint au Commandant de Compagnie, a participé brillamment à toutes les opérations de son unité, en Cochinchine et au Tonkin. Au cours de l’opération parachutée de Hoa Binh le 15 avril 1947 s’est fait une fois de plus remarqué par sa fougue et son audace. Le 18 avril 1947 à Cho Bo, le Commandant de Compagnie venant d’être blessé et évacué a pris le Commandement dans un moment difficile et conduit la Compagnie dans un élan magnifique à l’assaut de ses objectifs malgré une résistance acharnée des rebelles. Le 21 avril s’est emparé de Su Yut malgré une vive opposition. A infligé des pertes sensibles à l’adversaire.

Cette citation comporte l’attribution de la Croix de Guerre 1939-1945 avec étoile de vermeil. »

 

Citation du 31 mai 1947 à l’Ordre de la Division – O.G. n° 236 en date du 31 mai 1947, par le général commandant les T.F.I.N. (Troupes Françaises d’Indochine du Nord) :

 

« Blanc Paul – Lieutenant 1/1er RCP.

Officier d’un allant exceptionnel, plein de courage et d’ardeur au combat. Le 23 mars 1947, au cours de l’investissement de Phu Ly (Tonkin) commandant un détachement de deux sections de F.M., a bousculé les résistances adverses, tuant de nombreux réguliers et capturant un lot important de grenades et de munitions. Le 28 mars 1947, à l’attaque de Van Dinh, a anéanti une bande, faisant 8 prisonniers, capturant 8 fusils et un stock important de munitions.

Cette citation comporte l’attribution de la Croix de Guerre des T.O.E. avec étoile d’argent. »

 

Citation du 11 septembre 1947, par le général Salan, commandant T.F.I.N. :

 

Le texte est identique mais le général Salan ajoute les étoiles d’argent sur la Croix de Guerre 1393-1945.

 

Citation à l’Ordre de l’Armée, JO du 1er avril 1948 – Décision du 23 mars 1948.

 

Blanc, Paul – Lieutenant 1/1er RCP

« Officier adjoint au Commandant de Cie a toujours fait preuve du plus grand sang-froid et d’un courage exemplaire.

S’est particulièrement distingué les 9 et 15 octobre 1947 au cours de l’opération parachutée de Cao Bang (Tonkin).

Le 9 octobre, la Cie ayant pour mission de s’emparer de deux ponts de Cao Bang intacts, a regroupé les sections du 1er pont et s’est emparé de cet ouvrage en quelques minutes. Continuant sa marche à travers la ville malgré la vive réaction adverse, s’est emparé du 2e pont sous un feu violent de deux mitrailleuses V.M., réussissant ainsi dans un temps record à assurer avec plein succès la réussite de l’opération.

Le 15 octobre, la Cie ayant pour mission de nettoyer la route de Tra Linh et d’occuper le croisement des routes de Tra Linh et de Thung Khanh Phu, a progressé en personne avec la section en tête, donnant des ordres judicieux et des renseignements précis sur la situation. Grâce à son action personnelle, a permis à son unité de s’emparer du Col et du carrefour malgré une défense acharnée de l’adversaire remarquablement retranché.

Cette citation comporte l’attribution de la Croix de Guerre des TOE avec palme ».

 

Au total le lieutenant Blanc sera honoré de six citations.

 

Sources :

Archives familiales.

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Publié le 20 Février 2020

Lieutenant Blanc – 3 – La mort, par le lieutenant Forhan.

Le 2 mai 1948, depuis Cao Bang (Tonkin), le lieutenant Forhan du 1er RCP (régiment de chasseurs parachutistes) dont, faut-il le rappeler, la devise est : Vaincre ou mourir, écrit cette lettre à l’attention d’Henri de Dessauger, chef de bataillon dans l’arme du génie et qui était le beau-père du lieutenant Paul Blanc. Paul Blanc savait de qui tenir puisque son beau-père avait été maintes fois cité et décoré, au cours des deux guerres mondiales.

 

« Mon commandant,

 

Je viens de recevoir votre télégramme et je vous ai confirmé la triste nouvelle par la même voie.

Je comptais écrire à votre fille, n’ayant votre adresse ni votre nom qu’un mois après le décès, c’est-à-dire le 7 mai.

BLANC est mort dans mes bras le 7 avril vers 16h30 sans souffrir, le sourire aux lèvres, allant au secours de blessés, il fut atteint d’une seule balle (sniper) qui le prit du côté droit de la cage thoracique (à la hauteur du sein) pour le transpercer de part en part venant sortir à gauche à la hauteur de la ceinture, 5 secondes après il était mort.

J’aimerais pouvoir vous dépeindre la sérénité qui illuminait son visage. Cette conscience qu’il a dû avoir au dernier moment, d’avoir fait son devoir jusqu’au bout. La veille, il avait communié, 5 minutes avant sur la route balayée par quelques rafales, nous avions ri ensemble, il me disait « c’est au poil ». Le convoi que nous protégions étant passé sans casse.

Je ne puis vous exprimer, mon commandant, toute la peine que j’ai, que nous avons tous.

BLANC reste pour moi, le seul ami que j’ai jamais eu, je le pleure comme un Frère. Pour moi qui suis croyant, je suis certain que de l’autre côté il est là, nous attendant, souriant de ce sourire mi-moqueur, mi-affectueux.

Ici à Cao-Bang, il avait conquis tout le monde, tous les Officiers, de quel corps que ce soit, le connaissaient et l’estimaient. Sa droiture, et son Honnêteté, son Courage, l’avaient placé à notre tête. Son enterrement fut magnifique, tous les Corps étaient représentés, musique de la Légion, Colonels. Lui qui était sensible à ces marques extérieures… Nous avons pris des photos que je vous ferai parvenir.

BLANC devait comme moi rentrer en France en juillet prochain. Je garde ses affaires personnelles que je vous ferai parvenir dès mon retour, la voie « réglementaire » étant très longue et peu sûre.

D’autre part, le chef de bataillon va faire parvenir à votre fille le montant de deux mois de solde que BLANC n’avait pas encore perçu.

Voici, mon commandant, tout ce que je sais de la fin de sa fin. BLANC est mort en soldat, la seule mort qu’il jugeait digne de lui. Pour moi, il est toujours là. Si notre douleur peut un peu atténuer celle de votre fille, dites-lui que nous le pleurons tous.

Je reste à votre disposition pour tout ce que vous jugeriez utile de faire à ce sujet.

Recevez, mon commandant, tous mes respects.

 

Lt FORHAN S.P. 64.425

3e Cie – T.O.E.”

 

Sources :

Archives familiales.

 

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Publié le 18 Février 2020

Lieutenant Blanc – 2 – La grande évasion.

Dans un récit de sa main, le lieutenant Paul Blanc a raconté sa blessure en Italie, sa capture, son statut de prisonnier et son évasion. Voici le texte (extraits) :

 

« Je suis blessé et capturé le 26 juillet 1944 à San Casciano en Italie : une balle dans la jambe gauche, un éclat de grenade à la jambe droite et des plaies à la suite d’une chute. Pendant 8 jours, je subis des interrogatoires en continu, sur l’arme parachutiste. J’ai droit au cachot, ayant refusé de répondre. On m’a laissé mon premier pansement et j’ai les plaies aux jambes et au bras droit infectées.

Début Août 1944 : ébauche d’une évasion, malgré les blessures, du PC de la division de parachutistes allemands où j’étais gardé. Mais je suis arrêté au moment où elle allait être découverte. Je suis transféré en Allemagne dans un Oflag d’officiers alliés à l’intérieur du Stalag VII, à Moosburg, au nord de Munich.

 

En septembre 1944, à 9 h du matin, je fais partie d’une sortie de 50 officiers alliés. Nous marchons, en rangs, encadrés par des gardiens armés en tête et en queue. En arrivant sur le pont de l’Amper, je saute le parapet et je me cache sous le pont. Je rampe pendant 4 kilomètres et je me cache au bord d’une rivière en attendant la nuit. Il y a trop de paysans, je suis en uniforme et je ne sais pas parler l’allemand. De plus, je suis pisté et rapidement récupéré par une patrouille allemande accompagnée de chiens. L’un d’eux me mord profondément au bras droit.

 

Le mois suivant, je prépare un nouveau plan. Mais le major anglais me fait appeler et m’interdit de m’évader.

 

Novembre 1944 : arrivée à l’Oflag du médecin-capitaine Bacques. Il me donne un de ses laissez-passer pour Munich. C’est un vieux modèle. Il est facile de gratter le papier et d’y inscrire son nom. Je retire la photographie et place la mienne, prise sur ma carte d’identité d’officier. Dans l’alinéa réservé à l’indication des endroits autorisés pour la promenade, ne sachant quoi mettre, j’inscris une phrase ironique et difficilement lisible tournant les Allemands en ridicule. Ce laissez-passer me permet de passer les deux dernières enceintes du camp. Pour les deux premières, j’ai projeté de les passer en allant à la douche, en me sauvant des rangs après le blockhaus. Il ne me reste plus qu’à attendre que le jour et l’horaire des douches correspondent au jour et à l’horaire de sortie.

 

Le 26 décembre 1944, la coïncidence se produit. Je distribue mes affaires et change ma couverture pour que les chiens ne puissent plus me pister. J’ai un croquis de la région et une boussole-sifflet. Tout se passe comme je l’avais prévu. Par miracle, aucun Allemand ne me voit sortir des rangs. Pourtant la dernière sentinelle m’arrête et s’étonne de ne pas pouvoir comprendre la phrase humoristique dont j’ai parlé plus haut. Je lui fais comprendre que c’est un « secret ». Satisfait ; il me laisse.

 

NDLR : à chaque moment, Paul Blanc cite des témoins. Ici, il s’agit du capitaine Bacques et du lieutenant Essoubet.

 

Sur la route, je croise le colonel du camp. Je le salue. Il me répond. En faisant un détour par le nord, j’arrive à Munich le surlendemain, à 6 h du matin, après une randonnée de plusieurs heures par – 25°. Deux heures plus tard, à l’entrée de la ville, je suis arrêté par un gendarme. Je dis être du camp de Vestende, juste à côté, travaillant dans une cordonnerie de Garcing. Je lui sors ma carte d’officier et il finit par me laisser partir après que je lui ai montré ma plaque de prisonnier. J’ajoute que je vais être en retard. Insupportable pour un fervent partisan de la « grande Allemagne ».

 

Vers midi, je rencontre deux jeunes requis : André Pinault et Bernard Poisson, de Paris. Ils m’emmènent dans leur camp. Je troque mon uniforme contre des habits civils. Enfin, je vais pouvoir dormir. Le lendemain, à 5h, je suis réveillé par un SS. Ce dernier m’entraîne dans son bureau. Il veut téléphoner à la police. Au moment où il entre dans la pièce, je détale, descends les deux étages et je vais me cacher dans une petite rue. Là, je termine de m’habiller.

 

Quelques jours plus tard, je retrouve à Kufstein un jeune soldat échappé du Stalag VII. Il s’appelle Viron et s’est sauvé peu après moi. Il parle un allemand parfait. La neige tombe à gros flocons. Nous décidons de prendre le train pour Innsbruck. En chemin, nous échappons de justesse à un agent de la Gestapo, qui contrôle les papiers. Nous avons dû descendre du train en marche.

 

A Innsbruck, nous prenons la direction de la vallée de Saint-Jodock où nous espérons trouver des passeurs italiens. Il n’en est rien. Qui plus est, nous nous faisons cueillir par la gendarmerie. Ne voulant à aucun prix retourner dans un Oflag, nous indiquons être des sous-officiers. On nous déshabille presque entièrement, ne nous laissant que quelques effets militaires. Mis en prison, nous prenons le lendemain le train pour le camp de prisonniers de Salzbourg, en Autriche.

 

A Vorgl, le train est arrêté sous le pont route-chemin de fer. Viron se lève pour aller aux WC du wagon, ainsi qu’un prisonnier russe. Le gardien nous accompagne. Il se méfie de Viron. Il surveille la porte de devant. Mais il a oublié celle de derrière. Il faut en profiter maintenant. Je recule, déverrouille tout doucement la porte. Me voilà dehors. Il ne faut pas que je cours avec mon K.P. (prisonnier de guerre en allemand) inscrit dans mon dos sur ma capote. La sortie s’est bien passée. Je marche. Je file de l’autre côté du pont et marche dans la nature. Une alerte aérienne survient à ce moment. Tout le monde se met à plat ventre. Je fais de même après avoir retiré ma capote, si compromettante. Maintenant que faire. Il me faut d’abord des lunettes. Pour un myope comme moi, c’’est indispensable. Mais il me faut justifier un billet de la « Krankenkasse » et être régulièrement inscrit à « l’Arbeitsam » (bureau du travail). Je dois pousser jusqu’à Kufstein où je connais quelqu’un de sûr dans un camp.

 

J’y arrive quelques heures plus tard. Je profite d’une entrée de prisonniers pour me glisser à l’intérieur. L’ami me donne des vêtements – un bleu de travail – et m’indique qu’une place de fleuriste vient de se libérer. Il m’accompagne à l’Arbeitsam. Je dis avoir été transféré depuis l Pologne et avoir perdu mes papiers dans le bombardement du camp par les Russes. On me donne le travail de fleuriste. En quelques jours, embauché chez Madame Bickel, j’ai mis un peu d’argent de côté et je peux m’acheter la fameuse paire de lunettes. Grâce à mes nouveaux papiers obtenus à Kufstein, je peux aller et venir sans trop me faire remarquer.

 

J’ai décidé de me sauver une nouvelle fois. On m’a dit qu’en Slovaquie des Français se battent aux côtés des Slovaques et de Russes. Je sais qu’un camion doit partir pour Vienne. Je réussi à convaincre le chauffeur en indiquant que j’ai un frère à Vienne dont je n’ai plus de nouvelles depuis le dernier bombardement. L’homme finit par accepter. Mais je n’ai pas le droit de circuler aussi loin. Le chauffeur m’autorise à me cacher sous les bâches de son chargement. Me voilà à Vienne !

 

Dès mon arrivée, je suis contrôlé par la police qui trouve mon passeport du Tyrol relativement suspect. De plus, je devrais être au Tyrol et non à Vienne. Je réponds que je suis chauffeur et que je dois repartir au plus vite pour Kufstein. On me laisse partir. Je retire mon pardessus et entre dans la gare de Vienne en bleu de chauffe. Je vois un train pour Marchegg. C’est à la frontière. Je me glisse dedans et m’y cache. Bien m’en prends. Le train est rempli de SS !

 

Arrivé non loin de la Slovaquie. Je prends la direction approximative des Carpates. Je dois contourner plusieurs positions allemandes. Une fois, au détour d’un chemin, je tombe sur un camp allemand. Je feins de poser culotte ! En me disant que quelqu’un qui pose culotte à cinq mètres d’eux ne peut qu’avoir la conscience tranquille. Ça marche… Je continue ma route vers Svaty Jur. On m’a dit, il y a longtemps, qu’on s’y bat là-bas. Les fameux partisans. Je finis par y arriver à la fin du mois de février 1945. Enfin, contact est pris avec eux après quelques tentatives sans succès. Ce n’est qu’un mois plus tard, et après quelques combats aux cotés de Slovaques et de Russes, que je rencontre des Partisans français de Slovaquie. Ils appartiennent à la compagnie du capitaine Georges Barazer de Lannurien.

 

Chez les Russes, je fais une demande écrite pour rejoindre l’escadrille Normandie-Niemen. En vain.

 

Je ne retrouve la France qu’au mois de juin suivant ».

 

Sources :

Archives familiales.

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Publié le 8 Février 2020

Au lieutenant Blanc.

 

William Blanc, lecteur de notre site internet, a pris contact avec nous pour nous parler de son grand-père, Paul – dit « Paulo » – Blanc lieutenant au 1er RCP (régiment de chasseurs parachutistes) mort pour la France en avril 1948 en Indochine.

 

Cette série d’articles comprendra une présentation des états de services et des campagnes (1), un épisode épique sur son évasion vers la Slovaquie (2), les conditions de sa mort (3), ses citations (4) et le baptême de promotion parachutistes Classe 1951 (5).

 

Lieutenant Blanc – 1 – L’épopée.

 

Paul Blanc nait le 15 septembre 1921 à Alger, de l’union d’Alexis Blanc et de Marie Ottavioli. Il est incorporé au Chantiers de Jeunesse n°103 le 13 novembre 1942 et en est libéré quelques semaines plus tard pour intégrer l’Ecole des Elèves Aspirants de Cherchell en Algérie, la veille de Noël 1942. Il en sort avec le grade d’aspirant le 10 mai 1943.

 

L’aspirant Paul Blanc est affecté au Bataillon de Parachutistes de Fez. Le 15 décembre 1943, il est nommé au grade de sous-lieutenant de réserve. Quelques mois plus tard, lors de la campagne d’Italie, il est blessé par balle à la jambe gauche à San Casciano. Il est alors fait prisonnier et est emmené en Allemagne dans un Oflag… d’où il s’évade à la troisième tentative. De là, il rejoint la Slovaquie toute proche et s’enrôle auprès des résistants locaux et des Partisans français (ce sont des prisonniers de guerre, évadés, qui œuvrent avec la résistance slovaque et sont appuyés par des cadres de l’Armée Rouge).

 

En juin 1945, Paul Blanc rejoint la France et gagne Avord dans le Cher pour être intégré au 1er RCP (régiment de chasseurs parachutistes). De là, il part pour Nancy au Centre de Préparation aux Grandes Ecoles et est intégré dans l’Armée d’active avec le grade de sous-lieutenant. Affecté au dépôt commun de la Légion étrangère en 1946 il est promu au grade lieutenant la même année. En novembre, il rejoint le 1er RCP et fait mouvement avec le 3e bataillon sur Bône en Algérie.

 

En janvier 1947, Paul Blanc, alors passé au 1er bataillon du 1er RCP rejoint Sétif en Algérie puis embarque sur le S/S Athos pour l’Indochine. Il débarque à Saigon en février 1947 puis fait mouvement sur Hanoi pour entrer en campagne avec la Demi-Brigade de Marche Parachutiste.

 

Le 7avril 1948, le lieutenant Paul Blanc est tué au kilomètre 40 de la route de Cao Bang. Il s’était marié le 23 décembre 1943 à Mademoiselle Jacqueline Dessauger, alors domiciliée à Tlemcen (au Pavillon militaire) et il était père de deux enfants.

 

 

Sources :

Archives familiales.

 

Au lieutenant Blanc.

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Publié le 1 Février 2020

Réunion annuelle des adhérents 2019.

La réunion annuelle des adhérents du Comité du Souvenir Français d’Issy-les-Moulineaux et Vanves s’est déroulée le dimanche 26 janvier 2020 au sein de la Maison des Combattants d’Issy, rue du général Leclerc.

 

Etaient présents les membres du comité et :

 

  • Madame Christine Hélary-Olivier, maire-adjoint d’Issy-les-Moulineaux.
  • Monsieur le lieutenant-colonel Claude Guy, Délégué général de l’association pour les Hauts-de-Seine.
  • Monsieur Jacques Tchirbachian, président de l’UFAC et de l’ANACRA.
  • Monsieur Lucien Martinsky, président de la FNACA.
  • Monsieur Fabien Lavaud, président de l’ACPG.
  • Monsieur André Rabartin, président de l’UNDIVG.
  • Monsieur Christian Poujols, président de l’UNC.
  • Monsieur le colonel Xavier Mélard, président du Comité d’Asnières-Clichy du Souvenir Français.
  • Madame Marie-Claude Bouzon, secrétaire du Comité de Châtillon du Souvenir Français.

 

Un hommage a été rendu à nos soldats morts pour la France en 2019, ainsi qu’à nos disparus de ce début d’année :

  • Robert Choffé, ancien de la Seconde Guerre mondiale.
  • François Goure, président honoraire du Comité de Vaucresson.
  • Jean-Marie Duhaut, président du Comité de Meudon.

Après lectures du rapport financier et du rapport moral, après présentations des actions et des initiatives prises au cours de l’exercice écoulé, du nettoyage de cinq tombes à Vanves, de la quête du Souvenir Français, des quêtes du Bleuet de France, des études et analyses publiées sur ce site Internet, des récompenses ont été remises :

  • Diplôme d’Honneur pour Alsira Cacheda.
  • Diplôme d’Honneur pour Nicole Borde.

A la suite de cette réunion, un buffet « déjeunatoire », préparé par Jacques Tchirbachian et toute son équipe a rassemblé les participants à l’espace Savary d’Issy.

 

 

 

Frédéric Rignault LCL ad honores

Président du Comité

Délégué général adjoint.

Réunion annuelle des adhérents 2019.
Réunion annuelle des adhérents 2019.
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Publié le 19 Janvier 2020

2016 - Robert Choffé est fait chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’honneur, en présence de présidents des associations d’anciens combattants et d’André Santini, maire d’Issy-les-Moulineaux.

2016 - Robert Choffé est fait chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’honneur, en présence de présidents des associations d’anciens combattants et d’André Santini, maire d’Issy-les-Moulineaux.

Le Comité d’Issy-les-Moulineaux – Vanves du Souvenir Français vient de perdre l’un de ses amis, un de ses grands anciens et plus vieux piliers ! Robert Choffé nous a quitté le 12 janvier 2020. Isséen depuis toujours, Robert Choffé était un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale.

Engagé très jeune dans les FFI (Forces Françaises de l’Intérieur), il avait été affecté à un régiment d’artillerie. Ainsi nous disait-il il y a quelques années : « Pour moi, l’engagement était naturel. De métier, j’étais mouleur – fondeur. En 1944, je rentre dans les FFI. On nous faisait coucher dans le sous-sol de l’école Paul Bert. En septembre 1944, nous sommes regroupés au Petit Séminaire d’Issy. Je signe, comme tous mes camarades, un engagement pour la « durée de la guerre ». Je suis alors affecté au 32e régiment d’artillerie divisionnaire et je deviens orienteur ».

Par la suite, avec son unité, Robert participa à la libération de l’île d’Oléron et à de nombreux combats : « Avant même la fin de la guerre, en avril 1945, j’ai fait quelques temps de classe à Saint-Loup sur Thouré puis, au sein de la 1ère Armée, Rhin et Danube – chère à de Lattre de Tassigny – je suis envoyé en Allemagne pour participer au déminage et à la destruction des bunkers de la ligne Siegfried. Plus d’une fois nos gars ont laissé leur vie dans des champs de mines. Je me souviens en particulier de mon lieutenant, Bonnet, qui est mort alors qu’il transportait des explosifs et des bouteilles d’oxygène dans sa chenillette. Le feu a pris dans le moteur et l’explosion a été terrible. »

 

Le 6 mai 1945, le brigadier Choffé, du 32e régiment d’artillerie de la 10e division d’infanterie de la Première Armée était cité à l’ordre du régiment : « Brigadier à l’équipe d’orientation du groupe, a participé au déminage de plusieurs positions de batterie avec un sang-froid et une compétence remarquable. A toujours été volontaire pour les missions les plus périlleuses en particulier à la pointe de Vallières et dans l’île d’Oléron. La présente citation donne droit au port de la Croix de Guerre avec Etoile de Bronze ».

 

Robert Choffé : « Après, j’ai fait l’Ecole des Sous-officiers, en Allemagne, jusqu’en septembre 1945. J’ai même participé sur les Champs-Elysées au premier défilé de la Victoire. Puis, pour un certain nombre de raisons personnelles, et parce que j’avais déjà vu pas mal d’horreurs, j’ai quitté l’armée, je suis redevenu un civil et je suis entré chez Renault à Boulogne-Billancourt. Et j’ai oublié ce que j’avais fait ; je n’ai, par contre, j’avais effacé de ma mémoire les images des camarades, leur courage, et parfois leur vie sacrifiée ».

 

Robert Choffé était chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’honneur, Croix de Guerre 1939-45, titulaire de la médaille militaire, médaillé des combattants volontaires.

 

Le Souvenir Français présente ses plus sincères condoléances à sa famille et ses amis.

 

 

 

Sources :

 

  • Entretiens Robert Choffé, de 2008 à 2018.
  • Documents Archives personnelles de Robert Choffé.
  • Photographie Copyright Souvenir Français Issy-Vanves.

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Publié le 12 Janvier 2020

Capitaine Petit - En Algérie - 2.

Dans les Aurès.

 

« Des rumeurs saugrenues circulent, laissent entrevoir un retour vers notre base d’Arzew. Les rumeurs se transforment vite en déplacement vers un autre grand massif du sud algérien : les Aurès.

 

Le 4 octobre 1960, une grande opération est lancée. Elle porte le nom « d’Ariège » et s’inscrit dans le cadre des opérations de démantèlement des zones refuges rebelles qui ont commencé en 1959 dans l’Ouarsenis puis se sont poursuivies dans le Hodna, en Kabylie et la presqu’île de Collo. Dernière phase du plan Challe, d’importantes opérations sont déclenchées dans les Aurès. La 11e DI, sous les ordres du colonel Langlois, groupe le 3e REI, le 5e REI, le 1er REP, le 1er REC et le 2e REP. Ensemble, ils vont opérer côte à côte durant cinq semaines de durs combats. Plus de 700 rebelles seront mis hors de combat et près de 700 armes saisies. Les opérations de ratissage se succèdent. Les résultats sont là.

 

Dix jours plus tard, nous accrochons une importante bande de rebelles. La compagnie fait face à un ennemi fortement retranché. Mais les légionnaires veulent en finir. Ils montent à l’assaut. De suite, 12 rebelles sont tués. Les 16 et 17 octobre, héliportés à 20 km au sud, nous réussissons avec quelques autres compagnies, à encercler des bandes éparses de fellaghas. Au soir de ces deux journées, 124 ennemis sont neutralisés. Ma compagnie est regroupée à proximité du 3e escadron du 1er REC. Je suis invité à partager le diner à la popote de cet escadron dans un véhicule 6x6 où se trouvent le capitaine Deheurles, le lieutenant Bao-Long, prince d’Annam et fils de Bao-Daï, le lieutenant Morillon (futur général d’armée et commandant des Forces françaises en Bosnie).

 

Après presqu’une année d’opérations sans discontinuer, nous voilà de retour à Arzew : remise en condition, prise d’armes, décorations, repas de corps. En permission du 17 décembre au 2 janvier 1961, je repars pour la métropole. Je passe les fêtes de fin d’année à Grasse et à Nice, en compagnie de ma fiancée, Françoise Desgeorges. Mais ça s’agite là-bas !

 

Le 20 décembre, dans une allocution radiotélévisée, le général de Gaulle a indiqué : « Le Peuple français est donc appelé à dire par référendum, s’il approuve, comme je le lui demande, que les populations algériennes, lorsque la paix règnera, choisissent elles-mêmes leur destin. Cela signifie : ou bien rompre avec la République française, ou bien en faire partie ou s’y associer ». On peut dire qu’à ce moment-là le sort de l’Algérie est clairement défini. Mon régiment est rameuté à Alger pour faire face, une seconde fois, aux événements qui s’y déroulent depuis le discours fameux. En date du 25 janvier, par décret paru au Journal Officiel, je suis promu au grade de capitaine ».

 

Dans le sud oranais – Le putsch.

 

« Le capitaine Roger Mougin, commandant la 1ère compagnie, est muté au Laos. Le colonel Pfirrmann me nomme pour prendre le commandement de cette compagnie.

 

Le 28 février, de graves incidents viennent de se produire à Oran place du docteur Roux où deux femmes européennes ont été brûlées. Appelé à la rescousse, c’est vers 16h00 que le régiment se dirige vers le centre ville. C’est sur les marches du perron du Grand Lycée que Mougin me passe le commandement en présence de l’adjudant de compagnie, puis s’éclipse dans la nuit naissante vers son destin. Le PC de l’EMT1 aux ordres du commandant Camelin, sous les ordres duquel je suis dorénavant placé, s’installe au stade Ben-Yamine Ville-Nouvelle. Habituellement, c’est au cours d’une prise d’armes que le colonel transmet le fanion de la compagnie de l’ancien au nouveau commandant de compagnie. Mais les circonstances ne s’y prêtent guère.

 

La 1ère compagnie patrouille à proximité immédiate de la Grande Mosquée, elle-même toute proche de la place du docteur Roux. C’est vendredi, jour de prière. La cour de la mosquée est pleine à craquer d’individus au coude à coude, aux visages barbus et hostiles. J’envoie dans cette foule la 1ère section forte d’une trentaine de légionnaires, qui se faufile et se trouve aussitôt noyée dans cette masse mouvante, avec le sentiment de ne pas pouvoir agir en cas de clash. Le chef de section, le sergent-chef Wasclulesky, me demande par radio du renfort ce que je fais en dirigeant une autre section vers les lieux. Je m’y rends également avec mon radio, l’infirmier et mon fidèle ordonnance. Il est vrai que dans de telles circonstances, c’est l’angoisse qui vous étreint. Une bavure et c’est le carnage. Aussitôt, je fais sortir mes deux sections de la cour que nous avons sous contrôle de l’extérieur. Des patrouilles et des bouchons sont assurés jour et nuit jusqu’au 3 mars 1961.

 

Nous retournons sur Arzew où nous recevons les félicitations du général Lhermitte, commandant le secteur urbain d’Oran. Début avril, nous faisons mouvement vers la petite palmeraie d’Aïn-el-Orak au sud de Géryville, elle-même au sud de l’Oranais. Notre mission se résume à la surveillance et l’assistance d’un regroupement de près de 6.000 nomades encerclés par un réseau de barbelés. Une entrée et une sortie contrôlée par mes légionnaires. La nuit, c’est patrouille sur la périphérie et embuscade. La plupart de la population masculine est pro-FLN, ce qui coupe court à tous renseignements. Mes hommes sont tous formés à la discipline légion. On ne transige pas sur une faute, aussi sommes-nous reconnaissants dans la rectitude du de voir accompli. Pour résumer : ça tourne rond. J’ai pu constater à plusieurs reprises, lors d’accrochages, l’allant de cette troupe d’élite, qui, sans coup férir, avance au charbon et prend aussitôt le dessus sur son adversaire au mépris de tous les dangers.

 

Le 11 avril 1961, l’Algérie est déclarée Etat souverain. Aussi, le 22 avril, à Alger, c’est le putsch des généraux Challe, Jouhaud, Zeller et Salan. Le 1er REP, commandé par le commandant Elie Denoix de Saint-Marc, venu de Zéralda, se place sous le commandement des généraux. L’armée a pris le pouvoir dans l’ordre et la discipline. La population, en liesse, manifeste sa joie, aussi bien parmi les pieds noirs que parmi la population algérienne dont les femmes quittent le voile et défilent dans l’allégresse. Au 2e bureau, des ralliements à la cause française sont enregistrés dans les rangs du FLN.

 

J’écris à ma fiancée : « Ce matin, une grande nouvelle sur les ondes. L’armée a pris le pouvoir en Algérie. Tu t’imagines facilement la joie de cette armée française qui souffrait, qui attendait que quelque chose se passe. Enfin, c’est chose faite maintenant, dans l’ordre et la discipline comme je n’osais l’espérer. Le général Challe est un homme raisonnable, ayant les pieds sur terre. Tu peux être sûre que nous sommes tous derrière lui. Comment t’exprimer tous mes sentiments ? Tout le monde savait que le général de Gaulle traitait secrètement avec le FLN pour lui donner tous les pouvoirs. Tu penses bien que cela ne pouvait avoir lieu. Tu sais aussi quelle était ma position sur ce sujet. Dans les milieux musulmans, ce doit être un immense soulagement. Nous savons maintenant à quoi nous en tenir ; notre mission de soldat a repris tout son sens, toute sa valeur, c’est une très grande satisfaction morale. Tu peux croire aussi que tous les « plastiqueurs » ou « troublions » de tous acabits seront remis dans le bon chemin. Les grandes choses ne se réalisent pas dans le désordre. L’ordre règne en Algérie. J’ai écouté la radio, celle d’Alger et celle de la France. Le gouvernement raconte des histoires sur ce qui se passe ici. Crois-moi, c’est la dernière chance maintenant. Il faut s’unir, l’armée ne fait qu’un bloc. Comme je te le disais, nombre de musulmans respirent maintenant. Pour moi, la chose est nette, je suis derrière Challe. D’un instant à l’autre, nous sommes prêts à descendre sur Oran ».

 

J’ajoute, deux jours plus tard : « Deux jours déjà, c’est fou ce que le temps passe vite. En commençant cette lettre le 22, je n’ai pu la terminer. Sous les ordres du commandant Camelin, en une heure de temps ce jour-là, nous avons bouclé nos cantines et pris le chemin du nord. Destination inconnue. Nous étions dans la joie. Nous avons quitté notre poste et toute la nuit sur les routes nous avons roulé. A 4h30, le 23, nous sommes donc arrivés à Saïda. La prise de contact avec nos camarades légionnaires du 1er RE, tous du même avis, et tous avec des sourires immenses, l’espoir fait vivre ! Du coup, personne ne s’est couché tellement l’ambiance était bonne. Les discussions allaient bon. Tous derrière Challe ! ».

 

C’est la compagnie portée commandée par le lieutenant Lepivain qui est allée encercler le PC du général Ginestet, lui demandant de se placer sous les ordres de Challe. Mais cette requête n’a pas abouti. Le 25 avril, c’est la reddition de Challe et la fin de l’insurrection. Le 27 avril, le 1er REP est enfermé au camp de Zéralda avec les 14e et 18e RCP. Le 30 avril, les cérémonies pour l’anniversaire de Camerone ne seront pas célébrées à Sidi-Bel-Abbès.

 

Nous regagnons notre poste d’Aïn-el-Orak dans la tristesse. En fin d’après-midi, un incident éclate à la 2e section réunie sous la guitoune. Un légionnaire la menace avec son pistolet-mitrailleur. Mon sang ne fait qu’un tour. Je coiffe mon képi. J’entre. Je m’approche du légionnaire et je me plante devant lui, au garde-à-vous à le toucher. Son arme est sur ma poitrine. Il me vient à penser qu’un légionnaire bien instruit obéit toujours aux ordres de ses supérieurs. Par trois fois, je le somme de se mettre au garde-à-vous et de rendre son arme. Les quelques secondes qui suivent sont longues. Le silence est total. D’un seul coup, il s’effondre et me donne son PM. Un coup de bourdon, le mal du pays, une injustice ? Allez savoir ! Bref, la suite de cette histoire se solde par 15 jours de prison.

 

Le 5 mai, le commandant Camelin rejoint Oran aux arrêts de forteresse. Le lieutenant Lepivain quitte délibérément le régiment et rejoint Alger pour se placer clandestinement dans la mouvance de l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète). Le colonel Pfirrmann, également aux arrêts de forteresse, garde son commandement. De retour d’Oran, le colonel nous déclare : « Je me suis rangé derrière le général Challe. Je n’aurai pas voulu que plus tard mon fils dise : « Et toi papa, qu’as-tu fait pour l’Algérie ? ». Je suis pied noir, c’est ma peau. J’ai beau me laver, rien n’y change. Je suis passé dans beaucoup de bureaux. J’ai vu beaucoup de colonels, qui lors du 23 avril me disaient : « Je suis avec vous. Nous sommes avec vous ». Maintenant, ils n’osent plus me regarder. Je préfère être à ma place qu’à la leur. On ne reconnaît plus ses amis ».

 

A Zéralda, le 1er REP est dissous. Tous ses officiers sont aux arrêts. Les compagnies sont dirigées sur Thiersville, encadrées par un officier de chaque compagnie. La route est jalonnée de CRS. La population européenne massée sur le parcours jette des fleurs en signe de reconnaissance. Les légionnaires déchargent leur mitraillette à chaque passage dans une ville. Le 16 juillet, au cours d’une prise d’armes, le lieutenant-colonel Bénézit prend le commandement du régiment en lieu et place du colonel Pfirrmann. Le commandant Colin remplace le commandant Camelin à la tête de l’EMT1.

 

Nous effectuons des reconnaissances. Nous sommes ensuite relevés par une compagnie du 2e REI, commandée par le fils du maréchal Juin. Le régiment n’est plus en odeur de sainteté. Nous sommes parqués le long de la frontière, dans des postes. Les véhicules de train qui d’habitude sont à notre disposition pour tous nos déplacements nous ont été retirés, de telle sorte que le commandement n’a plus à se méfier de nous. Il est vrai que des troubles risquent encore d’éclater. Des rumeurs circulent ici et là comme quoi nous serions sur le point de rejoindre Sidi-Bel-Abbès en vue de constituer une enclave française de fait, comprenant le siège de la Légion et toute la région au nord avec Oran et le port de Mers-El-Kebir. Et les mois passent. Pénibles.

 

Le 30 avril 1962, nous célébrons Camerone dans une ambiance emprunte d’une grande simplicité. Un repas amélioré est servi au mess. Je fais la tournée des sections et bois quelques bières avec les légionnaires. L’un d’eux me saisit mon képi et commence à faire le pitre avec. Arrive le commandant Colin, visiblement ivre. Il hurle « C’est inadmissible ! Un légionnaire ne porte pas le képi de son capitaine. Je vous mets aux arrêts ». Prévenu, le colonel nous reçoit dans son bureau. Ne sachant plus très bien ce qu’il fait, le commandant Colin donne un grand coup de sa canne sur le bureau du colonel et se met de nouveau à hurler. Le colonel n’est pas dupe et me demande de sortir de son bureau, afin d’avoir un entretien particulier avec le commandant. La décision est immédiate : le commandant Colin rejoindra la base arrière d’Arzew en attendant sa mutation hors légion.

 

Retour au quotidien. Nous tuons le temps en inspection de matériels d’équipement, de sports et quelques incursions au Maroc, au-delà du rideau du barrage. Figuig n’est pas très loin. Mon temps de commandement touchant à sa fin, je quitte le régiment fin juin. Le capitaine Savatier est désigné pour me remplacer. Le colonel Bénézit préside la cérémonie. De mes mains, il transmet le fanion de la compagnie dans celles du capitaine Savatier. Musette en bandoulière et car de rouge, adieux la Légion.

 

En permission à Cagnes-sur-Mer chez mes parents, je me marie le 10 juillet 1962 en l’église Notre Dame de Nice avec Mademoiselle Françoise Desgeorges. Ma nouvelle affectation prendra la direction de l’Allemagne à l’état-major du Secteur français de Berlin. Une semaine plus tôt, le général de Gaulle a reconnu l’indépendance de l’Algérie ».

 

 

 

 

Photographies :

 

Ces textes sont issus des mémoires du capitaine Petit, qui nous a fait l’amitié de nous les faire parvenir. Ses mémoires sont d’un seul bloc. Nous les avons sectionnées en plusieurs parties pour des facilités de transposition sur internet. Nous remercions le capitaine Petit pour ce témoignage remarquable et sa confiance.

 

Les photographies des deux articles du capitaine Petit sur sa période algérienne présentent des défilés du 5e REI à Arzew ; des opérations dans les Aurès ; le capitaine Petit ; le cimetière de Tlmecen ; opérations sur la presqu’île de Collo ; la visite du général de Gaulle et de Pierre Messmer ; opérations en Kabylie ; passation de commandement au capitaine Savatier ; les adieux à la Légion.

 

Capitaine Petit - En Algérie - 2.
Capitaine Petit - En Algérie - 2.
Capitaine Petit - En Algérie - 2.
Capitaine Petit - En Algérie - 2.
Capitaine Petit - En Algérie - 2.
Capitaine Petit - En Algérie - 2.
Capitaine Petit - En Algérie - 2.

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #Algérie

Publié le 11 Janvier 2020

Capitaine Petit – En Algérie – 1.

Sidi Bel-Abbes.

 

« Le 8 décembre 1958, j’arrive à la « Maison Mère » de la Légion étrangère, sise à Sidi Bel-Abbes. C’est le « Quartier Viénot ». Lorsqu’on y pénètre, on a devant soi la « Voie Sacrée » que nul ne peut fouler, à l’exception de la prise d’armes qui commémore chaque année la bataille de Camerone au Mexique le 30 avril 1863.

 

Au fond est érigé le Monument aux morts, couronné d’une mappemonde flanquée aux quatre coins cardinaux d’une statue rappelant les différents théâtres d’opérations où s’est illustrée la Légion. Arrivant d’une unité régulière, il me faut revêtir les attributs distinctifs. Je vais chez le maître-tailleur pour m’équiper : képi noir, fond rouge, galons d’or, grenade évidée à sept branches, pattes d’épaules, écussons, insigne du régiment…

 

Ainsi paré, je vais me présenter au colonel commandant le 1er RE (régiment étranger), le colonel Thomas qui a qualifié cette visite de courtoisie bienveillante.

 

Le 1er RE représente le lieu commun, le centre administratif par où toutes les nouvelles recrues doivent transiter durant l’instruction de base avant de rejoindre les unités combattantes. De même lorsqu’il s’agit de mutations, fins de contrat. C’est la plaque tournante, la « Portion centrale ».

 

C’est à Arzew que je rejoins le régiment le 8 décembre 1958. Le 5e régiment étranger d’infanterie, qui était jusque là installé sur le secteur de Turenne, vient d’être placé en réserve générale d’opération ici même avec sa base arrière. En effet, dans le cadre du Plan Challe, ont été constituées plusieurs divisions d’intervention, capables d’agir aux quatre coins du territoire. Ce sont la 11e Division d’Infanterie (DI) et la 10e Division Parachutiste (DP) à laquelle le régiment est rattaché. Nous sommes sans fausse modestie la fine fleur de l’armée sur laquelle le commandement va compter pour atteindre ses objectifs : la pacification.

 

A mon arrivée à Arzew, le capitaine Valent, officier étranger d’origine slave, grand seigneur, me reçoit en l’absence du régiment partit le matin même en opération dans la région de la Gada d’Aflou, région d’Aïn-Sefra, dans le sud oranais. Il est chargé de réquisitionner un certain nombre de villas et locaux pour y installer les cadres et les services au retour du régiment. La troupe trouvant son salut sous la tente. »

 

Dans l’Ouarsenis.

 

« Nous sommes fin décembre 1958 et le temps ne nous épargne pas. Ciel bas sur la mer. Vent et pluie traversent l’espace sans discontinuer. Les Oranais convoqués pour la réquisition de leur propriété ne sont pas contents de leur sort.

 

Le régiment remonte bredouille de son opération. Il est commandé par le colonel Gabriel Favreau. Il était auparavant chef de cabinet du maréchal Juin. Il porte un bandeau noir ou blanc sur l’œil droit qu’il a perdu, d’où son surnom « neunoeil ». Dynamique, il en veut et ne nous laissera pas chômer. Présenté, je suis affecté à l’ETM2 (Etat-Major Tactique), commandé par le commandant Edouard Repellin, et à la 9e compagnie, dont le chef est le capitaine Debrouker. Je serai son second. J’ai maintenant mon ordonnance, un légionnaire d’origine italienne.

 

Le 4 janvier 1959, nous défilons sur le front de mer à Oran. Un journaliste a relaté dans L’Echo d’Oran, la prestation du 5e REI : « Clôturant le défilé à pied, le 5e régiment étranger d’infanterie, drapeau en tête, s’avance aux accents de la célèbre marche légionnaire. La foule s’apprêtait à applaudir ces magnifiques soldats lorsque soudain, elle se figea, emplie d’une indéfinissable émotion. Les notes des cuivres et des tambours s’estompaient au loin, et c’est dans un silence étonnamment profond que les hommes au képi blanc, bottés de caoutchouc, passèrent devant les tribunes du front de mer ».

 

Le 16 janvier, nous faisons mouvement pour nous porter dans la région de Frenda. Cela ne donne rien. Les jours suivants non plus. Lever à 5h30, départ dans la foulée et bivouac à 22h. A ce rythme, les « canards boiteux » ne tiendront pas longtemps. Pour ma part, cela me va. Quelques jours plus tard, alors que j’avais envoyé mon Italien chercher un réchaud au camp, il n’est pas revenu. Déserteur ! Il a pris mes vêtements civils. Je l’imagine, allant prendre le bateau pour l’Italie, avec des vêtements civils trois fois trop grands pour lui… Il ne donnera pas de nouvelles. Certains déserteurs ont la gentillesse de nous écrire pour nous dire qu’ils sont bien arrivés et que tout va bien !

 

Les opérations se suivent. Chaque jour nous allons dans les bas-fonds traquer les fellaghas qui se replient. Nous trouvons des infrastructures de repos et de ravitaillement que nous détruisons en attendant mieux. Notre action vise à vider la zone de tous les éléments rebelles, en vue d’installer plus tard des postes permanents de contrôle. Le 25 mars, au cours d’un ratissage, un voltigeur de ma section repère sur le terrain devant nous un fellagha en fuite. Voilà le bougre rattrapé. Il s’avère que cet homme est l’opérateur radio du poste avec lequel il communique avec Oujda au Maroc. Le 14 avril, mon beau-frère, Edouard Bonhoure, affecté au 2e Bureau de l’état-major à Alger me dit par lettre : « Bravo pour ton boulot dans l’Ouarsenis, le zèbre que tu as piqué était extrêmement intéressant et c’est moi qui m’occupais de cette affaire, sans savoir que tu étais à l’origine du coup. Le seul ennui c’est qu’il se passe beaucoup trop de temps entre la capture et le moment où les services techniques peuvent l’utiliser ».

 

Notre dispositif se resserre autour de la zone suspecte. Nous avons repéré une bande de 50 fellaghas. De son côté, la 11e compagnie en a tué 4 et fait un prisonnier. Regroupés à 16h00 aux environs de la Côte 1055, nous nous préparons pour la nuit. Auparavant, nous grenouillons dans les thalwegs situés au nord. Bien nous en prend, car la 1ère section découvre deux abris avec quelques vivres. A son tour la 2e section trouve deux autres niches. Je pénètre dans l’une d’elles et découvre un musulman mozabit (originaire du Mzab et généralement commerçant), les jambes et les bras attachés dans le dos, suspendu par une corde au dessus d’un feu dont il ne reste que quelques braises. Le ventre est plus ou moins carbonisé. Une boîte de médicaments enveloppée d’un papier blanc porte l’inscription « Au frère Si Mohamed, Commandant la Wilaya 4 ». Nous sommes là au cœur du dispositif ennemi. Plus bas, dans le thalweg, de nombreux abris attestent de la présence d’un katiba (compagnie) qui s’est évanouie dans la nature. Notre mozabit, encore vivant, est détaché. Plus tard, il est transporté par un hélicoptère Alouette qui le conduit à Molière, au PC (Poste de Commandement) de la 10e DP pour identification et suite à donner.

 

30 avril : nous fêtons Camerone. 147 rebelles ont été capturés, mais des camarades, des amis, ont offert leur vie au cours de ces combats récents. Notre pensée fervente monte vers eux. Quelques jours plus tard, des hélicoptères nous déposent sur DZ indiquée par le commandement. Mais lors de la deuxième rotation, l’appareil heurte le sol suite à une chute du régime moteur. Nous déplorons 6 morts et deux blessés. Je l’ai échappé belle : à une rotation près…

 

Le 17 et 18 mai, nouvelle action de 48h dans le fief du Commando 54, troupe d’élite rebelle. Le 1er REP (régiment étranger parachutiste) et le 3e REI (régiment étranger d’infanterie) engagés dans la même opération ont accroché les rebelles en fin de matinée. Ils se replient vers notre zone d’action. C’est au tour du lieutenant Alain Ivanoff du 1er bataillon de manœuvrer et donner l’assaut. En pleine action, il tombe frappé d’une balle en pleine tête. Malgré les pertes sévères, les éléments décimés du Commando 54 s’évanouissent dans le maquis inextricable des fonds d’oueds.

 

Le 2 juin, je fais mouvement sur Arzew avec la 4e section de la compagnie et des détachements des autres compagnies pour assister aux cérémonies religieuses et militaires qui vont rendre hommage et adieux aux tués des derniers combats. Le lieutenant-colonel Dubos indique : « Le régiment, une fois de plus hélas, est en deuil. J’ai le douloureux privilège à vous lieutenant Ivanoff, à vous sergent Swanda, à vous les légionnaires Eibl, Palomino et Maier de vous saluer une dernière fois et de vous adresser au nom du colonel Favreau et de tout le 5e Etranger, un ultime adieu. A nous se sont joints des délégations de vos camarades, représentants tous ceux qui, par suite des nécessités opérationnelles impératives, n’ont pas pu venir partager notre peine et vous accompagner dans cette dernière partie de votre chemin sur cette terre. Votre destin est accompli et si votre vie fut brève, elle reste pour nous un exemple et l’idéal d’une vie de soldat ».

 

Les jours suivants nous entraînent dans la région située à l’est de Champlain et au sud de la Petite Kabylie. Durant toutes ces opérations, tous nos déplacements se font avant le lever du jour, pour une mise en place dès l’aurore sur notre base de départ. Dans ces conditions, nous dormons peu, mais nous sommes entraînés au physique comme au moral à faire de tels efforts prolongés. Le 27 juin 1959, le colonel Favreau est élevé à la dignité de Grand Officier de la Légion d’honneur par le général Gilles, représentant le général Challe. Le surlendemain, le capitaine de Broucker quitte le régiment. La compagnie, sous mes ordres, défile devant le commandant Repellin. Quant au capitaine, il boit, devant la compagnie rassemblée, le traditionnel car de vin rouge et reçoit la musette contenant quelques vivres de route. »

 

Le Hodna et la Kabylie.

 

« Le 6 juillet 1959, nous faisons mouvement dans un premier temps sur Blida, puis dans un deuxième temps sur Tizi-Ouzou. En réalité, nous avons été détournés vers les Monts du Hodna au sud de Bordj-Bou-Arredidj, cette destination ayant été tenue secrète jusqu’au dernier moment pour ne pas alerter nos adversaires. Les opérations « Jumelles » et « Etincelle » viennent de débuter. Elles consistent en de grandes opérations visant à encercler l’ennemi et l’anéantir. Avec d’autres unités de la 10e DP, durant onze jours, sur les pentes pré-sahariennes, nues, ravinées, inhospitalières, surchauffées par un soleil de plomb, nous avons découvert une importante base arrière, stocks de matériels divers : machines à coudre, tissus, vivres, chaussures, appareils de soudure…

 

Après quelques jours de terrain, nous voilà au repos au Bordj-R’dir. Souffrant d’une douleur intense a la mâchoire depuis plus jours, je me rends à l’infirmerie pour me faire soigner. Je demande le dentiste. Un certain bipède mal coiffé me dit qu’il se trouve au mess. Je lui demande d’aller le chercher. Ce dernier revient après un moment et me répond qu’il ne peut être dérangé, étant attablé ! Mon sang ne fait qu’un tour et j’indique au pauvre garçon que désobéir à un officier de la Légion est une faute extrêmement grave. L’aspirant dentiste arrive enfin. Je lui demande de m’arracher cette molaire qui me fait souffrir. Il se saisit d’un instrument et d’un geste bref et convaincant il s’exécute. Soulagé, mais endolori, je le quitte avec mes remerciements.

 

Le terrain est difficile à pénétrer. Nous devons prendre position, voir sans être vu. Enfin, le 19 août, nous repérons 11 fellaghas. Je fais mon compte-rendu et demande l’appui d’autres compagnies. Une heure plus tard, une compagnie est héliportée. Nous progressons. Les fellaghas refluent. Dans leur retraite, ils passent dans la zone de ratissage de la compagnie voisine. Dix d’entre eux sont tués ou faits prisonniers. Le n°150 de Képi Blanc (octobre 1959) relate l’affrontement : « La 12e compagnie du capitaine Frigard qui déjà depuis six jours grenouille dans la zone de refuge de Bounaaman, est en déplacement. Il est 12h30. Dans un terrain boisé, au relief accidenté, la 1ère section commandée par le lieutenant Lambert, aborde un village abandonné. Tout à coup, le tir des armes automatiques retentit. Parmi les maisons en ruines, un rebelle tente de s’enfuir. Blessé, il tombe mais se relève et se laisse glisser dans un ravin. La section s’élance aussitôt. Mais que se passe-t-il ? Derrière une murette deux mains agitent un mouchoir blanc. Puis, le silence régnant, deux têtes émergent, une femme et un homme, Monsieur et Madame Dubois de Dunilac, ressortissants suisses, installés en AFN depuis des années, prisonniers des rebelles depuis deux mois. Ils étaient gardés par deux rebelles armés de fusils de chasse. Le gardien blessé est retrouvé, ainsi que son fusil, le second reste introuvable ».

 

Je pars en permission pendant le mois de septembre 1959. La joie de se retrouver chez soi. De voir ses parents.

 

De retour en Algérie, je passe le commandement de la compagnie au capitaine Derréal, non sans regret. Je suis affecté auprès du commandant Repellin à l’EMT 2 en qualité d’officier de renseignement. Le commandant donne une soirée au cercle à Sidi-Bel-Abbès. J’y rencontre Olivier, lieutenant au 1er REC (régiment étranger de cavalerie) et Françoise. La soirée s’éternise jusqu’au lever du jour. Un ingénieur américain, venu étudier l’emploi des hélicoptères, qui ne jure que par la Légion, finit par rouler sous la table. Ah « The Foreign Legion » il s’en souviendra toute sa vie ! Il y a là aussi le général Gardy, inspecteur de la Légion, qui danse sans arrêt. Sa spécialité est de mettre sa main droite sous le sein gauche de sa partenaire, d’où le surnom qui lui est donné de « masse au sein ». Ceci pour la petite histoire… »

 

 

Dans la presqu’ile de Collo.

 

« Nous quittons Arzew le 1er novembre 1959. La presqu’île de Collo, 1.525 km², est un massif épais dont la tête est le Ghoufi qui culmine à 1.183 mètres. Les trois-quarts de ces djebels abrupts sont couverts de chênes liège. Cette zone incontrôlée depuis fort longtemps, est le siège d’une implantation du FLN, servant à la fois de transit et de repos pour les unités infiltrées depuis la Tunisie. La forêt de chênes cache sous ses frondaisons un maquis touffu, impénétrable, quelques rares pistes.

 

Le chêne liège n’est plus exploité depuis des années. Ce sont deux sociétés qui, en temps ordinaire, récoltent près d’un million de quintaux transformés en 22 millions de bouchons, vendus à l’URSS. Aujourd’hui, c’est l’armée qui assure la sécurité des chantiers. Plusieurs opérations ne donnent aucun résultat. Les fellaghas ne souhaitent pas nous rencontrer. Il va falloir agir par petits groupes pour ne pas attirer l’attention.

 

Le 24 novembre 1959, une équipe d’officiers du régiment part en reconnaissance sur la frontière tunisienne. Je rate mon frère Stéphane de peu. Il se présente à la popote des sous-officiers de Bône, où nous étions la veille. Nous passons de poste en poste. Le colonel nous a expliqué l’organisation de son secteur et le ratissage en cours. Le 27, par la piste qui longe le barrage électrifié, nous rejoignons Ouenza. La nuit précédente, une bande de fellaghas a forcé le barrage. Le bouclage est en cours. Rendus au PC opérationnel, nous apprenons que ladite bande est encerclée. Le premier bilan fait ressortir 45 tués et 69 prisonniers ! Finalement le nombre de tués se monte à 145. Armement pris en conséquence. C’est un échec total pour le FLN qui voulait, en franchissant le barrage, faire bonne impression avant la session de l’ONU. En fait, il existe deux réseaux électrifiés. Le premier longe grosso-modo la frontière. L’alerte est donnée en cas de franchissement. C’est alors que le second réseau en retrait de quelques kilomètres est mis sous tension. C’est dans cet espace que les rebelles sont pris et ne peuvent en sortir.

 

Retour sur nos cimes à Collo. Noël approche. Les opérations de nettoyage se multiplient, refoulant nos adversaires dans leurs derniers retranchements possibles. Comme le veut la tradition, chaque section prépare sa crèche qui sera ensuite évaluée. Les trois sections ayant obtenu le meilleur classement seront récompensées. La neige tombe abondamment.

 

Le 26 janvier 1960, n’ayant pas de commandement particulier, j’ai obtenu une permission de 15 jours pour me rendre à Alger. Cependant, la situation est très tendue sur le plan politique. Des troubles ont éclaté à Alger et Constantine. Très occupés par nos activités opérationnelles, nous ne sommes pas toujours au courant de ce qui se passe dans les hautes sphères. En réalité, le général Massu a été limogé de son commandement après la création des comités de salut public. Cette nouvelle n’a pas été acceptée des partisans de l’Algérie française qui ont réagi comme on va le voir.

 

Arrivé à Constantine où je dois prendre mon train, une grève immobilise tous les moyens de transport. Le 1er REC a été dépêché la veille en vue du maintien de l’ordre. Mon ami Olivier est aux portes de la ville avec son escadron. Nous suivons à la radio le déroulement des événements. Les manifestants crient « A bas de Gaulle » et réclament l’intégration de l’Algérie à la France. Le lendemain je fais le trajet vers Alger en jeep. Je me rends chez des amis. Inutile de dire combien notre cœur souffre.

 

A Alger, c’est l’insurrection. En effet, dès le 23 janvier, le député Pierre Lagaillarde a occupé avec 30 hommes la faculté boulevard Laférrière, suivi par un grand nombre de pieds-noirs des unités territoriales (5.000) groupés autour de la Grande Poste. Le 1er REP et le 1er RCP (régiment de chasseurs parachutistes) ont été rameutés en ville pour maintenir l’ordre. Des tirs sur les forces de l’ordre ont fait 14 morts dans les rangs de la gendarmerie mobile et 9 morts parmi les civils musulmans. Lagaillarde, sur les barricades, indique : « Nous résisterons jusqu’au bout, dussions-nous mourir. Nous ne voulons que l’intégration de l’Algérie à la France. Luttons tous ensemble pour l’Algérie française ». D’autres régiments arrivent en renfort, à commencer par le mien, 5e REI. La situation se détend peu à peu quand il apparaît que la troupe ne tirera pas sur la foule et que la fraternité se soit établie avec les unités territoriales. Le 1er février 1960, le siège des facultés est levé.

 

Mes amis pleurent de rage. Pour ma part, je veux m’en tenir au discours du général de Gaulle : « L’autodétermination, une fois la pacification terminée ». Il n’empêche, son discours a bien évolué : du « je vous ai compris » le 4 juin 1958, il est devenu le 16 septembre 1959 : « trois solutions : la sécession, la francisation, l’association ».

 

Le 3 mars 1960, le général de Gaulle fait une nouvelle « tournée des popotes ». Outre la présence des tous les officiers du régiment, ont fait le déplacement tous les officiers de la 13e demi-brigade la Légion étrangère. L’arrivée du chef de l’Etat est précédée de celles du général Hubert, commandant la 11e DI, du général Gandoet, commandant le corps d’armée, du général Challe, commandant en chef, du ministre des Armées, Pierre Messmer, et enfin de Monsieur Delouvrier. Sept autres hélicoptères, de type « banane », transportent des « mouches du coche »…

 

De Gaulle arrive enfin. Tout le monde au garde-à-vous. Nous sommes là, autour de lui. Il écoute l’exposé de la situation militaire et les résultats obtenus par le général Challe, puis nous indique : « Nous n’abandonnerons pas l’Algérie. Il n’y aura pas de Dien-Bien-Phu en Algérie. C’est de la fumisterie que de penser à l’indépendance de l’Algérie. Le FLN ne veut pas d’un cessez-le-feu. Votre mission reste de combattre et de lui prendre ses armes, puisqu’il ne veut pas les déposer. Il est absolument impossible de dire aujourd’hui ce que sera l’Algérie de demain. L’Algérie française, ce sont des mots et l’avenir d’un pays ne repose pas sur des mots. Le problème de l’Algérie sera définitivement tranché après la victoire de nos armes et par les Algériens eux-mêmes ».

 

Dans les semaines qui suivent, nous recommençons nos ratissages. Mais ils ne donnent rien. Seules des traces prouvent le passage de fellaghas. Au régiment, le colonel Favreau passe la main au colonel Pfirrmann. C’est un dur à cuire, un « marche ou crève ». Vieux grognard, il a commencé comme simple légionnaire et a gravé tous les échelons. Ce qui par ailleurs est remarquable. Malheureusement, son langage est émaillé de grossièretés sans nom. La cérémonie passée, nous continuons nos opérations. Eté 1960, nous remplaçons les harkis – ils ne sont plus du tout en sécurité – pour rassurer les récolteurs de liège.

 

Le commandant Repellin nous quitte. Il est remplacé par le commandant Buzy-Debat. Il a comme adjoint le capitaine Maestrali, qui vient de nous arriver de Madagascar. Je suis attaché à ce dernier en tant qu’officier de renseignement ».

 

Capitaine Petit – En Algérie – 1.
Capitaine Petit – En Algérie – 1.
Capitaine Petit – En Algérie – 1.
Capitaine Petit – En Algérie – 1.
Capitaine Petit – En Algérie – 1.
Capitaine Petit – En Algérie – 1.
Capitaine Petit – En Algérie – 1.
Capitaine Petit – En Algérie – 1.

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #Algérie