Publié le 18 Février 2017

N'oubliez pas Bir-Hakeim.

André Salvat s’est éteint cette semaine. Il avait 96 ans. Il a été enterré à Perpignan, ville où il s’était retiré il y a quelques dizaines d’années. Il était l’un des 13 derniers Compagnons de la Libération. Et il était l’unique survivant de la bataille de Bir-Hakeim.

Il y a quelques années, j’avais rencontré Pierre Messmer. Il m’avait dit, me fixant de ses yeux d’un bleu acier : « Tout de même à Bir-Hakeim, on avait été sacrément gonflé ! ».

 

Enfance.

André Salvat est né le 16 mai 1920 à Prades, dans les Pyrénées-Orientales. Son père, grand mutilé de la Première Guerre mondiale, et sa mère, tiennent un petit commerce d’épicerie à Perpignan. Enfant de troupe dans une Ecole militaire préparatoire, André Salvat s’engage naturellement dans l’armée, en mai 1938, dès sa sortie de l’Ecole.

En juillet 1939, il est affecté au 24e régiment d’infanterie coloniale (RIC) à Tripoli, au Liban, alors sous mandat français.

 

La Seconde Guerre mondiale.

Le 27 juin 1940, dès que le général Mittelhauser dépose les armes en Syrie – aussi sous mandat français – André Salvat refuse l’armistice et passe en Palestine avec le capitaine Folliot, à l’aide de faux ordres de mission.

Rassemblée au camp de Moascar en Egypte, la Compagnie Folliot, équipée et armée par les Anglais, est rejointe par les 350 hommes du 3e bataillon du 24e RIC, emmenés par le capitaine Lorotte, en provenance de Chypre. Ils forment ensemble le 1er bataillon d’infanterie de Marine (1er BIM) dont la Compagnie Folliot devient la 1e Compagnie.

Cette compagnie participe à la première campagne de Libye contre les Italiens et est la toute première unité Free French (Français Libres) à reprendre le combat en septembre 1940. André Salvat, affecté à la Compagnie Folliot en qualité de sergent, participe aux batailles de cette campagne : Sidi-Barrani, Sollum, Bardia, Tobrouk, Benghazi, El Agueila. Au cours de celle-ci, sa section, sous les ordres du lieutenant Barberot, fera plusieurs centaines de prisonniers. Après la prise de Bardia, André Salvat sera décoré parmi les premiers, de la Croix de la Libération.

Il prend part ensuite, toujours avec le 1er BIM, à la campagne de Syrie en juin 1941, avant de suivre les cours d’élève aspirant à Damas, en septembre 1941. Nommé aspirant, André Salvat est affecté au bataillon du Pacifique (BP 1) dès sa sortie du camp Colonna d’Ornano.

En 1942, il prend part, comme chef de section, à la seconde campagne de Libye et à la bataille de Bir-Hakeim. Toujours volontaire pour des missions dangereuses, il est blessé par des éclats de balles au  cours de la sortie de vive force de la position le 11 juin 1942.

 

Bir-Hakeim : un exploit.

Rappelons-nous ce qu’était Bir-Hakeim. Il s’agissait du nom d’un point d’eau désaffecté au milieu du désert de Libye, au sud de Tobrouk. La bataille proprement dire se déroula du 26 mai au 11 juin 1942, durant ce que les historiens appelèrent la « guerre du désert ».

Face à la Première brigade française libre (future 1e division française libre) du général Marie-Pierre Koenig – forte de 3.700 hommes – il y avait des Italiens et surtout les 37.000 hommes du « Renard du désert » : Erwin Rommel !

Les Français et alliés s’étaient retranchés dans ce point d’eau. La 1e brigade française libre était alors divisée en deux groupements : le premier dirigé par le lieutenant-colonel Amilakvari (qui allait trouver la mort à El-Alamein quelques semaines plus tard) et le second par le lieutenant-colonel de Roux.

Au sein de ces deux groupements, il y avait des soldats français mais aussi des volontaires des colonies françaises d’Afrique du Nord, des Calédoniens, des Polynésiens, des républicains espagnols – des professionnels de la guérilla – et des soldats d’autres nations encore. Quant aux armes, il y avait aussi bien des artilleurs, des coloniaux, des légionnaires (dont Jean Simon – futur général – et Pierre Messmer – futur Premier ministre de la France), en fait tous celles et ceux qui s’étaient portés volontaires. « Celles » car quelques infirmières étaient présentes, et elles ne furent pas les moins courageuses, telle cette infirmière – amie proche du général Koenig – qui conduisit la jeep à toute vitesse qui allait traverser les lignes allemandes, emmenant à son bord le général !

Pendant seize jours, les forces françaises tinrent le coup face aux hordes allemandes. Rommel, qui avait commencé par envoyer les Italiens (la Libye était colonie italienne) puis par négliger cette résistance, finit par être piqué au vif de voir ses chars (il en perdit ainsi près de 70 !) détruits par des Français, habillés et équipés comme des gueux, mais d’un courage inimaginable.

Rommel fit manœuvrer l’Afrika Korps en direction de Bir-Hakeim, afin de réduire en poussière ces soldats qui avaient osé les défier. La résistance était alors vaine. Une sortie fut décidée. Des dizaines de Français se sacrifièrent lors de celle-ci. Au total, la brigade française libre perdit 140 hommes et eut 229 blessés et 841 prisonniers. Mais les Allemands perdirent plus de 3.300 soldats. Et surtout, l’affaire de Bir-Hakeim permit aux troupes Anglaises d’avoir tout le temps de se préparer à recevoir les Allemands à El Alamein. La victoire britannique fut totale et ainsi commença le repli des armées du Reich, repli qui allait se concrétiser avec la défaite de Stalingrad quelques mois plus tard.

Bir-Hakeim fut la première contribution militaire d’importance des Forces Française Libres. Elle fut pour beaucoup dans la reconnaissance politique par les Alliés du Comité national de la France Combattante.

Dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle relata ainsi sa réaction lorsqu’il apprit l’exploit de Koenig et de sa brigade : « Je remercie le messager, le congédie, ferme la porte. Je suis seul. Oh ! cœur battant d’émotion, sanglots d’orgueil, larmes de joie ! »

 

La Libération de la France.

Promu sous-lieutenant fin juin 1942, André Salvat est ensuite affecté au bataillon d’infanterie de marine et du Pacifique (BIMP) tout juste créé par la fusion du BP 1 et du 1er BIM, durement éprouvés à Bir-Hakeim. Il combat ensuite à El Alamein en octobre 1942.

Promu lieutenant en décembre 1943, il combat en Italie et se distingue dans les combats autour de Girofani, les 11 et 12 mai 1944, en menant ses hommes à l’assaut. Il est blessé une seconde fois par balle, le 16 mai à San Giorgio, mais refuse de se faire évacuer avant d’avoir totalement rempli sa mission. Il est cité à l’ordre de l’Armée.

Le 17 août 1944, il débarque en Provence et se fait de nouveau remarquer par sa bravoure. Il s’empare, dans la nuit du 21 au 22 août, de la cote 156 à Hyères et résiste avec sa section à six contre-attaques ennemies. Il est encore une fois blessé par balle lors des combats pour la prise de Toulon, le 25 août 1944.

Evacué vers l’Italie, il retrouve son unité deux mois plus tard dans les Vosges, participe à la campagne d’Alsace et termine la guerre dans le massif de l’Authion, dans le sud des Alpes, en avril 1945.

 

En Indo puis en Algérie.

Après la fin des hostilités, il poursuit sa carrière militaire. En 1945, il est instructeur à Coëtquidan avant de servir pendant plusieurs années au Maroc, au Sénégal et au Congo Brazzaville. En octobre 1953 le capitaine Salvat débarque à Saigon et prend part aux opérations en Indochine. Deux fois cité, il est blessé une quatrième fois en juin 1954 en Centre Vietnam ; fait prisonnier, il reste interné trois mois.

Il est ensuite aide de camp du général Delange, adjoint au commandant de la 10e région militaire en Algérie, avant de prendre, en 1957, le commandement du 2e bataillon du 9e RIC en Kabylie pendant un an.

Après un séjour outremer, il sert en Allemagne, de 1962 à 1966, à Baden-Baden puis à Berlin. Affecté ensuite commandant en second au 1er RIMa à Grandville jusqu’en 1967 avant d’être désigné comme attaché de défense à Kinshasa (Zaïre) jusqu’en 1971. Il est détaché à Toulon jusqu’en 1973 comme officier de liaison de l’armée de terre (OLAT) auprès de l’amiral commandant en chef en Méditerranée.

En avril 1973, le colonel André Salvat fait valoir ses droits à la retraite et se retire à Perpignan. Il est décédé le 9 février 2017 et est enterré avec les honneurs militaires. Il n’a jamais voulu parler de Bir-Hakeim.

 

Décorations.

 

  • Grand Officier de la Légion d'Honneur
  • Compagnon de la Libération - décret du 7 mars 1941
  • Croix de Guerre 39/45 (3 citations)
  • Croix de Guerre des TOE (2 citations)
  • Croix de la Valeur Militaire (1 citation)
  • Médaille Coloniale avec agrafes "Libye 42", "Bir-Hakeim", "E-O"
  • Médaille Commémorative du Levant
  • Médaille Commémorative de la Campagne d'Italie
  • Médaille Commémorative de la Campagne d'Indochine
  • Médaille Commémorative des Opérations de Sécurité et du Maintien de l'Ordre en AFN
  • Croix de la Vaillance Vietnamienne
  • Croix Militaire de 1ère classe (Zaïre)

 

Alors, la prochaine fois que vous prenez le métro à Paris, et que vous passez à la station Bir-Hakeim, pensez à André Salvat, à tous ses compagnons qui sont morts pour la France, loin, très loin, au fond du désert libyen.

 

 

Sources :

 

  • Encyclopédie Wikipedia.
  • Site Internet des Compagnons de la Libération.
  • France Inter – Chronique de patrick Cohen.
  • Journal Le Monde.
  • Journal La Croix.
N'oubliez pas Bir-Hakeim.

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