Histoire de la 2e DB.
12 juillet 1940. Le capitaine de cavalerie Philippe de Hauteclocque, 38 ans, déjà deux fois évadé des mains allemandes, portant encore les traces d'une blessure à la tête reçue au combat, passe en Espagne. Son patriotisme, son honneur, la conception qu'il a de son métier font devoir à ce père de six jeunes enfants de rejoindre celui qui, de Londres, a lancé l'appel à poursuivre la lutte. Devant lui, c'est l'inconnu, l'aventure : il n'a jamais rencontré de Gaulle. Un mois plus tard, le 25 août, par une nuit d'encre, sous des trombes d'eau, devenu colonel Leclerc, il arrive en pirogue, avec une poignée d'hommes, à Douala, au Cameroun, en Afrique. Trempé mais vibrant de volonté, parlant au nom du général de Gaulle, il subjugue les Français qu'il rencontre, au premier rang desquels le capitaine Dio qui l'appuie de sa troupe et le ne quittera plus.
Après quelques semaines au cours desquelles l'Afrique française libre s'organise, réunissant le Gabon au Congo, à l'Oubangui, au Tchad et au Cameroun, Leclerc reçoit du général de Gaulle une nouvelle mission : prendre la tête des moyens militaires disponibles au Tchad et faire rentrer, avec eux, l'armée française dans la guerre. Alors commence l'épopée. Arrivé à Fort-Lamy le 2 décembre 1940, Leclerc parle dès le 3 d'aller attaquer Koufra, redoutable forteresse italienne perdue dans les sables, à quelque 2 000 kilomètres !
Au Tchad aussi les visages s'éclairent, mais les spécialistes hochent quand même la tête lorsque, le 25 janvier, les premiers éléments d'une colonne s'éloignent vers le nord-est, vers Koufra qui hante Leclerc. En tout, le Colonel n'emmène que deux cent cinquante hommes sur cent mauvais camions et il ne dispose que d'un canon.
Les débuts sont de fait fort difficiles : le climat, le terrain, l'absence de pistes, l'ennemi bien équipé offrent de gros obstacles. Malgré l'échec sanglant, le 30 janvier, de la patrouille britannique qui précédait la colonne, Leclerc maintient ses ordres : le 7 février, avec un élément léger, il va lui-même « tâter » la forteresse ; les 18 et 19, il livre à la Compagnie saharienne mobile italienne qui bat l'estrade sous les remparts, un combat décisif et, aussitôt, il met le siège devant la citadelle. Dix jours plus tard, le 1er mars 1941, contre toute attente et contre toute logique, grâce à la fougue, à l'imagination et au talent des hommes et du chef, la garnison ennemie capitule.
C'est le premier succès des armes de la France depuis l'été 1940. Sans attendre, le colonel Leclerc engage l'avenir : Ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg. C'est le serment de Koufra, serment que tous ceux qui, désormais, se joindront à Leclerc se sentiront tenus d'accomplir.
Un an s'écoule ensuite, consacré à préparer l'opération qui permettra d'aller rejoindre les Britanniques au bord de la Méditerranée, au bout de 2 200 kilomètres de désert, vers le nord cette fois. Avant de donner le départ, il se décide à porter les étoiles de général que de Gaulle lui a données six mois plus tôt. Après des revers face au « Renard du Désert » (Rommel) à la tête de l’Africa Korps, la situation s’améliore du côté britannique. A l’automne 1942, il apparaît que la grande opération vers la mer va devenir possible. Entre-temps, les moyens se sont un peu étoffés : des hommes sont arrivés, venus du monde entier, anxieux de se joindre à ce jeune chef qui sait se battre et gagner ; des armements aussi, fournis par la France libre. Et c'est avec trois mille hommes cette fois, montés sur trois cent cinquante véhicules, non blindés certes mais corrects, appuyés de seize avions, que la colonne Leclerc s'élance vers le nord, peu avant Noël, au départ du Tibesti. Tous les postes italiens du Fezzan tombent les uns après les autres : Umm et Araneb le 4 janvier 1943, Gatroun et Brack le 6, Mourzouk le 8, Sebha (le chef-lieu) le 12, Midza le 22 ; le 24, nos avant-gardes rencontrent, dans Tripoli, celles de la VIIIe Armée de Montgomery : la mer est atteinte, cette Méditerranée qui borde aussi la France !
Commence alors la poursuite de l'ennemi qui reflue vers la Tunisie. Rapidement recomplétée en hommes, véhicules et équipements de toutes sortes, la colonne Leclerc devient la force L. Elle flanc-garde à l'ouest les gros de la VIIIe Armée, s'illustre en arrêtant le 10 mars, à Ksar Rhilane, une contre-attaque de Panzers, entre la première à Gabès le 29 mars et, le 20 mai, elle participe au défilé de la victoire dans Tunis libéré. Dès lors, il apparaît que la prochaine étape sera le continent, peut-être la France, ce que tout le monde espère. Mais, pour atteindre ce rêve, il va falloir que la maigre colonne sortie du désert se multiplie, s'équipe, s'instruise en vue des combats de tout autre dimension qu'elle espère. Cet amalgame, cette transformation, c'est au Maroc d'abord, près de Rabat, dans la forêt de Temara, puis, à partir de Pâques 1944, en Angleterre, dans de nombreux villages du Yorkshire, qu'ils s'accomplissent, vite, efficacement, au prix d'un travail acharné, sans pour autant que ni l'âme ni la foi qui avaient permis les succès antérieurs soient le moins du monde altérés.
Autour des vétérans d'origines déjà fort diverses - marsouins du Tchad, spahis d'Egypte, compagnies de chars reconstituées en Angleterre - se réunissent ainsi des régiments entiers d'Afrique du Nord demeurés jusque-là l'arme au pied, une unité de fusiliers-marins et une nuée de volontaires venus, seuls ou groupés, de tous les points du monde avec l'intense désir de se battre : jeunes gens et cadres de métropole, réchappés des prisons espagnoles ; corps-francs d'Afrique ; jeunes femmes arrivant des Etats-Unis avec leurs ambulances ; anciens guérilleros républicains espagnols, etc. Si beaucoup de choses peuvent les séparer, ils ont en commun d'être volontaires, d'aimer profondément la France, d'être jeunes et d'avoir de fiers caractères !
Vient le jour du débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944. La 2e DB est alors en Yorkshire, piaffant d'impatience, mais sûre que, bientôt, elle débarquera en France avec, bien sûr, Strasbourg comme point de mire. Mise à la disposition de la IIIe Armée américaine du général George S. Patton — quel plus fantastique entraîneur peut-elle espérer ? —, la 2e DB franchit la Manche dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1944. Débarquant à Utah Beach, au pied du Cotentin, elle est bien vite lancée, par la toute fraîche percée d'Avranches, dans le vaste mouvement qui permet de couper la retraite aux forces allemandes de Bretagne et de venir frapper sur le flanc sud de celles qui tentent de quitter la Normandie pour gagner la basse Seine. Les premiers combats de chars se livrent dans l'enthousiasme sous un ciel éclatant et la Division, poussant vers Argentan qui est son objectif, détruit dans les journées qui suivent, autour et dans la forêt d'Ecouves, ce qui reste de la grande unité ennemie. Ce brillant succès contribue à la libération de tout l'ouest de la France, il est pour tous la preuve que l'outil durement trempé au Maroc et en Angleterre est valable.
Malgré les hésitations, les réticences, les craintes du haut-commandement allié, Leclerc arrache l'ordre et, le 23 au matin, la 2e DB quitte Argentan en direction de la capitale. Le soir même, à Rambouillet, dans un brouhaha de veille de fête, Leclerc signe l'ordre d'opérations pour le lendemain : Mission : 1° s'emparer de Paris... De Gaulle, qui l'a rejoint, lui dit simplement : « Vous avez de la chance ! »
Le 24 août, en deux colonnes, la Division s'élance vers Paris. Par la vallée de Chevreuse, Jouy-en-Josas, Clamart, Massy, Wissous, Fresnes, le groupement Billotte fraye leur chemin à coups de canon. Les Allemands, solidement armés, se battent bien ; mais le soir, vers 20 heures, à la Croix-de-Berny, Leclerc sent qu'une occasion se présente : il saisit le capitaine Dronne au passage et il le lance, avec trois chars et trois sections sur half-tracks, vers le cœur de Paris. L'audace est payante : à 21 heures 22, Dronne arrive place de l'Hôtel de Ville, les cloches de la capitale sonnent à toute volée ; les Parisiens frémissent. Le lendemain 25, c'est le coup de grâce : la 2e DB entre dans la ville, s'empare du gouverneur allemand et réduit au silence tous les centres de résistance. Près d'une centaine des nôtres, souvent des Parisiens d'ailleurs, trouvent la mort dans ces opérations toujours sanglantes ; mais, dans les rues, quelle joie, quel soulagement ! Les groupes de résistance, qui se battaient depuis près de huit jours à un contre dix, soupirent et fêtent ces soldats français providentiels que Paris attendait depuis quatre ans sans trop y croire.
Après dix jours consacrés à remettre en état les quatre mille véhicules, à recompléter les rangs, à prendre un repos et une détente bien mérités aussi, le 8 septembre la Division reprend la route. Pas un homme ne manque au départ : qu'on y songe en pensant à ceux, nombreux, qui, absents depuis deux, trois ou quatre ans, auraient pu estimer pouvoir céder leur place à d'autres... La direction est l'est, bien sûr. La 2e DB retrouve sa place dans le dispositif américain avec le XVe Corps et, dès la Marne franchie, elle aborde l'ennemi, Il faut se battre, sévèrement, à Andelot, puis, entre Meuse et Moselle, à Contrexéville, Vittel, et surtout Dompaire où les sous-groupements Minjonnet et Massu rencontrent une Panzerbrigade toute fraîche, équipée de chars neufs, lancée en contre-attaque. En même temps, plus au nord, le mouvement en avant s'est poursuivi et, dans la matinée du 15, le sous-groupement La Horie franchit la Moselle à Châtel. Nos éléments y subissent une nouvelle contre-attaque, la déjouent de nouveau, s'avancent jusqu'à la Mortagne de Doncières à Moyen, passent la Meurthe de vive force le 22 dans la région de Flin et, finalement, s'arrêtent, sur ordre, dans la forêt de Mondon, au sud de Lunéville. Un répit est nécessaire pour que les Forces alliées se regroupent avant d'aborder les Vosges, pour que les ravitaillements suivent, pour qu'hommes et véhicules se reconstituent après une chevauchée de quinze jours riche en péripéties.
Pendant tout le mois d'octobre, donc, la 2e DB s'immobilise. Si elle cesse d'avancer, elle ne cesse pas de se battre contre un ennemi qui reste actif et qui harcèle nos postes.
Minutieusement montée, mettant en œuvre six sous-groupements dont chaque temps est réglé, l'attaque de Baccarat menée de main de maître réussit au moindre prix : elle sera plus tard comparée à un menuet du Grand Siècle. Puis, derrière le gros du XVe Corps américain qui se heurte à la ligne de défense que les Allemands ont pu réaliser au pied des Vosges, les escadrons de reconnaissance du 1er Régiment de marche des spahis marocains guettent la première percée : elle se produit les 15 et 16 novembre. Leclerc y engouffre aussitôt ses moyens et, dès lors, la course commence. Au nord, le groupement Dio vise Saverne en franchissant les Vosges, soit par le col de Saverne, soit par la Petite-Pierre. Au sud, le groupement de Langlade, profitant de la chute de Badonviller obtenue le 17 par le sous-groupement du lieutenant-colonel de La Horie — qui y trouve la mort —, passe la crête du Dabo ; le groupement V, du colonel de Guillebon le suivra et, en plaine, tout le monde convergera vers Strasbourg.
Trois ans et huit mois après Koufra, le serment est ainsi tenu. Retrouvant son vieux compagnon sous les dorures du Kaiserpalast encore soumis aux tirs de l'artillerie allemande, Leclerc peut lui dire : « Hein, mon vieux Dio ! On y est, cette fois ! Maintenant, on peut tous crever ! ».
La guerre pourtant n'est pas finie et l'Alsace, pendant plus de deux mois, va demeurer le champ d'action et le souci de la 2e DB. L’ennemi organise ce qui devient la « poche de Colmar ». L'hiver 1944-1945 est particulièrement rude, nos hommes, nos blindés peinent souvent dans la boue, dans la neige. Entre Noël et le 1er janvier, la contre-offensive allemande des Ardennes oblige le commandement allié à envoyer la 2e DB au nord des Vosges. Aussi est-ce avec beaucoup de rage que les nôtres, unissant leurs efforts à ceux des unités françaises venant du sud, portent leurs coups aux dernières résistances allemandes qui cernent encore Colmar. De sévères combats se livrent, sous un climat cruel, sur un terrain particulièrement difficile : ils culminent à Grussenheim où, le 28 janvier, s'illustre une fois de plus le 501e Régiment de chars de combat, où tombe aussi le lieutenant-colonel Putz, figure de proue du Régiment de marche du Tchad dont il commandait le 3e Bataillon.
Ces opérations achevées, Colmar libéré, le sol national n'était pourtant pas encore totalement débarrassé de toute présence ennemie. Des garnisons allemandes subsistaient sur nos côtes atlantiques, notamment à La Rochelle et à Royan. Pour les anéantir, le général de Gaulle choisit la 2e DB et, du 15 au 17 avril 1945, donnant la main aux vaillantes unités des Forces françaises de l'Intérieur qui ont tenu ce front depuis l'été 1944, nos chars et notre artillerie se donnent à fond près de l'estuaire de la Gironde.
Il n'est alors que temps de repartir vers l'est pour être présent aux dernières opérations de la guerre en Europe. Les premières colonnes, parties le 23 avril de Royan, franchissent le Danube le 29. Ainsi allons-nous pouvoir jouer notre rôle aux côtés des Alliés ; ainsi, le 4 mai au soir, est-ce l'avant-garde du Groupement V qui pénètre la première dans Berchtesgaden, qui met en fuite les derniers défenseurs de la demeure favorite du Führer, le Berghof. A ce moment, les derniers éléments de la 2e DB n'ont pas encore quitté la France, mais d'un bout à l'autre de la colonne, quelle fierté !
Paul Casta.
Paul Casta nait le 23 avril 1926 à Urbalacone, dans le département de Corse-du-Sud. Engagé volontaire le 10 septembre 1943 à Djidelli (secteur de Constantine), il rejoint le 2e RMT (Régiment de Marche du Tchad) et sa 5e compagnie. Le régiment dépend du sous-groupement du lieutenant-colonel Jacques Massu (Groupement Tactique Langlade). Après le transfert de la division en Angleterre, il débarque en France le 4 août 1944.
Il prend une part active aux combats qui se déroulent en Normandie. Nommé soldat de 1ère classe le 16 août, Paul Casta est cité à l’ordre de la Division le 20 août. Quatre jours plus tard, il combat au Pont de Sèvres. Il est de ceux qui ont reçu l’ordre d’une manœuvre de diversion ayant pour axe : Dampierre, Chevreux, Toussus-le-Noble, Jouy-en-Josas, bois de Meudon et Pont de Sèvres.
Au cours des combats du Pont du Sèvres, dans la nuit du 24 au 25 août 1944, alors que l’ennemi pénètre les positions de la section, Paul Casta est mortellement atteint. Il s’était lancé dans une contre-attaque à la grenade. Son décès est constaté à l’hôpital des Petits Ménages (Corentin Celton) à Issy. Il est inhumé dans un carré militaire du cimetière communal avec les honneurs militaires.
A titre posthume, Paul Casta sera cité à l’ordre de la Division, recevra la Médaille militaire et son nom sera inscrit au Livre d’Or de la 2e Division Blindée.