Les écrivains d'Indochine - 1 - Les romanciers.
Publié le 8 Août 2016
Alain Quella-Villéger, dans Indochine, un rêve d’Asie, publié par Omnibus en 2010, a recueilli de nombreux textes écrits par des écrivains français établis ou ayant séjourné en Indochine. Dans sa préface, il a écrit ceci : « L’Indochine est un mythe. Au-delà des nostalgies coloniales de certains et des images pour cartes postales façon sampans et baie d’Along des autres, l’Indochine tient une place particulière dans les rêves d’Asie des Occidentaux, français en l’occurrence – une place tardivement prise, à la différence de l’Orient arabe, de la Chine, voire du Japon – mais la place d’une perle, au premier rang de l’Empire. Or, une abondante littérature de fiction accompagna cette histoire franco-indochinoise, à la fois miroir, porte-voix et envers du décor. L’histoire de cette mise en valeur de ce « nouveau monde » asiatique entraîna dans son sillage une riche escorte littéraire, une mythologie même, toute épopée ayant ses héros et ses héros de papier ».
Il ne convient pas dans ces articles de rapporter in-extenso les auteurs français ayant « fait » la littérature indochinoise. Il s’agit d’en présenter quelques-uns, parmi les plus connus. Œuvre simpliste de vulgarisation, mais bien nécessaire… L’idée du Souvenir français d’Issy consiste à présenter des auteurs en les classant selon les critères suivants : les romanciers, les journalistes, les militaires. L’idée originale n’est pas de nous mais du Souvenir Français de Chine et d’Asie – avec lequel notre Comité est jumelé – grâce à une présentation minutieuse de Monsieur Michel Nivelle, sous la direction de notre ami, Délégué général du Souvenir Français pour l’Asie et la Chine : Monsieur Claude R. Jaeck.
1 – Les romanciers.
Henri Mouhot.
Alexandre Henri Mouhot (Montbéliard, 1826 – Luang-Prabang, 1861) est un naturaliste, explorateur et écrivain français de l'Asie du Sud-Est. On lui doit notamment d'avoir fait découvrir à l'Europe les vestiges de l'architecture khmère.
Né le 25 mai 1826 en Franche-Comté dans une famille protestante, Alexandre Mouhot étudie au collège Cuvier de sa ville natale, Montbéliard, puis à l'âge de 18 ans, il part enseigner le français à l'école militaire de Saint-Pétersbourg. Poussé par le goût du voyage et de l'art naissant de la photographie (le daguerréotype), il visite l'Italie et l'Allemagne, puis l'Angleterre, où il épouse Anna Park, une descendante (vraisemblablement la petite-fille) de l'explorateur Mungo Park, avant de s'établir en 1856 dans l'île de Jersey.
Durant cette période il affine ses connaissances en Sciences naturelles et tout spécialement en ornithologie et en conchyliologie. Après la lecture d'ouvrages sur les expéditions, notamment The Kingdom and People of Siam: with a narrative of a mission to that country in 1855 de Sir John Bowring (1857), il décide de partir à la découverte du Siam, du Cambodge et du Laos. De Londres, il embarque sur un navire de commerce, à voiles, pour Bangkok le 27 avril 1858 avec son chien Tine-Tine. Le voyage dure quatre mois. Il devient alors l'ami des rois du Cambodge Ang Duong, qui régna jusqu'en 1860, puis Norodom ; et durant l'hiver 1859-60, il explore et fait redécouvrir aux yeux des Occidentaux, le site d'Angkor, ancienne capitale de l'empire khmer.
À l'été 1860, Henri Mouhot repart de Bangkok vers le Laos, jusqu'à Luang Prabang où il meurt de la fièvre jaune le 10 novembre 1861.
Albert de Pouvourville.
Né à Nancy en 1861, Albert Puyou de Pouvourville est l’un des figures majeures de la littérature indochinoise. Son Annam sanglant (1897) est l’un des chefs d’œuvre de l’asiatisme littéraire. Son œuvre ne connut pourtant jamais l’audience que méritent les qualités de son écriture. Esprit curieux, volontiers fier et tête brûlée, il entame une carrière militaire (Ecole de Saint-Cyr, 1880), démissionne (1887), s’engage la même année comme simple soldat dans la Légion étrangère, ce qui le conduit au Tonkin (1887). Rapatrié pour raisons de santé, il repart en Indochine dans la province de Son-Tay, mais doit à nouveau rentrer en métropole, victime d’anémie. Il fait sans doute un troisième séjour au Tonkin, avant de démissionner à nouveau. Il se lance dans des études taoïstes et fréquente les milieux occultistes, fume l’opium, critique la politique coloniale, entretient une correspondance abondante avec Pierre Louÿs, Claude Farrère, Pierre Mille. En 1890, il publie De l’autre côté du mur, puis le Maître des sentences (1909) et Rimes d’Asie (1912). « Dans le jardin des gloires françaises, la fleur tonkinoise plantée par nos soins plus amoureux qu’habiles, se sera flétrie, au vent utilitaire de l’économie politique ». Il meurt en 1939.
Georges Groslier.
Georges Groslier nait en 1887 au Cambodge. Tôt, ses parents lui font découvrir le site archéologique d’Angkor. L’éblouissement que lui procure cette découverte des joyaux de la culture et de l’art khmer détermine alors le cours de son existence. Il rentre en France où il multiplie les publications et les conférences destinées à faire connaître la culture khmère. Ces activités lui valent de se voir confier en 1913 et 1914 une mission au Cambodge par le ministère de l’Instruction publique et la Société asiatique. En 1917, il est mobilisé, et appelé par le Gouverneur général, Albert Sarraut, qui lui confie la mission de revitaliser les traditions artistiques des peuples indochinois.
Sur les fondations de l’Ecole des Arts décoratifs ouverte en 1912, au sein de la Manufacture royale du Palais elle-même créée par le roi Sisowath en 1907, il organise l’Ecole des arts cambodgiens, véritable lieu de transmission du savoir-faire des anciens « maîtres » vers les apprentis artisans du pays. La réussite de cette école qui développe sa propre coopérative de production d’artisanat khmer contribue à la notoriété de Georges Groslier désormais connu comme le rénovateur des arts cambodgiens. Devenu Directeur des Arts cambodgiens puis Inspecteur général des Arts en Indochine, il est le créateur, l’organisation et le premier conservateur du Musée Albert Sarraut à Phnom Penh (aujourd’hui Musée national du Cambodge), modèle d’architecture khmère traditionnelle. Retraité à partir de 1942, il se maintient au Cambodge et s’engage dans la résistance contre l’occupant japonais en tant qu’opérateur radio. Il est capturé, emprisonné et meurt sous la torture à 58 ans.
Il a laissé une quantité impressionnante d’articles, d’études et d’analyse sur les arts asiatiques, de même que de nombreux romans dont C’est une idylle, au Mercure de France, en 1929.
Georges-André Cuel.
Voilà un romancier et cinéaste, né en 1889 et mort en 1946, dont l’œuvre est restée dans la mémoire des spécialistes mais dont la vie demeure assez mystérieuse. Pour ainsi dire, on ne la connait pas… On lui doit de nombreux romans : Barocco en 1924, El Guemouna, le marchand de sable en 1930, Tamara, L’homme fragile… et de nombreux films autant comme auteur que dialoguiste : La femme perdue, Tamara la complaisante, Roi de Camargue, Pas de coup dur pour Johnny…
Jean Marquet.
Jean Marquet est un écrivain français né en 1883 et mort en 1954 à Nice. Il a travaillé et habité de nombreuses années en Indochine française, a appris les dialectes locaux à son arrivée, et s’est réellement intégré par imprégnation ce qui lui a permis de produire une œuvre riche sur la vie et les mœurs locales. La grande particularité de son œuvre est que le romancier ne se met pas à la place de l’Européen étranger mais à celle du paysan indochinois. Il a écrit de nombreuses œuvres pédagogiques et historiques.
Claude Farrère.
Claude Farrère (1876-1957), de son vrai nom Frédéric-Charles Bargone, est un essayiste, historien, romancier, officier de marine. Fils d’un colonel d’infanterie coloniale, il entre en 1894 à l’École navale. Affecté à l’artillerie d’assaut pendant la Première Guerre mondiale, il est capitaine quand est signée la paix ; il démissionne en 1919 pour se consacrer à sa seconde passion : les lettres.
Il avait publié, dès avant la guerre, plusieurs romans (Fumée d’opium, L’Homme qui assassina, Mlle Dax, jeune fille, La Bataille, Les Petites Alliées, Thomas l’Agnelet) dont l’un, Les Civilisés, lui avait obtenu le prix Goncourt en 1905. Durant l’entre-deux-guerres, il poursuit cette œuvre, puisant à la double source du réalisme et de ses souvenirs d’officier de marine en Extrême-Orient. On lui doit également une Histoire de la Marine française (1934). N’étant pas démuni de bravoure, il s’illustre le 6 mai 1932 en s’interposant entre le président Doumer et son assassin, ce qui lui vaut deux balles dans le bras. En 1933, il s’engage au sein du Comité français pour la protection des intellectuels juifs persécutés. Après deux échecs, il est élu à l’Académie française le 28 mars 1935, par 15 voix au second tour, au fauteuil de Louis Barthou, arrachant son fauteuil à Paul Claudel.
Claude Farrère a été président de l’Association des écrivains combattants. Il a donné son nom à une distinction littéraire délivrée par cette association, le prix Claude-Farrère, créé en 1959 pour "un roman d'imagination et n'ayant obtenu antérieurement aucun grand prix littéraire".
Albert Garenne.
Né à Moulins-Engilbert dans la Nièvre en 1873 et mort en 1958, Albert Garenne a vécut plusieurs vies… Après avoir vécu ses 8 premières années à Moulins-Engilbert, ses parents s'établissent à Autun en 1880. Il s'enrôle à l'âge de 18 ans dans l'infanterie coloniale et reçoit sa formation militaire à Saint-Maixent l'Ecole, dans les Deux-Sèvres. De là, il est envoyé à Madagascar comme sous-lieutenant de marine où il s'illustre par de brillantes prestations dans un contexte malgache troublé, ce qui lui vaut de porter très jeune le grade de Chevalier de la Légion d'Honneur et de recevoir du général Gallieni une importante concession à Fort Dauphin. Après la dévastation de cette concession lors d'une révolte, il reprend du service dans l'armée où il participe à plusieurs expéditions en Afrique et en Indochine. Il participe à la Première guerre mondiale et en ressort avec le grade de colonel. En 1918, il est nommé commandant supérieur des troupes du Pacifique et du bataillon de Nouvelle-Calédonie avec mission de mâter l'insurrection Canaque. A Nouméa, en 1919, il écrit déjà deux poèmes : Révoltes et Deux petits sonnet d'hier mais doute de lui-même comme écrivain suite à un échec à l'Académie Française avec la parution de La Forêt Tragique en 1918.
Retraité, le colonel Garenne s'adonne à la littérature en s'inspirant de ses expériences malgaches, africaine, calédonienne et indochinoise. Il écrit des poèmes, Cris, Chansons et Le vieux Claude suivi de L'Urne de cristal. Outre La Forêt Tragique, roman finalement couronné par l'Académie Française, il publie La Captive Nue (1925), A Nouméa, ou l'amour qui mène au bagne et Idylle Canaque, passions et drames coloniaux (1933), Le Refuge ou la haine d'un Sorcier jaune (1936, réédité en 1953), ouvrage également couronné par l'Académie Française, toutes œuvres fortement teintées d'une observation très fine des sociétés exotiques de l'époque, celles qu'il a côtoyées et, bien-sûr, de la pensée coloniale prévalant à l'époque au début du 20ème siècle.
René Jouglet.
René Jouglet est un écrivain français né en 1884 et mort à Montrouge en 1961. Au début des années 1930, il effectue de nombreux voyages en Asie, qui vont construire son œuvre littéraire, au sein de laquelle il convient de citer : Les Roses de la Vie en 1912 ; Frères en 1927 ; Voyage à la république des piles, en 1928 ; Dans le soleil des jonques en 1935 ; Soleil levant en 1936 ; Les Paysans en 1951 et 52 ; le Mal du Siècle en 1960.
Jean D’esme.
Né à Shanghai en 1894, Jean d’Esménard, petit-neveu de poète et fils d’un fonctionnaire des douanes d’Indochine originaire de la Réunion, fait ses études à Paris et entre en 1914 à la section indochinoise de l’Ecole coloniale. Mais la guerre 14-18 puis le mariage l’orientent plutôt vers le journalisme et les voyages. Il devient Jean d’Esme et fait une brillante carrière dans de grands journaux parisiens : Je sais tout ; le Matin ; L’Intransigeant.
Dans une œuvre marquée par l’épopée coloniale, par des biographies de grands coloniaux ou militaires, par le reportage aussi, ses voyages en Afrique lui inspirent des romans : le Soleil d’Ethiopie ; L’Homme des sables ; Au Dragon d’Annam ; les Dieux rouges… Jean d’Esme rend son âme à Dieu en 1966.
Alfred Droin.
Né à Troyes en 1878, d’une famille de boulangers, il entre à 18 ans dans l’infanterie de marine, et met son lyrisme au service de la gloire tricolore : Amours divines et terrestres (1901). Son séjour indochinois de huit années auprès du gouverneur Klobukowski, qui lui permet de visiter le Cambodge, le Siam, le Tonkin, donne naissance à la Jonque victorieuse puis à Rimes tonkinoises. Plus tard, il publie la Tête de Thi-Ba puis Thi-Ba, fille d’Annam. Il meurt en 1967.
Marguerite Duras.
Née à : Gia Dinh (Saigon) en Indochine française, le 4 avril 1914 et décédée à Paris, le 3 mars 1996. Marguerite Duras (Marguerite Donnadieu) reste en Indochine jusqu'à l'âge de dix-huit ans. Après des études de mathématiques, sciences politiques, et une licence de droit, elle est secrétaire au Ministère des Colonies, de 1935 à 1941. Pendant la guerre, elle entre dans la Résistance. En 1945, elle s'inscrit au Parti communiste dont elle est exclue dix ans plus tard. Elle publie son premier roman, Les Impudents, en 1943. C'est le début d'une œuvre de fiction importante avec des romans comme : Un Barrage contre le Pacifique, Le Marin de Gibraltar, Moderato cantabile, Le Ravissement de Lol V. Stein, Le Vice-Consul, L'Amante anglaise. Le roman "L'Amant" obtient le Prix Goncourt en 1984 et apporte la célébrité à Marguerite Duras. Jean-Jacques Annaud en fait un film, quelque temps plus tard. Elle publie ensuite un témoignage, La Douleur, puis Les Yeux bleus, cheveux noirs, Emily L., La Vie matérielle, La Pluie d'été. Après avoir été scénariste et dialoguiste pour le cinéma (Hiroshima, mon amour), Marguerite Duras va réaliser ses propres films (Nathalie Granger, Le Camion). Elle se consacre aussi au théâtre, notamment avec les pièces : Les Viaducs de la Seine-et-Oise, Des Journées entières dans les arbres, Le Square, La Musica, L'Amante anglaise (Prix Ibsen 1970).
Jean Hougron.
Né de parents bretons (en 1923), fils de cheminot, il suit dans son enfance les mutations de son père : Cherbourg, Paray-le-Monial, et Dreux où il arrive en 1936 et où il enseignera plus tard l’anglais et les sciences. Il fait un stage d’un an dans une maison d’import-export à Marseille qui l’envoie en Indochine en juin 1947. Là-bas, il se fait chauffeur de camion et parcourt le Laos, le Cambodge, la Chine du sud et la Thaïlande. Tour à tour planteur de tabac, ramasseur de benjoin ou de corne molle de cerf, marchand de bière, il en profite également pour apprendre le laotien et le chinois. En 1949, il rentre à Saigon, et devient journaliste à Radio France-Asie, jusqu’en 1951, date de son retour en France. Parmi ses ouvrages, on peut citer : la Nuit indochinoise, Tu récolteras la tempête, Je reviendrai à Kandara et Mort en fraude, adapté au cinéma en 1957. Jean Hougron meurt en 2001 à Paris.