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Publié le 24 Septembre 2011

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Sous la présidence de Jacques Chirac, le décret du 31 mars 2003 est promulgué ; il a pour titre : « Journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives ». Voici le texte de son article 1 : « Il est institué une Journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives en reconnaissance des sacrifices qu’ils ont consentis du fait de leur engagement au service de la France lors de la guerre d’Algérie. Cette journée est fixée au 25 septembre ».

 

Le 25 septembre 2011, la journée départementale d’hommage aux Harkis se déroulera une nouvelle fois à Issy-les-Moulineaux. Elle commencera par un dépôt de gerbes à la place Bachaga Boualam ; place inaugurée par M. André Santini en 1987.

 

Saïd Benaisse Boualam naît le 2 octobre 1906 à Souk Ahras, en Algérie, dans ce qui était alors le Constantinois. Enfant de troupe à Saint-Hippolyte-du-Fort puis à Montreuil-sur-Mer, entre 1919 et 1924, il gravit les grades de l’armée française et est nommé capitaine au 1er régiment de tirailleurs algériens. Il s’illustre pendant la Seconde Guerre mondiale, et est cité à deux reprises. Plus tard, il obtient les galons de colonel et reçoit le grade de commandeur de la Légion d’honneur, à titre militaire.

 

En 1956, alors bachaga (que l’on peut traduire par « haut dignitaire » ou chef de tribus), il devient chef de la harka de sa région. Une note de l’Etat-major de l’armée française définit une harka comme une formation militaire supplétive (le supplétif étant celui qui « complète » les effectifs d’une armée).

 

En 1958, lors de la Première législature de la Cinquième République, le Bachaga Boualam est élu député d’Orléansville (El-Asnam aujourd’hui), alors que l’Algérie est en guerre depuis 1954 (on parle d’événements à l’époque – selon les traités internationaux, la France ne pouvant se faire la guerre à elle-même). Le Bachaga Boualam est le symbole même de l’Algérie française, du moins de la bonne entente des musulmans avec les Pied Noirs et les Français de métropole. L’année suivante, il échappe de peu à un attentat. En juin 1960, il devient président du mouvement politique « Front de l’Algérie Française » (FAF), mouvement bien entendu anti-indépendantiste. Très rapidement, ce mouvement obtient près de 400.000 adhérents pour monter ensuite à un million. Trop dangereux pour les autorités, qui décident dès le mois de décembre suivant de le dissoudre.

 

Au cours de la guerre d’Algérie, le Bachage Boualam perdra dix-sept membres de sa famille. Il sera un emblème du drame des harkis, trouvant refuge en mai 1962 en Camargue. Vingt ans plus tard, le 8 février 1982, il rend son âme à Dieu, dans la petite commune de Mas-Thibert, près d’Arles, dans les Bouches-du-Rhône.

 

Parmi ses décorations, il convient de citer la Légion d’honneur, la Croix de Guerre 1939-1945, la Croix de la Valeur militaire et la Croix du Combattant.

 

Par la suite, de nombreuses villes baptiseront une rue ou une place du nom du Bachaga Boualam : Aix-en-Provence, Arles, Cannes, Caen, Béziers, Nice, Nîmes, Perpignan, Sartrouville, Sète, Toulouse et bien entendu Issy-les-Moulineaux.

 

 

 

 

Sources :

 

-       Bachaga Boualam " Les Harkis au service de la France" ; Editions France Empire, 1962.

-       Nicolas d'Andoque "Guerre et Paix en Algérie. L'épopée silencieuse des SAS" ; Edité par SPL Société de Production Littéraire 10 rue du Regard 75006 Paris.

-       Mohand Hamoumou " Et ils sont devenus Harkis " ; Editions Fayard 1991.

-       Abd El Aziz Méliani "La France honteuse. Le drame des Harkis" ; Editions Perrin.

-       Site internet de l’Assemblée Nationale : www.assemblee-nationale.fr

-       Encyclopédie en ligne : www.wikipedia.fr

-       Association Jeunes Pieds Noirs : http://jeunepiednoir.pagesperso-orange.fr

 

 

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #Algérie

Publié le 3 Février 2011

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Pierre Essayan est à gauche sur la photographie. En pyjama. Il prend un petit-déjeuner avec des camarades de chambrée.

 

 

Etre un grand frère.

 

« Bonjour, Petit Frère. Je tenais à t’écrire cette petite lettre parce que j’avais envie de t’écrire et pour te donner quelques nouvelles de moi ». Par ces mots, commence la dernière lettre de Pierre Essayan, beau-frère de Nicole Essayan, maire-adjoint d’Issy-les-Moulineaux : « Il écrivait presque toutes les semaines à son frère Pascal, mon défunt époux. Cette lettre est datée du 17 octobre 1958. Pierre Essayan était un Arménien avec tout ce que cela signifie pour nous. C’est-à-dire qu’il était d’abord et surtout Français. Un amoureux des valeurs de la République. Pays qui a accueilli nos parents. Avec l’absolu nécessité de bien parler la langue, de bien l’écrire, de s’intégrer parfaitement. Peu importe les brimades, les réflexions. Il fallait être irréprochable. »

 

Pierre Essayan nait le 10 février 1932 à Paris. Suzanne est son ainée ; le petit Pascal, le benjamin. La santé de leur maman se dégrade peu à peu et elle devient paralysée. Employé aux Etablissements Chausson, le père travaille beaucoup. Au moment d’être appelé sous les drapeaux, Pierre est tricoteur. Il habite avec sa famille rue de l’Egalité à Issy-les-Moulineaux. Lui, son frère, qui est apprenti-lithographe, et leur sœur Suzanne, se démènent pour aider des parents usés avant l’heure par des années d’ouvrage.

 

« Pierre faisait tout ce qu’il pouvait pour aider sa famille. Il travaillait comme un fou, s’occupait de ses parents, et son jeune frère était pareil. Par contre, bien souvent Pierre s’entraînait au football. Il était très doué. Notre ami Henry Karayan, connu pour son passé dans la Résistance à côté de Missak Manouchian, lui avait même promis une possibilité de jouer à Paris après son service militaire ».

 

 

De Balard à Alger.

 

Pierre Essayan est en effet appelé sous les drapeaux le 1er février 1957. Il intègre le bataillon de l’air 117, unité assurant le support de l’Administration centrale de l’Armée de l’air, place Balard à Paris. Il est ensuite versé dans l’Armée de terre au début du mois de mars 1958.

 

Le 15 mars 1958, il embarque à Marseille et arrive à Alger le 17. Selon la formule, il est « libéré de ses obligations légales d’activité » le 1er août 1958, mais, du fait de la loi votée par le Gouvernement de Guy Mollet, il est maintenu sous les drapeaux le 31 août 1958.

 

Août 1958. Voilà trois mois que le général de Gaulle est revenu aux affaires du pays. A Alger, il a déclaré « Je vous ai compris » et chacun a entendu ce qu’il voulait : l’Algérie française pour les uns ; l’indépendance, du moins l’auto-détermination, pour les autres. Quelques jours plus tard, conformément aux accords avec la Tunisie – indépendante depuis 1955 – la France rapatrie ses troupes qui y sont encore stationnées. « Oui, mais l’Algérie, ce sont des départements français. Ce n’est pas comparable », entend-on un peu partout. Et c’est bien vrai, d’autant que les fellaghas sont loin de faire l’unanimité au sein de la population algérienne.

 

Le 3 juillet, le général de Gaulle annonce la constitution d’un collège électoral unique. Et il va même plus loin en donnant le droit de vote aux femmes musulmanes. En septembre 1958, alors qu’au Caire, en Egypte, le leader algérien Ferhat Abbas annonce la formation du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne), de Gaulle fait un discours remarqué à Constantine : des réformes économiques, sociales et culturelles sont édictées. L’Algérie va également pouvoir s’industrialiser à grande vitesse grâce à la richesse du sous-sol du Sahara, regorgeant de pétrole.

 

Il n’empêche. Dans le même temps, les « opérations de maintien de l’ordre » continuent. La guerre en Algérie ne dit pas son nom. La France d’ailleurs ne peut pas se faire elle-même la guerre : officiellement ce sont des bandes armées qui sèment la guérilla dans les départements français d’Algérie. Bientôt près de huit-cent-mille soldats français sont engagés dans ce conflit.

 

 

En opération à Médéa.

 

 

Médéa est le chef lieu de la wilaya – région – du même nom. Située à quelques quatre-vingt kilomètres au sud-est d’Alger, elle offre des paysages de hauts plateaux qui ferment à l’ouest la vallée de la Mitidja. Une wilaya est formée de nombreux « beylicat », dont le nom provient du Turc « bey », et qui signifie « chef de clan » autant que son territoire.

 

A l’automne 1958, Pierre Essayan et son unité sont placés dans le beylicat de Titteri, près du village de M’fatha, à quelques dizaines de kilomètres au sud de Médéa. Nous sommes le 1er novembre. Voilà quatre années, jour pour jour, que le FLN (Front de libération nationale) a déclenché la « Toussaint rouge » : une série d’attentats contre les colons français dans le constantinois (dont l’assassinat d’un couple d’instituteurs venus de la métropole). La date est généralement retenue comme le déclenchement de la guerre d’Algérie.

 

Pierre Essayan participe à des reconnaissances. C’est son travail quasi quotidien. La patrouille a quitté le campement et fait déjà pas mal de kilomètres quand elle tombe dans une embuscade. Pierre se protège. Il se met en position de riposter. Mais devant lui un camarade est à terre. N’écoutant que son courage, il se lève et part le chercher. Une première balle le touche à l’épaule gauche ; une seconde le blesse à la mâchoire et à la nuque. Il en reçoit encore une troisième, celle qui le tue, en plein thorax.

 

L’embuscade terminée, un rapide bilan est tiré : ce soir, le régiment comptera un soldat de moins. La patrouille revient au camp, portant le corps de Pierre Essayan. Le jeune homme reçoit la médaille militaire et la croix de la valeur militaire avec palme à titre posthume.

 

A Issy-les-Moulineaux, dans la communauté arménienne, l’émotion est grande. Suzanne, enceinte, met au monde, quatorze jours après le décès de son frère, un petit garçon, qui reçoit bien entendu le prénom de Pierre. La maman ne se remet pas de la disparition de son fils. Dieu la rappelle à Lui six mois plus tard.

 

Au début de l’année 1959, le général Challe met au point son plan qui va, en deux années, mettre à bas, pour un moment, une grande partie des « katibas » – unités – de l’Armée de Libération Nationale, branche armée du FLN.

 

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Pierre Essayan en position de tir.

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Rédigé par Souvenir Français Issy

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Publié le 12 Décembre 2010

Le Père Charles Bonnet est isséen : il vit aujourd’hui à la maison de retraite des prêtes de Saint-Sulpice, placée à côté du séminaire qui abrite l’Ecole Supérieure de Théologie Catholique. Très actif, membre de nombreuses associations d’entraide, voyageant de par le monde (il était en Chine la première fois quand le Souvenir Français a cherché à le rencontrer), le Père Bonnet a également fait la guerre d’Algérie.

 

Qui a son bac ?

 

« Arrivé en Algérie début janvier 1958, après quatre mois de classes à Granville dans la Manche, j’en suis reparti fin décembre 1959. Quand notre convoi de nouveaux arrivants a débarqué à la ferme Sénéclauze, dans la vallée de la Soummam, sur la commune de Oued Amizour, l’adjudant de la CCAS du 29ème bataillon de chasseurs à pied, chargé de nous répartir entre les différents postes demanda : «  Qui a son bac » ? Craignant d’entendre la phrase classique dans ces cas -là : «  vous serez de corvée de chiottes demain matin de bonne heure », je me gardai bien de répondre. « Il n’y a pas quelqu’un qui s’appelle Bonnet ici » ? Je répondis : «  Moi, mon adjudant ». « Alors, vous pouvez pas répondre quand on vous appelle » ? Je me tus, ne voulant pas lui expliquer pourquoi j’avais gardé le silence. « Bon, vous êtes affecté à la ferme Tavel, à l’infirmerie. »

 

A la ferme Tavel.

 

« Et c’est à l’infirmerie de la ferme Tavel que je devais passer mes dix-huit premiers mois avant poursuivre cette tâche dans la petite ville d’El Kseur à vingt km de là. Je n’avais aucune compétence pour le métier d’infirmier ni aucune formation mais c’était une tâche qu’on confiait volontiers aux séminaristes en pensant peut-être que ceux qui voulaient se consacrer, comme prêtres, au soin des âmes avaient des aptitudes particulières pour le soin des corps ou au moins pour l’accueil de ceux qui souffrent. En fait, je ne fis guère de piqûres et de pansements car j’étais d’abord le secrétaire du toubib et le responsable de la gestion de l’infirmerie. Et, pendant deux ans, j’assistai tous les jours aux consultations du médecin, notant les traitements qu’il prescrivait et les notifiant aux infirmiers pour qu’ils les mettent en œuvre. J’y ai beaucoup appris.

 

Bien qu’affecté à l’infirmerie, je dus, comme tout le monde pendant ces deux ans, monter la garde la nuit, faire des patrouilles, participer à des opérations. Je connus, comme tout le monde, la peur : peur des bruits bizarres de la nuit, peur en traversant, déployés en ligne, des espaces dégagés où l’on peut vous tirer comme des lapins, peur sur les routes désertes où l’on peut sauter sur une mine ou être victime d’une embuscade. Car cette guerre n’avait rien d’une bataille rangée où l’on sait où se trouve l’ennemi. Il n’y avait pas de front ou plutôt l’affrontement pouvait se dérouler n’importe où. L’ennemi était caché et pouvait surgir à l’improviste et se retirer tout aussitôt. L’ennemi ce pouvait être aussi cet ouvrier si aimable de la ferme qui guiderait les agresseurs et leur ouvrirait la porte. La guerre était nulle part et le risque partout. On vivait sur le qui-vive et la méfiance, même si à force, on finissait par oublier le danger et l’on devenait parfois négligent sur la sécurité.

 

J’ai connu tout cela en Algérie même si, pour l’essentiel, j’y ai mené une vie très différente de la majorité des appelés du contingent".

 

L’Assistance médicale gratuite de l’Armée française.

 

"Nous étions une infirmerie militaire, mais la santé des soldats ne nous prenait pas beaucoup de temps. L’essentiel de notre activité consistait à soigner les civils algériens dans le cadre de ce qu’on appelait l’AMG (Assistance médicale gratuite). Car si l’Armée française avait pour mission le maintien de l’ordre vis-à-vis des rebelles, elle avait aussi à assurer ce qu’on appelait la pacification dans l’espoir de rallier des populations tiraillées entre les uns et les autres. C’est dans ce cadre qu’elle assurait des soins gratuits à tous les Algériens qui en avaient besoin. Je ne sais ce qu’est devenu le cahier de statistiques que nous tenions soigneusement à jour mais nous n’avions jamais moins de trente personnes à soigner par jour et nous montions quelquefois à soixante-dix. Et l’on piquait, l’on pansait, l’on massait, l’on faisait ingurgiter des pilules ou des sirops à longueur de journée. Les bébés pleuraient, les enfants criaient quand on voulait les piquer, les mamans se disputaient pour passer la première, et les infirmiers hurlaient plus fort pour maintenir un peu d’ordre. Et, quand vers une heure de l’après-midi le silence retombait enfin, tout le monde était un peu flapi et avait besoin d’un solide déjeuner et d’une bonne sieste pour se remettre. La fin de l’après-midi était plus calme : c’est là qu’on s’occupait des soldats venus en consultation ou de ceux qu’on avait hospitalisés pour quelques jours à l’infirmerie.

 

On ne se contentait pas de soigner à l’infirmerie mais avec le toubib on allait, à la demande, dans les postes militaires éloignés, soigner militaires et civils ou dans le village voisin de Boukhalfa. Le médecin se rendait là, seul, sans arme et, même pendant tout un temps, avec sa femme, médecin elle aussi, venue passer quelque semaines avec lui pendant que leur fillette de six ans se promenait au milieu du village et, qui se serait senti complètement déshonoré s’il leur était arrivé quelque chose. On a bien dû, là ou ailleurs, soigner quelques fells en mauvais état venus discrètement profiter du passage du médecin. C’est même dans ce village qu’un vieil Algérien a répondu au médecin qui lui disait « à la semaine prochaine », « Non vous ne reviendrez plus jamais car la semaine prochaine vous aurez déménagé à El Kseur ». Et de fait, le dimanche matin suivant, l’ordre est venu de déménager immédiatement. Le vieux était au courant, pas nous. Le FLN avait un meilleur service de renseignement que nous ! Et il faut bien avouer que nous n’avons pas soigné que des fellagas clandestins mais aussi des fellagas authentiques ou présentés comme tels par les officiers chargés du renseignement qui nous demandaient de les remettre en état pour pouvoir les interroger à nouveau. Avec le toubib, nous nous demandions à chaque fois s’il ne fallait pas mieux les laisser mourir plutôt que les faire survivre pour de nouveaux interrogatoires musclés. Dans tous les cas, le médecin finalement décidait, conformément au serment d’Hippocrate, de les soigner en se disant que, peut-être, on les laisserait en vie à la fin. Que sont-ils devenus ?

 

Il y eut aussi ces moments dramatiques concernant les copains quand on était appelé de jour ou réveillés brutalement la nuit pour aller ramasser des blessés ou des morts, suite à une embuscade ou un accident de half track, et les emmener de toute urgence à l’hôpital de Bougie ou à la morgue. C’était des copains avec qui on avait fait nos classes ou qu’on avait côtoyés tous les jours. Ils avaient à peine plus de vingt ans, parfois une fiancée qui les attendait, souvent des parents qui comptaient sur eux pour reprendre la ferme. Ils étaient venus par devoir en Algérie souvent sans trop savoir pourquoi on les y envoyait et ils étaient morts sans le savoir davantage.

 

Heureusement il y avait les week-ends. Eté comme hiver, le samedi nous partions en convoi à Bougie. Avec le toubib nous commencions par visiter les malades du bataillon à l’hôpital ou à l’infirmerie de garnison, puis nous rejoignions les autres pour, en été, nous baigner ou faire un tour dans la ville, les uns dans les librairies et les cafés, les autres, rue des Vieillards, rencontrer des femmes très accueillantes et généreuses puisqu’elles n’hésitaient pas à partager leurs infections avec les soldats et officiers qui les fréquentaient. C’était aussi une activité de l’infirmerie que de fournir des capotes avant de partir ou d’injecter trois grammes de streptomycine dans les jours qui suivaient le retour, le tout généreusement fourni par le service de santé des armées françaises. Et, le dimanche matin, grasse matinée ou, pour les chrétiens pratiquants, messe à El Kseur célébrée par un curé pied noir retiré actuellement en Provence, le cher abbé Theuma, accueillant comme tout mais très vindicatif dès qu’on mettait en doute l’Algérie française. L’après-midi du dimanche, c’était, comme tous les soirs, la belote, le rami, le tarot ou le Monopoly avec le risque de ne pas se coucher avant deux heures du matin.

 

Enfin, la quille arriva, après un second Noël en Algérie, bien arrosé par les copains. Je me demande encore comment le curé a pu rentrer vivant chez lui après la messe de minuit car le chauffeur du commandant chargé de le ramener au presbytère était totalement bourré. Nous aurions dû être heureux. Mais je n’ai jamais connu un train de militaires aussi triste que celui nous ramena de Marseille à Nantes en passant par Lyon où nous étions éclatés dans les auto-tamponneuses. Nous étions tristes, non de quitter l’Algérie – et encore ce n’est pas sûr car notre cœur avait fini par s’y attacher – tristes certainement de nous quitter sans être sûrs de nous revoir. Mais plus encore inquiets de retrouver la vie normale sans savoir, pour certains, s’ils allaient retrouver du travail, si la fiancée les aurait attendus, s’ils allaient pouvoir se réhabituer à la France, après tout ce qu’ils avaient vécu et qu’ils ne pourraient jamais vraiment partager. Je me souviens de mon énervement, dans le couloir du train bondé qui me ramenait  à Nantes, où j’étais coincé au milieu de jeunes bleus partant en permission du 1er de l’an. Ils se plaignaient de n’avoir obtenu qu’une permission de 48h, bien trop courte à leurs yeux, alors que, durant mes deux ans d’Algérie, je n’avais eu qu’une seule permission au bout de huit mois et que je n’étais pas revenu en France depuis seize mois. Je n’ai rien dit. Qu’auraient-ils pu comprendre ?

 

«Je vous ai compris». Ces paroles du Général de Gaulle à Alger, je les ai entendues, à la radio, quand j’étais là-bas. Les évènements ne se sont pas déroulés comme les pieds noirs croyaient l’avoir compris, ni sans doute comme l’espéraient beaucoup d’Algériens au moment de l’indépendance. Mais ce que nous avons fait a-t-il été compris ? L’avons-nous compris nous-mêmes ? Même encore aujourd’hui ? »

 

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Rédigé par Souvenir Français Issy

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Publié le 27 Novembre 2010

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Vue aérienne de Ténès.

 

 

Le 22ème R.I.

 

Créé en 1791 à partir du Régiment du Viennois et des Bataillons de Guyenne, l’unité prend d’abord le nom de 22ème régiment d’infanterie de ligne et se distingue pendant les guerres de Révolution et de l’Empire, entre autres pendant la campagne d’Allemagne en 1813, où l’empereur Napoléon 1er indique : « Il y a vingt ans que je commande des armées et je n’ai jamais vu tant de bravoure et de dévouement ». Par la suite, le régiment participe à la conquête de l’Algérie en 1830, à la campagne d’unification de l’Italie (bataille de Magenta, de Solferino), à la Guerre franco-prussienne de 1870.

 

Pendant la Première Guerre mondiale, le 22ème RI, stationné à Sathonay et Bourgoin dans le Dauphiné, est de toutes les grandes batailles, qu’il s’agisse en 1914 de la « course à la mer », la Champagne en 1915, Verdun en 1916, la Somme l’année suivante, les Flandres et à nouveau la Champagne en 1918. Le régiment reçoit quatre citations à l’ordre de l’Armée et la fourragère jaune, couleur de la Médaille militaire.

 

En 1939, le régiment est affecté à la défense d’Haguenau en Alsace. Il subit la défaite de 1940 mais contribue à la libération du pays quatre années plus tard. Il est de nouveau mobilisé pour la guerre d’Algérie en 1956.

 

En Algérie.

 

Cette année-là, le gouvernement de Guy Mollet décide de prolonger le service militaire de six à neuf mois suivant que les soldats appelés sont déjà ou non sous les drapeaux (ils sont alors « rappelés »). L’œuvre de « pacification » décidée pour l’Algérie passe par un envoi massif des soldats du contingent.

 

L’état-major, la compagnie de commandement et de soutien (CCS) et les bataillons du 22ème RI sont formés le 22 mai 1956 à Sathonay avec des rappelés originaires de la région. Moins d’un mois plus tard, le régiment débarque en Algérie et s’installe dans un premier temps à Fromentin, avant de rejoindre en septembre de la même année la ville de Ténès, située sur la côte entre Oran et Alger. Les bataillons sont dispersés : le 1er s’implante à Gouraya, tandis que le 2ème prend ses quartiers à Montenotte, le 3ème à Fromentin. Au sein de chaque bataillon, les compagnies s’établissent dans les villages, des lieux-dits ou des camps retranchés, parfois des « bordj » terme local que l’on peut traduire par camp retranché ou, littéralement par caravansérail.

 

Dominique Verley.

 

Dominique Verley nait le 21 juin 1934 à Neuilly-sur-Seine. Habitant à Issy-les-Moulineaux, sergent rappelé, il intègre le 22ème RI et part lui aussi pour l’Algérie. Il appartient au 2ème bataillon.

 

Michel Fetiveau, vétéran de la guerre d’Algérie et du 22ème RI, a créé un site internet remarquable (www.22eme-ri-tenes-1956-1962.com) où il répertorie toutes les informations qu’il peut glaner sur son ancienne unité et ses camarades de combat. Il a ainsi retrouvé plusieurs des compagnons d’armes de Dominique Verley et a recueilli leurs témoignages.

 

Le premier est celui de Monsieur Bailhache : « J’ai commencé des études d’opérateur géomètre à la suite desquelles j’ai dénoncé le sursis que j’avais obtenu. J’ai donc été incorporé au 1er régiment du Train à Montlhéry puis ai été volontaire pour suivre le peloton de brigadier. J’ai suivi les autres, bien que je ne me sentais pas de vocation particulière. Après cela, et dans les mêmes conditions, j’ai suivi le peloton de maréchal des logis, puis les E.O.R. à Saint-Maixent. Là, c’était dans l’infanterie. Comme il y avait des besoins urgents d’encadrement en Algérie, cette formation a été très rapide. Le 15 septembre 1956, je suis sorti aspirant et, avec trois bons camarades de la section, nous avons choisi la même affectation en Algérie pour essayer de rester ensemble. Nous avions demandé le 2ème bataillon du 22ème régiment d’infanterie qui devait se trouver à Collo.

 

En mars 1957, j’ai été déplacé à Chassériau, petit village ou il n’y avait qu’une brigade de gendarmerie. Avec ma section, j’ai été à nouveau chargé de monter un poste. Le maire du village a mis à ma disposition son école désaffectée et nous nous y sommes installés. Moi j’ai occupé le logement de l’instituteur. Il a fallu fortifier ce poste de façon à éviter d’être harcelés, surtout la nuit. Avec 25 hommes et la proximité des gendarmes, je devais faire face à la population incertaine qui se trouvait tout autour. Nous n’avions pas de radio pour les liaisons avec la compagnie et nous devions nous contenter du téléphone civil.

 

Nous sommes restés là durant trois mois. J’avais également pour mission de faire des patrouilles tout autour du village pour bien faire voir que l’Armée française était présente. Nous devions aussi protéger des exploitations agricoles isolées, par des patrouilles de nuit, car les colons avaient quitté leurs fermes pour se réfugier au village. Nos contacts avec les colons ont toujours été très bons mais nous avions beaucoup de mal à avoir des relations suivies avec les Algériens dispersés dans les douars. Il y avait des passages de bandes qui faisaient pression sur les populations. Quand les gendarmes venaient nous voir le matin, c’était pour nous annoncer que des Algériens avaient été assassinés dans leurs douars. Il fallait alors les accompagner pour constater les crimes commis par les fellaghas durant la nuit. Ces hommes étaient égorgés ou brûlés, simplement parce qu’ils avaient résisté aux fellaghas. Quant aux autres, terrorisés, ils ne disaient plus rien.

 

Un jour, le général de Brebisson a atterri en hélicoptère pour venir voir mon poste. Il m’a félicité en me disant  « c’est un véritable petit bordj, lieutenant, félicitations » J’étais content parce que les murettes étaient tirées au cordeau, avec des meurtrières efficaces et que tout était parfaitement ordonné. Puis, après six mois dans le grade d’aspirant, je suis devenu sous-lieutenant et à la suite d’une permission, le lieutenant m’a envoyé en plein djebel pour m’installer sur un autre piton, complètement à l’écart du village de Montenotte. Ce piton, désigné par la « cote 541 », devait être aménagé. Le capitaine avait mis à ma disposition un bulldozer, de manière à l’araser afin que toute la compagnie puisse y tenir. Deux sections surveillaient le travail du bulldozer et assuraient la protection. La section Verley et la mienne.

 

Le 7 juin 1957, j’ai dû me rendre à Cavaignac pour aller chercher des papiers et du ravitaillement. Le lendemain, 8 juin, je me suis joint au convoi remontant, avec le colonel qui voulait voir nos travaux d’implantation. Ce convoi comprenait plusieurs véhicules. En montant la fameuse piste, nous avons aperçu des silhouettes au sommet du piton, comme des ombres chinoises. Le colonel a fait arrêter le convoi pour me demander qui étaient ces hommes qu’on voyait en contre jour. J’ai répondu que c’étaient les hommes du sergent Verley qui nous regardaient monter. Mais d’un seul coup, une rafale de mitrailleuse est partie de là haut et on a compris qu’il ne s’agissait pas de la section Verley, mais de fellaghas. J’ai pris le commandement de la section d’état-major pour donner l’assaut. Nous sommes montés sur une pente assez raide, à travers les broussailles, mais quand nous sommes arrivés en haut, les fellaghas étaient partis. Malheureusement, quatre des nôtres avaient été tués, le sergent Verley lui même et son éclaireur de pointe, Serge Merre, André Canot et Jean Dudat. Un cinquième gars, qui s’appelait Claude Denis, avait été très choqué car il avait reçu une balle sur la crosse de son fusil. Il l’avait échappé belle ! Nous avons retrouvé deux fellaghas tués dans les broussailles. A partir de là, une grosse opération a été engagée avec l’aviation et la chasse mais on n’a jamais retrouvé les fellaghas. Pourtant nous en avions bien vu une vingtaine en silhouettes sur le piton et il est probable qu’ils y en avaient d’autres sur le versant opposé. »

 

Le second témoignage est de celui de Raymond Ponton : «  Le 22ème RI est l’un des régiments qui a eu le plus de morts en Algérie. La plupart étaient des appelés du contingent. La 8ème compagnie était évidemment opérationnelle et de ce fait, j’ai crapahuté partout dans le secteur de Ténès et même au-delà. Ces opérations duraient souvent trois ou quatre jours, notamment dans le massif de l’Ouarsenis et dans des conditions difficiles. A plusieurs reprises, nous avons été héliportés par des « bananes » et autres Sikorski. Au cours des vingt-deux mois que j’ai passés en Algérie, j’ai vu mourir trente camarades de ma compagnie. Cela ne s’oublie pas. Fin janvier 1957, j’ai été désigné avec trois autres copains pour aller porter renfort à une gendarmerie qui se trouvait à Chasseriau, un village entre Ténès et Orléansville. Là, les gendarmes vivaient avec leurs familles mais comme ils n’étaient pas très nombreux, il fallait bien les protéger. C’est là que le 8 juin 1957 les fells nous ont attaqués et que le sergent Verley a été tué. Sur ce piton, nous avons vécu dans des conditions très difficiles. D’abord sous des toiles de tentes, puis dans des baraquements en bois. Le ravitaillement nous était parfois parachuté en même temps que le courrier et les munitions. Nous faisions aussi des ouvertures de routes car les pistes que nous devions emprunter étaient très sinueuses et parfois minées. »


A la suite de la mort du sergent Verley, le bordj auquel il était affecté prend son nom, comme cela peut être constaté sur cette photographie.

 

 

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Rédigé par Souvenir Français Issy

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Publié le 18 Mars 2010

Départ en mission


Georges Fleury, in La guerre en Algérie (Ed. Payot) : "J'ai écrit ce livre (...) pour que les enfants d'aujourd'hui, ceux de demain, se rendent compte que leur père ou leurs grands-pères n'ont pas été pires que d'autres, alors même qu'ils étaient confrontés à des situations extrêmes qui dépassèrent souvent ceux qui les avaient envoyés se battre dans ces djebels si beaux dont ils rêvent encore la nuit et ou des petits riens les ramènent parfois. Il suffit d'un copain retrouvé, d'une phrase en arabe cueillie au coin d'une rue, d'une odeur de merguez, d'un petit coup de vent chaud, d'un verre de vin rosé, d'une tasse de thé, du miel d'une pâtisserie, pour qu'ils entendent encore l'étrange et lancinante petite musique de là-bas. Celle de nos vingt ans...".

Retrouvez des clichés de l'Algérie et de la guerre d'Algérie dans l'album éponyme.

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #Algérie

Publié le 21 Décembre 2009


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Alouette II.

 

Dans le Hodna.

 

« Ainsi s’acheva notre garde à la frontière. Nous repartîmes immédiatement pour le Hodna, au sud-ouest de Constantine, pour un rodéo d’un mois, aux premières lourdes chaleurs de juin, dans un paysage extraordinaire où se succédaient, du nord au sud, les collines boisées du Hodna même, la plaque grise et salée du Chott El Hodna, les monticules pierreux du Méharga et les premiers sables d’un désert que les Algériens appellent déjà Sahara. Héliportages sur héliportages, PC tactiques dans les cailloux, nuits à la belle étoile, fatigue et soif, nous poursuivions les fellaghas, repérant, tirant et tuant, tandis que commençaient à Melun les premiers pourparlers avec le F.L.N. (Front de Libération Nationale). Nous donnions le meilleur de nous-mêmes dans ces sites admirables pour une course sans fin qui ne résolvait rien. »

 

Dans le massif de l’Ouarsenis.

 

« On nous expédia ensuite très loin dans l’ouest, dans le massif de l’Ouarsenis, au sud d’Orléansville, où je retrouvai, à la tête du P.C.A. local, mon camarade Jean-Pierre Rozier, ancien pilote d’essais comme moi. Et ce fut le même enchaînement de reconnaissances, d’appuis-aériens et de tirs « Pirate » au soleil d’août qui rendait nos Alouettes brûlantes. Comme assez souvent depuis l’Akfadou, fidèle à mes souvenirs de sous-lieutenant du 1er choc, je participai au sol aux opérations et j’eus, un jour, à connaître le capitaine Sergent du 1er REP dans un « coup » assez rude. Après quinze jours de détente en Bretagne, je rejoignis le PC du général Saint-Hillier, d’abord à Molière – un nom qu’on ne retrouvera plus jamais sur les cartes – puis à Teniet-el-Haad en bordure de la plus belle forêt de cèdres d’Algérie, une des dernières. Nous poursuivîmes ces opérations jusqu’à la fin du mois de septembre, jusqu’à l’évanouissement total des fellaghas réfugiés ailleurs.

 

Dans ces régions, nous n’avions plus alors en face de nous de grande « katibas » organisées et pouvions, à juste titre, considérer que nous étions vainqueurs sur le terrain. Mais le terrorisme urbain persistait et, sur le terrain même, des petites bandes fluides nous condamnaient à attaquer, à attaquer sans cesse et à tuer. Totalement intégré à cette division parachutiste dont j’étais solidaire, je restais néanmoins un aviateur et gardais ma liberté d’esprit et de jugement. Si je n’étais pas lassé des combats – car l’allégresse des combats, cela existe – je voyais avec consternation ce beau pays peu à peu crucifié tandis que l’amertume des officiers montait tout autour de moi devant une politique qu’ils ne comprenaient point. »

 

Dans les Aurès.

 

« Et nous repartîmes encore, le 4 octobre 1960, cette fois pour les Aurès. Henri Maslin, mon second durant près d’un an, me quitta. Le lieutenant Jacques Clerget le remplaça.

 

A 100 km au sud de Constantine, les Aurès constituent une unité géographique très caractéristique et très belle. Des crêtes successives, orientées du sud-ouest au nord-est, séparées par des vallées profondes, y culminent à plus de 2300 mètres dans le Djébel Mahmel et le Djébel Chélia. La population très faible était concentrée dans les vallées. Nous nous posions parfois en hélicoptères sur des sommets vierges de toute trace humaine et ramassions à chaque pas des fossiles, coquillages et ammonites, vieux de millions d’années et si étranges sur ces hauteurs. Mais c’était aussi un pays d’insoumission séculaire où des hommes rudes vivaient, par tradition, de brigandage et de coups de main, guerriers entraînés que nous allions connaître.

 

Le P.C. de la division s’établit d’abord à Arris puis, très vite, sur un sommet voisin beaucoup plus propice aux liaisons radio indispensables. Les régiments se mirent en chasse des pentes du Chélia à celles du Mahmel.

 

Immédiatement, les accrochages furent très meurtriers pour nous comme ils ne l’avaient jamais été depuis plus d’un an. Tireurs d’élite, les fellaghas restaient retranchés sur les crêtes. Donner l’assaut se soldait par des pertes inadmissibles. A chaque passage d’Alouette, nous étions « tirés » de telle sorte qu’il nous était impossible de baliser l’objectif pour l’aviation d’appui, T6 de Batna ou chasse lourde, et devions nous contenter d’un guidage radio approximatif. Clerget et moi tournions chacun à quatre missions par jour avec nos pilotes habituels d’Alouette, Bobet, Boyer, Baudoin : guidage de tirs « Pirate » à 30 mètres devant les nôtres, héliportages au sommet du Chélia aux limites opérationnelles des H34, anéantissement d’une bande avec le patron du 9ème RCP, évacuation de blessés sous le feu, guidage de la chasse, tout y passa et nous prîmes des risques parce que nos camarades étaient tombés par dizaines. »

 

Les adieux.

 

« J’effectuai ma dernière mission le 6 novembre 1960. La dernière parce que l’Armée de l’Air avait décidé ma relève et que mon remplaçant, le commandant Germain, venait d’arriver. Avant de partir, je sollicitai l’honneur de passer une semaine sur le terrain avec le 9ème RCP : il me fut accordé.

 

Vint le moment des adieux. J’allai en Alouette, de piton en piton, saluer les colonels. Le colonel Balbin avait fait monter pour moi, de la vallée, une bouteille de champagne, chaude, et nous trinquâmes dans nos quarts métalliques à ce qui restait de plus sûr, c’est-à-dire l’amitié. Puis je saluai le général Saint-Hillier. Quand mon Alouette décolla, un piquet d’honneur présenta les armes.

 

Quelques jours plus tard, j’étais à Alger. Je réglais quelques dernières formalités. Le commandant de Saint-Mars, alors à la base arrière, me donna rendez-vous à l’hôtel Aletti avec quelques officiers pour m’offrir le cadeau de départ de la 10ème D.P. : un très beau panneau de bois orné de tous les insignes des régiments de la division et que j’ai précieusement conservé.

 

Ainsi se terminait mon parcours algérien. Je laissais derrière moi bien des parachutistes inquiets de leur avenir. Quelques mois plus tard, le putsch d’Alger éclata. Il était prévisible. J’y étais formellement opposé mais j’en comprenais trop les motivations.

 

Je retrouvai Paris et le bonheur de la famille. J’eus la chance d’être affecté au cabinet du général Lavaud, premier Délégué ministériel pour l’Armement et patron exemplaire. Je plongeai dans le travail d’état-major. Je savais depuis longtemps que le travail était le meilleur antidote mais pour oublier le drame algérien, il me fallut beaucoup, beaucoup d’années. »

 

 

Général Roland Glavany, grand-croix de la Légion d’honneur.
 



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9ème RCP – Opération dans le Djébel Chelia.

 

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Rédigé par Souvenir Français Issy

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Publié le 19 Décembre 2009


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Barricade à Alger – 1960.

 

« L’affaire des barricades ».

 

« Le 20 janvier 1960, une courte permission me permit de regagner Paris après avoir eu, fort heureusement, le temps de prendre une douche à Alger chez mes oncle et tant Delye. Le bonheur familial du retour, pour aussi bref qu’il fut, ne se décrit pas. Durant cette permission, éclatèrent, le 24 janvier, les premières émeutes d’Alger. Joseph Ortiz, Pierre Lagaillarde, et leurs amis algérois, qui ne pouvaient admettre l’auto-détermination annoncée par le général de Gaulle, avaient bâti leur petit camp retranché dans le quartier des facultés et la 10ème D.P., une fois de plus, avait été appelée à la rescousse.

 

De retour à Alger, j’allai saluer le général Gracieux qui avait établi son PC provisoire dans une villa du haut de la ville et faisait donner le 1er REP du colonel Dufour et le 1er RCP du colonel Broizat. Je le trouvai un peu tendu, mais aussi amical qu’à l’accoutumée et j’allai rejoindre en Kabylie, sur le vrai terrain, le reste de la division aux ordres de mon cher colonel Ceccaldi.

 

Cette affaire d’Alger, petite affaire au demeurant, eut de graves conséquences. Le général Gracieux, au bout de quelques jours, avait obtenu la reddition de ces nouveaux rebelles sans effusion de sang. Mais on lui reprocha d’avoir un peu trop laissé traîner les choses et d’avoir toléré un certain degré de fraternisation entre les hommes d’Ortiz et les deux régiments. Alors, les sanctions tombèrent. Le 1er RCP nous quitta pour rejoindre la 25ème D.P. Il fut remplacé par le 9ème RCP alors commandé par un colonel presqu’aussi fameux que Bigeard, bien qu’il eut plus de réserve, le colonel Bréchignac. Mais surtout le général Gracieux dut quitter le commandement de la 10ème D.P. et ce fut une erreur impardonnable. Le général Gracieux d’un loyalisme, pour moi, au-dessus de toute crainte, avait sa division parfaitement en mains et ses officiers lui obéissaient presque aveuglément. Son absence, dix-huit mois plus tard, fit le jeu du destin. »

 

 

Bernard Saint-Hillier.

 

« En Kabylie, au moment où, enfin, la neige disparaissait, la boue séchait, les premières couleurs du printemps embellissaient les montagnes, la D.P. continua son combat. Le général Saint-Hillier en prit le commandement. Massif, ironique, gaulliste de la première heure, héros de Bir-Hakeim, Bernard Saint-Hillier était un beau soldat que j’admirais et que je servis avec plaisir. Après lui, nous rejoignit, sur nos crêtes, le commandant de Saint-Mars, ancien de la division, qui avait pris un congé pour tenter une reconversion dans les affaires mais qui n’avait pu résister à un nouvel appel des armes. C’était un homme d’une grande courtoisie, agréable camarade, soldat incontesté, dont le rôle devait être prééminent en 1961.

 

Nous eûmes aussi l’honneur de la visite de notre nouveau ministre des Armées, Pierre Messmer, qui venait de succéder à Pierre Guillaumat et qui, quelques semaines auparavant, effectuait une période auprès du 2ème REP que commandait Jacques Lefort, mon ami. Je n’aurai pas l’outrecuidance de présenter Pierre Messmer, qui fut des années durant mon voisin de Saint-Gildas de Rhuys, dans le Morbihan. Il eut l’obligeance de m’accorder à part un assez long entretien sur les problèmes aéronautiques, ce qui surprit mes camarades. Combien eut-il été utile qu’il mit les points sur les « i ».

 

Après un saut de trois jours à Paris pour recevoir la Grande Médaille d’Or de l’Aéro-club de France pour mon vol Mach 2 – le baron des Mach, disait Saint-Hillier – je revins pour démonter les tentes. Le « PC Artois » avait vécu. Nous quittâmes ces sommets le 4 avril 1960 et je ramenais mon cirque, cahin-caha, à Blida. Je venais de passer six mois inoubliables. Notre guerre continuait dans l’incertitude et l’amertume grandissante de mes camarades parachutistes. »

 

Combats à la frontière tunisienne.

 

« Nous mîmes le cap à l’est vers Guelma et la frontière tunisienne, où l’on craignait une pénétration en force de l’A.L.N. (Armée de Libération Nationale), bien abritée en Tunisie. Nous survolions en Alouette des zones interdites, sans âme qui vive, vertes et boisées, où les cerfs, les biches et les sangliers s’enfuyaient au bruit de nos voilures tournantes. Parfois, l’A.L.N. tentait, par petits groupes, un coup de main et revenait rapidement derrière la frontière. Le 16 mai 1960, la 10ème D.P. leur courut après. Ce fut au nord-est de Munier, par une belle journée de printemps et le 1er REP conduisit la chasse qui le mena très vite à la frontière et à l’accrochage. Le patron me demanda l’appui aérien et je le fis donner massivement à partir de Bône avec tous les moyens disponibles jusqu’aux B26 « Invader ». Le général X, chef du corps d’Armée, vint en hélicoptère au PC avancé et me demanda courtoisement quelques explications sur ces fumées qu’on voyait s’élever à la frontière. Je les lui donnai, il en eut l’air satisfait. Le lendemain ne fut pas pour moi un jour de fête puisque le général X m’accusait d’avoir outrepassé mes limites d’intervention, d’avoir risqué l’incident avec la Tunisie (un nouveau « Sakiet ») et exigeait à mon encontre les arrêts de rigueur. Mais « Calumet zéro » veillait. Qui était « Calumet zéro » ? C’était l’indicatif personnel bien connu du général Philippe Maurin, alors commandant du Groupement Aérien Tactique de Constantine. Il prit tout sur lui comme il savait le faire et je passai à travers les gouttes une fois de plus. »

 

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Alger 1960 - Gala de solidarité - Au centre : le général Bernard Saint-Hillier.

 

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Rédigé par Souvenir Français Issy

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Publié le 15 Décembre 2009

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Le général Gracieux passant les troupes en revue.

 

A la 10ème D.P.

 

« Le 4 octobre, une Alouette me déposa au PC de la 10ème Division parachutiste. Ce PC, dit « PC Artois », se trouvait à 1.730 mètres au-dessus de Sidi-Aïch et de la vallée de la Soummam, en bordure de la forêt de l’Akfadou. La 10ème D.P. terminait une grande opération en Kabylie, baptisée opération « Jumelles », qui faisait partie du Plan Challe. Le général Challe, commandant supérieur en Algérie, superposait à l’action de ses troupes de secteur, un grand balayage, d’ouest en est, d’opérations successives conduites par ses deux divisions parachutistes, la 10ème et la 25ème D.P. Mon sort allait être lié à celui de la 10ème D.P. pendant plus d’un an.

 

La 10ème D.P. était alors essentiellement constituée par cinq régiments d’élite et qui semblaient infatigables : le 1er régiment étranger de parachutistes ou 1er REP ; le 1er régiment de chasseurs parachutistes ou 1er RCP ; les 2ème, 3ème et 6ème régiments parachutistes d’infanterie de marine ou RPIMA. Les chefs de corps étaient tous du type « vieux baroudeurs », anciens des campagnes de la Libération et d’Indochine, très proches de leurs hommes et parmi lesquels se détachaient, tout particulièrement, les colonels Cousteau et Balbin. Il y avait bien une artillerie divisionnaire, mais dans ce conflit le rôle de l’artillerie était réduit au strict minimum.

 

Le patron était le général Gracieux. Petit, râblé, d’un calme imperturbable, précis et concis dans ses ordres, d’une bonhomie apparente que démentait très vite un regard sans équivoque. Le général Gracieux vivait pour sa division qu’il avait parfaitement en mains. Je lui connus deux adjoints successifs, le colonel Mayer, figure célèbre des parachutistes, puis le colonel Ceccaldi, Compagnon de la Libération, soldat gaulliste des premiers mois, « l’artilleur de Koufra », qui gagnait tous les cœurs par sa gentillesse souriante et « décontractée » et dont la seule présence calmait les énervés et les impatients. Une petite équipe d’état-major mettait en musique les ordres du patron, essentiellement animée par le commandant Faulques au 3ème Bureau, « Opérations » ; le capitaine Planet ; au 2ème Bureau « Renseignements » ; le capitaine Camus, au 4ème Bureau. Faulques et Planet avaient été en Indochine des guerriers d’un courage exceptionnel qui faisait encore l’admiration de tous. Avec ces officiers, au fil de longues soirées d’hiver, de la vie au coude à coude et des épreuves subies, j’établis assez vite des relations de confiance et d’amitié. Je suis heureux et fier de les avoir connus. »

 

Le P.C.A.M.

 

« Quel était mon travail au sein de cet état-major, à la tête du P.C.A.M. ? Avec mon second, qui fut successivement le capitaine Maslin, le lieutenant Clerget, nous dirigions une petite équipe munie de moyens radios puissants. Nous devions obtenir du Groupement Aérien Tactique voisin et diriger les appuis-feu aériens nécessaires aux régiments engagés. Nous avions à notre disposition permanente au moins un détachement d’intervention d’hélicoptères, D.I.H. de six H34, avec un H34 armé « Pirate » et une Alouette II. Sur cette Alouette II, utilisée en PC volant, nous guidions les héliportages d’assaut, balisant aux fumigènes les zones de posé, déclenchant les tirs du ou des « Pirate », ou au contraire, nous partions en reconnaissance à vue, à la recherche des « rebelles ». L’indicatif radio du P.C.A.M. était « Ronsard », mon indicatif personnel « Ronsard autorité » et durant 300 missions aériennes, dites de « maintien de l’ordre », j’ai jonglé avec les indicatifs des régiments de ma division : « Paulette », « Pavie », « Patin », « Patriote », « Pavot ». J’établissais sur les ondes une fraternité d’armes que je n’avais pas encore connue de la sorte. De ces 300 missions, je ne parlerai guère, parce que mon second en faisait encore plus, parce que, quels qu’aient pu être les risques et la fatigue, ils n’étaient rien à côté de ce que subissait le plus petit 2ème classe para, crapahutant sur tous les djébels, souvent couvert, pour dormir, la nuit d’hiver, de sa seule toile de tente, exposé jour après jour à l’embuscade, soldat digne de ses plus grands anciens et dont le stoïcisme faisait mon admiration. Au moins, de ce magnifique observatoire qu’est un hélicoptère, ai-je pu contempler l’Algérie, de l’Ouarsenis à la frontière tunisienne, de la mer à la naissance du désert, survolant plaines et montagnes et rêvant à des paysages qui deviendraient des paysages de paix. »

 

La côte 1621.

 

« A la mi-octobre 1959, le « PC Artois » alla s’établir un peu plus bas, à la côte 1621, dans un camp de tentes et de roulottes. Le général Challe avait décidé que la 10ème D.P. passerait l’hiver sur ce terrain théoriquement pacifié. Cet hiver fut rude.

 

De cette haute crête de Grande Kabylie, que bordait une cuvette assez facilement utilisée par les hélicoptères, la vue, par temps clair, s’étendait sur un relief de pré-Alpes jusqu’à l’extrémité de la vallée de la Soummam et à Bougie, à 40 km de là. Les deux ou trois dizaines de tentes et de roulottes, entourées de barbelés, allaient former notre cadre de vie. Très vite arrivèrent, dès novembre, la pluie et la neige, qui transformèrent le camp en vaste bourbier, où l’on ne circulait qu’en bottes de caoutchouc. Les pistes qui menaient de la vallée au camp devinrent impraticables durant de longues semaines au point que nous fûmes ravitaillés par parachutage. Si les officiers de l’état-major étaient à peu près relevés chaque mois, l’Armée de l’Air, pour ce qui me concernait, avait d’autres chats à fouetter et je pus jouir de cette retraite propice aux lectures du soir et à la méditation, quatre mois d’affilé. J’avais, il est vrai, le privilège d’une roulotte et d’un poêle à pétrole au-dessus duquel séchait mon linge de corps, rapidement tacheté de suie indélébile. Nous dormions en survêtement, enfilant au réveil nos tenus de combat. En fait, je tins le coup, sans grand problème, souvent heureux de cette austérité.

 

Nous connûmes donc une vie de reclus, réunis le soir, autour du feu, sirotant nos grogs, discutant de tout et de rien, embarqués dans d’interminables parties de poker ou de bridge. Je parlais beaucoup avec Roger Faulques, qui devint mon ami. Dix ans avant, le Vietminh l’avait rendu, mourant, après Cao-Bang, et Guillaume de Fontanges l’avait ramené dans son JU 52. De ses blessures, il avait gardé une bonne ostéite avec rétention et des crises de fièvre qui l’abattaient mais il rebondissait chaque fois de plus belle, increvable et rayonnant.

 

Et puis, il y avait mon équipe, mon petit « goum » d’aviateurs dont j’étais directement responsable. Mon second vivait dans la vallée, près de Sidi-Aïch, prêt à intervenir immédiatement à la tête du D.I.H. en alerte. J’étais aidé par un sous-lieutenant du contingent, Claude Lemoine, tout rond, très scout, d’un dévouement sans bornes. Alors, quand les tentes menaçaient d’être emportées dans une tempête de neige, nous luttions ensemble, nous réchauffant ensuite aux vins chauds, aux chants, aux histoires sans fin du sergent Roulet dit « Basile », heureux et malheureux ensemble, sans qu’il puisse exister la moindre rivalité ou la moindre jalousie entre nous puisque nous étions seuls, sans témoins, dans la boue et le vent. Tout, autour de nous, était désert car même les sangliers avaient fui le froid pour descendre vers la vallée tandis que les fellaghas attendaient la fin de l’hiver pour tendre des embuscades sur les pistes voisines.

 

Parfois, par temps meilleur, nous allions sur les pentes, traversant de pauvres villages kabyles, aux maisons basses de pierres empilées, où des femmes au teint clair, non voilées, couvertes de piécettes, gardaient les gosses en l’absence des hommes. La plupart d’eux, d’ailleurs, étaient sans doute avec le vieux chef de la Willaya 3, celle qui nous était opposée, Mohand el Hadj, dont nous évoquions souvent la figure entre nous et que nous ne capturâmes jamais. Ils étaient devenus des fellaghas, nos ennemis, et je ne les connaissais que comme silhouettes fugitives courant dans les cailloux, objectifs de nos tirs aériens.

 

Parfois, profitant d’un beau temps passager, des képis étoilés débarquaient d’hélicoptères pour un briefing magistral et stéréotypé, un repas de soldats sous la tente, sans nous apporter les grandes orientations dont nous aurions tant eu besoin. Plus agréable était la visite de la seule femme rencontrée au camp durant ces mois d’hiver, le médecin-capitaine Valérie André, déjà bien connue des « paras » depuis l’Indochine, et dont la gentillesse extrême me conquit immédiatement. Epouse du commandant Santini, autre figure de l’Armée de l’Air, elle devait devenir, quinze ans plus tard, le premier général féminin des armées françaises et jamais choix ne fut plus justifié. »

 


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Vue de Sidi-Aïch.

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Rédigé par Souvenir Français Issy

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Publié le 11 Décembre 2009

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Retour en Algérie.

 

« Le 1er septembre 1959, redevenu un commandant de l’Armée de l’Air, j’effectuai à Melun-Villaroche, le Vol de Contrôle après chantier du prototype Mirage IV 01. Le 19 septembre, embarqué dans un Dakota, je partais pour l’Algérie. Je l’avais demandé. C’était donc Alger en 1959, seize ans après mon arrivée en 1943, mais cette fois pour une guerre qui n’était plus une guerre de libération.

 

Au lieu d’Air-Algérie en 1943, je connus la 5ème Région aérienne que commandait le général André Martin. Il avait toujours le même regard ironique et amical, celui de mon commandant d’escadre de 1946, et les mêmes exigences tranquilles. Il me fixa, d’emblée, un programme de « remise en bain » accélérée, propre à m’envoyer en cure de repos au bout de quelques semaines et m’annonça ma prochaine affectation au P.C.A.M. de la 10ème Division parachutiste.

 

Pour organiser au mieux la coopération Air-Terre, l’Armée de l’Air avait quadrillé l’Algérie de Postes de Commandant Air ou P.C.A. Deux de ces P.C.A. étaient jumelés avec les états-majors de deux divisions parachutistes essentiellement mobiles, la 10ème et la 25ème. Ils étaient des P.C.A. mobiles, ou P.C.A.M. Le destin m’envoyait vers le P.C.A.M. de la 10ème D.P. C’était un grand honneur.

 

Pour ma génération, l’Algérie ne faisait pas partie de « l’’Empire colonial ». Elle était constituée de trois départements français qui, sur nos cartes d’école, avaient les mêmes couleurs que nos départements métropolitains. Elle était la France. J’étais mieux placé que quiconque pour me souvenir des sacrifices en 43-45, de ces départements qui seuls, avec la Corse, avaient connu la mobilisation, et dont les fils, « pieds noirs » ou autochtones, étaient tombés par milliers au cours de la glorieuse campagne d’Italie ou pour libérer la Patrie. Je savais aussi que la rébellion, en la triste Toussaint de 1954, avait débuté par le massacre d’innocents à Batna, le massacre de ce que nous avions de meilleur, nos instituteurs, pour se poursuivre par les atrocités inimaginables d’hommes au gabarit d’Amirouche. Alors, 1958 et l’arrivée du général de Gaulle, avaient fait naître en nos cœurs le merveilleux espoir d’une solution digne de la France. Mais des mois s’étaient écoulés et le général commençait à parler d’auto-détermination. J’arrivais à ce moment-là, aviateur parmi les paras, officier croyant en la mission de son pays, soldat mais attaché aux droits de l’homme. Et une fois de plus, j’avais à me « débrouiller » pour faire cette guerre le plus dignement possible. »

 

Alouettes et Sikorski H34.

 

« Il fallait me familiariser avec les hélicoptères que je n’allais plus quitter durant quatorze mois et me retrouvai à Boufarik pour quelques jours à la belle Escadre d’hélicoptères n°2, commandée par le colonel Chantiers, secondé par Tardy, qui y faisait régner une ambiance réconfortante. Avec l’Alouette II, infatigable bonne à tout faire, l’Armée de l’Air avait adopté le Sikorski H34, capable de transporter une douzaine de fantassins avec leur armement léger, et qui s’avérait parfaitement adapté aux missions du moment. Le génie bricoleur du célèbre colonel Félix Brunet avait équipé certains H34, baptisés alors « Pirate », de trois mitrailleuses de 12,7, et d’un canon de 20 en sabords, qui les transformaient en instruments d’appui-feu terriblement efficaces.

 

Certes, j’étais loin des Mirage que je pilotais quinze jours avant, mais j’étais heureux de faire connaissance avec ces machines nouvelles pour moi.

 

Je fis un saut à Sétif-Aïn-Arnat où le colonel Marceau Crespin, régnait sur le Groupement d’hélicoptères n°2 de l’Aviation légère de l’Armée de Terre ou ALAT. Dans ce domaine des hélicoptères, sévissait alors une âpre concurrence entre l’ALAT et l’Armée de l’Air, d’autant que l’ALAT avait choisi le Vertol bi-rotor, la fameuse « banane », un peu moins maniable que le H34 et dont n’existait aucune version armée. Mais Marceau Crespin était mon frère d’armes depuis 1943 et notre amitié s’établissait très au-dessus de ces rivalités. Il m’accueillit à bras ouverts comme toujours, et, dans ce camp où dominait une stricte discipline, en ces lieux baignés du souvenir du général de Lattre, je me liai aussi avec ses collaborateurs, Déodat de Puy-Montbrun et mon cousin Henri Couteaux.

 

Ces hors-d’œuvre terminés, je partis sur le terrain, en Grande Kabylie, pour un premier contact avec le P.C.A. de mon camarade Augé à Tizi-Ouzou. Le bruit courait dans les bureaux d’Alger que les grands katibas (compagnies rebelles) étaient démantelées et que les opérations touchaient à leur fin. Le 2 octobre 1959, sur les pentes de Lalla Kredidja, dans le Djurdjura, j’assistai à une première opération. Le soir, le régiment engagé comptait 16 morts et 20 blessés, un H34 avait été « descendu » et les fellaghas étaient restés maîtres de leur terrain. Rien n’était donc encore joué. »
 

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Sikorski H34 « Pirate ».

 

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Rédigé par Souvenir Français Issy

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Publié le 3 Octobre 2009


Marcel Leconte est le deuxième en partant de la droite.

 

« J’étais dans le Train ».

 

Septembre 2009, allée des Cîteaux à Issy-les-Moulineaux. Après-midi ensoleillé d’un été finissant. Robert Dudot reçoit l’un des ses voisins et vieux camarade au sein des associations d’anciens combattants : Marcel Leconte.

 

Marcel Leconte : « Je n’aime pas vraiment parler de la guerre d’Algérie. D’abord, parce que tout le monde croit que c’était le Club Méditerranée ! Ensuite, parce que souvent, on me demande si j’ai torturé. Moi ? Torturer des fellaghas…

 

En 1956, j’avais alors vingt-deux ans et comme j’étais marié avec un enfant, j’avais un sursis. Je l’ai résilié, j’ai quitté mon emploi dans le bâtiment et je suis parti... Pour revenir quelques jours plus tard ! En effet, nous étions la veille de Noël et j’obtins une permission pour passer la fin de l’année dans ma famille. J’ai fait mes classes à la caserne Dupleix à Paris puis dans l’Arme du Train à Montlhéry. Mes classes se déroulèrent à peu près bien, si ce n’est une crise d’appendicite qui se transforma en péritonite.

 

En mars 1956, j’étais en Algérie, au sein du 504ème Bataillon du Train (BT), à Miliana, dans la chaîne du Zakar, au dessus de la plaine de cette ville qui s’appelait à l’époque Orléansville. Nous étions donc au sud d’Alger ».

 

Cette unité est l’héritière du Groupe de Transport (GT) 504, fondé pendant la Seconde Guerre mondiale, en Afrique du Nord. Elle participe aux campagnes de la 1ère Armée française entre 1944 et 1945. En avril 1956, le GT est recréé. Ses cadres viennent du 1er Régiment du Train de Paris, des GT 501 de Vincennes, 523 de Montlhéry et de la 602ème Compagnie de Circulation Routière (CCR) de Vincennes.

 

Le 504ème Bataillon du Train comprend les éléments suivants : une compagnie de commandement, d’appui et de services ; quatre compagnies de combat ; une harka, c’est-à-dire des rebelles alliés montés sur des chevaux (une cinquantaine) ; un peloton blindé, monté sur des half-tracks ; un groupe de mortier ; un groupe d’artillerie ; un groupe cynophile.

 

« J’y ai passé six mois. Avec les copains, on ne faisait pas que du transport. On « ratissait » : cela signifiait qu’on partait dans le djebel et qu’on inspectait tout le secteur qui nous était confié. Régulièrement, on avait des escarmouches avec des fellaghas. On avait aussi des têtes brûlées – des soldats ou des gradés – qui n’hésitaient pas, moyennant un bon paquet de billets, à voler des camions pour filer des armes à l’ennemi ou lui fournir des moyens de transport. Heureusement, cela restait exceptionnel. A la fin de l’année 1956, dans la région de Kerba, un de nos groupes, qui allait chercher du sable, est tombé dans une embuscade : sur les 26 militaires présents, un seul réussit à s’en sortir. Tu parles d’un Club Med ! Quelques temps plus tard, j’ai été muté au Groupe de Transport 535. »

 

Le GT 535 est formé d’éléments en provenance des Centres d’Instruction du Train de la Métropole : le 151 de Montlhéry, le 152 de Laon ; l’Ecole d’Application de Tours. Après quelques temps dans des tentes, et comme le service militaire est passé à 27 mois, le GT 535 s’installe dans un campement en dur, à l’ouest d’Alger dans un secteur défini par les bourgades de Koléa, Tefeschoum et Castiglione. Mis à la disposition du 23ème Corps d’Armée, le GT 535 est chargé d’assurer le transport de troupes – généralement des parachutistes ou des légionnaires – dans le cadre de missions spéciales : gazage de grottes, actions commandos, infiltration. Le GT 535 est alors associé au 1er REP (Régiment Etranger Parachutiste) et aux 2ème et 3ème RPC (Régiment Parachutiste Colonial). Il est équipé de camions Renault, de jeeps, de véhicule de marque Dodge. Il participe aux opérations de sécurisation de la zone. Cela veut dire aussi bien ratisser à la recherche d’ennemis, que de surveiller les villages, les ponts, les routes. Il y a également des missions que l’on qualifie aujourd’hui d’humanitaire : faire l’école ; soigner la population ; donner à manger.

 

Marcel Leconte : « On ne faisait pas que du transport spécial. J’ai aussi transporté des gars dans Alger, de l’essence dans le grand camp de la banlieue d’Alger – à la fois un camp pour les matériels et de prisonniers – et qui s’appelait Beni Messous. Ce camp était immense. Il portait aussi un nom bien français : le Camp Basset. Plusieurs unités de mon Arme s’y trouvaient : le Centre d’Instruction du Train 160 (CIT 160) ; le Groupe de Transport 520 (GT 520) ; la Compagnie de Circulation Routière 510 (CCR 510). Puis on me confia un job un peu particulier : pendant les grandes grèves en Algérie de 1957, je fus chargé de conduire des bus dans Alger ! Enfin, avant la fin de l’année 1957, on m’envoya dans une nouvelle unité : le 584ème BT. Et là, j’y ai connu un très grand militaire : Jean Pouget. »

 

 

Le 584ème Bataillon du Train.

 

A l’origine de la formation de ce bataillon, il y a le 228ème Bataillon d’Infanterie créé dans le département d’Eure-et-Loir avec des rappelés. L’unité s’embarque à Marseille et prend ses quartiers dans la région de Tizi Ouzou. Il devient 584ème BT en novembre 1956 et s’installe à Bordj de l’Agha. Composé à l’origine d’un état-major et de trois compagnies d’infanterie, ce BT se distingue par son manque d’équipements, un encadrement insuffisant et non préparé à la guerre.

 

Marcel Leconte : « Je me souviens bien. C’était pas l’anarchie, mais pas loin. Avec Pouget tout changea. Pour un gars qui faisait le con, on se retrouvait tous à 25 km du camp et il fallait rentrer à pied. Et sans eau, s’il vous plait ! Nous étions placés sur les hauts plateaux à la pointe sud de l’Algérois. On allait souvent dans le djebel Amour. On accompagnait et on servait le 1er et le 2ème REP. Je conduisais une jeep, placée derrière celle de Pouget. J’avais une remorque qui devait bien peser une tonne. On participait à pas mal de travaux. Ici, c’était une piste d’aviation qu’il fallait faire. Là, une route à réparer ou une autre à ouvrir. Le paysage était désertique. Pas d’arbres. Juste quelques touffes d’alfas. Il y avait par contre beaucoup de bédouins. Je me souviens d’avoir vu des caravanes. Certains dromadaires portaient des sortes de baldaquins.

 

Bien souvent, on participait à des opérations d’héliportage. Ce n’était pas sans risque. Une fois, une mission échoua et on releva quinze hommes. Quand il y avait des accrochages, on faisait appel aux légionnaires. Les avions décollaient, larguaient les gars. On les voyait revenir bien après. Certains que le nécessaire avait été fait. »

 

Avec ce nouveau commandant, le 584ème BT se métamorphose et créé une compagnie de commandement et d’appui, une peloton blindé, un autre de mortiers et de canons sans recul, un élément de transport en 6x6 et quatre compagnies de combat. L’unité grossit donc et passe à environ un millier de soldats, auxquels il convient d’ajouter une harka de 120 hommes et un commando de chasse. Bientôt, le BT est sollicité pour de nombreuses missions, dans ses secteurs de Djelfa, Bou-Saada, Tizi-Ouzou, Djurdjura.

 

 

Jean Pouget.

 

Jean Pouget nait en 1920. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il participe aux opérations de la 1ère Armée française. Cavalier, parachutiste, ancien du 1er Régiment de Hussards Parachutistes, Jean Pouget fait plusieurs séjours en Indochine. Avec ses hommes, alors que l’issue dramatique semble inévitable, il se fait larguer sur le camp retranché de Diên-Biên-Phù en 1954. Prisonnier au Camp n°1, il résiste au régime inénarrable du Vietminh. En Algérie, il prend, entre autres, la tête du 584ème BT pour en faire en quelques mois une unité de premier plan. Après la guerre d’Algérie, il se tourne vers l’écriture, publie plusieurs ouvrages et entre au journal Le Figaro où il devient grand reporter.

 

Marcel Leconte : « Jean Pouget, c’était quelqu’un. Un vrai chef. On aurait pu le suivre partout. Je me rappelle de plusieurs anecdotes. Une fois, c’était au mess des officiers. Je m’assois. Je mange. Je récupère ici et là du pain et de quoi faire des sandwichs pour les autres chauffeurs. Le commandant Pouget arrive : « Qu’est-ce que tu fais là toi ? me dit-il ». Ordre de mon lieutenant, c’est pour prendre des forces que je lui ai répondu du tac au tac !

 

Une autre fois, dans le djebel, je me trouvai un coin bien sympathique pour déjeuner. Je m’installai comme un chef, avec serviette, canon de rouge et tout le toutim ! J’ouvris une boîte de sardines et j’y ajoutai un filet de vinaigre et une belle échalote. Le commandant passa à côté de moi : « Encore toi ? Fais voir goûter ton frichti… Extra ! Quand je pense que j’ai un ordonnance incapable de me trouver un truc pareil… ».

 

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #Algérie