"Ce fut une décision odieuse", par Thierry Gandolfo*.

Publié le 31 Janvier 2010

"Ce fut une décision odieuse", par Thierry Gandolfo*.

Au cœur du cimetière d’Issy-les-Moulineaux se trouve la tombe d’un jeune marin : André Fougerat, mécanicien à bord du Bretagne, mort à l’âge de 22 ans, le 3 juillet 1940, lors de la tragédie de Mers El-Kébir.
 

Les circonstances.

  « Ce fut une décision odieuse, la plus inhumaine, la plus pénible de toutes celles que je n’aie jamais eu à partager » a écrit Winston Churchill, alors Premier ministre anglais.

 En rade de Mers El-Kébir près d’Oran, ce matin du 3 juillet 1940 doit commencer le désarmement de l’escadre de Méditerranée sous les ordres de l’amiral Darlan. Il s’agit des navires de lignes Dunkerque et Strasbourg, Provence et Bretagne, du porte d'hydravions Commandant Teste, ainsi que six contre-torpilleurs.

 L’amiral Gensoul, commandant cette partie de la flotte française, a prit pour navire amiral le croiseur de bataille Dunkerque. Ce désarmement réjouit les marins qui voient la fin de la captivé pour leurs camarades. A 6h25, après le survol de la rade par un hydravion britannique, le Foxhound, destroyer anglais, demande l’autorisation d’entrer en rade. Alors, on devine à l’horizon l’escadre qu’il précède, composée du porte-avion Ark Royal, des cuirassés Resolution et Valiant, du croiseur de bataille Hood (qui sera coulé par le cuirassé géant  Bismarck  le 26 mai 1941) ainsi qu’une douzaine d’escorteurs.

 Gensoul déclare : « Pas d’Anglais dans le port, cela pourrait être mal pris par la commission d’armistice » et refuse de recevoir le capitaine Holland de la Royal Navy. Celui-ci, par son entêtement, réussi à faire passer l’ultimatum de son supérieur, l’amiral Sommerville, qui comprend quatre possibilités :

 -          Continuer le combat au coté des anglais.

-          Appareiller vers des ports britanniques avec équipages réduits.

-          Conduite de la flotte aux Antilles avec équipages réduits et sous escorte pour y être désarmés.

-          Sabordage dans un délai de six heures.

 Après la capitulation de la France, le sort de sa flotte pose un problème crucial : si les Allemands s’en emparaient, ils pourraient combler les trous laissés par la campagne de Norvège. L’amirauté britannique n’a nullement l’intention de leur faire ce cadeau,  nonobstant les garanties données par les français. L’amiral Darlan, aux ordres du Gouvernement de Vichy, ayant donné aux commandants des navires le message suivant : « Quelques soient les ordres reçus ne jamais abandonner à l’ennemi un bâtiment intact ». Et Sommerville de conclure : « Si vous refusez une offre équitable j’ai ordre de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour empêcher vos navires de tomber entres des mains allemandes ou italiennes ».

 Gensoul essaie de temporiser et répond qu’en aucun cas il ne livrerait la flotte aux Allemands.

 A 9h55, le Dunkerque ordonne les dispositions de combat. Les avions britanniques mouillent des mines dans la passe, on repousse l’ultimatum de trois heures. 17h30 marque la fin de cet ultimatum. L’angoisse commence : « Ils ne tireront pas ! ».

 17h55, quatre salves sont tirées par les anglais : « Ils ont osé, ordre d’appareiller, ouvrez le feu » ordonne Gensoul. Le combat est violent mais bref : « J’ai ouvert le feu à 17h54, et je l’ai stoppé à 18h04 » déclare Sommerville dans son rapport.

 Le Strasbourg parvient à manœuvrer et s’enfuir vers Toulon (où il se s’abordera en 1942). Avec lui s’échappe le porte-avion Commandant Teste, cinq destroyer et les six croiseurs d’Alger. Le Bretagne, touché de plein fouet, s’embrase et coule, emportant avec lui 1.012 marins. Les avions torpilleurs de l’Ark Royal achèvent le Dunkerque, resté à quai ; le Provence est mit hors de combat, le Terre Neuve et l’aviso Rigault de Genouilly, ainsi que le remorqueur L’Esterel qui avait guidé le Foxhound dans la passe, sont coulés.

 L’opération britannique baptisé « Opération catapulte » a causé la mort de 1.300 marins, en a blessé 350 en seulement dix obus tirés au but à une distance de 13000 m avec une redoutable efficacité et de torpilles larguées par les Sworld Fish de l’Ark Royal.

 Gensoul regagne Vichy, Darlan le décore et le cite : « Ayant reçu un ultimatum odieux, a refusé d’y souscrire et a répondu à la force par la force ». Les marins français retirent alors les décorations britanniques qu’ils ont reçus lors de la première partie du conflit et celles qu’ils ont reçu pendant la Grande guerre.

  Les conséquences.

 Le capitaine Holland écœuré par cette lutte fratricide demande dès le 7 juillet 1940 à être relevé de son commandement, et se retrouve simple soldat.

 Charles de Gaulle indique : « Pas un français qui n’ai apprit avec douleurs et colères que des navires français avaient coulés par des nos alliés. Cette décision n’est pas le résultat d’un glorieux combat »

 Et Mers El-Kébir n’est qu’un élément de « l’Opération catapulte » dirigée contre la Marine française. Dans les ports anglais de Portsmouth, Plymouth, etc..., les équipages des bâtiments au mouillage sont arrêtés et internés dans des camps préparés d’avance et traités en prisonniers de guerre. Peu de marins rejoignent les Forces Navales Françaises Libres (FNFL). L’essentiel est rapatrié sur la base navale de Casablanca. La flotte de Méditerranée orientale est arraisonnée à Alexandrie par l’amiral Cunningham.

 Quant à l’amiral Sommerville, il continue son opération à Casablanca. Mais, en septembre 1940, en compagnie de marins de la FNFL, il est mit en déroute devant Dakar, resté loyal au Gouvernement de Vichy. Cette situation ne durera qu’un temps. Déjà en août 1940, le général Leclerc est reçu en libérateur en Afrique Equatoriale Française ; le Sénégal, partie intégrante de l’Afrique Occidentale Française, se ralliera en novembre 1942 à la France Libre.

 

*Thierry Gandolfo est ancien sous-officier du 32ème régiment d’artillerie, conservateur du cimetière d’Issy-les-Moulineaux et membre du bureau du Comité du Souvenir Français de cette commune.