Publié le 29 Avril 2008


 

Jean-Claude ICHAC, élève officier en Algérie en 1959.

 

 

Le général de Base aérienne (2S) Jean-Claude Ichac a effectué l’essentiel de sa carrière dans les fonctions de renseignement, à la 3ème Escadre de chasse et en Etats-majors, interprétation photo, à la 33ème Escadre de reconnaissance. Le général Ichac a également accompli des missions de longues durées aux Etats-Unis : à l’Ecole de l’Air américaine de Colorado Springs et à l’Ambassade de France à Washington. Avec le grade de colonel, il a commandé la Cité de l’Air « Capitaine Guynemer » et Base Aérienne 117 de Balard, située aux portes d’Issy-les-Moulineaux, sur les anciens terrains du Champ de Manœuvres, qui servit aux premiers essais de l’histoire de l’aviation au début du 20ème siècle. Le général Ichac raconte ici la fin, peu banale, de sa scolarité à l’Ecole de l’Air de Salon de Provence. 


« A l’issue de leur scolarité de deux ans, les élèves officiers de ma promotion Ecole de l’Air 1957 « Colonel Ducray », corps des Bases de l’air, c’est-à-dire non pilotes, devaient effectuer un séjour de deux ans en Algérie, à compter du 1er octobre 1959, date de leur nomination au grade de sous-lieutenant.
 

Mais un mois plus tôt le contre-ordre arriva et c’est avec notre galon d’aspirant de l’Ecole de l’Air que, le 31 août, notre C-54 n°148 se posa sur la piste du terrain de La Regahia, à l’est d’Alger, base arrière des commandos de l’air. Je crois que c’était une idée à la fois du patron de l’école, le général Delfino, un fonceur ancien du « Normandie-Niemen », et du commandant en chef en Algérie, le général Challe, de l’armée de l’air, qui souhaitait que celle-ci prenne une part plus grande dans les opérations de maintien de l’ordre au sol.


Le but de la manœuvre était donc de nous faire effectuer un stage de « familiarisation », sur le terrain, avant de nous répartir en unités dès que nous serions officiers. Donc, après dix jours d’entraînement intensif, tir, sport, combat rapproché, mines et explosifs, nous nous retrouvâmes au col de Chelata, en Grande Kabylie, où était implanté le PC Artois de l’opération Jumelles lancée par le général Challe. Et nous fûmes répartis par petits groupes au sein des commandos de l’air qui participaient aux opérations. Pour ma part, je fus détaché au commando 50, et dès le lendemain je pouvais noter dans mon carnet de vol : « 10/09/59, fonction à bord commando, pilote xxx, hélicoptère H-34 n°819, héliportage du PC Artois à NY45G02 » … et baptême du feu juste après l’héliportage sous une petite crête de la part aussi bien d’un groupe rebelle que de la section de la légion qui les poursuivait !

 

Et là nous eûmes droit à une engueulade surréaliste de la part de notre chef de section : « Attention, vous les trois aspis, vous êtes toujours sous statut élève, et censés être encore à l’Ecole de l’Air, là-bas en Provence, alors je ne veux pas d’emm…, et le premier qui se fait butter prend trente gros ! ». Je ne sais si ce fier discours eut un effet dissuasif, mais notre séjour aux commandos de l’air fût exempt de victimes et donc d’arrêts de rigueur ! Et c’est sans encombre que nous vîmes arriver à Alger, avec le 1er octobre, notre première ficelle qui nous donnait enfin le droit de passer légalement dans la colonne « pertes ».

 

GBA (2S) JC ICHAC

 

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Rédigé par Frédéric-Edmond RIGNAULT

Publié dans #Algérie

Publié le 27 Avril 2008

PC Artois de l'Opération Jumelles.
 




Isséen, le général Ichac a participé, en tant qu’élève officier, à l’Opération Jumelles en juillet 1959. Nous lui devons les clichés qui illustrent cet article relatif à cette opération.

Celle-ci fait partie du Plan Challe, du nom du général qui prend la relève du général Salan, le 12 décembre 1958. L’idée maîtresse de ce plan consiste à traiter de manière successive des surfaces importantes avec des moyens très conséquents, dans le but de réduire à néant les bandes rebelles ou « Fellaghas ». Le plan comporte de nombreuses opérations : les zones refuges d’Oranie (février 1959) ; opération Courroie sur la couronne d’Alger (avril à juin 1959) ; opération Etincelle sur le passage du Hodna (juillet 1959) ; opération Jumelles (juillet 1959) en Grande Kabylie ; opération Rubis (avril 1960) en petite Kabylie ; opération Pierres Précieuses (septembre 1959 à août 1960) dans le nord Constantinois. Enfin, de septembre 1960 à avril 1961, se déroule la grande mission des Aurès (opération Ariège – Dordogne – Charente – Isère). Et à toutes ces opérations s’ajoutent des missions dans l’Atlas saharien. En encerclant des zones, en bloquant toutes les issues possibles, l’Armée française provoque des dégâts considérables – jusqu’à 50 % dans l’Oranie – au sein de l’ALN (Armée de Libération Nationale, bras armé du FLN, le Front de Libération Nationale).

 

De fait, il est globalement admis que l’ensemble de ces opérations a permis une victoire militaire de la France. Victoire incertaine, car si de nombreuses bandes ont été décimées, pour autant le lien avec les populations civiles n’a pas été rompu et peu à peu les maquis algériens se sont reformés.

De plus, le putsch – et son échec rapide – des Généraux (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller) d’avril 1961, contre la politique du Président Charles de Gaulle et de son gouvernement qu’ils considèrent comme un abandon de l’Algérie française, sonne la fin du Plan Challe.

 

 

Pendant l’Opération Jumelles, le binôme hélicoptère H-34/commandos de l’air au col de Chelata.

 

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Rédigé par Frédéric-Edmond RIGNAULT

Publié dans #Algérie

Publié le 23 Avril 2008

 

Le 13 mars 2008, le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) a annoncé la disparition, à 94 ans, d’Adam Rayski.
De son vrai nom Abraham Rajgrodski, il nait dans une famille juive polonaise, à Bialystok, le 14 août 1913. Dès son adolescence, il s’engage au parti communiste clandestin puis émigre à Paris en 1932. Il devient journaliste, est engagé comme rédacteur en chef du quotidien français en langue yiddish la Naïe Presse (Presse Nouvelle) puis entre à L’Humanité. Il est alors nommé responsable de la section juive du Parti communiste français. En 1940, après s’être sauvé d’un camp de transit de prisonniers de guerre à Nantes, il intègre la MOI (Main d’œuvre Immigrée) puis les Francs-Tireurs et Partisans (Missak Manouchian suit un parcours identique). En 1943, il participe à la création du CRIF, clandestin, dont la mission consiste à aider les Juifs à se soustraire à l’Occupation allemande.
A la Libération, Adam Rayski est décoré pour ses faits d’armes (Croix de guerre, médaille de la Résistance) et part pour la Pologne où il dirige un groupe de presse. Coupant les liens avec le Parti communiste polonais en 1957, il rentre en France et écrit de nombreux ouvrages sur la résistance des Juifs pendant l’Occupation. Il préside l’Union des résistants et déportés juifs de France (URDF) et continue son inlassable combat pour la mémoire de ses camarades de combat, ainsi que pour tous les résistants.
Adam Rayski a publié de nombreux ouvrages. Il convient de citer : Nos illusions perdues (Balland, 1985) ; Qui savait quoi ? (La Découverte, 1987) ; De Gaulle et les Juifs (URDF, 1994) ; La Rafle du Vel d’Hiv (Mairie de Paris, 2002) ; l’Affiche Rouge (Mairie de Paris, 2003).
Il est important de signaler qu’Adam Rayski a publié en 2006, grâce à la Mairie de Paris, une enquête sur le Stand de Tir, situé dans le 15ème arrondissement de la capitale, à la limite de la commune d’Issy-les-Moulineaux, sur l’ancien emplacement du Champ de Manœuvres, où se déroulaient jusque dans les Années 30 des essais et des démonstrations aériennes. Le Comité du Souvenir Français reviendra plus longuement dans de prochains articles sur le Stand de Tir.

 

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Publié le 18 Avril 2008

 

 

Le général de corps aérien Michel Forget, isséen, a fait une brillante carrière d’officier pilote de chasse. Il a assumé tous les commandements correspondants à sa spécialité. Il a quitté le service actif en 1983 après avoir commandé pendant quatre ans la Force Aérienne Tactique. Auteur de plusieurs ouvrages (« Puissance aérienne et stratégies » - 2001, « Guerre froide et guerre d’Algérie » - 2002, « Notre défense dans un monde en crise » - 2006, « Du Vampire au Mirage » - 2007), il est correspondant de l’Académie des Sciences Morales et Politiques et a été Vice Président national du Conseil d’Administration du Souvenir Français.

 

 

« Un beau matin du mois d’avril 1965, notre Défense aérienne entrait en transes. Un objet lumineux non identifié était en effet signalé à la verticale de Pierrelatte. Pierrelatte ! Site stratégique majeur où était enrichi à l’époque l’uranium nécessaire à la réalisation de nos armes nucléaires. L’objet étant stable, il ne pouvait s’agir d’un avion. Il n’en était pas moins indispensable de renseigner les autorités politiques sur sa nature. L’honneur de notre Défense aérienne était en jeu, même si l’affaire était à la limite du domaine de sa compétence !

Ainsi, le Mystère IV d’alerte de la base d’Orange avait-il reçu l’ordre de décoller pour reconnaître l’intrus, suivi ensuite d’un Vautour puis d’un Super-Mystère, ces deux appareils ayant réussi à grimper jusqu’à 15.000 mètres d’altitude (50.000 pieds) sans parvenir à identifier l’objet en question. Plus les altitudes atteintes par les intercepteurs étaient élevées, plus celui-ci paraissait inaccessible et mystérieux. La température montait dans les hautes sphères de la Défense aérienne. Son commandant se décidait finalement à demander à l’escadre de Dijon, alors équipée du meilleur intercepteur de l’époque, le Mirage IIIC, d’intervenir, bien que Pierrelatte soit en dehors du rayon d’action du Mirage.

Et c’est ainsi que, en tant que commandant de l’escadre de Dijon, je bondissais dans un Mirage IIIC et me retrouvais en l’air, bien décidé à résoudre l’énigme. Cap au sud après le décollage, et je montais à pleine puissance à 12.000 mètres d’altitude (40.000 pieds). A partir de Lyon, j’accélérais pour prendre une vitesse égale à une fois et demie la vitesse du son (Mach 1,6 – soit 1.960 km/h) pour monter ensuite jusqu’à 15.000 mètres. A la bonne distance de l’objet non identifié indiqué par le contrôleur radar, je tirais sur le manche pour gagner le maximum d’altitude tant en perdant de la vitesse (on appelle cela un « zoom »). Et c’est ainsi qu’ayant atteint 19.000 mètres (63.000 pieds), je distinguais parfaitement au-dessus de moi l’objet en question : il s’agissait en fait d’un simple ballon sonde dont je vis les antennes qui pendaient en dessous de lui. Un ballon dont l’altitude réelle devait être de l’ordre de 24.000 mètres (80.000 pieds !). L’information était transmise au contrôleur au sol, lequel pouvait rassurer les autorités de la Défense aérienne… et de l’Armée de l’air.

L’honneur était sauf. Il ne restait plus aux autorités qu’à identifier les maladroits qui avaient manifestement perdu le contrôle de leur ballon sonde… mais ce n’était plus notre affaire. Quant à moi, il me restait quand même à me soucier de la suite des événements, les jaugeurs de carburant atteignant leurs limites basses ! Aux altitudes et vitesses atteintes au cours de ma mission, effectuée de bout en bout à pleine puissance, la consommation de carburant avait été considérable et ce pour un avion dont la capacité en pétrole n’était pas la caractéristique la plus marquante. Moteur plein réduit, profitant de la finesse remarquable de l’avion, je descendais en vol plané pour me poser sans encombre à Istres où j’étais accueilli par Roland Glavany, alors colonel commandant la base. Durée du vol : 35 minutes !

Général Michel Forget. »

"PS : J’avais enfreint au cours de ce vol les consignes de sécurité, lesquelles interdisaient de voler au-dessus de 15.000 mètres sans le scaphandre spécial qui ressemblait à celui que portent les cosmonautes. Il faut dire qu’il fallait au moins vingt minutes pour endosser un tel équipement lourd et peu confortable, et ce, avec l’aide d’un spécialiste de l’habillage. Il y a maintenant prescription et j’ajoute qu’aucune autorité ne s’est inquiétée alors de savoir dans quelle tenue j’avais fait ma mission… "

 

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Publié le 11 Avril 2008


Richard Marillier a été Résistant, membre de la section Chabal au maquis du Vercors, capitaine d’une section au 494ème R.I. pendant la guerre d’Algérie ; il est colonel honoraire de l’Armée de Terre. Richard Marillier a été très présent dans le monde du cyclisme : Directeur Technique National du cyclisme français de 1970 à 1981, Directeur Adjoint Délégué du Tour de France de 1981 à 1990 (à ce titre, il venait chaque année présenter le parcours de l’épreuve et les équipes participantes au PACI d’Issy-les-Moulineaux), Président de la Ligue du Cyclisme Professionnel et membre du Comité Directeur de l’Union Cycliste Internationale de 1989 à 1992. Le colonel Richard Marillier est commandeur de la Légion d’honneur.


« J’ai fait la connaissance de Robert Eggs, en 1957, à Bir El Ater (sud-est constantinois). Il avait le grade de capitaine et commandait la compagnie portée du 4ème Régiment Etranger d’Infanterie. Il jouissait d’une réputation exceptionnelle. En 21 ans de Légion, il avait combattu de Narvik à l’Indochine en passant par la Syrie et la Lybie ou il avait été fait Compagnon de la Libération à Bir Hakeim alors qu’il était adjudant-chef !

Au cantonnement comme en opération, il était un spectacle à lui tout seul. Il ne faisait rien comme les autres, il ne s’exprimait pas comme les autres. Il était à la fois craint, détesté et admiré. A cette époque, le commandement rassemblait les unités de secteurs pour monter des opérations. A Bir El Ater, j’étais lieutenant et je commandais la 6ème compagnie de 2/44ème RI. Je me retrouvai « accolé » à la compagnie Eggs pendant un an et demi. C’est dire si j’ai des anecdotes en mémoire. En voici une parmi tant d’autres.

Ce jour-là, nous avions accroché une bande rebelle dans le djebel Foua. Très rapidement, les différentes unités avaient éclaté et des combats sporadiques se déroulaient aux quatre coins du djebel. Enfin d’après-midi, les derniers fellaghas étaient aux prises avec la compagnie Eggs et tentaient de sortir du dispositif. Je fus appelé à la rescousse et, avec une section, je réussis à colmater la brèche puis je cherchai à rejoindre le capitaine. Au fur et à mesure que j’avançais, et que je dépassais les légionnaires, je finis par arriver auprès du sergent-chef Campanella, porte fanion de la Compagnie Eggs. Il était assis, adossé contre un rocher et fumait une cigarette en souriant. Son pantalon froissé laissait apparaître un pansement compresse au niveau de la hanche.

La bonne blessure, mon lieutenant, 23 jours de convalo ! me dit-il.

Il me précisa que le capitaine se trouvait devant, comme d’habitude. Les rebelles continuaient de tirer et je m’accroupis derrière un rocher où se trouvait le radio Rychtick. Ce dernier me dit que le capitaine était de l’autre côté. En me baissant, je le vis. Il était debout sur un rocher, les jumelles à la main et je l’entendis distinctement crier aux tireurs d’en face :

Alors, messieurs les fellaghas ! Montrez vos sales gueules et rendez-vous ! Après, il sera trop tard.

Une volée de balles s’abattit sur son rocher sans le toucher. Il répéta son discours et obtint la même réponse. Alors, se tournant vers ses hommes, il entonna : « Légionnaires… A l’assaut ! » et il se mit à chanter « Combien sont tombés au hasard d’un clair matin ». Toute la compagnie reprit le célèbre chant. Incroyable ! Un quart d’heure après, le combat cessa, faute de combattants.
Le commandement décida que l’on resterait sur place pour la nuit, afin de fouiller le terrain le lendemain matin. Il faisait froid car nous étions à 1.300 mètres d’altitude. Eggs m’invita à dormir avec lui et son ordonnance Mayerhoffer nous confectionna une sorte de litière avec de l’alfa, entourée d’un muret de pierres sèches. Sa djellaba nous servit de couverture. Je n’arrivai pas à trouver la bonne position pour dormir. Il s’en rendit compte et bougonna :

Encore un peu tendre (prononcé à l’allemande, en appuyant sur le « dre »).

Il saisit sa musette remplie d’alfa qui lui servait d’oreiller et me la glissa sous la tête, puis ramassa une grosse pierre sèche pour la remplacer. Je ne savais pas s’il fallait le remercier. J’attendis cinq minutes et lui dis :

Mon capitaine, Bir Hakeim, c’est quand même autre chose ?

Il ne répondit pas. Il dormait à poings fermés.

Aujourd’hui, le commandant Robert Eggs, grand officier de la Légion d’Honneur est âgé de 93 ans. Il vit avec son épouse en Côte d’Or, très exactement à Ivry-en-Montagne. Il est Français officiellement depuis quelques semaines».

 

 

  Bir El Ater 1957 – Le Capitaine Eggs à la tête de sa compagnie du 4ème REI. Le porte-fanion est le sergent-chef Campanella.

 

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Rédigé par Frédéric-Edmond RIGNAULT

Publié dans #Algérie

Publié le 4 Avril 2008

 


Le 23 octobre 2007. Rue de la Glacière, chez Monsieur et Madame Pierre Debeaurain.

  

Pierre Debeaurain : « Mon arrière-grand-père, Ernest-Pierre Richard est mort en 1942, à l’âge de 92 ans. Il était donc né en 1850. Habitant de ce qui n’était alors encore qu’un village, Issy, il avait appris à lire et écrire très jeune, grâce à un curé qui avait dû déceler en lui certaines capacités. Lire et écrire, ce n’était pas si courant à l’époque. Comme, de plus, Ernest Richard était très grand et costaud, il eut la chance d’entrer à la Garde personnelle de l’empereur Napoléon III, peu avant la Guerre franco-prussienne».

Il semble qu'Ernest-Pierre Richard ait rejoint une formation particulière : l’escadron des Cent-gardes à cheval. Corps d’élite de cavalerie créé par décret du 24 mars 1854, il est commandé par Lepic puis par le colonel baron Jacques Albert Verly. L’esprit de constitution des Cent-gardes s’inspire des Life Guards anglais. Composé d’un état-major, de deux compagnies de cent quatre-vingt-dix sous-officiers et gardes, l‘escadron ne fait pas partie de la Garde impériale mais est attaché directement à l’empereur.

Sa mission consiste en la protection personnelle de Napoléon III et le service au quotidien dans les palais impériaux, ne rendant les honneurs qu’à l’empereur et sa famille. Une des particularités de ce corps consiste en la taille minimum de chacun des cavaliers : mesurer au minimum 1,80 m !

La tunique s’inspire des cuirassiers : bleu de ciel, culotte blanche, bottes de cuir noir à l’écuyère. Pour la grande tenue, une cuirasse est portée ; elle arbore les grandes armes de l’Empire. L’armement des Gardes comprend un mousqueton et un sabre-lance qui se fixe comme une baïonnette. La solde est particulièrement généreuse : mille francs-or pour les gardes et les trompettes.

En juillet 1870, après des provocations des deux côtés du Rhin, entre autres au sujet de la candidature du prince de Hohenzollern à la couronne d’Espagne – ce qui entraînerait de facto un enveloppement de l’Empire français par des souverains allemands – la France déclare la guerre à la Prusse, soutenue immédiatement par les princes allemands (ce qui accélérera la fondation de l’Allemagne). Le 28, Napoléon III arrive à Metz, suivi des Cent-gardes et prend le commandement de l’armée du Rhin.

Au début du mois d’août, les armées prussiennes envahissent la France et attaquent à Wissembourg ; les batailles se multiplient : Woerth (Froeschwiller pour les Français – la fameuse charge des cuirassiers de Reichshoffen), Spicheren, Borny-Noisseville. La ville de Nancy est occupée. Partout les armées de l’empereur sont bousculées.

Napoléon III se retire de Metz, se dirige vers Verdun puis Châlons-en-Champagne ; à Beaumont, dans les Ardennes, le corps d’armée du général de Failly est mis en déroute. L’empereur s’enferme dans la ville de Sedan. Plusieurs Cent-gardes l’ont suivi et demeurent en permanence à ses côtés.

Pierre Debeaurain : « C’est au moment de la bataille de Sedan que Napoléon III confie à Ernest Richard la mission de sa vie ! Il s’agit de porter des courriers au plus vite à l’impératrice Eugénie – devenue régente – et la maison impériale. Huit jours sont nécessaires à mon aïeul pour se rendre au château de Saint-Cloud et remettre les courriers. Mais il est déjà trop tard. Le siège de Sedan dure moins d’une semaine. L’empereur, acculé dans une ville dévastée par les obus des canons prussiens, fait hisser le drapeau blanc et se rend auprès de Bismarck. La mission d’Ernest Richard n’aura servi à rien. Et je n’ai jamais su les lignes contenues dans ces lettres. Mon arrière-grand-père possédait dans sa maison de la rue Prudent Jassedé une grande armoire. Interdiction formelle nous était faite de l’ouvrir ou de poser la moindre question sur ce meuble, pour nous merveilleux».

L’escadron des Cent-gardes est dissous le 1er octobre 1870, par décret, et versé au 2ème Régiment de marche de cuirassiers ; régiment qui participe activement à la défense de Paris, dans un premier temps face aux Prussiens puis face aux partisans du gouvernement de la toute nouvelle République française, l’empire venant d’être déclaré déchu.

Pierre Debeaurain : « Mon arrière-grand-père n’a plus d’emploi. Il devient Garde national et s’enrôle dans un bataillon parisien. Il s’agit de défendre son pays et venger son honneur. C’était cela l’important : ne pas déposer les armes devant l’ennemi prussien ! Thiers pactise avec la Prusse car faire cesser les hostilités entre les deux pays passe avant toute chose par un désarmement de Paris ».

En avril 1871, Thiers, réfugié à Versailles et élu « Chef du pouvoir exécutif de la République française » monte une armée faite d’anciens prisonniers de la guerre qui s’achève, auxquels il peut ajouter plus de 12.000 hommes dont il dispose. Cette armée est placée sous les ordres de l’ancien vaincu de Sedan : le maréchal de Mac-Mahon. Les combats s’engagent rapidement. Les Prussiens tiennent le Nord et l’Est de Paris ; ils laissent passer les « versaillais ». La butte de Suresnes et l’ouest parisien sont pris assez facilement. Il n’en va pas de même avec le sud. Les partisans de la continuation de la guerre contre la Prusse et les Communards se défendent, rue par rue, maison par maison. Le 26 avril, le village des Moulineaux est occupé par les hommes de Thiers. Puis le fort d’Issy est pris, mais les Communards le reprennent dès le lendemain.

« Les versaillais se permettent tout. Ils brulent les maisons. Avec leurs canons, ils pilonnent les villages du sud de Paris. Ils se livrent à des atrocités. Dans Issy, des barricades sont montées, sur la place de l’église Saint-Etienne, rue de l’Abbé Grégoire également. Beaucoup de bâtiments sont ruinés du fait des bombardements prussiens ; ceux qui sont restés debout sont anéantis par les canons versaillais. Un obus tombe sur le Moulin de Pierre, alors réserve de munitions, et l’explosion qui s’en suit est incroyable de puissance. Le Moulin de Pierre se trouve aujourd’hui à Clamart, mais, à l’époque, il était dans Issy. Notre fort finit par tomber, comme celui de Vanves. Les versaillais entrent alors dans Paris et fusillent tous les meneurs de la Commune. Entre 10.000 et 25.000 personnes, selon les sources, sont passées par les armes. Ce fut une chance inimaginable pour Ernest Richard d’en réchapper.

Je me souviens très bien des histoires et des anecdotes que me racontait mon arrière-grand-père. Par exemple, il faisait tous les jours – parfois plusieurs fois par jour – l’aller-retour, à cheval, entre le Louvre et Issy, rue Prudent Jassedé. Et il rabâchait sans arrêt ses souvenirs de guerre : « D’abord Napoléon III était impressionnant. Tu m’imagines ? J’avais vingt ans et j’étais face à l’empereur. Le neveu de Napoléon Ier ! Napoléon III n’était pas un mauvais bonhomme mais il était mal entouré. Il y avait des orléanistes, des monarchistes, des illuminés. Surtout, il écoutait le dernier qui parlait. Lui était plutôt favorable à la paix. Finalement, c’est sa femme, Eugénie de Montijo qui emporta la décision. Elle était à la tête des partisans de la guerre. En tant qu’Espagnole, cela peut se comprendre. Et puis, l’empereur souvent laissait faire car il était rongé par la maladie : atteint d’un calcul de la vessie, il souffrait mille maux et cela pouvait le laisser anéanti pendant des heures. Mais le plus mauvais était bien Bazaine, qui perdit son armée enfermée dans Metz. Et par sa faute. Uniquement par sa faute. Douze balles que ce traitre aurait dû recevoir ! Douze balles pour avoir sacrifié son armée, la France et notre Honneur».

 

 Portrait d'Ernest-Pierre Richard, après 1870.

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Rédigé par Frédéric-Edmond RIGNAULT

Publié dans #1870-1871