Publié le 10 Juillet 2016

Et Pétain devint chef de guerre.

« Les bombardements de l’artillerie lourde allemande, du 21 février et de la nuit du 21 au 22, précédèrent la ruée des divisions d’assaut ; nulle part encore, sur aucun front et dans aucune bataille, on n’en avait connu de pareils. Ils visaient à créer une « zone de mort », dans laquelle aucune troupe ne pourrait se maintenir. Une trombe d’acier, de fonte, shrapnells et de gaz toxiques s’abattit sur nos bois, nos ravins, nos tranchées, nos abris, écrasant tout, transformant le secteur en un champ de carnage, empuantissant l’atmosphère, portant l’incendie jusqu’au cœur de la ville, s’attaquant même aux ponts et aux localités de la Meuse jusqu’à Génicourt et Troyon. De formidables explosions secouaient nos forts, les empanachaient de fumée. On ne saurait décrire une telle action, qui n’a sans doute jamais été égalée en violence et qui concentra, sur le triangle étroit compris entre Brabant-sur-Meuse, Ornes et Verdun, le feu dévastateur de plus de 2 millions d’obus !

Lorsque les troupes allemandes se portèrent en avant, par petits éléments, le 21 après-midi, puis le 22 au matin – après une nuit où l’artillerie avait repris sans interruption son « pilonnage » infernal – par colonnes se poussant les unes les autres, elles espéraient progresser l’arme à la bretelle. Quelles ne furent pas leur stupéfaction et leur désillusion de voir que partout, sur leur chemin, des Français surgissant des décombres et – loqueteux, épuisés, mais redoutables quand même – défendaient les ruines de tous leurs points d’appui !

La résistance des chasseurs de Driant, le député-soldat, l’écrivain célèbre, vaut qu’on la rappelle.

Dans le bois des Caures, veillaient les 56e et 59e bataillons de chasseurs, avec quelques éléments du 165e régiment d’infanterie, en tout quelques 1.200 hommes ; 6 batteries de 75 et 8 batteries lourdes les appuyaient. Ils furent assaillis par les quatre régiments, soit 8.000 à 10.000 hommes, que soutenaient 7 batteries de 77 mm et environ 40 batteries lourdes. Le bombardement préparatoire les avait littéralement écrasés ; la plupart des abris s’étaient effondrés sous les explosions ; les pertes, avant la prise de contact avec l’assaillant, atteignaient un chiffre très élevé. Nos chasseurs tinrent cependant, à l’intérieur du bois, cernés et traqués de tous côtés, pendant près de vingt-quatre heures. Les troupes du 30e corps déployaient une vaillance étonnante et presque invraisemblable. Chaque centre de résistance – bois, village, lacis de tranchées éboulées ou groupement chaotique de trous d’obus – permettait à nos unités de renouveler les exploits des chasseurs de Driant et contribuait pour sa part à briser la ruée.

D’abord en camions-autos, par la route Souilly – Verdun, puis à pied par petites colonnes, les éléments prélevés sur les deux divisions de réserve générales se rapprochaient des lignes. Mais, dès leur débouché au-delà de la Meuse, ils étaient saisis, ralentis et désarticulés par le bombardement, entravés par les évacuations des blessés et par les convois de ravitaillement, engourdis par le froid au cours des longs arrêts que leur imposait le brusque engorgement des arrières. Aux rendez-vous indiqués, à l’entrée de leurs secteurs d’engagement, les unités montantes cherchaient les chefs des fractions déjà au feu et les guides désignés pour les conduire ; or, ceux-ci, pourchassés de place en place par les explosions et par les gaz, errant eux-mêmes dans la bagarre, faisaient souvent défaut…

Alors, les sections et les compagnies de renfort marchaient à l’aventure, droit au nord, progressaient sous les fumées et parmi les bruits assourdissants de la bataille, et soudain se heurtaient à l’adversaire, l’accrochaient, lui opposaient, en attendant mieux, le rempart de leurs corps. Sans contacts à droite et à gauche, sans liaison avec l’artillerie, sans mission précise, sans tranchées pour s’abriter, sans boyaux pour assurer leurs communications, sans savoir à qui et comment adresser leurs comptes rendus ou demander des instructions, elles formaient barrage là où le sort les amenait.

Me trouvant disponible avec mon quartier général à Noailles, je considérais comme extrêmement probable ma désignation pour le front de Verdun, où l’importance de la lutte engagée et des renforts envoyés à la bataille justifiait l’entrée en ligne d’une armée nouvelle. Je ne fus donc point surpris de recevoir, le 24 au soir, l’ordre de mettre immédiatement mon quartier général en route vers Bar-le-Duc et de me présenter moi-même au général Joffre le 25 au matin.

J’arrivai à Chantilly à 8 heures et fut aussitôt introduit auprès du général en chef qui, dans une ambiance quelque peu fiévreuse et agitée, conservait son calme coutumier. Le général Joffre, sans longues phrases, me fit connaître son impression sur la situation qui lui paraissait sérieuse, mais non alarmante ; il me prescrivit de me rendre en toute hâte à Bar-le-Duc pour me tenir prêt à remplir telle mission que le général de Castelnau, mandaté à cet effet, me préciserait. Je me hâtai vers Dugny, au sud de Verdun, où se trouvait le poste de commandement du général. A Dugny, j’appris un grave événement : le 20e corps s’était courageusement battu toute la journée autour du village de Douaumont, mais le fort venait de tomber par surprise au pouvoir de l’ennemi. Nous perdions ainsi le meilleur et le plus moderne de nos ouvrages, celui qui résumait les raisons de notre confiance, le splendide observatoire qui nous aurait permis de surveiller et de battre le terrain des approches allemandes et d’où, maintenant, l’ennemi pourrait diriger ses regards et ses coups vers les moindres replis du cirque sacré de Verdun !

Je rapportai moi-même la nouvelle de la chute du fort aux généraux de Castelnau et de Langle, à Souilly. Le général de Castelnau estimait qu’il n’y avait plus une minute à perdre pour « organiser » le commandement et éviter les erreurs comme celle qui caractérisait les événements de la journée. Dans l’après-midi, il avait téléphoné à Chantilly pour proposer de me confier le commandement des fronts de Verdun sur les deux rives de la Meuse, « avec mission d’enrayer l’effort prononcé par l’ennemi sur le front nord de Verdun ». Le général Joffre approuvait sa décision.

A 11 heures, je prenais donc la direction de la défense de Verdun, déjà responsable de tout et n’ayant aucun moyen d’action… Dans une salle vide de la mairie, je me mettais en communication téléphonique avec le général Balfourier, commandant les forces engagées dans le secteur d’attaque : « Allo ! C’est moi, général Pétain. Je prends le commandement. Faites-le dire aux troupes. Tenez ferme. J’ai confiance en vous… ». « C’est bien mon général. On tiendra ! Vous pouvez compter sur nous comme nous comptons sur vous ! ».

Aussitôt après, j’appelais le général de Bazelaire, commandant les secteurs de la rive gauche, et je lui donnais les mêmes avertissements, en lui indiquant le prix exceptionnel que j’attachais à la conservation de nos positions à l’ouest de la Meuse. Il me répondait, comme venait de le faire le général Balfourier, sur le ton d’une confiance affectueuse et absolue.

La liaison morale, du chef aux exécutants, était assurée.

Un peu plus tard, vers minuit, arrivait le colonel de Barescut, mon chef d’état-major. Sur une carte à grande échelle plaquée au mur, je marquais au fusain les secteurs des corps d’armée en position, ainsi que le front à occuper, et je dictais l’ordre que l’on devrait faire parvenir à toutes les unités le lendemain matin.

Tels furent, à Verdun, mes premiers actes de commandement ».

Des années après la bataille de Verdun, le maréchal Pétain se confia au journal L’Illustration. Le texte ci-dessus est un extrait du journal.

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