la coloniale

Publié le 13 Juin 2015

Les Compagnies méharistes sahariennes.

 

Le plus célèbre des Sahariens n’est pas un héros de l’Histoire de France ou un militaire ayant œuvré pour notre pays au plus profond du plus célèbre des déserts. Il s’agit d’un héros de roman : le capitaine Charles Saganne, interprété par l’acteur Gérard Depardieu dans le film d’Alain Corneau « Fort Saganne » (sur la base du roman de Louis Gardel), tourné en 1983 dans l’ouest de la Mauritanie, non de la passe d’Amogjar, au cœur de paysages d’une beauté incroyable.

 

A ce propos, il convient de rappeler que cette passe se trouve dans la région de l’Adrar (qui possède un cimetière militaire de soldats français) dont la capitale régionale est Chingetti, célèbre pour ses bibliothèques coraniques datant du 10e siècle, et loin d’être à l’abri de bandes terroristes fidèles à Al-Qaïda au Maghreb Islamique, actuellement combattues par l’armée française.

 

Mais la présence française au Sahara ne date pas de quelques mois. Elle a commencé à la fin du 19e siècle et a nécessité l’emploi d’unités bien spéciales…

 

Le commandant Laperrine.

 

A la fin du 19e siècle, Marie Joseph François Henry Laperrine d’Hautpoul, jeune saint-cyrien et vaillant capitaine de cavalerie au 2e dragons, s’ennuie ferme dans son cantonnement de métropole. Il lui faut de l’aventure. Ce sera l’Afrique ! Arrivé au Sahara, il est conscient, comme bon nombre de soldats connaisseurs de la région, que guerroyer dans cet espace difficile nécessite d’employer des moyens adaptés. « S’il faut lutter contre des nomades, alors utilisons les moyens des nomades et les nomades eux-mêmes ». En fait, depuis l’invasion de l’Algérie par la France, en 1830, l’armée ne sait pas vraiment comment agir : utiliser des soldats de métropole ? Ils connaissent mal le terrain et ne sont pas habitués aux conditions environnementales. Utiliser des dromadaires ? De nombreuses tentatives ont été faites au cours des cinquante dernières années, mais elles se sont souvent soldées par des échecs : difficultés à trouver des soldats acceptant de grimper sur ces animaux ; inadaptation des fantassins (comment faire des dizaines de kilomètres par jour sous un soleil incandescent ?) ; les expéditions nécessitent des convois toujours plus importants et à l’arrivée moins de 50 % des animaux, des hommes et des matériels arrivent dans un état correct…

 

Dans un article écrit en 1972 pour le magazine Historia, le colonel Jouin rappelle la genèse des compagnies méharistes par le commandant Laperrine : « En 1897, après un séjour en métropole, il retourna au Sahara qu’il ne devait plus quitter. Cette longue expérience lui permit de mettre au point l’organisation de compagnies méharistes en se basant sur le fait que, pour lutter contre des nomades, il faut employer des nomades. Mais pour avoir bien en main ces auxiliaires jugés incapables de se plier à une discipline militaire, il fallait respecter leur cadre traditionnel et leurs coutumes parfois anarchiques. Pour ces raisons, Laperrine voulait que les futures compagnies sahariennes devinssent de véritables tribus nomades, astreintes à un minimum de service et placées sous l’autorité paternelle mais ferme d’officiers des affaires indigènes et de gradés français volontaires, capables de mener la vie rude et sobre de leurs hommes. De plus, chaque formation devrait avoir une organisation intérieure correspondant à sa mission et à la région dans laquelle elle était destinée à opérer. Cette souplesse de conception administrative devait être difficilement admise par l’état-major de l’armée et les services financiers du ministère. Un fait d’armes, resté célèbre dans l’histoire du Sahara, allait, le 7 mai 1902, donner définitivement raison à ceux qui assuraient que la pacification du désert ne pouvait être poursuivie qu’avec des troupes spéciales. Il s’agit du combat de Tit au cours duquel le goum du lieutenant Cottenest, formé à l’aide de nomades du Tidikelt récemment soumis et d’une cinquantaine de Chaambas, mit en déroute un « rezzou » de 300 Touareg. Les compagnies nomades, étrange armée des dunes, encadrée par des officiers « inspirés ».

 

En 1902, Laperrine d’Hautpoul peut être fier de lui. Nommé commandant des oasis, il peut se targuer d’avoir commencé une épopée que la France allait poursuivre pendant plus de 60 ans. Et il fait découvrir le sud algérien à l’un de ses camarades de Saint-Cyr, dont l’ermitage dans le Hoggar allait demeurer célèbre : Charles de Foucauld.

 

Organisation des unités.

 

Préexistantes dès 1897, les unités sahariennes vont évoluer dans le temps : en nombre, en localisations, dans leur rattachement et bien entendu dans leur équipement.

 

Le 30 mars 1902, sont créées cinq compagnies sahariennes. Elles sont basées à Fort Polignac (Tassili – sud de l’Algérie, non loin du Hoggar), Tindouf El Oued (extrême ouest de l’Algérie au carrefour actuel des frontières du Maroc et de la Mauritanie), Adrar (Mauritanie) et Tamanrasset (capitale du Hoggar ; ville qui porta le nom de Fort Laperrine du temps de la colonisation française).

 

Ces compagnies sont commandées et encadrées par des officiers et sous-officiers français, mais comportent également de gradés (brigadiers, brigadiers-chefs et maréchaux des logis indigènes). Chacune est autonome et comporte environ 70 méharis.

 

D’autres compagnies sont plus tard créées à Ouargla (sud-est algérien), Colomb-Béchar (oasis à la frontière du Maroc), Ain Sefra (proche de Colomb-Béchar) et Sebha (région du Fezzan en Libye), pour devenir les Compagnies Sahariennes Portées de la Légion étrangère (CSPL).

 

Les CSPL.

 

 

  • Le 1er novembre 1940, la compagnie automobile du 1er REI devient autonome et se transforme en compagnie saharienne portée de la Légion étrangère. Elle prend garnison à Tabelbala puis à Aïn-Sefra à parti de 1944. Deux ans plus tard, elle se scinde en deux et donne deux nouvelles unités : les 1ère et 2e CSPL. En 1961, la 1ère CSPL devient le 1er escadron saharien porté de la Légion étrangère. Equipé de blindés, il est indépendant au même titre qu’un régiment. Stationnée au ksar El Hirane, situé à 400 kilomètres au sud d’Alger, il s’agit d’une oasis au carrefour des monts de l’Atlas et du désert saharien. Là, le 1er organise des tournées de police (sa mission première étant bien de surveiller le désert et de restaurer si besoin est l’autorité de la République française) et réalise des raids sur des positions de l’ennemi. En 1961, après le putsch des généraux, l’unité a pour mission la protection des personnalités civiles et militaires arrêtées avant leur rapatriement en métropole. Parmi les derniers tués de la Guerre d’Algérie, en août 1962, se trouvent trois soldats du 1er ESPLE.
  • La 2e compagnie (2e CSPLE) est créée en mars 1946 et s’installe à Ouargla en 1948 puis à Laghouat. En 1954 elle intervient en Tunisie afin de poursuivre les soldats de l’ALN (Armée de Libération Nationale, branchée armée du FLN algérien) qui se sont réfugiés dans ce pays. Dissoute le 31 mars 1963, elle devient la 1ère compagnie portée du 4e régiment d’infanterie étranger (REI).
  • La 3e CSPLE est créée en février 1949 à Sidi-bel-Abbès, au siège de la Légion étrangère. Rapidement elle est transférée au Fort Leclerc, proche de l’oasis de Sebha en Lybie où elle a pour mission la surveillance du désert du Fezzan jusqu’en 1956.
  • La 4e CSPLE est formée en janvier 1956 à Aïn Sefra puis est transférée l’année suivante à Colomb Béchar. Elle est également dissoute le 31 mars 1963 et devient la 2e compagnie portée du 2e REI.

 

Une pacification de 80 ans et l’imaginaire français.

 

Entre la fin du 19e siècle et 1962, les soldats français, appuyés des « indigènes » fidèles au pouvoir de la République, vont s’attacher à pacifier – c’est-à-dire soumettre à notre autorité – l’ensemble des tribus du Sahara et rendre cet immense territoire plus sécurisé qu’avant. Les combats seront nombreux. Ils représentent bien souvent des accrochages entre plusieurs dizaines de belligérants – rarement plus mais cela est à rapporter avec la densité de la population du désert. Il convient de rappeler que les compagnies sahariennes étaient pensées comme «  une tribu nomade militairement encadrée ».

 

Parmi les innombrables accrochages, on peut citer la prise d’In-Salah en 1897, relatée par le Petit Parisien : « La mission Flamant a pris possession, le 28 décembre dernier, de l’oasis d’In-Salah, après avoir livré un combat qui nous permis de capturer Ba-Hamou et Badjouda, les deux chefs indigènes hostiles à la France. Tout récemment, le Conseil des ministres a décidé que cette occupation serait maintenue et qu’on s’y établirait fortement afin de surveiller les régions non encore occupées. L’oasis d’In-Salah, qui se trouve dans le Tidikelt, est le principal entrepôt de la route allant du Maroc à la Tripolitaine, en passant par le Talifet, le Touat et Ghadamès. C’est un lieu d’échanges et d’approvisionnements pour les Touaregs qui sont les pires ennemis de l’influence européenne en Afrique. C’est à In-Salah que ces derniers fomentaient les complots qu’ils dirigeaient contre les voyageurs et les missions s’aventurant dans ces parages pour y porter la civilisation. On voit combien cette occupation était importante pour notre établissement dans le sud algérien.

 

Aujourd’hui, les habitants d’In-Salah se sont soumis à notre autorité et bientôt le télégraphe reliera l’Algérie à ce nouveau poste ; mais comme il faut toujours se méfier de surprises possibles le Gouvernement a envoyé d’El-Goléah une colonne volante chargée d’appuyer la mission Flamant et d’assurer à tout jamais un établissement qui consacre une œuvre de pénétration commencée depuis longtemps ».

 

Un autre incident est resté dans les annales comme « l’incident de Timiaouin » de 1904 : poursuivant une tribu récalcitrante, le lieutenant-colonel Laperrine se trouve arrêté à la frontière entre le Sahara et les territoires de l’Afrique Occidentale Française (AOF). Un commandant d’une unité de tirailleurs sénégalais interdit au lieutenant-colonel de poursuivre sa route. Il n’a pas à s’immiscer dans les affaires intérieures de l’AOF. Il s’en suivra des règlements de comptes dans les Etats-majors et une défiance, voir une rivalité, entre les hommes de « La Saharienne » et ceux de « La Coloniale ».

 

Il n’en demeure pas moins qu’à demander à chaque soldat ayant fait une partie de sa carrière – ou de son service militaire - en ces lieux les réponses sont toujours les mêmes avec des mots répétés inlassablement comme « plénitude », « rêve », « beauté des paysages », « aventure »… En guise d’illustration voici la lettre de Dominique Petit, lieutenant à la Compagnie méhariste Ajjer entre 1956 et 1958 (il écrit à sa tante Simone) : « Je t'adresse ces quelques lignes car je sais qu'elles te feront plaisir sachant que tu aurais peut-être aimé venir dans ce beau pays. Je suis actuellement avec mon peloton à Fort-Gardel à 150 km nord-ouest de Djanet. Voilà 1 mois que nous y sommes arrivés et déjà je songe à quitter ce lieu pour remonter plus au nord. Fort-Gardel est un endroit favorisé en ce sens qu'il y existe sept puits, une trentaine d'habitants qui cultivent de maigres jardins et aussi quelques zones de pâturages pour les chameaux. La région est très pauvre, comme toute l'Annexe du Tassili des Ajjer qui compte 5000 habitants pour 382.000 km2. Sur ces 5000 habitants, 2000 sont fixés à Djanet et 1000 à Fort-Polignac. Il reste donc 2000 nomades à se partager le reste du territoire. Ils sont d'ailleurs localisés dans les régions montagneuses plus riches au point de vue, de l'eau et des pâturages pour chameaux et chèvres.

 

La région Dider-lherir où je vais bientôt me rendre est un centre nomade assez important. J'ai sous mes ordres 47 méharistes dont 3 sous-officiers, 2 français, 1 targui et des chameaux, nos véhicules. J’en ai 63 plus ou moins en bonne forme mais, dans l'ensemble, assez forts pour remplir le travail demandé. En cette période de l'année où la chaleur est tombée à 25° de l0h30 à 17h30 et 4° la nuit, les bêtes ne vont à l'abreuvoir que tous les 8 jours au lieu de 3 à 4 jours l'été, ce qui nous permet de parcourir des distances importantes sans s'inquiéter du ravitaillement en eau pour les chameaux. Ainsi en 8 jours on pourrait facilement parcourir 400 km et dans la région qui m'occupe, les points d'eau sont beaucoup plus rapprochés entre eux que cette distance. La montagne recèle un nombre incalculable de « guelta », cuvettes de 3 à 15 mètres remplies d'eau de pluie et cette eau se conserve presque indéfiniment.

 

Je mène donc une vie nomade, mes affaires sont réduites au minimum, une cantine avec quelques effets de rechange, une petite caisse servant de bureau, un tapis, deux couvertures, une djellaba, un burnous, deux mezoued (grand sac de cuir en peau de chèvre) de fabrication locale dans lesquels se mettent diverses affaires et qui s'accrochent aux flancs du chameau, et la rahla (selle). C'est tout et la vie est belle. J'oubliais le calme reposant et l'horizon où la vue se perd, les masses noires des rochers immenses et les dunes roses, le ciel bleu. La nuit, les étoiles qui sont également nourriture de l'esprit.

 

Voilà ma chère tante, crois bien que je ne t’oublie pas ».

 

Sources :

 

  • Benjamin Stora, Histoire de la guerre d’Algérie (1954-1962), La Découverte & Syros, 2004.
  • Pierre Montagnon, Histoire de l’Algérie : des origines à nos jours, Pygmalion, 1998 et La Légion étrangère, Pygmalion, 2006.
  • Georges Fleury, Comment l’Algérie devint française, Perrin, 2004.
  • Général Pierre Denis, Etude sur le comportement du dromadaire au Sahara, Ed. L’Harmattan, 2000.
  • Etienne de Montety, Des hommes irréguliers, Perrin, 2006.
  • Historia, 1972.
  • http://home.nordnet.fr/~joudart – Site de Jean-Jacques Oudart, ancien des Compagnies Sahariennes.

 

Les Compagnies méharistes sahariennes.

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #La Coloniale

Publié le 15 Février 2013

 

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Légionnaires en renfort à Lao Kay (Tonkin – Copyright : www.photo-memory.eu )

 

Capitaine de Borelli, officier de la Légion : « A mes hommes qui sont morts, et particulièrement à la mémoire de Tiebald Streibler, qui m’a donné sa vie le 3 mars 1885 ».

 

 

Mes compagnons, c’est moi ; mes bonnes gens de guerre,

C’est votre Chef d’hier qui vient parler ici

De ce qu’on ne sait pas, ou que l’on ne sait guère ;

Mes Morts, je vous salue et je vous dis : Merci.

 

Il serait temps qu’en France on se prît de vergogne

A connaître aussi mal la vieille Légion

De qui, pour l’avoir vue à sa rude besogne

J’ai la très grande amour et la religion.

 

Or, écoutez ceci : « Déserteurs ! Mercenaires ! »

« Ramassis d’Etrangers sans honneur et sans foi ! »

C’est de vous qu’il s’agit, de vous, Légionnaires !

Ayez-en le cœur net, et demandez pourquoi ?

 

Sans honneur ? Ah ! passons ! Et sans foi ? Qu’est-ce à dire,

Que fallait-il de plus et qu’aurait-on voulu ?

N’avez-vous pas tenu, tenu jusqu’au martyre,

La parole donnée et le marché conclu ?

 

Mercenaires ? sans doute : il faut manger pour vivre ;

Déserteurs ? Est-ce à nous de faire ce procès ?

Etrangers ? Soit. Après ? Selon quel nouveau livre

Le maréchal de Saxe était-il donc Français ?

 

Et quand donc les Français voudront-ils bien entendre

Que la guerre se fait dent pour dent, œil pour œil

Et que des Etrangers qui sont morts, à tout prendre,

Chaque fois, en mourant, leur épargnaient un deuil.

 

Aussi bien c’est assez d’inutile colère,

Vous n’avez pas besoin d’être tant défendus ;

Voici le Fleuve Rouge et la Rivière Claire

Et je parle à vous seuls de vous que j’ai perdus !

 

Jamais garde de Roi, d’Empereur, d’Autocrate,

De Pape ou de Sultan, jamais nul Régiment

Chamarré d’or, drapé d’azur ou d’écarlate,

N’allez d’un air plus mâle et plus superbement.

 

Vous aviez des bras forts et des tailles bien prises,

Qui faisaient mieux valoir vos hardes en lambeaux ;

Et je rajeunissais à voir vos barbes grises,

Et je tressaillais d’aise à vous trouver si beaux.

 

Votre allure était simple et jamais théâtrale ;

Mais, le moment venu, ce qu’il eût fallu voir,

C’était votre façon hautaine et magistrale

D’aborder le « Céleste » ou de le recevoir.

 

On fait des songes fous, parfois, quand on chemine,

Et je me surprenais en moi-même à penser,

Devant ce style à part et cette grand mine

Par où nous pourrions bien ne pas pouvoir passer ?

 

J’étais si sûr de vous ! Et puis, s’il faut tout dire,

Nous nous étions compris : aussi de temps en temps,

Quand je vous regardais vous aviez un sourire,

Et moi je souriais de vous sentir contents.

 

Vous aimiez, troupe rude et sans pédanterie,

Les hommes de plein air et non les professeurs ;

Et l’on mettait, mon Dieu, de la coquetterie

A faire de son mieux, vous sachant connaisseurs.

 

Mais vous disiez alors : « La chose nous regarde,

Nous nous passerons bien d’exemples superflus ;

Ordonnez seulement, et prenez un peu garde,

On vous attend … et nous on ne nous attend plus ! »

 

Et je voyais glisser sous votre front austère

Comme un clin d’œil ami doucement aiguisé,

Car vous aviez souvent épié le mystère

D’une lettre relue ou d’un portait baisé.

 

N’ayant à vous ni nom, ni foyer, ni Patrie

Rien où mettre l’orgueil de votre sang versé,

Humble renoncement, pure chevalerie,

C’était dans votre chef que vous l’aviez placé.

 

Anonymes héros, nonchalants d’espérance,

Vous vouliez, n’est-ce pas, qu’à l’heure du retour,

Quand il mettrait le pied sur la terre de France,

Ayant un brin de gloire, il eût un peu d’amour.

 

Quant à savoir si tout s’est passé de la sorte,

Et si vous n’êtes pas restés pour rien là-bas,

Si vous n’êtes pas morts pour une chose morte,

O mes pauvres amis, ne le demandez pas !

 

Dormez dans la grandeur de votre sacrifice,

Dormez que nul regret ne vienne vous hanter ;

Dormez dans cette paix large et libératrice

Où ma pensée en deuil ira vous visiter !

 

Je sais où retrouver, à la suprême étape

Tous ceux dont la grande herbe a bu le sang vermeil,

Et tous ceux qu’ont engloutis les pièges de la sape,

Et tous ceux qu’ont dévorés la fièvre et le soleil ;

 

Et ma pitié fidèle, au souvenir unie,

Va du vieux Wunderli qui tomba le premier

Et suivant une longue et rouge litanie

Jusqu’à toi, mon Streibler, qu’on tua le dernier !

 

D’ici je vous revois, rangés à fleur de terre

Dans la fosse hâtive où je vous ai laissés,

Rigides, revêtus de vos habits de guerre

Et d’étranges linceuls faits de roseaux tressés.

 

Les survivants ont dit – et j’ai servi de prêtre !

L’adieu du camarade à votre corps meurtri ;

Certain geste fut fait bien gauchement peut-être,

Pourtant je ne crois pas que personne en ait ri !

 

Mais quelqu’un vous prenait dans sa gloire étoilée

Et vous montrait d’en haut ceux qui priaient en bas,

Quand je disais pour tous, d’une voix étranglée,

Le Pater et l’Ave – que tous ne savaient pas !

 

Compagnons, j’ai voulu vous parler de ces choses,

Et dire en quatre mots pourquoi je vous aimais :

Lorsque l’oubli se creuse au long des tombes closes,

Je veillerai du moins et n’oublierai jamais.

 

Si parfois, dans la jungle où le tigre vous frôle

Et que n’ébranle plus le recul du canon,

Il vous semble qu’un doigt se pose à votre épaule,

Si vous croyez entendre appeler votre nom.

 

Soldats qui reposez sous la terre lointaine,

Et dont le sang me laisse des remords,

Dites-vous simplement : « C’est notre Capitaine

Qui se souvient se nous … et qui compte ses Morts. »

 

 

 

 

Poème du capitaine de Borelli, officier de la Légion. Avec l’aimable autorisation de la Délégation du Souvenir Français de Chine.

 

 

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Rédigé par Souvenir Français Issy

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