Clément Rignault : "Et je mourrai gaulliste !"

Publié le 9 Novembre 2010

C. Rignault

 

Né le 13 juillet 1926 à Marigny-sur-Yonne, dans la Nièvre, monté à Orgeval, en Région parisienne, après la Seconde Guerre mondiale (« Il s’agissait de travailler pour survivre ») marié à Marie-Thérèse, père de sept enfants, d’une dizaine de petits-enfants, et presque autant d’arrières petits-enfants, Clément Rignault a exercé la profession d’arboriculteur-maraîcher pendant près d’un demi-siècle dans les Yvelines. Passionné par l’Histoire de France, la politique, pater familias, Clément Rignault est avant tout gaulliste : « Jusqu’à mon dernier souffle ! » ajoute-t-il.

 

 

L’Appel du 18 juin 1940.

 

« Nous étions le 16 juin 1940. Et cette date reste gravée dans mon cœur comme un déchirement. Du haut de mes quatorze ans, je vis défiler des chars, des camions, des side-cars. Ils portaient tous la grande croix noire de la Wehrmacht. Les soldats passaient sur la nationale, entre Corbigny et Clamecy (nord est de la Nièvre). D’autres s’arrêtèrent devant la petite épicerie de la belle-famille de mon frère Edmond, située au cœur du village de Marigny.

 

Le surlendemain, 18 juin, vers 19h00 ou 19h30 (quelques jours plus tard, nous eûmes droit à l’heure allemande), alors que nous étions assis sur un muret à l’ombre d’un tilleul, nous recevions notre premier choc de sursaut patriotique. Il y avait là mon père, Léonard, quelques voisins, Monsieur Beau, réfugié parisien. Les hommes, des anciens de la Grande guerre, discutaient des événements : « Mais qu’attend Pétain pour demander l’armistice ? ».

 

Au loin, nous entendions le bruit du passage d’une division motorisée. C’en était bien fini. Un anéantissement. Nous étions vaincus. Le journal Paris Centre avait beau écrire que le général Weygand arrêterait l’ennemi sur la Loire et le Morvan, nous n’y croyions pas. Nous avions appris que les troupes allemandes étaient déjà sur Moulins dans l’Allier.

 

Monsieur Beau avait apporté avec lui trois postes de radio, dernier modèle avec les ondes courtes et les grandes ondes. On l’entendait tourner les boutons à la recherche d’informations. C’est un bruit qu’un bon nombre de personnes qui a aujourd’hui plus de quatre-vingt ans reconnaîtrait entre mille. Tout à coup, il se mit à crier : « Taisez-vous, un général français nous parle ». Je me précipitai vers le poste : « Moi, général de Gaulle… ». Un espoir.

 

Ce discours, je l’entendis et le réentendis plusieurs fois quelques temps plus tard. Légèrement modifié. Mais ce jour-là, voilà les commentaires qu’il nous inspira : on ne savait même pas qu’il avait été nommé secrétaire d’Etat à la Défense !

 

Monsieur Beau ajouta : « Il fait comme ce général polonais, commandant l’aviation, qui a réussi à rejoindre l’Angleterre après l’effondrement de son pays. Il a appelé tous ses compatriotes aviateurs à le rejoindre en exil ».

 

Nous n’étions pas des politiciens. Encore moins des stratèges militaires. Comme une majorité de Français, nous avions été élevés dans la haine du « boche » et celle d’Hitler. Pendant plusieurs semaines, alors que Pétain avait annoncé à la radio : « C’est le cœur serré que je vous dis qu’il faut cesser le combat », nous crûmes à un accord entre lui et le général de Gaulle.

 

Mais nous avions bel et bien perdu.

 

Par la suite, j’écoutai très souvent Radio-Londres chez des amis grâce au troisième poste apporté par Monsieur Beau. Mon frère aîné, Edmond, était prisonnier. Plus tard, mon autre frère, Joseph, et mon beau-frère me racontèrent leur retraite, peu glorieuse.

 

C’est sans doute la raison qui, quatre ans plus tard, m’a poussé à entrer au maquis du Loup (région de Clamecy) et à signer un engagement pour la durée de la guerre. Ce maquis, avec d’autres, formèrent en 1944 le 1er régiment du Morvan et par la suite le 4ème RI, réserve de la 3ème DIA. Je n’ai pas la prétention d’avoir été un héros. Loin s’en faut. Sauver l’honneur. Je me souviens encore de ma belle-sœur, Lucie, des larmes dans les yeux, me voyant partir et me jetant une petite couverture sur les épaules : « Au moins, peut-être n’auras-tu pas froid » ! Elle fit partie de ces milliers d’anonymes qui rendirent des services, comme passer de la nourriture ou des messages, aidée de son seul courage et de sa bicyclette, alors qu’elle avait deux enfants en bas âge.

 

Par la suite, j’ai continué ma guerre dans le Jura. L’armistice du 8 mai 1945 fut annoncé. Nous étions à la frontière franco-suisse. A Bad Bergzabern, j’eus l’insigne honneur de présenter les armes avec l’ensemble de mon régiment sur le passage de la voiture qui transportait le général de Gaulle, lors de son premier voyage en Allemagne. Autour de moi, certains disaient qu’il s’agissait d’une berline d’Adolf Hitler, prise à Berchtesgaden.

 

En décembre 1945, j’étais libéré des mes obligations militaires à Dijon.

 

 

Le retour.

 

 

« Et le général de Gaulle ne m’a ainsi dire jamais quitté. Je suivis les actes de son gouvernement, son retrait, la constitution du RPF et tant d’autres choses encore.

 

Son retour au pouvoir en 1958 faisait, dans l’esprit de beaucoup de gens, espérer un miracle : la fin de la guerre d’Algérie, de bons salaires, le retour de la France au rang de grandes nations. Naturellement, de la gauche à la droite de l’échiquier politique, les intérêts particuliers se sont manifestés contre sa politique : il voyageait trop, le Concorde était trop cher, la décolonisation, la constitution de la Vème République, la relative séparation des pouvoirs législatif et exécutif…

 

Et pourtant. Quand on y pense aujourd’hui : le gaullisme, c’était d’abord redonner à la France son rang diplomatique, le refus d’être une nation de second rôle, ne pas accepter d’être le vassal des Etats-Unis d’Amérique, la politique de la « chaise vide » à l’OTAN. C’était tout cela et plus encore : c’était la grandeur.

 

Et son idée d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural : il ne l’avait pas envisagée réalisable en quelques années, car il connaissait les antagonismes entre européens, leur histoire, les régimes, les religions, les différences de niveaux de vie entre ces populations. Mais que l’idée était judicieuse et en avance pour son temps. Je le revois sautant sur sa chaise lors d’une émission de télévision : « l’Europe, l’Europe, l’Europe… », voulant dire qu’elle ne se ferait pas en un jour.

 

Encore une fois, les critiques furent nombreuses, dans cette situation difficile, et pourtant, la prospérité, l’indépendance, la liberté et la fierté d’être des Français, donnèrent à ces années le nom de « glorieuses ». Depuis la mort du général, peu d’hommes politiques, de gauche comme de droite, peuvent se vanter de n’avoir jamais fait référence à Charles de Gaulle, président de la République.

 

En 1968, au retour du général après sa visite à son vieux camarade Massu, j’étais sur les Champs-Elysées. A ma descente du métro, en bas de l’avenue de la Grande Armée, une voiture brûlait et des haut-parleurs diffusaient son discours. Un million de Français remonta l’avenue fameuse ce jour-là.

 

Deux ans plus tard, pour les obsèques du général, mes deux plus grands enfants émirent le souhait d’aller porter des roses et des œillets à l’Arc de Triomphe. Il y avait des mètres cubes de fleurs ! Des centaines de milliers de personnes étaient présentes. Une bousculade invraisemblable. Je pris peur de l’écrasement par la foule sur cette place qui porte aujourd’hui son nom.

 

Gaulliste j’ai été depuis la première heure, gaulliste je suis resté.

 

Il serait bon que nos jeunes Français de souche ancienne, ou désirant le devenir, s’inspirent des valeurs nationales léguées par le général de Gaulle. La France, vieille nation au passé chargé d’Histoire, de grands hommes politiques, savants, écrivains, chercheurs, soldats, saints et saintes, faisant rayonner la civilisation vers l’Universalité, est une nation phare. »