Publié le 26 Mars 2016
Jean Cornuault s’est éteint le 9 janvier 2016 au Vietnam, dans cette contrée qu’il adorait, dont il continuait à étudier la langue qu’il trouvait merveilleuse. Un pays où il était « mort » une première fois, 65 ans auparavant…
Peu savent son parcours dans les FFI, dès l’âge de 17 ans et sa participation, décrite dans les notices, à la libération de Saumur et de la poche de Saint-Nazaire (1). On retient surtout son histoire indélébile avec les terres et la culture indochinoises où il effectue son premier séjour dès 1946 et déjà dans les troupes aéroportées.
Après son intégration à l’ESMIA à Coëtquidan en 1947 (promotion "Nouveau bahut"), il rejoint de nouveau l’Indochine à l’été 1949 et une affectation de chef de section à la 3e compagnie du 1er BEP, lequel s’est établi à Hải Phòng quelques mois plus tôt. Cornuault, décrit par Pierre Sergent comme le « plus jeune officier bataillon », c’était « le cauchemar de son capitaine. Saint-Etienne, en pleine opération, se demandait souvent où se trouvait le chef de la 2e section, qui semait ses légionnaires derrière lui, comme le Petit Poucet. Mais ses hommes l’adorait, tant il avait de charme. Ils le suivaient partout, et c’était immanquablement chez les Viets » (2).
De cet officier facétieux, Sergent raconte encore : « Cornuault coupa enfin les gaz. Le repas pouvait commencer. (…) Cet animal de Cornuault n’avait-il pas inventé d’arriver en motocyclette dans la salle à manger de Gia Lam. Il faut préciser qu’il avait le plus grand mal à rouler en voiture, aucune assurance ne voulant consentir à couvrir les risques qu’il prenait. Il semblait inconscient, même à tous ces hommes qui l’étaient déjà passablement » (3).
Jean Cornuault, devenu le « juge-para »,selon l’expression du ministre de la Justice Jean Lecanuet, était l’un des fondateurs d’un groupe informel, dont la seule évocation du nom pouvait susciter la jalousie : « les Paras du Palais ». C’est là que je l’ai connu, au début des années 2000. Un regard curieux et enjôleur, une tenue toujours impeccable, le cheveu très court et le sourcil taillé. Une vivacité physique et d’esprit qui nous bluffait. Fondateur du groupe, Jean en était aussi le pilier et le héros.
Un héros taiseux, modeste, qui n’aimait pas beaucoup parler de lui. Mangeant peu, ne buvant pas, il était néanmoins satisfait de trouver des « jeunes » pour leur conter ses voyages au Vietnam et aussi parler le Russe avec notre unique adhérente, parachutiste confirmée, qui avait naguère occupé un poste à Kiev.
Il faut dire que Jean avait terminé sa carrière militaire à Moscou, comme attaché militaire de l’Ambassade de France. Il en avait profité pour perfectionner son Russe et achever sa licence en droit.
Aussi, quand quelques années plus tard, devenu juge d’instruction – et par le hasard d’un échange de permanence impromptu avec un de ses collègues – il est dépêché sur les lieux du crash du Tupolev 144, en plein meeting du salon du Bourget, il peut difficilement dissimuler sa gêne devant les « autorités soviétiques » qui s’agacent de sa présence. Amusé, Jean nous racontait : « J’aurai pu tenter de leur expliquer que c’était par un pur hasard que, seul magistrat instructeur parlant russe et ancien officier en poste à Moscou, je me retrouvais chargé de cette affaire. Mais à quoi bon ? Ils ne m’auraient jamais cru ! ».
Tous, nous connaissions le récit de ce que Jean avait enduré en Indochine, et qui appartient à l’Histoire. La sanglante bataille de la RC 4 en octobre 1950, ses deux blessures sur le Na Kheo au sud de Dong Khé, le désastre de la cuvette de Coc Xa (Louis Stien parlera d’holocauste (4)), où tous les commandants de compagnie sont tués (Jean retournera à Coc Xa à une ou deux reprises). C’est la fin du BEP, la grande marche pour les survivants, puis quatre longues années de détention au camp n°1, ponctuées de nombreux déplacement et de brimades en tout genre.
Avec son camarade Louis Stien, notamment, il tentera de s’évader en mai 1951, dans des conditions qu’on imagine impossibles, mais toujours avec la même audace. Stien raconte ainsi que Cornuault, placé en tête du groupe d’évasion et tombant en pleine nuit nez à nez avec une compagnie viet sur l’étroite piste, décide de « bluffer », les bodois qu’ils croisent en remontant toute la file côte à côte…
Dans un des rares témoignages qu’il a laissé – resté anonyme et modestement signé d’« un des lieutenants du 1er BEP » – Jean raconte un épisode sa détention (5). Repris après son évasion, il est mis « aux buffles » où il est attaché jour et nuit. Une nuit, il est réveillé par des hommes armés : « Je suis sorti de la maison, tenu en laisse, deux ou trois pistolets-mitrailleurs dans le dos. J’ai conservé dans ma mémoire le souvenir de la ligne de collines visible dans l’obscurité et celui, aussi précis, de mes pensées, réduites à une seule : cette fois, ça y est. J’étais parfaitement calme et détendu, attendant la rafale. Ce jour-là j’ai vu la Mort et depuis je "fais du rab". (C’est assez dire que dans la suite de ma carrière, décorations, avancement et opinions des diverses hiérarchies sur mon compte ne m’ont jamais beaucoup préoccupé). La rafale n’est pas venue. Il s’agissait en fait d’un interrogatoire par le chef de camp sur la préparation et le déroulement de mon évasion, interrogatoire qu’il avait fait précéder d’une petite mise en scène destinée sans doute à me mettre en condition… ».
Bien plus tard, alors qu’il procède à une audition dans son cabinet d’instruction, le « Juge-para » balaie d’un revers de la main les menaces de mort que lui adresse… Jacques Mesrine. Tout en l’invitant à passer à l’action, il lui oppose calmement « Vous savez, j’ai déjà vu la mort et depuis je "fais du rab" ». Le respect prévaudra désormais dans leurs rapports.
Ce n’est que récemment que Jean Cornuault avait entrepris d’écrire sur sa vie. Ses mémoires, intitulés « Du sabre à la toge. Itinéraires d’un parachutiste » étaient parus en mars 2015 chez Indo Éditions. Un livre à lire, sans aucun doute.
Philippe Rignault, lieutenant de réserve (1er RHP), avocat au barreau de Paris et membre des "Paras du Palais".
- Officier de la Légion d’honneur, croix de guerre 1939-1945 (obtenue comme « SAS »), croix de guerre des T.O.E. (Indochine), croix de la valeur militaire (Algérie), 7 citations, médaille des évadés, 2 blessures de guerre, il s’était notamment illustré au Na-Kéo, durant la bataille de la RC4 comme chef de section au 1er BEP. Fait prisonnier quelques jours plus tard, il avait subi 4 ans de captivité au camp n°1 (octobre 1950-septembre 1954). Il avait enchaîné avec la guerre d’Algérie où il fut un soldat digne d’éloges. De retour d’Algérie, il avait été chef de bataillon au 9e RCP.
- Pierre Sergent, Je ne regrette rien, Fayard - 1972, p. 54
- Ibid., p. 57
- Louis Stien, Les soldats oubliés, Albin Michel, 1993
- http://www.indochine-souvenir.com/recits/tem07_campn1.pdf
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NDLR : avant d’écrire ses mémoires, Jean Cornuault avait à plusieurs reprises évoqué quelques événements de sa vie. En voici deux :
Premiers pas derrière le Rideau de Bambou
Le 17 septembre 1950; à l'âge de 23 ans, je servais à la Légion Etrangère en qualité de lieutenant chef de section au Premier Bataillon Etranger de Parachutistes (1er B.E.P.). Ce jour-là nous avons sauté à That Khê, sur la RC4, dans le cadre de ce qui devait devenir le premier désastre de l'histoire de la Guerre d'Indochine, à savoir l'évacuation du poste de Cao Bang.
Je ne dirai rien sur l’histoire des combats, maintes fois décrite dans de nombreux ouvrages. En ce qui me concerne, deux fois blessé le 3 octobre sur le Na Khéo près de Dong Khé, j’ai participé ensuite aux combats de Côc Xa qui virent L’anéantissement du 1er B.E.P. A partir du 7 octobre, après la dispersion des unités, j’ai marché dans la jungle sans soins et sans nourriture jusqu’à That Khé que j’ai atteint le 12 au soir pour voir ce poste français occupé par les Vietminh. Il avait été évacué le 10. Je me suis caché dans des buissons avec l'intention de repartir le lendemain matin. Sans doute aperçu par des paysans, j'ai été capturé par des bodois (nom des soldats en vietnamien), peu après le lever du jour.
Les bodois m’ont emmené courtoisement vers une petite maison de paysan où se trouvait leur officier. J’avais mes vêtements déchirés et un essaim de mouches avait élu domicile sur ma cuisse droite blessée. J’ai été accueilli par un jeune homme de mon âge qui m’a dit dans un français sans accent : « tu as un grade, toi ? » Je lui ai répondu que j’étais lieutenant chef de section. Il m’a dit : « moi aussi. Il y a longtemps que tu n’as pas « bouffé ? » Sur ma réponse affirmative il m’a dit : « viens, tu vas bouffer avec nous ». Nous nous sommes assis tous les deux sur le lit bas de l’unique pièce de cette masure et ses hommes nous ont servi un menu que je n’ai jamais oublié, du riz et une soupe de potiron. Nous avons parlé métier. Ensuite nous nous sommes séparés, lui poursuivant la guerre et moi franchissant le rideau de bambou pour quatre ans de captivité. Quand je raconte cette rencontre et son atmosphère cordiale, je dis toujours que si ce jeune officier vietminh avait été un camarade de promotion rencontré par hasard lors d’une opération, notre relation n’aurait pas été différente. Nous avions le même âge, la même langue, le même grade et la même fonction. Seule l’Histoire nous séparait…et nous dépassait... A l’infirmerie, sise dans l’école du village, où mon hôte m’avait fait conduire après le repas, j’ai retrouvé quelques officiers blessés dont le lieutenant Faulques, grièvement atteint, et qui devait être rapatrié sanitaire par avion quelques jours plus tard. Pendant ce séjour nous avons eu de nombreuses visites d’officiers vietminh, manifestement heureux de parler français. Tous sortaient des établissements d’enseignement français.
Je me souviens de l’un deux, sympathique médecin, qui m’a dit qu’un jour, dans une réunion d’étudiants, une jeune Française de ses condisciples lui avait donné un coup d’éventail. On connaît l’importance des coups d’éventail dans l’Histoire. Cette anecdote illustre ce que tous évoquaient, à savoir le peu de considération avec laquelle ils étaient traités dans leur propre pays par ce qu’il faut bien appeler le Colonisateur, notamment par une grande partie des « petits blancs », lesquels ne parlaient qu’avec mépris des « Nhacs », abréviation de nhà qué, paysan, mot devenu depuis péjoratif et injurieux au Viet Nam. En outre peu de postes de responsabilité étaient réservés aux intellectuels locaux. Tous ces officiers d’unités combattantes étaient des nationalistes, déclarant se battre contre le régime colonial mais ne cachant pas leur sympathie pour la France, sa langue et sa culture. Aucun n’a jamais fait référence dans ses propos à l’idéologie communiste.
Ce n’est qu’en arrivant au camp n° 1, nom du camp ou étaient détenus les officiers prisonniers, que j’ai découvert les références au Communisme à travers le vocabulaire utilisé par nos geôliers. Choisis sans doute dans la précipitation, nos premiers chefs de camp étaient manifestement des rustauds peu préparés à cette fonction. Il faut noter toutefois qu’aucun pays en temps de guerre n’affecte ses meilleurs officiers à ces postes…
Ce camp n’était pas un « camp » au sens propre. Nous étions logés par petits groupes d’une dizaine dans les maisons de villages perdus dans le nord-est du pays en cohabitant avec les propriétaires et leur famille. Nos conditions d’existence étaient misérables, pieds nus, vêtus légèrement de tenues de paysan en toile. La nourriture se composait uniquement de riz et d’un bouillon clairet. Ceci est une autre histoire. Ces quatre ans de captivté ont été parfaitement décrits par mon camarade ce combat, de captivité et d'évasion, Louis Stien, dans son livre « Les soldats oubliés » publié aux Editions Albin Michel.
Expérience inoubliable
J'ai vécu au Camp N° 1, nom donné par le Commandement Vietminh au camp d'Officiers prisonniers, du 13 octobre 1950 au début septembre 1954, fin de la guerre d'Indochine pour la France, soit près de quatre ans.
Pendant cette période, début mai 1951, j’ai fait avec deux camarades une tentative d’évasion. Cette évasion a été racontée par l’un d’eux, Louis Stien, dans son livre « Les soldats oubliés », Editions Albin Michel. Repris après quelques jours et ramenés au camp soigneusement ficelés par notre escorte, nous avons été séparés et enfermés chacun dans des étables obscures situées sous des maisons, toutes sur pilotis dans cette région. Après une semaine, attachés jour et nuit, nous n’avons plus été attachés que la nuit. L’obscurité empêchait toute chasse aux poux qui proliféraient impunément dans nos vêtements. Pour compléter le tableau les buffles, les porcs et les canards se déplaçaient, eux librement, dans l’étable boueuse. Notre nourriture se composait uniquement d’un peu de riz et de sel.
C’est là que se place cette expérience inoubliable, moment de ma vie qui a eu une importance capitale dans le regard que j’ai porté par la suite sur l’existence. Pendant la semaine au cours de laquelle j'étais isolé et attaché jour et nuit, j’ai été réveillé une nuit par quelques hommes armés, à la mine sombre, qui m’ont dit : « Partir chef de camp ». Il est à préciser qu’à l’époque, des prisonniers évadés n’ont jamais été revus et ont été simplement « liquidés ». Je suis sorti de la maison, tenu en laisse, deux ou trois pistolets-mitrailleurs dans le dos. J’ai conservé dans ma mémoire le souvenir de la ligne de collines visible dans l’obscurité et celui, aussi précis, de mes pensées, réduites à une seule : « cette fois, ça y est ». J’étais parfaitement calme et détendu, attendant la rafale. Ce jour là j’ai vu la Mort et depuis je « fais du rab ». (C’est assez dire que dans la suite de ma carrière, décorations, avancement et opinions des diverses hiérarchies sur mon compte ne m’ont jamais beaucoup préoccupé). La rafale n’est pas venue. Il s’agissait en fait d’un interrogatoire par le chef de camp sur la préparation et le déroulement de mon évasion, interrogatoire qu’il avait fait précéder d’une petite mise en scène destinée sans doute à me mettre en condition….
Environ une heure plus tard j'ai été ramené dans mon étable... Quelques jours après cet épisode, j'ai retrouvé mes deux camarades d'évasion. Nos conditions de vie se sont améliorées. En effet, nous n'étions plus attachés que la nuit... Quand nous avons eu la possibilité de chasser nos poux, je me souviens de la première chasse : 250 têtes... Cette intéressante aventure humaine a duré quatre mois, à l'issue desquels nous avons rejoint nos camarades de captivité et repris ce qu'il faut bien appeler, par comparaison, une vie normale...