Les travailleurs chinois pendant la Première Guerre mondiale - 2/2.
Publié le 3 Septembre 2011
Les conditions de travail.
Les contrats ne sont pas les mêmes non plus : chez les Anglais, les travailleurs chinois sont intégrés dans Chinese Labour Corp et doivent œuvrer dix heures par jour, 6 ou 7 jours par semaine (les témoignages diffèrent). Le tout pour un salaire de 1 franc par jour. Chez les Français, intégrés à l’armée, leur contrat de travail stipule qu’ils doivent recevoir le même traitement que les auxiliaires européens. Rien ne dit que cela ait été le cas. Ils reçoivent entre 1 et 5 francs par jour. A cette occasion, le syndicat CGT fait quelques manifestations pour demander l’égalité de traitement entre tous les travailleurs et éviter une sorte de « dumping » social.
Selon le contrat qu’ils ont signé, pour une durée renouvelable de trois ans, les travailleurs chinois ne combattent pas et ne doivent pas être exposés aux bombardements. Ils sont là pour faire ou réparer des routes, poser des rails de chemin de fer, construire des baraquements. Mais certaines unités britanniques les emploient également pour ramasser les corps des soldats, creuser des tranchées, parfois sous le feu ennemi. Certains se rebellent contre les autorités françaises ou anglaises et finissent par croupir dans les prisons de leurs propres campements. D’autres, compte tenu du maigre salaire – parfois sans salaire du tout – commettent des effractions et se retrouvent arrêtés par la gendarmerie. Des affaires de meurtres sont attestées près de la ville de Rue.
D’autres encore sont employés loin du front : ils travaillent dans des manufactures d’armes, dans les ports pour décharger les navires de guerre ; certains sont utilisés dans des houillères des usines aéronautiques ou navales, ou des massifs forestiers.
Joseph de Valicourt : « Heureusement, ils étaient étroitement encadrés par des sous-officiers et des soldats anglais ; solides gaillards munis de gourdins et qui, tels des chiens de berger, allaient et venaient le long des colonnes de coolies. Car ceux-ci marchaient toujours en file indienne, ce qui constituait une véritable noria entre le camp et la gare à 1.200 mètres, d'où ils ramenaient ravitaillements, et matériaux de toute sorte pour l'entretien des pistes, des places du camp et même des tennis pour les officiers. »
Des hommes traumatisés.
Loin de leur pays, de leurs habitudes et de leurs coutumes, face à des populations toujours inquiètes, parfois hostiles, de nombreux travailleurs chinois sont rapidement traumatisés par cette nouvelle vie. Ils viennent de leur campagne, sont habitués aux conditions de vie très dures, mais les voilà plongés au cœur d’un conflit gigantesque avec des bombardements incessants, des avions qui font des piqués sur les lignes et les camps, des automobiles qui klaxonnent pour se frayer un chemin au milieu d’eux. A Noyelles-sur-Mer, le 23 mai 1918, pris sous le feu d’un bombardement formidable, certains s’enfuient, n’hésitant par à escalader les enceintes barbelées de leur camp. La plupart ne sont retrouvés que quelques jours plus tard, affamés, hagards, devenus à moitié fous, errant en pleine campagne.
Pour d’autres, ce sont les maladies qui les déciment : grippe espagnole, rougeole, tuberculose (…) ou les mauvais traitements infligés par leurs gardiens ou leurs employeurs. Et puis, il faut aussi compter plusieurs milliers qui meurent directement au combat en creusant des tranchées ou en déminant des terrains. Au total, plus de 8.000 travailleurs chinois décèdent pendant cette période.
Des remerciements bien particuliers…
Bien sûr, à la fin de la Première Guerre mondiale, les gouvernements anglais et français s’empressent de remercier l’Empire chinois pour son aide précieuse. Et ce d’autant que la Chine a déclaré la guerre au Reich en août 1917. Pour autant, au congrès de Versailles, en 1919, les Alliés acceptent les demandes japonaises de reconnaître leur annexion des concessions allemandes en Chine !
Cinq années plus tôt, en accord avec les Alliés, les forces japonaises ont envahi toutes les concessions allemandes en Chine (notamment la région de Tsingtao), et dans le Pacifique (îles Marshall, Salomon, Samoa…). En 1917, elles tentent même de pénétrer en Russie, alors en pleine révolution, mais échouent et s’en retournent. Les Anglais signent un pacte d’alliance avec les Japonais et les Américains reconnaissent la légitimité de ces annexions. En 1922, sous l’impulsion de la Société des Nations, le Japon accepte néanmoins de rendre les anciennes concessions à la Chine… mais pour mieux revenir en 1931 avec la guerre en Mandchourie !
Après la guerre.
Quant aux travailleurs chinois, s’ils sont encore près de 80.000 à être présents sur le sol français en mars 1919, bientôt ils repartent vers leurs terres d’origine. Mais certains s’installent. Ainsi, les archives de la Somme font état de plusieurs chinois fondant des foyers dans ce département. Pour d’autres, environ 3.000, c’est l’implantation en Région parisienne, dans des villages comme Noisy-le-Grand ou Torcy et bien entendu le 13ème arrondissement de Paris, qui n’est pas encore nommé « Chinatown ».
Les cimetières chinois en France.
« Quel étrange petit trou de verdure niché dans un trou de la Somme. Un chemin au milieu de nulle part, un enclos au milieu des champs : des stèles blanches, alignées comme les croix à Verdun, 838 exactement, fichées dans un gazon plus anglais que picard, à l’ombre de gigantesques pins, des petites fleurs proprettes, une entrée comme un temple chinois. Personne en vue. Et des inscriptions en anglais et en chinois sur les fameuses petits stèles : Li Chan Kuei, 1917 ; Sun Chan Kuei, 1918 ; Kuoyou King, 1919 ; Wang Ta Chi, décembre 1917 ; Lu Lung Fa, décembre 1917 ; Yen Huai Kung, 1917… ». Au mois de juillet 2010, la journaliste de Libération, Emmanuelle Peyret a raconté sa visite au cimetière chinois de Noyelles-sur-Mer.
Aujourd’hui, en-dehors du cimetière de Nolette à Noyelles-sur-Mer, des tombes individuelles de 160 Chinois demeurent dans le cimetière militaire de la commune de Saint-Etienne au Mont dans le Pas-de-Calais. Mais il existe aussi plusieurs tombes de travailleurs chinois disséminées dans les carrés militaires ou les nécropoles. Ainsi, à Etaples, port situé près de Boulogne-sur-Mer, à l’écart des 12.000 tombes des soldats de l’Empire britannique, repose Fu Pei Chen, originaire de Tianjin, connu aussi sous le matricule n° 9436 avec cette épitaphe : « Une bonne réputation demeure à jamais » !
Des erreurs.
Enfin, il convient d’être indulgent avec les officiants des hôpitaux et ceux de l’armée française, dans la gestion des cimetières militaires. Après la fin de la Première Guerre mondiale, les services des identifications et des statistiques sont tellement submergés par le nombre total de victimes, les nationalités différentes, et le manque d’indication parfois sur les origines des morts, que des erreurs existent. Ainsi, à Issy-les-Moulineaux, au carré militaire, Foo Sien Wang est enterré sous une stèle musulmane…
Sources :
- Encyclopédie Universalis, dictionnaire Larousse, encyclopédie Wikipédia.
- André Castelot et Alain Decaux : Histoire de la France et des Français, Larousse.
- Service historique de la Défense – Site « Mémoire des hommes » du ministère de la Défense.
- Dossier du journal Libération, le 26 juillet 2010.
- Jacques Gernet, Le Monde chinois, Armand Colin, 1972.
- Danielle Elisseeff, Histoire de la Chine, Editions du Rocher, 1997.
- Site www.somme14-18.com
- Site www.memoiredeopale.cultureforum.net
- Travail de l’école Jaurès-Curie de Sains-en-Gohelle.
- Bulletin de la Société d’Emulation d’Abbeville, 1984.
- Université Lyon2 , Assistance et éducation des travailleurs chinois pendant la Grande Guerre, Sylvie Démurger, Martin Fournier et Annie Au-Yeung.
- Serge Thomas, Les travailleurs chinois dans le Pas-de-Calais pendant la Première Guerre mondiale, revue Gauheria n°55.
- The Chinese Labour Corps at the Western Front, rapport de la Commonwealth War Graves Commission.