Un Rafale de l'armée de l'air décollant de la base de Saint-Dizier pour se diriger sur la Libye (copyright le Monde).
Le 19 mars 2011, dès l’ordre d’engagement donné par le Président de la République, 36 heures après le vote au conseil de sécurité de la résolution 1973 autorisant le recours à la force en Libye pour assurer la protection de la population civile, des Rafale, Mirage 2000D et Mirage 2000-5 de l’armée de l’air décollaient de leurs bases de métropole (Saint-Dizier, Nancy et Dijon) pour des raids allers et retours sans escale au dessus de la Cyrénaïque, soit des missions de près de sept heures comportant plusieurs ravitaillement en vol. Ces raids bloquaient les forces de Kadhafi, sauvant la population de Benghazi du massacre qui se préparait. Redéployées progressivement par la suite sur les bases de Solenzara en Corse, de Sigonella en Sicile et de Souda en Crète, les unités aériennes de l’armée de l’air ont poursuivi leur engagement sans interruption pendant 226 jours, c’est-à-dire jusqu’à la fin officielle des opérations, le 31 octobre dernier. Au cours des milliers de sorties qu’elles ont effectuées, les unités aériennes n’ont subi aucune perte. Les centaines d’interventions feu qu’elles ont conduites ont toutes été réalisées avec des armes guidées de très haute précision. Aucun dommage collatéral n’a été déploré.
L’armée de l’air a fait ainsi une démonstration particulièrement frappante de ses capacités d’intervention, même si les médias n’en ont fait entendre qu’un faible écho. Raison de plus pour revenir sur la genèse de telles capacités, résultantes d’un certain nombre d’ avancées opérationnelles et techniques remarquables conçues et/ou exploitées par des personnels de qualité, que ce soit au niveau des commandements, des états-majors ou des unités.
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Il faut remonter aux premières années 60 pour entendre parler de stratégie d’action extérieure , quelque peu masquée, il est vrai, par l’importance et la priorité accordées alors à la stratégie de dissuasion nucléaire, à la montée en puissance de la première composante des forces nucléaires stratégiques, à la restructuration et au redéploiement des forces aéroterrestres et aux nouvelles relations à établir avec l’Otan dont nous n’allions pas tarder à quitter l’organisation militaire intégrée (1966). Et pourtant, c’est bien dès cette époque qu’ont été définis pour notre pays les premiers éléments d’une stratégie d’intervention hors métropole.
Au début, il s’agissait essentiellement d’être capable de venir en aide, sur leur demande, aux états africains issus de nos anciennes possessions, états désormais indépendants mais encore fragiles avec lesquels la France avait passé des accords de coopération et même, pour certains d’entre eux, des accords de défense. Dans ce contexte, seuls étaient envisagés des déploiements de forces modestes, en vue d’opérations de faible intensité et de courte durée (1). Pour cela avait été conçu pour chacune des trois armées un système de « cellules d’intervention », cellules légères, susceptibles d’être retenues en totalité ou en partie pour mettre sur pied et déployer rapidement une force adaptée à la situation du moment (2). Ces cellules ont pris nom de « Guépard » pour l’armée de terre, de « Tarpon » pour la Marine et de « Rapace » pour l’Air. Sans entrer dans le détail, les cellules Rapace prévoyaient un maximum de douze appareils de combat avec l’environnement technique et logistique adapté, le tout étant transporté par avion. Le problème, à l’époque, était que les avions prévus – des « Vautour »(3) pour l’attaque et l’appui et des « N2501 » pour le transport – avaient les uns et les autres les pattes courtes tandis que la capacité d’emport des Nord 2501 était limitée, ce qui obligeait ces derniers à mettre en œuvre un flot d’appareils relativement important pour répondre à des besoins même limités. Le livre blanc de 1972 expose clairement le concept. Cet inconvénient était d’autant plus pénalisant que le transport aérien avait aussi la charge d’opérer au profit des cellules Guépard de l’armée de terre. Dans ces conditions, atteindre depuis la métropole aussi bien Dakar que N’Djamena et plus encore Bangui ou Libreville imposait de multiples escales, d’où des délais pour obtenir les autorisations des pays concernés tandis que le choix des itinéraires était restreint, les contournements de pays non coopératifs ne pouvant qu’augmenter les délais de mise en place ... et le nombre d’escales. En un mot, les moyens prévus par l’armée de l’air étaient encore peu adaptés aux contraintes de la stratégie alors envisagée. Cet inconvénient, si on ne faisait rien, ne pouvait que s’aggraver avec le temps.
Après la fin de la guerre froide et la disparition de l’URSS, totalement inattendues l’une et l’autre, l’instabilité, loin de s’apaiser, allait s’aggraver pour des raisons très différentes, aussi bien en Europe qu’ailleurs. En Europe, si l’ordre ancien, détestable, n’était plus, en revanche c’est le désordre qui s’était installé. Le retrait soviétique avait mis à découvert un ensemble de pays appauvris, sinon ruinés et instables sur fond de problèmes de frontières, de religions, de régionalisme ou de nationalités. C’était là une source de crises sévères dont celles des Balkans sont encore dans toutes les mémoires (Croatie en 1991, Bosnie à/c de 1992, Kosovo en 1999). Hors d’Europe, Soviétiques et Américains avaient réussi pendant la guerre froide à bloquer certains conflits extérieurs, dès lors que ceux-ci étaient susceptibles de déraper et de provoquer un affrontement direct et majeur entre eux (cas de la guerre du Viêt-Nam, du Kippour en 1973, de la guerre Irak-Iran à compter de 1979...). Ces « verrous » ayant sauté avec la fin de la guerre froide, l’instabilité s’est aggravée notamment dans les pays s’étendant en arc de cercle du Maghreb à la Corée du nord en passant par le Moyen-Orient, par les républiques caucasiennes et celles d’Asie centrale, tandis que Saddam Hussein crut que le moment était venu pour lui de se lancer dans une politique d’expansion au détriment de ses voisins avec la conséquence que l’on sait: Deux guerres de première grandeur, l’une à laquelle la France a participé (Le Golfe 1991) et l’autre où elle est restée à l’écart (Guerre en Irak de 2003). D’autre part, certains pays, en Afrique notamment, avaient perdu au lendemain de la chute du mur, toute importance stratégique et étaient abandonnés à eux mêmes. L’anarchie s’est alors étendue offrant un terrain propice aux mouvements extrémistes, en particulier religieux, tandis qu’en Afghanistan, les talibans offraient aux terroristes du monde entier toutes facilités pour s’entrainer chez eux. Le drame du 11 septembre 2001, la guerre en Irak, puis la guerre en Afghanistan en ont été les conséquences. Dans un tel contexte, le domaine de nos interventions extérieures s’élargissait encore. Il imposait à l’armée de l’air, entre autres, la généralisation progressive au cours des années 90 de l’aptitude au ravitaillement en vol de sa flotte aérienne de combat, l’acquisition de quatre avions ravitailleurs supplémentaires et pour le transport, l’acquisition de quatorze C130H (15 tonnes sur 5000 km) suivie de celle d’Airbus A310 et A340 afin de renforcer les capacités de soutien logistique des forces projetées.
Ces crises et guerres de l’après guerre froide ont des caractéristiques communes :
· - Elles se traduisent le plus souvent par des interventions à moyenne sinon à haute intensité pour certaines d’entre elles, c’est à dire conduites contre un adversaire disposant de systèmes de défense modernes ou, au minimum, faisant appel aux ressources de la haute technologie ( Kosovo, Golfe, Afghanistan , Libye tout récemment) (6) et ce, au milieu d’une population qu’il s’agit de protéger, ce qui impose des règles d’engagement drastiques et des actions feu d’une extrême précision.
· - Non seulement les interventions se déroulent loin de notre territoire, mais encore s’inscrivent elles de plus en plus dans la durée (45 jours pour la guerre du Golfe en 1991; 78 jours pour l’offensive aérienne au Kosovo et en Serbie en 1999; 226 jours en Libye). D’où l’importance accordée au soutien opérationnel technique et logistique des forces engagées.
· - Le cadre de ces interventions est le plus souvent multinational et/ou interallié, ce qui complique la structure des états-majors et organismes de conduite et de contrôle des opérations, tandis que le contrôle du pouvoir politique national doit rester très serré dans la mesure où les opérations se déroulent sans état de guerre déclaré. D’où pour les responsables militaires, comme pour les exécutants, une prise en compte permanente du contexte politique dont ils doivent bien comprendre les données, condition indispensable pour garder la maîtrise de la force et respecter strictement la discipline de l’ouverture du feu.
· - Enfin et surtout, si les opérations ont toujours eu un caractère interarmées, elles n’en sont pas moins caractérisées par le rôle majeur de l’engagement des forces aériennes, notamment dans la phase initiale des interventions, comme cela a été le cas dans la guerre du Golfe, (cinq semaines d’offensives aériennes suivies de quatre jours d’intervention aéroterrestre), au Kosovo (78 jours d’offensive aérienne précédent le déploiement des forces de l’Otan dans la province), en Afghanistan lors de l’offensive US de la fin 2001 destinée à chasser les talibans de Kaboul et tout récemment en Libye comme cela a été évoqué en entrée de cet article. La réactivité et la vitesse d’intervention de nos forces aériennes se sont imposées ainsi comme des facteurs de succès essentiels. Encore faut-il que ces forces soient en mesure d’intervenir non seulement vite et loin, mais encore en toute sécurité pour elles mêmes, pour les troupes amies qu’elles sont amenées à appuyer, directement ou indirectement ... et pour les populations, c’est à dire en évitant tout risque de dommages collatéraux, toutes conditions de mieux en mieux remplies grâce aux avancées enregistrées dans les domaines des équipements et des armements.
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Les contraintes précédemment rappelées ont imposé en effet une évolution progressive et profonde des caractéristiques des forces aériennes engagées. Il y a loin désormais entre les moyens somme toute modestes et aux capacités limitées retenus pour les forces aériennes d’intervention dans les premières années 60 (Vautour/N2501) et ceux d’aujourd’hui, caractérisés, surtout pour l’aviation de combat, par les très hautes performances des vecteurs, de leurs équipements et de leur armement, capables d’opérer dans un environnement opérationnel, technique et logistique complexe, le plus souvent multinational, à plusieurs milliers de kilomètres des bases de stationnement. Ces moyens ont fait en Libye la preuve de leur efficacité, c’est à dire de leur réactivité, de leur capacité de recueil, de traitement et de transmission du renseignement, de la sélectivité enfin et de la précision de leurs frappes. Pour l’armée de l’air, c’est là la conséquence des progrès enregistrés dans trois domaines: la généralisation déjà évoquée de l’aptitude au ravitaillement en vol de ses avions de combat; le développement de munitions air-sol guidées de très haute précision; l’exploitation enfin des possibilités offertes par les nouvelles techniques du traitement de l’information.
Au début des années 60, la technique du ravitaillement en vol était certes connue, mais elle n’était appliquée, et ce depuis 1964, que dans les forces aériennes stratégiques équipées de Mirage IV. Sous la contrainte de notre stratégie d’action extérieure, l’aviation tactique a cherché à exploiter cette technique d’abord dans les unités de F100 (7), appareil prévu pour figurer dans les cellules d’intervention Rapace en remplacement des Vautour. C’est ainsi qu’en février 1969 trois F100 réalisaient le premier raid à longue distance Toul/Dakar et que deux ans plus tard, fin 1971 une autre cellule de trois F100 ralliait Madagascar via Istres, Fort Lamy (N’Djamena) et Djibouti. C’est néanmoins avec la mise en service du Jaguar, à partir de 1975, laquelle succédait à l’arrivée dans les unités de transport, à la fin des années 60, du C160 Transall que l’armée de l’air a disposé des moyens beaucoup mieux adaptés aux contraintes des interventions extérieures de l’époque. Le trio Jaguar/C160/C135F (8) s’est en effet illustré dans la quasi totalité des opérations conduites jusqu’à la fin de la guerre froide, opérations dont il a constitué le fer de lance. Le ravitaillement en vol de notre aviation de combat couplé avec les capacités accrues de notre flotte de transport a eu d’autres conséquences souvent occultées et dont la mise en évidence s’impose.
Alors que jusqu’ici on voyait surtout dans la technique du ravitaillement en vol des avions de combat tactiques le moyen d’assurer un déploiement rapide de ces derniers sur les théâtres les plus lointains, l’opération conduite en Mauritanie fin 1979 à partir de Dakar avec une poignée de Jaguar pour contraindre le Polisario à cesser ses raids au cœur de ce pays a révélé que cette technique permettait aussi – et surtout – d’atteindre des objectifs même très lointains – c’est à dire à plus de 1.200 kilomètres de la base de départ avec retour sans escale sur cette dernière (9). Grâce à la mise en service, dans les mêmes années 70 d’un nouvel appareil de transport tactique déjà mentionné, le C160 Transall caractérisé par une capacité d’emport plus importante et une plus grande distance franchissable, démonstration était faite de la possibilité de soutenir depuis la métropole des détachements d’appareils de combat déployés sur des terrains très éloignés et exigeant ainsi sur place un soutien en personnels allégé. De nouvelles perspectives d’interventions étaient ainsi ouvertes, imposant un nouveau style aux opérations extérieures. L’armée de l’air était amenée du coup, on le sait, à étendre dans un premier temps la capacité de ravitaillement en vol aux Mirage F1 nouvellement mis en service avant de l’étendre ensuite à l’ensemble de la flotte de combat.
La technique du ravitaillement en vol a permis également de diminuer dans une large mesure les inconvénients nés de l’obligation d’obtenir les autorisations de survol (10) et d’escale nécessaires au déploiement de forces aériennes destinées à opérer sur un théâtre extérieur, une contrainte souvent avancée pour minimiser les capacités d’interventions de l’Armée de l’Air. A partir du moment où les distances franchissables tant des avions d’armes que du transport se chiffrent en plusieurs milliers de kilomètres, le nombre d’escales nécessaires au déploiement sur des théâtres éloignés diminue voire s’annule tandis que s’élargit le choix des itinéraires possibles, en incluant notamment la possibilité d’emprunter des itinéraires maritimes. Ainsi, à l’occasion d’une mise en place d’urgence de Jaguar au Gabon, en 1982, les appareils fidèlement suivis par leur ravitailleur C135F et leur C160 n’ont emprunté que des itinéraires maritimes avec une seule escale à Dakar. Aujourd’hui, pour rallier l’Afghanistan, nos Rafale et Mirage 2000D ont le choix entre deux itinéraires, l’un “continental” via la Turquie, l’autre “maritime” via Djibouti, les deux ne comportant également qu’une seule escale.
Cette même technique offre aussi une plus grande possibilité de choix des terrains de déploiement des forces aériennes prévues pour telle ou telle opération. Grâce aux rayons d’action évoqués, un tel terrain peut, si nécessaire, se situer hors du théâtre d’opérations, à plus d’un millier de kilomètres des zones d’intervention envisagées. A titre d’exemple, en 2002, les premiers Mirage 2000D destinés à opérer au dessus de l’Afghanistan ont été déployés sur le terrain de Manas, au Kirghizistan, à plus de mille kilomètres de la zone prévue d’intervention, avec, en prime, entre les deux, la chaîne de l’Himalaya à franchir ! Un tel avantage est d’autant plus apprécié qu’aucune intervention extérieure n’est concevable aujourd’hui sans que les forces ne disposent d’un aérodrome terrestre, qu’il soit implanté au cœur du théâtre ou à l’extérieur, aérodrome indispensable en effet en toute hypothèse aux avions lourds, de transport, ravitailleurs, de guerre électronique, AWACS, sans lesquels il n’est pas possible d’opérer aujourd’hui. Ces aérodromes permettent également aux avions de combat qui y sont déployés de décoller avec le maximum de charges, dès lors que la ou les piste(s) ont la longueur suffisante, ce qui est le cas aujourd’hui pour la plupart des aérodromes modernes répartis sur la planète.
Le développement des armes air-sol guidées de très haute précision est le deuxième facteur qui a bouleversé les conditions d’emploi des forces aériennes tout en multipliant leur efficacité. C’est pour les besoins de la guerre au Viêt-Nam que de telles armes ont été développées par les américains. Elles ont fait leur apparition sur ce théâtre dans les premières années 70. Il s’agissait essentiellement d’armes à guidage laser susceptibles d’être tirées à « distance de sécurité » (stand-of), c’est à dire en évitant à l’avion tireur de survoler son objectif, tout en étant d’une extrême précision. Le 13 mai 1972, le pont de Than Hoa était attaqué et détruit par un seul raid de huit chasseurs « Phantom » de l’USAF armés de tels missiles, alors qu’entre 1965 et 1968, ce même pont avait subi de multiples attaques à la bombe classique sans autre résultat pour les américains que de perdre dix appareils du fait de la défense adverse. C’était là une révolution de première grandeur dans le domaine tactique, révolution appelée à s’étendre au domaine stratégique. C’est ainsi que les premiers raids aériens qui ont marqué le début de la guerre du Golfe dans la nuit du 16 au 17 janvier 1991 ont été conduits, entre autres, par des bombardiers géants B52. Ceux-ci n’ont pas dévasté la capitale en larguant en aveugle des « tapis de bombes » comme au bon vieux temps. Ils ont visé au contraire des objectifs ponctuels – centres de commandement, nœuds de transmissions – situés en plein cœur de la ville, objectifs neutralisés en tirant des missiles air-sol guidés d’une précision décamétrique, sans causer de dommages collatéraux notables. Le B52, symbole du bombardement par tapis de bombes devenait le symbole des frappes dites chirurgicales même si toutes n’ont pas mérité ce qualificatif ! Il n’est pas inutile de rappeler que l’armée de l’air avait su tirer la leçon de l’expérience US au Viêt-Nam en développant pour ses Jaguar un missile air-sol à guidage laser (AS30L), missile utilisé pendant la guerre du Golfe contre des objectifs tactiques (hangars d’aérodromes militaires, navires). Elle fut la seule à utiliser de telles armes, à côté de l’USAF.
Bombes, propulsées ou non, et missiles guidés de précision sont désormais à la base des capacités offensives tactiques et stratégiques des forces aériennes, dont les nôtres, capacités dont l’importance est fondamentale dans la stratégie d’action extérieure Le développement et le perfectionnement de ces armements sont spectaculaires. Leur portée et leur précision – du décamétrique, on est passé au métrique – ne cessent de croître et leur emploi devient de plus en plus indépendant des conditions météo ou de la luminosité par le recours aux systèmes de guidage GPS/inertiel, infrarouge ou par corrélation d’image. Leur engagement se traduit en termes non seulement d’efficacité mais aussi d’économie des forces, avec les conséquences que l’on sait sur le format de ces dernières. Que ce soit au niveau tactique ou stratégique, un nouveau style de guerre aérienne se précise désormais. Les attaques massives plus ou moins dévastatrices pour l’environnement font place aux frappes ponctuelles, réduisant de façon drastique les dommages collatéraux, frappes conduites par un nombre limité de vecteurs dont la vulnérabilité aux défenses adverses devient plus faible grâce à la portée de plus en plus grande de leur armement (11). Ce style est d’autant plus recherché que nous vivons une époque où les interventions sont conduites non pas dans le cadre de la défense directe de la mère-patrie mais dans celui d’actions extérieures visant à éliminer des fauteurs de troubles susceptibles de mettre en cause indirectement nos intérêts et ce dans des territoires plus ou moins lointains dont les populations ne sauraient être victimes des actions conduites par nos propres forces. Le résultat en est un emploi de plus en plus large des bombes et missiles guidées de précision: De 8% de la totalité des munitions air-sol tirées pendant la guerre du Golfe (1991) on est passé à 35% pendant la campagne aérienne du Kosovo, à 60% pendant la première campagne aérienne en Afghanistan (2001) et à 100% pendant les opérations en Libye. Au cours de ces quatre campagnes, la proportion de bombes ou missiles guidés de précision à capacité « tous temps » n’a pas cessé non plus de croître, passant respectivement de 0% à 3%, puis 30% et plus encore pendant l’opération Harmattan (12).
De telles capacités donnent enfin à la notion de “diplomatie aérienne” (13) une réalité qu’elle n’avait pas jusqu’ici. Elle est un volet particulier de la stratégie d’action extérieure. Par diplomatie aérienne en effet, dans son aspect “coercitif” (14) il s’agit de conduire des actions offensives ciblées appuyant une démarche diplomatique, c’est-à-dire dont le but est moins de neutraliser des forces adverses qu’à influencer directement le pouvoir politique du pays visé. Ce qui s’est passé lors de la deuxième phase de l’offensive aérienne au Kosovo en 1999 en est un exemple. Le but des coalisés était d’amener le président Milosevic à stopper l’exode forcé de la population albanaise du Kosovo, à évacuer ses forces de cette province où devaient être déployées celles de l’Otan, le tout sous la pression des seules forces aériennes. La première phase de l’offensive avait été un échec dans la mesure où elle visait les forces serbes présentes au Kosovo, forces qui se mêlaient au flot des réfugiés albanais ou qui restaient camouflées, rendant dans un cas comme dans l’autre inopérante l’action de nos forces aériennes. Celle-ci se transformait, dans une deuxième phase des opérations, en raids stratégiques visant des objectifs au cœur de la Serbie, notamment Belgrade, objectifs soigneusement ciblés en fonction des réactions du chef d’état serbe et ce, sans causer de dommages collatéraux à la population. La destruction de tel ou tel objectif, en réponse à une déclaration ou à une attitude données du dirigeant serbe traduisait une volonté politique de ne pas se laisser impressionner par ces dernières. C’est l’extrême précision des raids qui a permis de conduire une telle stratégie relevant de la diplomatie aérienne coercitive laquelle a finalement amené Milosevic à accepter le déploiement au Kosovo de forces de l’Otan (juin 1999).
Intervenir les premiers, vite et loin, de façon sélective, dosée, sans risques de bavures, avec des forces aériennes de combat et de transport dont les vecteurs deviennent de moins en moins nombreux au fur et à mesure de l’accroissement de leurs performances est une chose. Encore faut-il au préalable avoir une connaissance précise des conditions d’engagement sur le terrain, c’est à dire sur l’adversaire, ses défenses, ses points de vulnérabilité. Encore faut-il, en cours d’opération, disposer d’un environnement opérationnel adapté, un environnement dont la tendance est, quant à lui, de prendre de l’ampleur : avions de surveillance du ciel (Awacs), avions de surveillance du sol (Jstars) (15), avions de guerre électronique... ravitailleurs, et ce pour assurer la sécurité et coordonner l’intervention aussi bien des avions que des hélicoptères et des drones – qu’il s’agisse d’attaque, de reconnaissance, de défense – tout en étant capables de répondre aux contraintes du contrôle politique. Cela fait du monde et tout ce monde doit pouvoir être identifié, recueillir et échanger les données tactiques entre les différents niveaux de la chaine de commandement. Dans les situations le plus souvent mouvantes caractérisant les situations de crises ou de guerre actuelles, il s’agit également de réduire au maximum le délai entre le moment où un objectif est décelé et celui où il est attaqué, après recueil, analyse de cet objectif, décision de l’attaquer et l’attaque elle même. C’est la boucle de John Boyd dite OODA (observe, orient, decide, act). Tout repose sur le recours aux technologies de l’information et de la communication les plus modernes, sur la mise en œuvre de centres de commandement et de contrôle des opérations aériennes capables de suivre en temps réel les opérations, capables de mettre en réseau les différents acteurs, ce qui passe notamment par le recours aux transmissions satellitaires, la numérisation des données et le développement de l’interopérabilité entre nos propres systèmes et ceux des alliés. L’armée de l’air, lors de l’opération Harmattan (16), a récolté les fruits de l’attention qu’elle a portée depuis de nombreuses à l’ensemble de ces domaines: Rôle déterminant du centre de commandement et de contrôle de Lyon Mont Verdun au lancement de l’opération, engagement dans la semaine précédant Harmattan de Mirage F1CR de reconnaissance et de Transall de guerre électronique destinés à recueillir le maximum de renseignements sur le futur théâtre, déploiement d’un de ses awacs et des ravitailleurs nécessaires aux raids prévus, recours à la liaison 16 sur nos appareils permettant l’échange des informations, y compris des images entre les différents intervenants, aptitude des équipages à opérer dans un environnement interallié. Le résultat est connu.
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Cet aperçu des capacités de l’Armée de l’Air dans le cadre de notre stratégie d’action extérieure et notamment les succès enregistrés lors des récentes opérations en Libye ne sauraient cependant masquer les lacunes et faiblesses qui subsistent aujourd’hui dans certains domaines. Quatre d’entre elles doivent être évoquées :
· - La flotte de combat est dotée d’un matériel excellent. Les armements et équipements dont elle dispose et la qualité des équipages la placent au premier rang des flottes européennes. Mais cette flotte se rétrécit comme peau de chagrin et ne saurait, à elle seule, supporter dans la durée des opérations de haute intensité ou exigeant l’engagement d’un volume important de forces. Les excellentes disponibilités maintenues dans les détachements qui ont opéré pendant Harmattan (95%) n’ont été obtenues qu’au prix d’un recours aux ressources logistiques et techniques offertes par les appareils non engagés, ce qui, à terme, pose de sérieux problèmes d’entraînement. Quant au nombre d’appareils de combat engagés, il était dans chaque unité concernée, relativement faible.
· - Le transport aérien a certes rempli son contrat mais son potentiel est en chute libre avec le retard pris par la sortie du très attendu A400M.
· - La question du remplacement de nos ravitailleurs C135F, en service depuis 1964, c’est à dire depuis près de cinquante ans se pose avec acuité. La solution existe – l’A330 adapté à la fois au transport stratégique et au ravitaillement en vol des appareils de combat (programme MRTT – MultiRol Tanker and Transport). Cet appareil a été commandé par la Grande Bretagne et l’Australie. Il devrait figurer dans la prochaine loi de programmation...
· - La France prend un retard sérieux dans le domaine des drones. Les services rendus par le Harfang (drone intérimaire) utilisé tant en Afghanistan qu’au-dessus de la Libye ont confirmé tout l’intérêt de ce genre de vecteur dans la mesure où il est effectivement capable d’assurer une permanence au dessus d’un théâtre. Le Harfang n’a cependant pas de capacités d’attaque, ce qui le pénalise lourdement par rapport à ceux mis en œuvre notamment par les Américains. Le besoin est reconnu mais la solution retenue – le drone « Heron » israélien adapté aux besoins français – apparaît une solution sans doute coûteuse et sûrement réalisable seulement à long terme (> 2020 ?).
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Puisse ce texte appeler en tout cas l’attention des uns et des autres sur l’importance des efforts qu’il nous reste à consentir pour que nos forces aériennes continuent de jouer dans les années à venir le rôle qui doit être le leur au sein de nos armées et ce, pour une meilleure défense de nos intérêts en Europe et dans le monde.
Général Michel FORGET – Décembre 2011.
Renvois :
(1) Le livre blanc de 1972 expose clairement le concept.
(2) La première Instruction officielle instaurant ce système date de 1964.
(3) Vautour B : bombardier léger, bimoteur, sans possibilité de ravitaillement en vol. Le Nord 2501 : bimoteur, premier avion-cargo français, entré en service au milieu des années 50. Il avait un rayon, d’action limité (2 tonnes sur 2500 kilomètres) soit deux escales et près de 11 heures de vol pour rejoindre Dakar depuis la métropole. Etait néanmoins très supérieur à son prédécesseur, le DC3 (2 tonnes sur 1800 kilomètres) qui n’était pas un avion-cargo.
(4) Jaguar : chasseur bimoteur franco-britannique apte au ravitaillement en vol, destiné à l’attaque au sol, mis en service à partir de 1975 (l’armée de l’air comptera jusqu’à neuf escadrons de Jaguar). Le Mirage F1 entré en service à la même époque sera rendu apte au ravitaillement envol à la fin des années 70.
(5) C160 Transall : remarquable avion de transport tactique franco-allemand entré en service en 1968. Bimoteur. Ses performances en rayon d’action et en capacités d’emport étaient plus du double de celles du N2501 : 5 tonnes sur 5000 kilomètres.
(6) En Afghanistan, les talibans ne manquent pas d’utiliser des IED (Improvided Explosive Device), engins explosifs redoutables commandés à distance.
(7) F100 : chasseur monoplace transsonique adapté aux missions d’attaque au sol et de pénétration. A équipé dans les années 60 deux escadres de chasse de l’armée de l’air.
(8) C135F : avion ravitailleur quadriréacteur dérivé du Boeing 707 dont 15 sont actuellement en service dans l’armée de l‘air.
(9) Le 19 mars 2011, soit trente années plus tard, Rafale et Mirage 2000D ont attaqué depuis leurs bases de stationnement des objectifs situés à 2300 km de ces dernières avec retour directe sans escale.
(10) Aucun moyen ne permet d’éliminer ce problème des autorisations de survol. Ainsi les appareils de notre porte-avions opérant dans l’Océan Indien et destinés à intervenir en Afghanistan ne peuvent se passer de l’autorisation de survol du Pakistan.
(11) Cette portée va de quelques kilomètres pour les premiers missiles à guidage laser à plusieurs dizaines de kilomètres pour les armements air-sol modulaires (A2SM) propulsés et à plusieurs centaines de kilomètres pour les missiles de croisière comme le SCALP, tous missiles et bombes qui ont été tirés au cours de opérations de Libye.
(12) Proportion exacte non diffusée à ce jour.
(13) La diplomatie navale est mieux connue. Elle répond à la même définition, avec des moyens évidemment différents.
(14) La diplomatie aérienne peut être aussi une diplomatie de « coopération » (expression de Mr Coutau-Bégarie). Elle a alors pour but de renforcer les liens d’amitié avec un pays donné ou de démontrer l’intérêt que l’on porte à celui-ci par la participation d’éléments de nos forces aériennes à de démonstrations en vol, voire à des manœuvres avec les forces aériennes du pays en cause.
(15) Quadriréacteur de l’USAF : « Joint Surveillance Tracking Attack Radar System » utilisé notamment pendant la guerre du Golfe et équipé pour détecter les mouvements au sol alors que l’AWACS, lui aussi quadriréacteur (Air Warning Control System) est spécialisé pour la surveillance de l’espace aérien.
(16) Nom de baptême de l’opération conduite au-dessus de la Libye.