Publié le 18 Mars 2018

Louis Albert Bacler d’Albe.

Louis Albert Bacler d’Albe.

Le 28 octobre 1805, le préposé à la mairie d'Issy (qui n'était pas encore « Les Moulineaux »!) enregistrait la naissance du quatrième enfant de la famille Bacler Dalbe, Louis Marc. Mais ce n'était pas son père qui venait le déclarer car, chef du service cartographique de l'empereur Napoléon 1er, il l'avait suivi quelques jours auparavant en Alsace où se préparait l'offensive contre les Autrichiens qui, par Ulm, allait aboutir au « Soleil d'Austerlitz » le 2 décembre de la même année.

 

C'était au siège de Toulon, huit ans plutôt, que Bonaparte avait croisé une première fois le capitaine Louis Albert Bacler Dalbe, artilleur comme lui, chef de la batterie « des Invincibles », et artiste-dessinateur dans le civil avant la Révolution. Promu général et commandant de l'artillerie de l'armée d'Italie, Bonaparte le fera affecter à son état-major et, quand il prendra le commandement de cette même armée, il le chargera de l'élaboration des cartes nécessaires à son action. Et Dalbe le suivra, sillonnant l'Europe, de l'Italie, reprise aux Autrichiens au cours de deux campagnes, au camp de Boulogne, pour préparer une éventuelle expédition en Angleterre, de Saxe en Prusse et en Pologne, de la guerre d'Espagne à la campagne de Russie.

 

Et partout où l'empereur installera sa tente de commandement, Dalbe sera là, dans une tente annexe, avec son lit de camp et ses cartes, et les épingles de couleurs qui lui permettront d'y situer les forces en présence. Mais il n'oubliera pas que s'il est officier, et il le montrera valeureusement à Arcole, il est aussi dessinateur : ses tableaux des batailles de Lodi, de Rivoli ou d'Austerlitz font partie des collections du château de Versailles et ses lithographies du passage des Alpes ou de l'Espagne en guerre sont autant de témoignages de l'actualité militaire de son temps.

Carte de l’Italie – Page de garde.

Carte de l’Italie – Page de garde.

Une campagne pourtant manque à ses états de service, celle d’Égypte. Comment, en 1798, le général Bonaparte aurait-il pu décider de se priver pendant cette expédition d'un collaborateur qui avait sa place aussi bien comme cartographe dans le « premier cercle » de son état-major particulier que comme dessinateur aux côtés de la centaine d'ingénieurs, artistes ou savants qu'il emmenait avec lui ? Aucun historien n'a pu donner une réponse satisfaisante à cette question mais, selon la tradition familiale, lorsque l'estafette, qui apportait au capitaine Dalbe sa convocation pour un embarquement à Toulon vers une destination inconnue, se présenta à son domicile de Milan, l'intéressé était en déplacement et c'est son épouse qui, ayant pris connaissance de la lettre de service, l'aurait volontairement détruite, peu soucieuse de voir son mari l'abandonner pour une contrée non précisée et une durée indéterminée !

 

A son retour d’Égypte, et après une solide « remontée de bretelles », Bonaparte passa l'éponge sur la désobéissance involontaire de son subordonné qu'il nommera, en 1804, chef de son « Cabinet topographique » particulier, nouvellement créé. Et il ne cessera de lui accorder sa confiance, comme en témoigne par exemple cette note du 9 août 1809 : «  Le corps des ingénieurs-géographes ne recevra d'ordres que de l'adjudant-commandant Bacler d'Albe. Les ingénieurs correspondront avec lui et lui transmettront leurs travaux. Ils recevront mes ordres par son canal. Signé : Napoléon ».

 

C'était raccourcir singulièrement la voie hiérarchique, ces ingénieurs étant affectés au « Dépôt de la Guerre » (*), qui dépendait du Major Général ! On notera dans ce billet la nouvelle orthographe « d'Albe », l'intéressé ayant été élevé au titre de Baron d'empire.

 

Chevalier de la Légion d'Honneur depuis 1806, il sera promu officier dans l'ordre le 10 avril 1812 et nommé général de brigade le 24 octobre 1813. Le 2 mars 1814 il quittera son service au Cabinet topographique de l'empereur et prendra la direction du Dépôt de la Guerre. Il aura passé plus de dix ans dans l'entourage immédiat de Napoléon qui, selon un témoin, s'écriait quand on le réveillait à l'arrivée d'une estafette porteuse d'un pli important : « Qu'on aille chercher d'Albe ! Que tout le monde s'éveille ! »

 

Au Dépôt de la Guerre, début 1814, le travail ne manque pas. L'unité a été désorganisée par la catastrophique retraite de Russie de 1812 : son chef, le général Sanson et une demi-douzaine d'ingénieurs-géographes faits prisonniers par les Russes, une vingtaine d'autres tués, morts de froid ou disparus, les chariots contenant le matériel de cartographie, des archives du Dépôt, et surtout des cartes originales, car l'empereur ne supportait ni copies ni calques, et les plaques de cuivre qui permettaient leur tirage, pris par l'ennemi ou abandonnés, leurs chevaux abattus pour palier le manque de nourriture.

 

A titre personnel d'Albe a perdu pendant cette campagne tous ses bagages et effets personnels, ainsi que 23 chevaux et surtout les cuivres de ses cartes dont il était propriétaire et dont il vendait les tirages à l'Etat. Malgré quelques « dépannages » accordés par Napoléon, il est obligé d'hypothéquer sa demeure de Sèvres, achetée en 1810, entre le château de Brimborion, maintenant disparu, et la Seine, face à la pointe aval de l'île Seguin (**).

 

Mais sa santé se dégrade, et s'il a pu accompagner l'empereur pendant la campagne d'Autriche en 1813, il sera contraint de rester à Paris pendant la campagne de France qui se termine par l'exil à l'île d'Elbe de l'empereur déchu en avril 1814. Au retour de Louis XVIII, d'Albe met le Dépôt de la Guerre aux ordres du roi, pour faire à nouveau allégeance à Napoléon, revenu de l'île d'Elbe pour les « Cent-jours ». Après Waterloo, la seconde abdication et le départ pour Sainte Hélène, il se distingue une dernière fois : avec l'aide du nouveau directeur du Dépôt, nommé par le roi, il cache les précieux cuivres de la fameuse carte de Cassini et les autres originaux du Dépôt que les occupants « alliés », Autrichiens, Russes ou Prussiens, chercheront en vain. Par contre ils saccageront sa maison de Sèvres, brûlant documents et archives, et sa famille ne sauvera que ce qu'elle avait de plus précieux.

 

Exilé à Sainte-Hélène, Napoléon n'oubliera pas son fidèle cartographe. Dans ses dernières volontés, dictées fin avril 1821, quelques jours avant sa mort, il précisera, évoquant la transmission de son œuvre à son fils, le Roi de Rome, exilé lui en Autriche: « ...On remettra à mon fils ma carte d'Italie d'Albe et les copies, vues de champs de bataille, quartiers généraux que j'ai fait faire par Bacler d'Albe... … Probablement, on cherchera à lui fausser ses idées. Quand il aura seize ans, il faudra lui envoyer des voyageurs comme Meneval, Fain, d'Albe, qui l'entretiendront naturellement de ce qu'ils ont vu et su. »

 

Au début de la Restauration, accusé par certains de ses subordonnés de les avoir « ralliés » à l'empereur contre leur volonté, Bacler d'Albe passa devant une commission d'enquête... qui le destitua ! Ce n'est que fin 1818 qu'il fût replacé dans les cadres d'active, mais sans affectation, avant d'être mis définitivement en disponibilité, avec la solde correspondante, le 1er avril 1820 à l'âge de 59 ans. Il avait passé 31 ans sous l'uniforme.

 

Sur le plan financier sa situation s'améliore peu à peu. Il a reprend ses pinceaux et travaille pour la Manufacture de Sèvres, toute proche, décorant assiettes, tasses ou vases, car ayant gardé, grâce à son métier de cartographe, une légèreté de main étonnante. Il tente aussi de vendre des tableaux où il insère des personnages mythologiques dans des paysages inspirés de ses séjours en Italie, mais sans grand succès. Il abandonne alors la peinture et se tourne vers la lithographie, le procédé de reproduction à la mode. Avec l'aide du lithographe Engelman, il fait paraître, à partir des carnets de croquis qu'il a conservé ou de dessins rapportés de ses promenades, toute une série de planches qui, elles, rencontrent un certain succès comme par exemple :

 

  • Souvenirs pittoresque de la Suisse du Valais,
  • Promenades pittoresques dans Paris et les environs,
  • Souvenirs pittoresques de la guerre d'Espagne,
  • Macédoine  lithographique, sur des sujets variés et sur des vues des environs du Mont-Blanc.

 

Cette dernière série, constituée à partir des dessins originaux de Bacler d'Albe mais dont les lithographies ont été exécutées par son fils Louis-Marc, comprend en particulier deux planches à la mémoire des deux premiers vainqueurs du Mont-Blanc en 1786, le guide Jacques Balmat et le docteur Gabriel Paccard.

La prise de Somo-Sierra par Bacler d’Albe.

La prise de Somo-Sierra par Bacler d’Albe.

Le 12 septembre 1824 dans sa demeure de Sèvres, entouré de sa famille, le général-baron Louis Albert Bacler d'Albe décède à l'âge de 63 ans. Officier d'état-major, n'ayant jamais commandé une grande unité devant l'ennemi, son nom ne figure pas sur les plaques des généraux de l'Empire apposées sur l'Arc de Triomphe. Mais si vous empruntez à Paris, en limite des 3e et 4e arrondissements, la rue des Francs-Bourgeois vers la place des Vosges, vous arriverez, au n°16 sur votre gauche, à la façade de l'ancien Hôtel de Sévigné qui abrite le musée Carnavalet. Levez les yeux et vous découvrirez huit ensembles de trois plaques portant les noms d'artistes, d'ingénieurs, de chercheurs, de savants, qui se sont illustrés dans leur domaine de compétence. Et sur le titre « Iconographie » vous pourrez lire le nom de Bacler d'Albe, honoré, non pour son œuvre de cartographe militaire, mais pour ses talents d'artiste.

Façade de l’Hôtel de Sévigné.

Façade de l’Hôtel de Sévigné.

Le couple Bacler d'Albe eut quatre enfants.

 

L’aîné, Joseph-Albert, officier comme son père, affecté en 1806 en Hollande à la garnison de Flessingue, fût  blessé et fait prisonnier par les anglais. Après deux ans et demi de captivité il s'évada et rejoignit la France. Topographe et aide de camp du  général Ségur pendant la campagne de Russie, puis brièvement du général Duroc, il fût ensuite chargé du service topographique du Maréchal Soult, qu'il suivit sur le front des Pyrénées pendant la malheureuse campagne contre Wellington à l'hiver 1814, puis, aux « Cent-jours » jusqu'à la défaite de Waterloo. Placé en non-activité il quitta la France pour les États-Unis, puis l'Amérique du Sud où il rejoignit l'armée du général San Martin, participant activement à ses côtés, comme colonel, aux guerres d'indépendance du Chili et du Pérou, avant de décéder en 1824.

 

Leur deuxième fils, Maurice-Louis, mourut en 1810 des suites d'une chute de cheval, à 18 ans, un mois seulement après son entrée à l’École Militaire.

 

Leur seule fille, Alexandrine, épousa un ami de la famille, Marc-Antoine de Barbotan-Maurepas.

 

Enfin le dernier enfant, Louis-Marc, né à Issy en 1805 comme évoqué plus haut, dessinateur et lithographe comme son père, fût le seul à avoir laissé une postérité. Il eut deux enfants, un garçon et, en 1837, une fille, Blanche. C'était mon arrière-grand-mère.

 

 

 

 

Général de brigade aérienne (2s) Jean-Claude Ichac

Président honoraire du comité du Souvenir Français d'Issy-les-Moulineaux.

 

 

(*) Ancêtre du Service géographique de l'Armée devenu ensuite notre Institut Géographique National (IGN).

 

(**) Après avoir été, au 19e siècle une institution de jeunes filles, puis une maison de convalescence pour anciens militaires, cette propriété deviendra, en 1928, le collège arménien « Samuel Moorat » de Sèvres.

 

 

 

Sources :

 

  • . « Le Général Bacler d'Albe » de M.Bacler d'Albe-Despax (1954)
  • . « Le Baron Bacler d'Albe, Maréchal de camp » de Marc Troude (1954)
  • . Archives familiales.
  • . Sites Internet.
La propriété de Sèvres.

La propriété de Sèvres.

Le bal à Issy, par Bacler d'Albe.

Le bal à Issy, par Bacler d'Albe.

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #Issy d'antan

Publié le 11 Mars 2018

A la recherche du cénotaphe d'Ernest Doudart de Lagrée - 2/2.

Après des recherches documentaires infructueuses et renseignements pris auprès des autorités de Dongchuan, qui constitue aujourd’hui l’un des arrondissements de la ville de Kunming, force fut de constater qu’aucune pagode du nom de « Kuang Wang Miao » ou du nom de « Gong Wang Miao » n’existait ni ne semblait avoir existé en ce lieu. Or dans le Voyage d’exploration en Indo-Chine publié sous la direction de Francis Garnier, il n’est question que de Dongchuan, ce qui semblait nous conduire à une impasse. Mais en remontant le temps, on apprend que la circonscription administrative de Dongchuan Fu – ce terme Fu () désignant une « préfecture supérieure » – fut détachée du Sichuan en 1726 pour être rattachée à la province du Yunnan. Elle regroupait alors les territoires des localités de Dongchuan, Huize () et Qiaojia (巧家). Ainsi, lorsqu’il est question de Dongchuan ou Dongchuan Fu dans les citations qui précèdent, cette appellation ne désigne pas uniquement l’actuelle localité de Dongchuan, mais plutôt la préfecture de Dongchuan dans son ensemble ou son chef-lieu. Il en résulte que la localité de Dongchuan, indiquée comme l’une des étapes du trajet suivi par la Commission d’exploration du Mékong sur la carte du Voyage d’Exploration en Indo-Chine publié par Léon Garnier, n’est pas forcément l’actuelle localité de Dongchuan…

Elargissant ainsi le champ de nos recherches à la préfecture historique de Dongchuan aujourd’hui disparue, nous découvrons qu’il existe à Huize une pagode dédiée au dieu de la mine appelée « Gong Wang Miao » (硔王庙), sachant que le caractère d’utilisation rare en chinois peut se prononcer Hong ou Gong et signifie mine ou minerai. De plus, aucune autre pagode appartenant à la corporation des mineurs n’était mentionnée dans les sources que nous avons consultées sur la préfecture de Dongchuan, très renommée par le passé pour ses nombreuses mines de cuivre et pour la fabrication de pièces de monnaies.

Mais ni nos recherches documentaires ni les renseignements pris auprès des autorités locales n’aboutirent à une quelconque trace du passage de Doudart de Lagrée dans ces contrées. Elles nous permirent toutefois d’entrer avec relation avec le président de l’Association de recherche sur l’histoire et la culture de Huize et de ses habitants, M. Bian Boze (卞伯), auteur d’un livre sur l’histoire de Huize dont le titre pourrait se traduire « Voyage culturel à Huize – Charme des vestiges de la ville historique ». Dans cet ouvrage, nous trouvons confirmation qu’il existe bien à Huize une pagode dédiée au dieu de la mine portant le nom de « Gong Wang Miao » (硔王庙). Les habitants du cru préférèrent cette appellation à celle de « Kuang Wang Miao (矿王庙) » pour des questions de superstition, car un autre caractère Kuang (), dont la prononciation est identique à celle du caractère Kuang () signifiant « mine », peut avoir le sens plutôt négatif de « désert, vide » ou bien de « délaisser, négliger, laisser à l’abandon, oisif, négligent » ou bien encore de « loin, distant, éloigné », ce qui pourrait laisser croire à une pagode dédiée au dieu du vide ou de la négligence… Cette pagode était située dans l’enceinte de l’ancien Bureau de fabrication des pièces de monnaies, à l’emplacement duquel se trouve aujourd’hui une usine de fabrication de matériel de soudage.

Fort de toutes ces informations, il ne nous restait plus qu’à nous rendre sur place, ce qui fut fait le 2 octobre 2017. M. Bian Boze nous guida jusqu’à l’usine de l’entreprise de fabrication de matériel de soudure Yunnan Jufeng Electric Welding Machine Co. Ltd., située dans la rue Lingbi (灵壁). Sur la colonne de droite du portail d’entrée figure le nom de l’entreprise. Sur celle de gauche, un panneau de bois délavé indique Baoyun Zhuqian Ju (宝云铸钱局), le Bureau de fabrication des pièces de monnaies. A l’intérieur de l’enceinte de l’usine, à gauche de la porte d’entrée se trouve un bâtiment rénové de la pagode du dieu de la mine, où le culte semble n’être exercé qu’en de rares occasions. L’arbre sacré devant ce temple, la vieille maison qui l’avoisine, les murs de ce temple auraient-ils été témoins du passage de Doudart de Lagrée ? Même si nous n’avons pas trouvé de traces du cénotaphe que ses compagnons de route avaient élevé à sa mémoire, nous quittons les lieux heureux de cette visite à Huize et de cette rencontre avec M. Bian Boze, avec la quasi-certitude du bien-fondé de nos hypothèses.

 

De nouvelles recherches bibliographiques vinrent finalement estomper l’infime doute qui subsistait encore dans notre esprit en nous apportant la preuve que Huize est bien la Dongchuan indiquée par Francis Garnier et ses compagnons comme lieu de décès de Doudart de Lagrée dans le Voyage d’Exploration en Indo-Chine. Dans sa thèse de doctorat intitulée Landscape practices and representations in eighteenth-century Dongchuan Southwest China et soutenue en 2012 à l’université de Leyde aux Pays-Bas, Huang Fei indique clairement, preuves à l’appui, que l’actuelle Huize est bien la Dongchuan historique où il y avait un temple dédié au dieu de la mine, corroborant ainsi nos hypothèses quant au lieu de décès de Doudart de Lagrée.

En conclusion de notre voyage d’exploration littéraire, historique et géographique à la recherche du cénotaphe d’Ernest Doudart de Lagrée, si nous n’en avons plus trouvé de trace écrite après 1908, nous avons localisé à Huize dans la province du Yunnan le temple dans l’enceinte duquel il fut élevé par les membres de la Commission d’exploration du Mékong en 1868. En cette année du 150e anniversaire de sa mort, nous formons le vœu que la mémoire du capitaine de frégate Ernest Doudart de Lagrée puisse un jour être honorée comme il se doit en ces lieux où ce grand explorateur rendit son dernier soupir.

Yvon Velot

 

Sources

  • GARNIER, Francis (1873). Voyage d’exploration en Indo-Chine effectué pendant les années 1866, 1867 et 1868 par une commission française dirigée par le capitaine de frégate Doudart de Lagrée et publié par les ordres du Ministère de la Marine sous la direction de M. le lieutenant de vaisseau Francis Garnier, Paris, Librairie Hachette et Cie (deux tomes et deux atlas).
  • GARNIER, Léon (1885). Voyage d’exploration en Indo-Chine effectué par une commission française présidée par le capitaine de frégate Doudart de Lagrée, Paris, Librairie Hachette et Cie.
  • DE CARNE, Louis (1872). Voyage en Indo-Chine et dans l’Empire chinois, Paris, E. Dentu, Editeur.
  • VIAL, Paulin (non mentionné comme auteur) (1892). Doudart de Lagrée : Opuscule sur sa vie et ses œuvres par le secrétaire du Comité dauphinois pour l’érection de sa statue, Grenoble, Imprimerie Breynat & Cie.
  • Chambre de Commerce de Lyon (1892). La mission lyonnaise d’exploration commerciale en Chine 1895-1897, Lyon, A. Rey et Cie, Imprimeurs-Editeurs.
  • Chambre de Commerce de Lyon (1892). La mission lyonnaise d’exploration commerciale en Chine 1895-1897, Lyon, A. Rey et Cie, Imprimeurs-Editeurs, p. 72-73.
  • BIAN Boze (卞伯), 2014. Huize Wenhua Zhi Lü – Gucheng Yiyun 泽文化之旅——古城遗韵, Kunming, Yunnan University Press.
  • Association Ricci du grand dictionnaire français de la langue chinoise, 2014. Dictionnaire Ricci chinois-français, Beijing, The Commercial Press.
  • Yunnan Jufeng Electric Welding Machine Co. Ltd : 云南炬锋电焊机有限公司, Yunnan Jufeng Dianhanji Youxian Gongsi en pinyin.
  • HUANG, Fei, 2012. Landscape practices and representations in eighteenth-century Dongchuan Southwest China, Leiden, Leiden University (thèse de doctorat).

 

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #La Coloniale

Publié le 11 Mars 2018

A la recherche du cénotaphe d'Ernest Doudart de Lagrée - 1/2.

Cet article a été écrit par Yvon Velot, membre du Souvenir Français de Chine, présidé par notre ami le Délégué général Claude R. Jaeck.

 

Une exploration.

Le 12 mars 1868, le capitaine de frégate Ernest Doudart de Lagrée, chef de la Commission d’exploration du Mékong, mourait d’épuisement et de maladie dans la province du Yunnan au sud-ouest de la Chine. A l’approche du 150e anniversaire de son décès, une nouvelle mission d’exploration s’imposait, celle de retrouver le lieu où ce grand explorateur rendit son dernier soupir et où fut élevé un cénotaphe à sa mémoire par ses compagnons d’infortune.

Cette nouvelle mission d’exploration est avant tout littéraire. Elle commence avec le livre Voyage d’exploration en Indo-Chine effectué pendant les années 1866, 1867 et 1868 par une commission française dirigée par le capitaine de frégate Doudart de Lagrée et publié par les ordres du Ministère de la Marine sous la direction de M. le lieutenant de vaisseau Francis Garnier, publié en 1873, année où Francis Garnier fut tué près de Hanoï.

 

Dans la préface de cet ouvrage, ce dernier, qui était le numéro deux de la Commission d’exploration du Mékong, évoque la mémoire de Doudart de Lagrée en des termes fort élogieux : « C’est à la sagesse et à l’énergie de son chef, M. la capitaine de frégate Doudart de Lagrée, que la Commission française d’exploration a dû de réussir dans la tâche difficile qu’on lui avait confiée. Il a payé de sa vie la gloire de cette entreprise : elle lui appartient tout entière ».

Né le 31 mars 1823 à Saint-Vincent de Mercuze dans l’Isère, sorti de Polytechnique en 1845, Ernest Doudart de Lagrée fut nommé capitaine de frégate le 2 décembre 1864. C’est début 1866 qu’il accepta de prendre la direction de la Commission d’exploration du Mékong pour un voyage qui allait lui être fatal. Cette commission était composée, outre Ernest Doudart de Lagrée, de Francis Garnier, lieutenant de  vaisseau, Louis Delaporte, enseigne de vaisseau (qui se fera connaître plus tard par ses découvertes à Angkor), Eugène Joubert, médecin et géologue, Clovis Thorel, médecin et botaniste, Louis de Carné, attaché au Ministère des Affaires étrangères, de deux interprètes, le Français Séguin et le Cambodgien Alexis Om, du sergent d’infanterie de marine Charbonnier, secrétaire en chef de l’expédition, d’un soldat d’infanterie de marine, de deux matelots français, de deux matelots tagals, d’un sergent et de six miliciens annamites composant l’escorte.

 

L’expédition.

Le récit de cette expédition a été relaté entre 1871 et 1873 dans la revue Le Tour du Monde en plusieurs articles qui firent l’objet d’une compilation par Léon Garnier en 1885 sous le titre Voyage d’exploration en Indo-Chine effectué par une commission française présidée par le capitaine de frégate Doudart de Lagrée.

On y apprend qu’au moment de la mort de Doudart de Lagrée, Francis Garnier était parti du côté de Dali en quête des sources du Mékong et que c’est par un courrier du docteur Joubert qu’il apprit le décès de son chef. Le récit que fait Francis Garnier de la situation à laquelle il fut alors confronté en tant que nouveau chef de la Commission d’exploration du Mékong, suite au décès de son compagnon de route, nous apporte des éléments d’information fort intéressants :

« Le 2 avril, le courrier que j’avais expédié à Tong-tchoue revint à Mong-kou porteur d’une lettre de M. Joubert. Le docteur m’informait que M. de Lagrée avait succombé le 12 mars, à l’affection chronique du foie dont il souffrait depuis longtemps. M. Joubert lui avait fait élever un petit monument dans un jardin attenant à une pagode située en dehors et au sud-ouest de l’enceinte de la ville […]. Si la mort d’un chef justement respecté cause toujours une douloureuse impression, comment peindre les regrets que l’on éprouve lorsque ce chef a partagé avec vous deux années de dangers et de souffrances, allégeant pour vous les unes, bravant avec vous les autres, et que, dans cette intimité de chaque heure, au respect qu’il inspirait est venu s’ajouter un sentiment plus affectueux […] ! La situation précaire du pays, l’absence de tout missionnaire ou de tout chrétien pouvant veiller à l’entretien du tombeau ou le protéger contre une profanation, me faisaient craindre en effet qu’au bout de quelques années il n’en restât plus de vestiges […]. Je ne voulus pas courir les chances d’une violation de sépulture, fâcheuse pour le pavillon, douloureuse pour une si chère mémoire. Je résolus d’exhumer le corps et de le faire porter à Siu-tcheou fou […].

Le 5 avril la petite expédition assista en armes à l’exhumation du corps de son chef ; le tombeau élevé par les soins de M. Joubert fut transformé en cénotaphe et une inscription en français mentionna le triste événement dont ce monument devait conserver le souvenir. Le 7 avril, nous quittâmes Tong-chouen pour effectuer définitivement notre retour. Nous étions à bout de forces […]. Le 8 mai, le cercueil de M. de Lagrée arriva à Siu-tcheou fou et fut immédiatement placé dans l’une de nos jonques. Le lendemain, nous fîmes nos adieux aux dignes missionnaires de Siu-tcheou fou ; le P. Leguilcher, qui depuis plus de deux mois partageait nos fatigues, fut le dernier à se séparer de la Commission […]. Le 13 mai, nous débarquâmes à Tchong-kin fou […]. Pendant que les chrétiens de Tchong-kin s’occupaient de nous procurer une grande jonque, qui pût remplacer celles qui nous avaient amenés et nous conduire jusqu’à Han-keou, j’expédiai à Shang-hai par courrier spécial un rapport adressé au gouverneur de la Cochinchine, l’informant de la mort de M. de Lagrée, des principaux incidents qui avaient signalé notre voyage à Ta-ly et de notre prochain retour.

Le 19 juin, nous quittâmes Shanghai sur le paquebot des Messageries le Dupleix ; nous arrivâmes à Saigon le 29. M. le contre-amiral Ohier, gouverneur de la Cochinchine française, n’avait reçu que l’avant-veille le rapport dans lequel je lui annonçais la mort de M. de Lagrée. Cette perte fut vivement ressentie dans la colonie, où le souvenir des services et des éminentes qualités de cet officier vivait dans toutes les mémoires. Des honneurs extraordinaires furent rendus à son cercueil, qui fut inhumé dans le cimetière de Saigon. Un petit monument y rappelle aujourd’hui la mémoire de cet homme de bien, de ce vaillant soldat de la France. Si quelque chose peut consoler les siens, c’est la pensée qu’il est mort au champ d’honneur le plus enviable ; celui de la science et de la civilisation. »

En 1872, le père de Louis de Carné, autre membre de la commission d’exploration du Mékong décédé prématurément en 1871 des suites d’une maladie contractée au cours de l’expédition, publia le récit du voyage rédigé par son fils sous le titre Voyage en Indo-Chine et dans l’Empire chinois par Louis de Carné. Ce dernier faisait partie de la troupe qui avait suivi Francis Garnier dans son expédition vers Dali pendant que Doudart de Lagrée agonisait dans une pagode de Dongchuan. Sa description de l’arrivée des membres de la Commission d’exploration du Mékong à Dongchuan, après quelques semaines de repos à Yunnan-fou, nous donne des informations précises sur le cadre dans lequel Doudart de Lagrée vécut les derniers moments de son existence :

« Il faisait nuit close quand nous arrivâmes à Tong-Tchouan. Un mandarin nous attendait pour nous conduire dans une pagode élégante où les mille détails fantaisistes d’une ornementation surabondante étaient prodigués sur les portes, les plafonds, les colonnes. Des dragons, des monstres de toute espèce, ailés, ventrus, rampants, sortaient du bois profondément fouillé, mêlant leurs têtes dorées et leurs langues rouges aux guirlandes de fleurs et aux essaims d’oiseaux. Là encore nous recherchons, de préférence aux vastes pièces, les petits cabinets et les étroits réduits où l’air s’échauffe et où les curieux ne peuvent pénétrer. Nous établissons notre camp dans un grenier qui eut un escalier jadis, où l’on monte aujourd’hui par une échelle, et où, après voir fait coller du papier aux fenêtres, nous allons habiter pêle-mêle avec le vieux mobilier de la pagode, dieux ébauchés ou hors de service, ressource précieuse, car tout cela est sec, et le froid rend le feu nécessaire […].

M. de Lagrée était mort, le 12 mars 1868, d’une maladie de foie dont il souffrait depuis plus de soixante jours. Celui d’entre nous qui avait eu au plus haut degré l’amitié et la confiance de notre chef, le docteur Joubert, vint à notre rencontre. Miné lui-même par la fièvre et par le chagrin, il était encore sous l’impression des pénibles devoirs qu’il venait d’accomplir, l’autopsie et l’inhumation du cadavre […]. Quand nous avions voulu, dans une forêt du Laos, ouvrir la tombe d’Henri Mouhot pour y constater la présence de ses restes, on s’y était opposé comme un sacrilège. En Chine, il nous été possible au contraire d’exhumer le corps du commandant de Lagrée sans heurter les préjugés et sans contrevenir aux usages […].

A la place où celui-ci avait reposé quelques jours, dans le jardin d’une pagode, MM. Joubert et Delaporte ont élevé de leurs mains une pyramide en pierres qui rappellera aux Européens, lorsqu’ils visiteront ces lieux, le souvenir de l’un des plus longs voyages qui aient été faits en Asie, et le nom du Français mort avant de recueillir les fruits d’un succès qu’il avait assuré. Nous trouvons facilement un entrepreneur chinois qui se charge de transporter la bière jusqu’à Souitcheou-fou et nous quittons nous-mêmes Tong-Tchouan dans la journée du 7 avril 1868. »

En 1892, le Comité dauphinois pour l’érection d’un monument à la mémoire de Doudart de Lagrée à Grenoble publia un petit livret sous le titre :  Doudart de Lagrée : Opuscule sur sa vie et ses œuvres par le secrétaire du Comité dauphinois pour l’érection de sa statue. Dans l’introduction de cet ouvrage, l’auteur annonce sa volonté de présenter Doudart de Lagrée, « marin, diplomate, archéologue, explorateur ». Son récit relatant la fin du voyage pour Doudart de Lagrée, après quelques jours de repos dans la capitale du Yunnan, apporte quelques précisions intéressantes sur les circonstances de son décès et les évènements qui lui ont fait suite :

« Dix jours de marche séparaient la commission de Tong-Tchouen sur un affluent du Fleuve bleu, qu’elle atteignit le 18 janvier 1868. Mais cette marche de dix jours fut la plus cruelle. Il fallut traverser d’immenses steppes de 2000 mètres d’altitude, où le froid, la fatigue, les privations épuisèrent ce qui restait de force à ces martyrs du patriotisme. Après avoir fait, non sans peine, le 20 janvier, la visite d’usage au gouverneur du lieu et dicté le 28 ses instructions à Garnier qu’il envoyait faire une dernière excursion à Tali, à la recherche des sources du Mé-Kong, Doudart de Lagrée s’alita pour ne plus se relever. De Lagrée envisageait sa position avec calme. Le R. P. Fenouil, des Missions étrangères, qu’il avait vu en passant à Yun-Nan, avisé par le docteur Joubert, accourut en toute hâte. On crut à un rétablissement, c’était une illusion. Ce fut la dernière.

Quelques jours après, en effet, entouré du docteur Joubert, de son ordonnance Mouëllo et de quelques hommes de l’escorte, Doudart de Lagrée, sans faiblesse, en pleine connaissance de lui-même, rendit le dernier soupir en parlant avec amour de la tâche qu’il lui avait été donné d’accomplir, de la France, du beau Dauphiné qu’il ne devait plus revoir. Son cœur fut embaumé et renfermé par les soins du docteur Joubert dans une boite en fer blanc que le docteur fut obligé de confectionner lui-même, la superstition des ouvriers chinois leur interdisant d’y mettre la main. Il fut rapporté à la famille et déposé dans le caveau des Doudart de Lagrée à St-Vincent-de-Mercuze. Son corps descendit le Yang-Tse-Kiang avec ses compagnons de voyage et arriva à Saïgon, où je venais de débarquer moi-même depuis quelques mois, et où j’assistai à son inhumation qui se fit en grande pompe au frais du trésor colonial. »

Poursuivant notre voyage d’exploration littéraire avec le rapport publié en 1898 par la Chambre de Commerce de Lyon sous le titre La mission lyonnaise d’exploration commerciale en Chine 1895-1897, nous y constatons tout d’abord une erreur de date sur la gravure du cénotaphe de Doudart de Lagrée qui indique son décès le 1er mars au lieu du 12 mars 1868. Mais nous y trouvons aussi de nouvelles informations utiles pour notre enquête :

« Si la préfecture de Tong-chouan est relativement peu importante au point de vue commercial, elle a droit à notre souvenir à un autre titre. C’est dans ses murs qu’est mort le chef de l’exploration du Haut-Mé-kong, notre illustre devancier Doudart de Lagrée. Le samedi 18 janvier, nous allâmes faire un pieux pèlerinage à son mausolée. Il s’élève en dehors des murs de la ville, dans la cour intérieure de la pagode Kouang-ouang, à l’endroit où reposa son corps, avant que Francis Garnier et ses hardis compagnons pussent le transporter à Soui-fou et de là à Chang-hai par le Yang-tse. Deux pierres superposées servent de socle à une autre pierre rectangulaire portant une inscription […].

Un bonze nous prête un pinceau et de l’encre de chine avec lesquels nous repassons l’inscription un peu effacée par le temps. Après avoir photographié le monument, nous nous retirons vivement impressionnés et allons rendre visite au P. Maire, missionnaire ; il nous reçoit avec d’autant plus de cordialité que nous sommes les seuls Français qu’il ait vus depuis longtemps. »

Enfin, une douzaine d’années après la Mission lyonnaise, la revue « Le Tour du Monde » a publié entre 1908 et 1909 une série d’articles d’Emile Labarthe relatant son voyage en Chine sous le titre « Dans les provinces du fond de la Chine ». Dans la publication du 5 décembre 1908 qui couvre son trajet « De Yun-Nan-Sen à Tong-Tchouan-Fou », il évoque le souvenir de Doudart de Lagrée en des termes particulièrement émouvant et respectueux :

« Avant de quitter Tong-Tchouan, j’ai à accomplir un pèlerinage patriotique au monument de Doudart de Lagrée, mort dans une pagode voisine de la ville […]. La pagode où je me rends est une masure délabrée, sans aucun intérêt. Le monument de Doudart de Lagrée est derrière dans un petit enclos où les bonzes cultivent des légumes. C’est une pyramide en pierre très simple, qui repose sur un socle. Des inscriptions cachées sous la mousse indiquent les dates de la naissance et de la mort du grand explorateur français. C’est tout. Et en vérité, pouvais-je m’attendre à autre chose ? Le jeune bonze qui me conduit ne peut me donner aucun détail. Il n’y a plus qu’à partir. Tout à coup il m’arrête et me fait signe de le suivre. Nous montons quelques marches et nous arrivons dans une sorte de grenier ; il me montre une encoignure obscure où je distingue confusément un lit chinois composé de quelques planches et garni de bottes de paille… C’est là qu’il est mort !…

Je reste saisi de surprise et d’émotion. Sans doute le cadre n’a pas changé depuis trente-cinq ans de cela ! Des sacs de riz traînaient à terre comme aujourd’hui. Ces gros madriers, ces cuves, ces baquets, ces bancs de bois n’ont pas bougé de place. C’est autour de ces petites tables que les bonzes venaient fumer leur pipe d’opium durant son agonie. Et ces bêtes de cauchemar qui habitaient les ruines et les affreuses prisons : chauves-souris grandes comme des vampires, araignées monstrueuses, rats, lézards, corbeaux qui font entendre aux alentours leurs lugubres croassements, toute cette horrible vie animale était là sans doute quand l’un des plus nobles fils de France allait exhaler son âme de héros et de martyr !

Mes yeux ne peuvent se détacher du misérable grabat. Et dans ce lieu d’exil et d’épouvante, j’évoque maintenant la scène douloureuse. Emouvante vision que la plume ne peut rendre ! Il faudrait pour la faire apparaître dans sa tragique grandeur le pinceau d’un Rembrandt ou le ciseau d’un Michel-Ange. Et devant l’œuvre du génie qui fait revivre cette fin poignante et sublime du fondateur de notre Empire d’Extrême-Orient, le plus beau et le plus riche de l’Asie, devant cette sainte image, je voudrais voir s’incliner la foule, comme je le fais, dans ce temple bouddhique où j’accomplis, moi aussi un acte de piété et de religion : la Religion du Souvenir. »

Les citations qui précèdent nous montrent combien les contemporains de Doudart de Lagrée et nombre d’explorateurs qui lui ont succédé en Asie le portaient en estime et tenaient particulièrement à honorer sa mémoire. Mais elles nous apportent aussi des informations qui, une fois compilées et recoupées, devraient nous faire parvenir, au terme de notre voyage historique et littéraire, jusqu’au lieu de décès d’Ernest Doudart de Lagrée dans le Yunnan.

Dans le Voyage d’exploration en Indo-Chine publié sous la direction de Francis Garnier, il est mentionné que le capitaine de frégate Ernest Doudart de Lagrée est mort dans une pagode appartenant à la corporation des mineurs, située en dehors et au sud-ouest de l’enceinte de la ville de Dongchuan, appelée « Kong ouan miao ». Si l’on actualise cette transcription en pinyin, on peut l’écrire « Gong Wang Miao », ce qui n’a pas de sens évident au premier abord. Mais si l’on prend en compte le fait que cette pagode appartient à la corporation des mineurs, et qu’elle est qualifiée de « pagode Kouang-ouang » dans le récit de La mission lyonnaise d’exploration commerciale en Chine 1895-1897, on aboutit à la transcription en pinyin « Kuang Wang Miao » (矿王庙), qui signifie pagode du dieu de la mine.

A la recherche du cénotaphe d'Ernest Doudart de Lagrée - 1/2.

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #La Coloniale

Publié le 4 Mars 2018

La bataille de Verdun, vue par le Kronprinz.

Verdun. Un bilan.

 

Verdun fut une bataille de position, avec des pertes considérables pour un territoire conquis nul. Après 10 mois d’atroce souffrance pour les deux camps, la bataille coûta aux Français 378.000 hommes (62.000 tués, plus de 101.000 disparus et plus de 251.000 blessés, souvent invalides) et aux Allemands 337.000.

 

53 millions d’obus furent tirés dont près d’un quart n’explosèrent pas. Le 21 février 1916, les Allemands tirèrent près de 2 millions d’obus. Ce chiffre rapporté aux dimensions du champ de bataille, donne 6 obus par mètre carré ! Ainsi, la célèbre Cote 304, dont le nom vient de son altitude, ne fait plus que 297 mètres de hauteur après la bataille et le Mort-Homme a perdu 10 mètres !

 

Du fait du résultat militaire nul, cette bataille ramenée à l’échelle du conflit n’eut pas de conséquences fondamentales. Considérée par certains comme un symbole de futilité, la construction mythologique française d’après-guerre, à travers les cérémonies officielles, les défilés militaires, l’historiographie ou la littérature en a fait l’incarnation du sacrifice consenti pour la victoire.

 

Le Kronprinz.

 

Guillaume de Hohenzollern, en allemand Wilhem von Hoenzollern, est né à potsdam le 6 mai 1882 et est mort à Hechingen le 20 juillet 1951. Il fut le dernier Kronprinz, prince héritier royal prussien et impérial allemand.

 

Fils de l’empereur Guillaume II et de la princesse Augusta-Victoria de Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Augustenbourg, Guillaume épouse le 6 juin 1905 à Berlin, Cécilie de Mecklembourg-Schwerin (1886-1954), fille du grand-duc Frédéric-François III de Mecklembourg-Schwerin et d’Anastasia Mikhaïlovna de Russie.

 

Pendant la bataille de Verdun, il était à la tête de la Ve armée allemande, justement placée sur ce secteur.

 

La bataille de Verdun, décrite par le Kronprinz.

 

Le texte original du Kronprinz est assez long et détaille par le menu la bataille de Verdun. Précis, sobre en précisions stratégiques, c’est aussi un recueil de considérations générales sur la guerre. Il a été publié par le journal L’Illustration le 22 décembre 1928. Voici la conclusion de ce texte.

 

 

« Verdun a-t-il été le tournant décisif de la guerre ? Je réponds : non !

 

Verdun nous a coûté cher, très cher. Je ne parle pas seulement ici de nos pertes en hommes ou en matériel. Il y en eut d’autres non moins irréparables. Une gigantesque entreprise sur laquelle nous comptions terminer victorieusement la guerre fut réduite à néant malgré notre extrême ténacité et un emploi des forces pour ainsi dire illimité. Davantage : l’offensive contre Verdun eut pour résultat d’ôter pour bien longtemps à l’armée allemande, de la façon la plus dangereuse, sa puissance offensive. Elle épuisa nos effectifs sans possibilité de combler leurs vides. Chaque division qui avait combattu dans l’enfer de Verdun se trouva si lourdement éprouvée qu’un répit considérable lui devenait nécessaire avant de pouvoir être engagée de nouveau.

 

Malgré cela, Verdun n’a pas été le tournant décisif de la guerre. Les Alliés se trompent en le considérant comme tel. Si l’on compare le tracé de nos fronts sur le théâtre occidental et sur le théâtre oriental, au commencement et à la fin de l’année 1916, on se rend compte qu’il ne s’était pas sensiblement modifié, en dépit de l’offensive du Broussilof, en dépit de Verdun, en dépit de la bataille de la Somme. Tout en soutenant la bataille sur tous ces fronts, nous avions défait la Roumanie.

 

Bien que Verdun nous ait beaucoup coûté, il nous a aussi rapporté. Après tout, la victoire n’est pas le facteur essentiel de l’histoire, mais l’héroïsme de l’homme qui se laisse briser plutôt que de plier. C’est pour la gloire des héros qui ont combattu à Verdun, pénétrés de cet esprit, que j’ai fait mon récit. C’était à mes yeux un devoir envers ma patrie et envers les combattants de l’Allemagne. Il se peut que je me sois laissé aller à des digressions sur le caractère général de la guerre. Ce que j’ai dit à ce sujet sera peut-être approuvé par quelques-uns de mes lecteurs et déplaira à d’autres.

 

Mais les plus scrupuleux remettront sans doute à plus tard leur jugement définitif. Je ne serai plus là pour le connaître ou je n’en connaîtrais qu’une partie. Néanmoins, je suis convaincu qu’il existe entre tous ceux qui ont combattu héroïquement une sorte de communion universelle qui les anime d’un même esprit de camaraderie fraternelle, même lorsqu’ils ont été opposés face à face sur les champs de bataille.

 

C’est pour eux que j’ai écrit ce récit de la bataille de Verdun. »

 

KRONPRINZ GUILLAUME.

 

 

 

 

 

Sources :

 

  • Encyclopédie Wikipédia.
  • Encyclopédie Larousse.
  • Extraits de la revue l’Illustration.

 

 

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