Publié le 31 Janvier 2024

Le Fezzan de l'adjudant Saubadine.

Philippe Saubadine a vécu avec sa famille à Ouargla en Algérie dans les années 1950. Sa mère était receveuse de La Poste et son père était adjudant au sein de la Compagnie saharienne portée des Oasis. En lisant les articles de ce site sur la Coloniale et les compagnies méharistes, M. Saubadine nous a donné l’autorisation de reproduire une partie de ses souvenirs et des aventures de son père (disparu en 2015), justement au temps de ces compagnies. Il a également rassemblé ses souvenirs dans un livre intitulé Il m’a été donné d’aller à Corinthe, publié aux Editions Vérone et publié de nombreux documents sur un site de Blogspot épisode 1 : exorde (rlpps.blogspot.com) 

Voici, avec son autorisation, des extraits de l’épisode relatif aux campagnes sahariennes.

 

Des sud-ouest de la métropole au désert du Sahara.

Jean Saubadine est engagé volontaire à l’âge de 19 ans, dans le corps franc Pommiès. Ce groupe de combattants est fondé en novembre 1942 par André Pommiès et opère partout dans le sud-ouest de la France. Relevant du BCRA (Bureau Central de Renseignements et d’actions – créé par le général de Gaulle en 1940), cette unité participe à la libération du territoire national, entre autres à la bataille d’Autun le 9 septembre 1944, puis à la libération des Vosges et de l’Alsace. A la fin de la guerre, le corps franc compte plus de 9.000 hommes dans ses rangs.

Ayant intégré le 49e régiment d’infanterie, Jean Saubadine est de tous les combats. Mais après la prise de Stuttgart et la victoire des Alliés en mai 1945, il est muté à Strasbourg dans des bureaux, ce qui ne lui convient pas vraiment. Aussi, lorsqu’il lui est proposé d’intégrer les Compagnies méharistes au Sahara algérien, il répond de suite par l’affirmative et débarque à Ouargla en 1948.

 

Les Compagnies méharistes.

Philippe Saubadine : « Ces compagnies sont remaniées en 1947. Les véhicules militaires tout terrain remplacent les dromadaires. Leur rayon d’action est immense : il couvre le grand erg oriental : plateau du Tinhert (In Amenas), région du Tidikelt (In Salah) -, l'Immidir (Arak), le Hoggar (Tamanrasset) et le Tassili des Ajjers (Djanet). Avec une distance est-ouest de 600 km et une distance nord-sud de 200 km, la superficie est de 120 000 km2.

En dépit de cette transformation, mon père et son peloton mènent, de 1946 à 1959, de longues traversées uniquement à dos de méhari. Les missions peuvent durer de trois à six mois, six pour les zones les plus éloignées ou difficiles d'accès. Il s'agit d'opérations de surveillance et de protection, de repérage, de poursuite et de démantèlement de partis rezzous, ainsi que de relevés topographiques et de migration de populations. Nous ne savons jamais où mon père se trouve, les facteurs de surprise et de désinformation étant primordiaux dans ce type de mission.

La reconnaissance se fait à un rythme aléatoire de kilomètres parcourus. Il faut tenir compte des tempêtes de sable dont la durée semble respecter la théorie du 3-6-9 (elle s'arrête au bout de trois jours, sinon de six, enfin de neuf) ; des points d'eau et de la potabilité à moins que le puits n'ait été volontairement empoisonné ; des renseignements fournis par les caravaniers.

Ces actions dérangent fortement les bandes armées dont la principale activité consiste à piller les fermes isolées, les campements nomades et les caravanes, prolongeant en cela les ancestrales razzias arabo-musulmanes envers les populations noires destinées à être soumises à l'esclavage. D'où une hostilité contre les français sciemment entretenue par la rébellion.

Un peloton de méharistes est composé de soixante-dix indigènes commandés par un officier ou un sous-officier français. Lors des bivouacs, mon père s'en remet à son ordonnance Kâadadah, un Châamba. Au début de la colonisation de l'Algérie, les Châamba représentaient la tribu la plus importante du Sahara répartie sur les territoires de Ghardaïa, El Goléa, Ouargla. Ils luttèrent farouchement contre l'armée de Bugeaud, à la fois par réflexe guerrier et parce que l'ingérence des Français menaçait leur prolifique commerce d'esclaves. C'est Laperrine qui parviendra à les intégrer dans les unités sahariennes. L'apport de leur connaissance parfaite du désert et de l'art du déplacement, ainsi que leur haine des Touareg, en feront des combattants de premier ordre. Il faudra néanmoins plusieurs années pour qu'ils se plient à la discipline et cessent de rentrer dans leur tribu chaque fois qu'ils estimaient avoir gagné suffisamment de solde. »

 

Le Fezzan.

Ph S : « Cette région, qui compose avec la Cyrénaïque et la Tripolitaine le territoire libyen, est soustraite à l'Empire italien par les Français en 1942. Depuis Brazzaville, De Gaulle enjoint Leclerc, alors commandant les troupes de l'Afrique française libre, de faire la jonction avec la 8e armée britannique qui avance en Cyrénaïque pour contrer l'offensive de Rommel contre le canal de Suez. Mais, toujours méfiant envers nos alliés, De Gaulle lui intime l'ordre de les écarter de toute velléité d'appropriation du Fezzan : "Le Fezzan doit être la part de la France dans la bataille d'Afrique. C'est le lien géographique entre le sud-tunisien et le Tchad."

La colonne Leclerc enlève Sebha, la capitale régionale, puis Mourzouk. L'accord signé au mois de janvier 1942 attribue l'administration du Fezzan à la France tandis que l'administration anglaise est établie sur la Tripolitaine et la Cyrénaïque.

L’adjudant passe son temps, entre novembre 1949 et octobre 1950 à ratisser la région entre Sebbah et Mourzouk. Il est tellement pris par les missions qu’il est obligé de reporter son mariage de plusieurs mois ! »

 

Région de Tidikelt.

Ph S : « Après avoir couvert quelques temps la région du Tassili n’Ajjer, l’adjudant Saubadine est chargé de se rendre dans celle de Tidikelt. Au cœur du Sahara, c'est la région la plus chaude du pays. Elle est dominée par le haut plateau du Tademaït où les nombreux oueds s'étendent à ses pieds, alimentés par une providentielle nappe phréatique.

A In-Salah, on entre dans la wilaya de Tamanrasset. La température y est caniculaire pendant pratiquement dix mois de l'année, les deux mois d'hiver pouvant passer sans aucune pluie. Et la distance parcourue à dos de dromadaire depuis Ouargla est d'environ mille quatre cents kilomètres.

La colonne méhariste rejoint la route impériale numéro 3 et franchit les gorges d'Arak pour se diriger vers In Amguel. Cette piste relie Alger au pays touareg par In-Salah et Tamanrasset. Puis c'est la traversée du Hoggar en contournant le massif du Tahat pour fondre sur l'oasis d'Abalessa. Fondre n'est pas le mot exact sachant qu'un méhari peut parcourir 40 km par jour en allure modérée et 60 en allure forcée. Les 80 km sont tranquillement couverts en deux journées avec un bivouac intermédiaire.

Sur cette période, de 1948 à 1959, les expéditions ne sont pas linéaires et les allées-venues depuis Ouargla empruntent des pistes variées en fonction des missions et des engagements ou poursuites sur le terrain. »

 

Tamanrasset.

Ph S : « Le peloton Saubadine se rend également à Tamanrasset.

Lieu chargé d'histoire, Tamanrasset a été la demeure religieuse et méditative du Père de Foucauld. Sa rencontre en Algérie (il servait dans le 4e Chasseur d'Afrique) avec Laperrine a profondément modifié sa façon de se comporter et a constitué le prologue à son engagement spirituel. Il sera reconnu comme le grand spécialiste de la culture et de la langue touarègues.

Il vit sur le territoire de ce peuple, lui l'ascète qui est proche de la notion de pénitence – tetubt – que lui reconnaissent les touareg. En 1905, le père de Foucauld construit sur le plateau de l'Assekrem la "Frégate", bâtiment en pierre qui abrite la sacristie et l'église à surfaces égales.

Quelque onze ans plus tard, il sent que l'environnement peut basculer dans l'hostilité, notamment à cause de raids senoussistes contre les non musulmans. Il fait bâtir son bordj civil et s'y installe en juin 1916. Il y sera assassiné six mois plus tard alors qu'il avait été fait prisonnier par ces bandes fanatiques qu'il redoutait.

Le peloton descendra ensuite sur In Guezzam, un fortin situé à la frontière avec le Niger.

Cependant, la Compagnie saharienne portée des Oasis intervient également dans la région de Biskra, au pied des Aurès, où sévissent les sections armées de l'ALN. Avec sa troupe, mon père débusque l'ennemi à Zeribet Ahmed, Darmoune et Zerinet El Oued, et met la main sur des caches d'armes. Cela lui vaut une citation à l'ordre de la division. »

 

Mission à Soukiès.

Ph S : « Au plus fort de la guerre d’Algérie, les combattants de l'Armée de Libération nationale (ALN) établissent des bases arrière en Tunisie d'où ils mènent des actions agressives de plus en plus fréquentes. Nos soldats ne peuvent pas les poursuivre au-delà de la frontière car, même s'il existe des accords de coopération militaire entre la France et la Tunisie, cette dernière exerce une solidarité maghrébine que son indépendance nouvellement acquise ne peut refuser aux frères algériens.

A l'instar de la ligne Pédron côté marocain, André Morice, alors ministre de la défense du gouvernement Bourgès-Maunoury, décide de construire un barrage électrifié afin de protéger les voies de circulation (route et voie ferrée) de Bône à Souk-Ahras ; barrage qui sera dénommé ligne Morice.

Printemps 1958, le peloton Royer prend ses quartiers à Négrine, le peloton Rozot à Ferkane et le peloton Saubadine à Soukiès. Soukiès est aux avant-postes et les fellaghas multiplient les infiltrations et les mouvements de fournitures d'armes. Les affrontements sont rudes et sanglants. La bataille des frontières étant la plus grande qui ait mis aux prises l'armée française et l'ALN. In fine, l'efficacité de la ligne sera maximum et l'ALN va alors subir de lourdes pertes en vies humaines, en prisonniers et en armement ».

 

 

 

Sources :

  • Site internet : https://rlpps.blogspot.com/2018/03/episode-4-les-campagnes-sahariennes-de.html et https://rlpps.blogspot.com/ 
  • Philippe Saubadine, Il m’a été donné d’aller à Corinthe, Editions Vérone.
  • Crédit photograhiques : Philippe Saubadine – archives familiales.
  • Encyclopédie Wikipedia.
  • Archives du Souvenir Français d’Issy-les-Moulineaux.
  • Capitaine Pierre Montagnon : La guerre d'Algérie : genèse et engrenage d'une tragédie. (Edition française), 2004 ; 2005. Les Parachutistes de la Légion (1948-1962) ; 2006. Légionnaires d'hier et d'aujourd'hui.
Le Fezzan de l'adjudant Saubadine.
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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #La Coloniale

Publié le 14 Janvier 2024

Geneviève de Galard.

C’était en 2008. La première conférence à laquelle j’assistais en tant que président du Souvenir Français à Issy-les-Moulineaux. André Santini avait organisé la venue de sa tante, le général Valérie André, Geneviève de Galard et son époux, à l’occasion d’une conférence intitulée Le soldat de l’Indochine, par Michel Bodin, historien.

L’occasion de saluer et de discuter avec l’Ange de Dien Bien Phù !

Geneviève de Galard Terraube est née le 13 avril 1925 à Paris. En 1939, la famille quitte la capitale pour se réfugier à Toulouse, non loin du fief familial situé dans le nord du département du Gers, dans le petit village de Terraube. En 1950, Geneviève obtient le diplôme d’infirmière, tout en suivant des handicapés dans un hôpital, dans le cadre d’activités associatives. Deux années plus tard, elle réussit le concours de convoyeuse au sein de l’Armée de l’Air et IPSA (Infirmière Pilote Secouristes de l’Air).

A sa demande, Geneviève de Galard est engagée en Indochine. Elle a 28 ans et se retrouve au cœur de la guerre contre le Vietminh. Elle est basée à Hanoï. A partir du mois de janvier 1954, elle participe aux évacuations de la bataille de Dien Bien Phù. Le 28 mars, son avion est endommagé après un atterrissage en catastrophe sur la piste du champ de bataille. Le lendemain, alors que l’appareil a dû être abandonné pour la nuit, celui-ci est détruit par l’artillerie ennemie. Alors, Geneviève de Galard se porte volontaire pour servir comme infirmière dans l’hôpital de campagne dirigé par le médecin-commandant Paul Grauwin. La jeune femme improvise un uniforme à base de bleus de travail camouflés et fait de son mieux pour aider le médecin, soigner, consoler les blessés et les mourants. Elle fait l’unanimité auprès des soldats, et aujourd’hui encore, les survivants parlent de leur infirmière avec un grand respect.

Le 29 avril 1954, le général de Castries remet les insignes de chevalier de la Légion d’honneur à Geneviève de Galard : « A suscité l’admiration de tous par son courage tranquille et son dévouement souriant. D’une compétence professionnelle hors pair et d’un moral à toute épreuve, elle fut une auxiliaire précieuse pour les chirurgiens et contribua à sauver de nombreuses vies humaines. Restera pour les combattants de Dien Bien Phu, la plus pure incarnation des vertus héroïques de l’infirmière française. ». Le lendemain, la Légion étrangère en fait une légionnaire de 1ère classe honoraire.

Le Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient cesse les combats le 7 mai 1954. Geneviève de Galard est prisonnière des soldats communistes, comme tous les combattants français. Les supplétifs vietnamiens de l’armée française sont fusillés pour la plupart. Le 24 mai suivant, Geneviève est libérée, alors qu’elle souhaite continuer son travail auprès des blessés.

Accueillie comme une héroïne à l’aéroport d’Orly, elle fait la une des journaux puis est invitée aux Etats-Unis où elle est reçue par le président américain Eisenhower. Elle rentre en France, épouse le capitaine Jean de Heaulme – ils auront trois enfants – et reprend son travail d’infirmière, auprès des grands blessés des Invalides.

Un temps engagée en politique – elle est élue dans le 17e arrondissement de Paris – elle consacre une part importante de sa vie au devoir de mémoire et aux associations d’anciens d’Indochine.

Le 13 avril prochain, Geneviève de Galard aura 99 ans. Elle est Grand-croix de la Légion d’honneur, Grande officière de l’Ordre national du Mérite, croix de guerre des Théâtres d’opérations extérieurs, médaillée de l’Aéronautique, médaille d’honneur de la Croix-Rouge française et est titulaire de la Médaille américaine de la Liberté.

 

 

Sources :

  • Archives du Souvenir Français d’Issy-les-Moulineaux.
  • Encyclopédie Wikipédia.
  • Regard sur l’Indochine, Gallimard, 2015.
  • Mémorial Indochine, Ministère de la Défense, 2014.
  • UNC Infos n°104.
  • Médecin-commandant Grauwin, J’étais médecin à Dien Bien Phù, France-Empire, 1954.
  • Geneviève de Galard et Béatrice Bazil, Une femme à Dien Bien Phù, Editions Les Arènes, 2003.

 

PS : les photographies ci-après représentent André Santini en discussion avec les « protagonistes » de la conférence, Geneviève de Galard bien entourée, général Valérie André.

Geneviève de Galard.
Geneviève de Galard.
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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #Indochine