Publié le 26 Janvier 2014
Soldats à Diên Biên Phù (copyright ECPAD).
Retour à la 13.
Giacomo Signoroni revient en Indochine en 1951. Il rejoint sa formation d’origine, la 13e DBLE. L’unité est transportée dans le Tonkin où, là encore, elle s’illustre à de nombreuses reprises. En novembre 1953, l’Opération Castor est décidée. Il s’agit de réoccuper les bâtiments d’une ancienne garnison japonaise dans le village reculé de Diên Biên Phù, à l’ouest du Tonkin, proche de la frontière du Laos. Le but étant d’attirer en cet endroit un maximum de forces du Vietminh et de les battre. Définitivement. Il s’agit également de fermer la frontière avec le Laos pour éviter la contagion communiste. Les 1er et 3ème bataillons y sont envoyés.
Giacomo Signoroni : « Je revois encore le lieutenant-colonel Gaucher. Il était le commandant de la 13. Il nous avait réuni et nous indiqua : « C’est simple. Je connais le terrain. Ici, j’ai foutu une branlée aux Japonais en 1940 ! »
Diên Biên Phù : la mission.
L'assaut contre le camp retranché de Diên Biên Phù est déclenché le 13 mars 1954, contre le point d’appui (PA) Béatrice, alors sous le commandement du commandant Pégo. C’est une pluie d’obus qui s’abat sur le PA, et ce à l’étonnement général, à commencer par le commandant des forces françaises, le général de Castries. Le colonel d’artillerie Piroth, qui a juré qu’aucun obus ne serait tiré sur le camp, prend acte de son erreur et se suicide quelques jours plus tard à l’aide d’une grenade. En fait, les troupes du Vietminh ont mobilisé des dizaines de milliers d’hommes pour creuser des galeries un peu partout à l’intérieur des collines qui entourent le camp retranché. Elles y ont placé des canons, qu’elles peuvent, aussitôt le coup parti, rentrer dans leur cachette. Le commandement français devient fou ne sachant d’où viennent les coups.
Quant au PA Béatrice, comme les autres PA d’ailleurs, ses constructions n’ont absolument pas été faites en prévision de bombardements. En quelques heures, les voilà pulvérisées…Les soldats français tombent comme des mouches. Pégo et Gaucher sont tués par un obus qui pénètrent dans leur abri.
Giacomo Signoroni : « En qualité de Chef de la Section Pionniers, je fus convoqué par le lieutenant Bacq, commandant la C.C.B. (Compagnie de Commandement du Bataillon) du 1/13 DBLE (1er bataillon de la 13ème demi-brigade), le 14 mars 1954 vers 8 heures. Etaient présents : le chef de bataillon Brinon, commandant le 1/13 DBLE, le lieutenant de Chapotin, officier de transmission du 1/13 DBLE et le capitaine Stermann, médecin-chef du 1/13 DBLE.
Une trêve venait d’être signée jusqu’à midi. Le lieutenant Bacq me donna des explications sur ma mission :
- Rassembler au complet sans armes.
- Tenue de combat, casque lourd, toile de tente, couverture, bidon plein d’eau, le maximum de brancards, pelles de campagne.
- Pas d’insigne de l’unité et du grade.
Mais les officiers revinrent sur ce dernier point devant ma ferme attitude à vouloir conserver les insignes de grade.
Ma mission consistait en les éléments suivants :
- Me rendre sur le PA Béatrice – le camp retranché de Diên Biên Phù était entouré de PA aux noms de Gabrielle, Anne-Marie, Huguette, Dominique, Eliane, Claudine, Béatrice, Françoise et Isabelle – perdu la nuit du 13 au 14 mars 1954, après de durs combats.
- Récupérer les blessés, les morts, reconnaître les corps et en particulier ceux des officiers.
- Me rendre compte de la situation sur le PA Béatrice.
Deux Dodge 6x6 furent mis à ma disposition, plus une jeep pour l’équipe médicale, dirigée par le capitaine Stermann, assisté du caporal infirmier Sgarbazzini et deux infirmiers de son équipe médicale.
L’organigramme de ma section était ainsi composé :
- Moi-même, adjudant Signorini.
- Sergent Trumper (qui fut tué le 17 mars 1954).
- Caporal-chef Miguel Leiva.
- Caporal Joss Mirko.
- Les légionnaires : Gutierez, Pregati, Clément, Redina, Bosio, Blanc, Andreis, Nitch, Radwaski, et d’autres encore dont les noms m’échappent plus de cinquante ans après les faits. »
En direction du PA Béatrice.
« A 9h, à bord de nos véhicules, nous démarrâmes en direction de l’antenne chirurgicale où nous retrouvâmes l’équipe médicale du capitaine Le Damany, médecin-chef de la 13 DBLE, ainsi que le Père Trinquant, aumônier de la demi-brigade. En tête du convoi se trouvaient les quatre véhicules de l’équipe médicale, battant pavillon de la Croix Rouge : la jeep du capitaine Le Damany, une ambulance, la jeep du capitaine Stermann et le véhicule du Père Trinquant. Suivaient mes deux Dodge plus un camion GMC pour les légionnaires.
Le convoi prit la direction du PA Béatrice. Un kilomètre avant l’arrivée sur le PA, je remarquai deux emplacements de mines antichars, de chaque côté de la route, ainsi que plusieurs autres pour des armes automatiques, et en particulier des SKZ, placés à mi-hauteur sur les pentes qui surplombaient le chemin. De même, je vis des recoins de combats, destinés certainement à une compagnie pour une embuscade. Tous ces dispositifs ne pouvaient être là que pour nous empêcher de dégager Béatrice.
A l’entrée du PA, la barrière était fermée. La chapelle était intacte. Par contre, le terrain tout autour était labouré par les obus et les mortiers. Notre convoi stoppa à la chapelle. Je fis mettre pied à terre et disposait les véhicules pour le retour. Ordre était donné aux chauffeurs de ne pas bouger, prêts à toute éventualité.
Sur Béatrice même, régnait un silence pesant. Un silence de mort et de désolation. Les abris étaient démolis, les tranchées pleines de terre, à la suite des éclatements des obus ou des grenades. C’était évident : la lutte avait dû être dure et farouche. Mais, en dépit de ces images de dévastation, j’avais un sentiment étrange : il y avait une présence vivante autour de nous. Etait-elle amie, ennemie ? Nous partageâmes cette intuition. Aussi, disposais-je mes légionnaires en plusieurs équipes, et nous commençâmes la montée sur Béatrice. Nous progressions difficilement, fouillant avec minutie les abris à la recherche de survivants.
Avec l’équipe du caporal-chef Leiva, je me rendis à l’abri du PC (poste de commandement) du commandant Pegot, situé au sommet du point d’appui. Le Père Trinquant me rejoignit. Le toit de l’abri était effondré ; les créneaux et l’entrée étaient bouchés par des éboulements. Il était impossible de constater si des corps se trouvaient sous les décombres. Je présumai que les restes du commandant Pegot, du capitaine Pardi étaient ensevelis, avec tous les occupants du PC. »
Face-à-face avec un officier Vietminh.
« Je descendis vers la rivière appelée Nam Youm (il faut la traverser en quittant le PC du général de Castries, Béatrice étant une des collines les plus éloignées). Partout régnait ce même silence de mort. A mi-chemin, un officier Vietminh, dont j’avais remarqué la présence (certainement un commissaire politique) m’interpela et me signala que sur cette piste se trouvaient trois blessés, abandonnés, surpris comme les autres par l’attaque de nuit. Mais pour quelle raison auraient-ils été laissés là, alors que, visiblement, les Bodoïs avaient emporté les morts et les blessés du Corps Expéditionnaire ? Tout à ma mission, je remontai vers le sommet du PA et, face à la chapelle, nous trouvâmes un mort, à moitié enseveli sous les décombres. Je ne découvris pas son identité.
Le même officier Vietminh m’interpela à nouveau et m’indiqua que tous les survivants officiers, sous-officiers et légionnaires avaient été conduits vers des camps de captivité, les blessés vers des infirmeries et des hôpitaux, et que les morts avaient été ensevelis dans les abris effondrés et dans les tranchées. A ma demande sur le sort des officiers, sa réponse fut la suivante : « Tous les prisonniers seront bien traités chez nous ». Puis, il me confia une bouteille de rhum en me disant : « Pour vos blessés ». Enfin, il me serra la main et me souhaita bonne chance.
Plus de cinquante ans après, je me pose encore la question : comment cet officier ennemi a pu s’adresser à moi, alors que j’étais en mission, et entouré de trois officiers, portant bien visibles leurs galons ? Peut-être s’agissait-il encore une fois de cette philosophie vietnamienne dont on parlait tant.
Vers 11h, un tir d’artillerie fut déclenché depuis les camps retranchés. Les obus de 155 visaient les collines entourant le camp retranché de Diên Biên Phù. Alors qu’un cessez-le-feu était en vigueur, pourquoi ce tir, sachant que des éléments français se trouvaient en ce moment même en zone Viet pour effectuer une mission humanitaire. Nous continuâmes rapidement nos recherches et nous récupérâmes les trois officiers dont avait parlé notre ennemi. Il s’agissait des lieutenants Pungier, Jego, et Carrière. Mais le temps de notre mission étant compté, nous dûmes rentrer à la base non sans avoir essuyé un nouveau tir d’artillerie à hauteur de l’antenne chirurgicale. Nous eûmes à déplorer un blessé léger.
Et je rendis compte de ce que j’avais vu à l’officier des renseignements et retrouvai mon unité vers midi. Plus de cinquante-cinq après, je tiens à préciser une fois pour toutes et en particulier à ceux qui écrivent des bons livres, que les artisans de cette mission sont bien ceux cités et non d’autres. Il s’agissait bien de la 13ème DBLE et en particulier de la Section Pionniers ».
A Diên Biên Phù.
« A Diên Biên Phù, nous avons tous fait notre travail en soldat. Je prends en exemple les légionnaires de la Compagnie de Commandement du Bataillon (CCB) du 1/13 DBLE, qui avec sa Section Pionniers fut à toutes les pointes des combats, soit comme section de choc, soit avec les M5 Extincteurs Spéciaux que les anciens connaissent très bien et qui étaient célèbres pour leur efficacité dans les préparations d’attaque ou pour enrayer les assauts ennemis.
La Section Mortiers de l’adjudant Adamait fut elle-aussi à la pointe des tous les combats. Pour sa part, elle agissait soit en tir d’appui et de barrage, soit en unité de combat, ce qu’elle fit à la fin après avoir détruit ses dernières pièces. Il faut également citer le travail remarquable de l’unité de transmission, avec les caporaux Guenzi et Piccinini, le sergent Ladrière et le sergent-chef Toussaint et tant d’autres encore. Quant au Service de santé avec Stermann, c’est bien simple, il était présent à chaque instant.
Je tiens également à préciser que les derniers à passer la Nam Youm, le 8 mai 1954 – c’est-à-dire le lendemain de la reddition du chef du GONO (Groupement Opérationnel du Nord Ouest, le général de Castries) – furent les éléments de la CCB 1/13 aux ordres du capitaine Coutant, la Section Pionniers, la transmission, plus les survivants des trois compagnies du capitaine Capeiron, du lieutenant Viard, du lieutenant Bacq et du lieutenant de Chapotin. D’autres noms m’échappent. Ils passèrent vers 15h après avoir soutenu les assauts des Bodoïs sur Eliane 2.
Après avoir tiré le dernier obus, la Section Mortiers détruisit l’unique pièce et prit part au combat comme unité fantassin. Le sergent Ladrière et le sergent-chef Toussaint en firent de même après la destruction des matériels de transmission. Les caporaux Guenzi et Piccinini assurèrent la liaison radio jusqu’au dernier moment avant la destruction de leur matériel.
C’était la fin. Les Viet arrivaient de partout. Nous étions encerclés, prêt au sacrifice suprême. Piccinini et Guenzi brûlèrent le fanion de la compagnie. Ordre était donné de nous rendre. L’humiliation.»
Pour ses actes de guerre et de bravoure, Giacomo Signoroni reçut la médaille militaire, sur le champ de bataille. La fin de l’aventure indochinoise est connue. Après le désastre militaire, et face à des dizaines de milliers de soldats ennemis, les troupes du Corps Expéditionnaire capitulent. S’ensuit une marche de près de 700 kilomètres, dans des conditions épouvantables, à travers la jungle pour rejoindre l’est du pays (Giacomo Signoroni est enfermé au Camp 73).
Les pertes humaines à Diên Biên Phù sont d’environ 3.000 morts au combat ou disparus, plus de 4.400 blessés. Le 8 mai 1954, les hommes du général Giap font 10.948 prisonniers. Au moment de la restitution de ces mêmes prisonniers, en septembre 1954, 7.658 hommes manquent à l’appel…
L’Algérie.
Au retour de l’Indochine, Giacomo Signoroni est muté dans un Régiment Etranger de Cavalerie. Entre 1954 et 1960, il combat les fellaghas à la frontière marocaine dans la région de Colomb-Béchar. Raccourci tragique de l’Histoire : c’est en ces lieux que disparut le 28 novembre 1947, le général Leclerc, qui avait été à le premier chef du Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient en 1945-46.
Là, Giacomo Signoroni prend part à moult opérations dans les montagnes de l’Atlas Saharien. Puis il suit son unité à Saïda, dans l’arrière-pays oranais, non loin de Sidi-Bel-Abbès, patrie d’origine de la Légion. D’ailleurs, la perte de l’Algérie sera un traumatisme pour elle, comme pour de nombreuses unités. Même si la Légion perd dix fois moins d’hommes qu’en Indochine, de nombreux militaires pensent qu’ils ont été lâchés par le pouvoir politique, quand la victoire par les armes, elle, était acquise. Contrainte de quitter le pays, la Légion étrangère brûle en partant le pavillon chinois, pris en 1884 à Tuyen Quang, et qui ne devait pas quitter Sidi-Bel-Abbès. Elle emporte les reliques du Musée du Souvenir et exhume les cercueils du général Rollet (Père de la Légion), du prince Aage du Danemark et du légionnaire Heinz Zimmermann, dernier tué d’Algérie. Elle s’installera à Aubagne, dans le département des Bouches-du-Rhône.
Mais Giacomo Signoroni n’est déjà plus concerné…
En 1958, il se marie. De cette union, naissent une fille puis un garçon. Peu avant la naissance de son premier enfant, il quitte l’armée. Le retour en France a lieu en 1961. Giacomo Signoroni, officier de la Légion d’honneur, commence une nouvelle vie, une nouvelle carrière au sein de plusieurs entreprises de sécurité et des centres de surveillance.