Publié le 25 Février 2023

Les coloniaux : Alexis Labrousse.

Alexis Jacques Henri Labrousse nait le 25 mai 1860 à Teyssieu, un petit village situé dans les contreforts du Massif Central, dans le Lot. Un de ses oncles est mort colonel au Mexique, l’autre est capitaine en retraite. Peut-être ces parcours l’ont-ils fait rêver plus jeune ? Elève brillant, il rejoint le lycée jésuite Caousou de Toulouse et embrasse alors la carrière militaire : il est accepté à Saint-Cyr en 1881 où il devient officier d’infanterie de marine.

Promu capitaine en 1893, il est stationné à partir de 1898 au Tonkin (nord de l’actuel Vietnam) où il fait partie de l’état-major du commandant en chef des troupes de l’Indochine. Etant rapatriable au mois d'avril 1900, il demande l'autorisation en janvier 1900 « de rentrer en France par la Chine et la Russie. » Plutôt que le classique voyage par bateau via le canal de Suez, il choisit de faire du tourisme en passant par la Chine puis la Sibérie. Sur son chemin : Pékin. C’est alors que son histoire rejoint la grande.

 

La révolte des Boxeurs.

La Chine est alors en ébullition. Les « Poings de la justice et de la concorde », surnommés « boxeurs », sont en rébellion ouverte contre la modernisation, la présence des étrangers, et les chrétiens chinois en particulier. D’abord concentrés dans la province du Shandong et opposés au pouvoir de la dynastie mandchoue des Qing, ils vont finir par s’allier aux mandarins réactionnaires et se rapprocher de la capitale impériale.

Officiellement reconnus en janvier 1900, ils sont formellement organisés en milices en mai et directement dirigés par des princes de la cour. Les choses s’accélèrent alors à Pékin : face à une hostilité de plus en plus ouverte, le « quartier des légations », où sont regroupés les ambassades et les intérêts commerciaux étrangers, commence à organiser sa propre défense. Fin mai, quelques troupes étrangères sont débarquées à Tianjin et rejoignent hâtivement le quartier : ils sont à peine plus de 450, dont 78 marins français provenant des navires d’Entrecasteaux et Descartes commandés par le lieutenant de vaisseau Eugène Darcy. De passage, le capitaine Labrousse n’est pas l’un d’eux, mais il se met immédiatement à sa disposition le 14 juin (comme d'autres volontaires civils, dont, le compagnon de voyage de Labrousse, le vicomte de Chollet).

Puis, le 20 juin, le chef de la légation allemande, le baron von Ketteler, est assassiné en pleine rue par un soldat régulier chinois. L'armée impériale et les boxeurs encerclent les légations, prêts à en finir une fois pour toute avec ces étrangers. Le siège commence. Il va durer 55 jours.

 

Le rôle du capitaine Labrousse durant le siège.

Les assiégés comptent également 473 civils et environ 3000 Chinois chrétiens venus se réfugier dans le quartier des légations. Autant de bouches à nourrir, de mains à occuper et d’esprits à calmer. Car, il y a de quoi paniquer : face à une marée d’insurgés qui ne songe qu’à tuer et piller, les soldats étrangers, eux, ne sont équipés que d’armes légères et disposent de peu de munitions. La seule pièce d’artillerie est un vieux canon à chargement par la bouche qui est découvert, déterré et remis en état. On le surnomme « canon international » : le fût est britannique, l’affût italien, les obus russes et les artilleurs américains. La défense s’organise ainsi.

Dans cette désolation, le capitaine Labrousse se montre exemplaire : toujours plein d’entrain et volontaire. Le 24 juin, un officier américain l’interpelle : il a vu des assaillants se préparer à franchir une barricade du côté de la légation allemande. Sans hésiter, ils repoussent ensemble l’attaque, l’un avec son pistolet, l’autre avec sa carabine. Quelques jours plus tard, quand le commandant Darcy l’envoie en renfort sur le front de la légation américaine, il lui répond : « Et dire que j'avais prévu de passer quelques jours de vacances à Pékin. Je n’aurais jamais osé espérer mieux, mon cher ami ! » Les marines américains viennent de perdre leur chef et sont quasiment résolus à se laisser submerger par la prochaine vague boxeurs. Grâce au capitaine Labrousse, l’esprit de défense et la situation des Américains sont rétablis.

Dans son ouvrage monumental, L'été rouge de Pékin, Jean Mabire le peint ainsi, non sans malice : « Un homme d’aspect rude, avec un visage carré que barre une grosse moustache claire. En véritable officier de "Marsouins", il a beaucoup couru le monde et considère la situation à Pékin comme catastrophique, donc intéressante. »

 

La mort du capitaine Labrousse.

Actif sur tous les fronts, le capitaine Labrousse n’est pourtant légèrement blessé qu’une seule fois, le 28 juin, au genou. Mais la chance l’abandonne le 12 août, alors que les assauts des boxeurs atteignent leur paroxysme : le corps expéditionnaire envoyé en Chine pour délivrer les légations est aux portes de Pékin et les insurgés veulent en finir avec ces diables d’étrangers qui leur tiennent tête depuis plus de 50 jours.

Le commandant Darcy décrit ainsi les derniers instants du capitaine Labrousse en ce début de soirée du 12 août 1900 : « A huit heures, nous allons M. Labrousse et moi, sur le seuil de la porte de la salle à manger et nous regardons le parc que les herbes ont envahi depuis que personne ne le foule. Labrousse me fait remarquer que, de l’endroit où nous sommes, un factionnaire verrait très bien l’ennemi s’avancer, et pourrait prévenir tout de suite si cet ennemi tentait un assaut. Sa phrase n’est pas achevée qu’une balle le frappe au front, entre les deux yeux. Il tombe en arrière, sans pousser un seul cri ; la mort a été foudroyante. »

Le lendemain matin à 9h, au grand désespoir des assiégés, on l’enterre, dans le cimetière improvisé sur le terrain de la légation d’Angleterre, le « glorieux petit cimetière de la légation » de Pierre Loti. Le médecin militaire Jean-Jacques Matignon écrira : « Par son courage, son calme et son énergie, Labrousse avait forcé l’admiration de tous les étrangers. Très dur envers lui-même, il exigeait beaucoup des autres. Brave sans forfanterie, audacieux jusqu’à la témérité, il était le type accompli de l’entraîneur d’hommes. ».

Revêtu de son habit, lié sur une simple planche, il est inhumé à même le sol puis recouvert d’une épaisse couche de chaux vive – pour que son corps ne soit pas profané, si jamais les boxeurs arrivaient jusque-là.

Le surlendemain, 15 août 1900, le quartier des légations est enfin libéré par des troupes allemandes, américaines, anglaises, italiennes, russes, autrichiennes et même japonaises. Le contingent français étant dirigée par le général Frey. Les pertes du côté des légations sont d’environ 30.000 Chinois chrétiens, 2.500 militaires et 526 civils étrangers ; du côté des militaires chinois, elles sont d’environ 20.000 militaires. Les pertes des Boxers sont inconnues, mais un fait est avéré : le mouvement est anéanti.

Aujourd’hui, une tombe trône au bord d’une petite route de la campagne quercinoise. Il s’agit de celle du capitaine Labrousse, dont le corps aurait donc été rapatrié. Sur cette pierre tombale figure l’inscription : « Ici repose Alexis Jacques Henri Labrousse, capitaine d’infanterie de marine, tué à l’ennemi à Pékin le 12 août 1900, à l’âge de 40 ans. »

Le nom du capitaine Labrousse figure sur les plaques commémoratives de l’Ecole du Caousou, sur le Livre d’or de l’annuaire de la Saint-Cyrienne et aux archives des Légations.

 

Sources :

  • Cet article a d’abord été publié sur le site Internet du Souvenir Français de Chine et rédigé par David Maurizot.
  • Pierre Loti, Les derniers jours de Pékin, Calmann Lévy, 1901.
  • Alber-François-Ildefonse d'Anthouard, La Chine contre l'étranger : Les Boxeurs, Plon, 1902.
  • Eugène Darcy, La défense de la Légation de France à Pékin, Augustin Challamel, 1903.
  • Jean-Jacques Matignon, Dix ans aux pays du dragon, A. Maloine, 1910.
  • Jean Mabire, L’été rouge de Pékin, la révolte des Boxeurs, Fayard, 1978.
  • Larry Clinton Thompson, William Scott Ament and the Boxer Rebellion, McFarland, 2009.
  • Page Facebook de Nicolas Savy, historien, et photographe de la tombe du capitaine Labrousse.
  • Site Mémorial Gen Web – Fiche du capitaine Labrousse.
Les coloniaux : Alexis Labrousse.

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #La Coloniale

Publié le 11 Février 2023

Cérémonie hommage aux déportés juifs – Issy-les-Moulineaux, le 29 janvier 2023.

Une cérémonie particulière s’est déroulée le dimanche 29 janvier devant le monument aux morts d’Issy-les-Moulineaux. Un hommage a été rendu à sept personnes déportées, mortes pour la France, dont les noms ont été inscrits sur le monument aux Morts pour la France, et à vingt-six autres habitants d'Issy, juifs déportés pendant la Seconde Guerre mondiale. Une plaque commémorative a été installée, à côté́ du monument aux Morts, pour ces derniers.

A la suite de cette cérémonie, a eu lieu le vernissage de l’exposition « L’apport des cultures juives en France depuis 1791 », et présentée par l’association B’nai B’rith France.

Cette inauguration a été faite en présence de nombreuses personnalités politiques et était organisée par M. André Santini, maire, et M. Alain Lévy, maire-adjoint délégué à la Communauté juive ; avec la présence d’Haïm Korsia, grand rabbin de France et membre du conseil d’administration du Souvenir Français ; Serge Klarsfeld, fondateur de l’Association des fils et des filles des déportés juifs de France ; Elie Korchia, président du Consistoire de France ; Joël Mergui, président du Consistoire de Paris ; Philippe Meyer, président du B’nai B’rith France.

 

Après la cérémonie, M. André Santini a pris la parole. Voici son discours :

 

« Monsieur le Ministre, cher Roger Karoutchi,

Madame la Députée, chère Claire,

Monsieur le Grand Rabbin de France,

Monsieur le Président du Consistoire de France,

Monsieur le Président du Consistoire de Paris,

Monsieur le Président du B’nai B’rith France,

Chers collègues,

En réfléchissant à ce qui doit être dit dans des moments comme celui-ci, une phrase de Marc Bloch m’est revenue et j’aimerais vous la partager. « Les brumes, qu’autour du plus atroce effondrement de notre histoire commencent, dès maintenant, à accumuler tantôt l’ignorance et tantôt la mauvaise foi, se lèveront peu à peu ». Cette phrase est tirée de la première page de L’étrange défaite que l’historien résistant a rédigée en 1941, trois ans avant d’être fusillé par les Allemands. Mort au combat, lui aussi.

Cette profonde conviction qu’avait Marc Bloch est désormais notre héritage ; il est de notre devoir le plus catégorique de dissiper ces brumes funestes. Il nous faut nous y atteler, avec diligence et efficacité parce qu’aujourd’hui, le poids de l’ignorance semble peser plus lourd que jamais. Seulement, l’ignorance est un terreau fertile sur lequel prospèrent bien d’autres maux : le repli sur soi, le populisme, la manipulation, la haine et la violence.

Il est des horreurs qui doivent hanter la conscience humaine pour l’éternité. Pourtant, la mauvaise conscience de notre société vis-à-vis du génocide juif semble s’effacer. Je m’effraie de voir combien de voix y accordent aujourd’hui une attention nonchalante, au mieux, méprisante, au pire. La barbarie, tapie dans l’ombre, guette les fragilités de nos mémoires, de notre histoire, de notre culture. Elle guette nos inconstances et nos faiblesses. Elle guette les dissensions du vivre ensemble.

Il y a plus de 80 ans, les millions d’âmes prises au combat, chez elles ou dans les camps n’ont pas empêché l’antisémitisme de perdurer, tantôt au grand jour, tantôt en se dissimulant. Le danger qui nous guette aujourd’hui est son retour, sous couvert de normalisation ou de « notabilisation ».

Depuis des dizaines d’années, la longue série de crimes antisémites devrait nous rappeler que la haine ne dort jamais et qu’il nous faut, toujours et partout, nous efforcer de la désarmer. Je vous invite à vous souvenir des tragédies vécues par chacune et chacun, en France et ailleurs. Ilan Halimi, Mireille Knoll, Sarah Halimi, les victimes de Mohammed Merah, de l’Hypercasher mais aussi du Musée juif de Bruxelles ou de la synagogue de Pittsburgh. A chaque fois, ces attaques haineuses portaient atteinte à nos valeurs, à la liberté absolue de conscience, au respect impérieux de la dignité humaine ; à ce qui nous unit. C’est l’analyse de Sartre qui me revient maintenant en tête : « L’antisémitisme, c’est la peur devant la condition humaine ». Avec ces crimes, ce ne sont pas seulement les juifs qui sont visés, mais aussi l’humanité tout entière.

Alors, quelle solution adopter pour lutter contre la haine sous toutes ses formes ? Encore une fois, Marc Bloch nous donne la réponse : l’éducation. Ce n’est pas un hasard si le professeur, l’un des plus grands historiens de notre pays, voyait dans celle-ci le salut de notre démocratie. Sans une éducation à l’altérité, à l’hospitalité, aux histoires mémorielles, il n’y a de place que pour les racismes et les extrémismes qui font hypothèque au travail de pensée, empêchent le discernement critique et occultent l’exigence d’un enseignement digne de sens et de conscience. Cette conviction est aussi celle d’Issy-les-Moulineaux. C’est pourquoi nous avons souhaité transmettre nos idéaux démocratiques et promouvoir une éthique de la responsabilité, porteuse de sens et d’émancipation, dans le cadre de notre engagement citoyen, en partenariat avec le CLAVIM.

A ce titre, j’aimerais remercier notre Conseil communal des jeunes pour leur engagement qui les grandit. Puisque je parle des jeunes, je veux remercier les enfants du Groupe scolaire Rambam Maimonide pour leur interprétation émouvante de la Marseille, ainsi que sa directrice, Jeannine Levy. Nous ne pouvons faire l’économie de la transmission aux jeunes générations. Voilà l’unique condition pour que, plus tard, les discours de haine ne reçoivent pas des bénédictions d’ignorants.

La ville est très attachée au devoir de mémoire, comme en témoigne la signature prochaine d’une convention de partenariat avec le Camp des Milles ; mais elle souhaite également aller au-delà. L’éducation à l’altérité, à la différence, doit être pensée dans le cadre d’une construction, d’une acquisition culturelle. Nous sommes donc très heureux d’accueillir l’exposition de l’association B’nai B’rith qui rappelle les contributions exceptionnelles des cultures juives dans les champs littéraire, philosophique, sociologique, médical, artistique et scientifique tout en insistant sur la fidélité aux valeurs de la République française.

Je remercie d’ailleurs le Président de l’association, Philippe Meyer, et sa directrice culturelle, Claire Rubinstein, pour leur aide précieuse dans l’organisation de cette exposition qui ouvrira demain et se terminera le 9 février. De Rachi de Troyes et Moïse Maïmonide à la Révolution française avec les apports de Baruch Spinoza ou de Moses Mendelssohn, de 1789 à Napoléon et à nos jours… On y croise des personnalités emblématiques de notre histoire, comme Jean Zay, Marc Bloch, Claude Lanzmann, Annette Wieviorka, Serge et Beate Klarsfeld, Simone Veil et Robert Badinter.

N’oublions pas que les cultures juives ont irrigué la littérature avec des écrivains de premier plan : Marcel Proust, Joseph Kessel, Romain Gary, Albert Cohen, Patrick Modiano... Les sciences humaines ont bénéficié des contributions exceptionnelles des philosophes : Emmanuel Levinas, Raymond Aron, Henri Bergson et Alain Finkielkraut, du fondateur de la sociologie Émile Durkheim ou de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss. Le monde artistique réunit de très grands peintres comme Chagall, Soutine, Zadkine ou Modigliani. Les univers du théâtre et du cinéma rassemblent des personnalités, comme Sarah Bernhardt, Claude Lelouch, Gérard Oury, Olivier Nakache, Éric Tolédano, François Weber et Alain Chabat. Qui n’a pas chanté sur les airs de Jean Ferrat, Jean-Jacques Goldman, Serge Gainsbourg, Georges Moustaki et Barbara ?

Vous l’avez compris, cette exposition est d’une importance capitale, si ce n’est vitale, pour le salut de notre société. Ensemble, collectivement, nous devons veiller chaque jour à agir en humanité avec fraternité.  Dans le combat contre la haine se joue simplement la vie ou la mort de nos idéaux.

Mes amis, ce combat doit être l’une des marques distinctives de notre époque. Soyons dignes de l’héritage qui nous a été transmis par ceux qui ont souffert l’inimaginable. »

 

 

André Santini

Ancien Ministre - Maire d’Issy-les-Moulineaux

 

 

Sources :

  • Service protocole de la mairie d’Issy-les-Moulineaux (que le Souvenir Français remercie vivement).
  • Crédits photographiques : Souvenir Français – Site : issy.com
Cérémonie hommage aux déportés juifs – Issy-les-Moulineaux, le 29 janvier 2023.
Cérémonie hommage aux déportés juifs – Issy-les-Moulineaux, le 29 janvier 2023.
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Cérémonie hommage aux déportés juifs – Issy-les-Moulineaux, le 29 janvier 2023.
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