Publié le 27 Novembre 2010
Vue aérienne de Ténès.
Le 22ème R.I.
Créé en 1791 à partir du Régiment du Viennois et des Bataillons de Guyenne, l’unité prend d’abord le nom de 22ème régiment d’infanterie de ligne et se distingue pendant les guerres de Révolution et de l’Empire, entre autres pendant la campagne d’Allemagne en 1813, où l’empereur Napoléon 1er indique : « Il y a vingt ans que je commande des armées et je n’ai jamais vu tant de bravoure et de dévouement ». Par la suite, le régiment participe à la conquête de l’Algérie en 1830, à la campagne d’unification de l’Italie (bataille de Magenta, de Solferino), à la Guerre franco-prussienne de 1870.
Pendant la Première Guerre mondiale, le 22ème RI, stationné à Sathonay et Bourgoin dans le Dauphiné, est de toutes les grandes batailles, qu’il s’agisse en 1914 de la « course à la mer », la Champagne en 1915, Verdun en 1916, la Somme l’année suivante, les Flandres et à nouveau la Champagne en 1918. Le régiment reçoit quatre citations à l’ordre de l’Armée et la fourragère jaune, couleur de la Médaille militaire.
En 1939, le régiment est affecté à la défense d’Haguenau en Alsace. Il subit la défaite de 1940 mais contribue à la libération du pays quatre années plus tard. Il est de nouveau mobilisé pour la guerre d’Algérie en 1956.
En Algérie.
Cette année-là, le gouvernement de Guy Mollet décide de prolonger le service militaire de six à neuf mois suivant que les soldats appelés sont déjà ou non sous les drapeaux (ils sont alors « rappelés »). L’œuvre de « pacification » décidée pour l’Algérie passe par un envoi massif des soldats du contingent.
L’état-major, la compagnie de commandement et de soutien (CCS) et les bataillons du 22ème RI sont formés le 22 mai 1956 à Sathonay avec des rappelés originaires de la région. Moins d’un mois plus tard, le régiment débarque en Algérie et s’installe dans un premier temps à Fromentin, avant de rejoindre en septembre de la même année la ville de Ténès, située sur la côte entre Oran et Alger. Les bataillons sont dispersés : le 1er s’implante à Gouraya, tandis que le 2ème prend ses quartiers à Montenotte, le 3ème à Fromentin. Au sein de chaque bataillon, les compagnies s’établissent dans les villages, des lieux-dits ou des camps retranchés, parfois des « bordj » terme local que l’on peut traduire par camp retranché ou, littéralement par caravansérail.
Dominique Verley.
Dominique Verley nait le 21 juin 1934 à Neuilly-sur-Seine. Habitant à Issy-les-Moulineaux, sergent rappelé, il intègre le 22ème RI et part lui aussi pour l’Algérie. Il appartient au 2ème bataillon.
Michel Fetiveau, vétéran de la guerre d’Algérie et du 22ème RI, a créé un site internet remarquable (www.22eme-ri-tenes-1956-1962.com) où il répertorie toutes les informations qu’il peut glaner sur son ancienne unité et ses camarades de combat. Il a ainsi retrouvé plusieurs des compagnons d’armes de Dominique Verley et a recueilli leurs témoignages.
Le premier est celui de Monsieur Bailhache : « J’ai commencé des études d’opérateur géomètre à la suite desquelles j’ai dénoncé le sursis que j’avais obtenu. J’ai donc été incorporé au 1er régiment du Train à Montlhéry puis ai été volontaire pour suivre le peloton de brigadier. J’ai suivi les autres, bien que je ne me sentais pas de vocation particulière. Après cela, et dans les mêmes conditions, j’ai suivi le peloton de maréchal des logis, puis les E.O.R. à Saint-Maixent. Là, c’était dans l’infanterie. Comme il y avait des besoins urgents d’encadrement en Algérie, cette formation a été très rapide. Le 15 septembre 1956, je suis sorti aspirant et, avec trois bons camarades de la section, nous avons choisi la même affectation en Algérie pour essayer de rester ensemble. Nous avions demandé le 2ème bataillon du 22ème régiment d’infanterie qui devait se trouver à Collo.
En mars 1957, j’ai été déplacé à Chassériau, petit village ou il n’y avait qu’une brigade de gendarmerie. Avec ma section, j’ai été à nouveau chargé de monter un poste. Le maire du village a mis à ma disposition son école désaffectée et nous nous y sommes installés. Moi j’ai occupé le logement de l’instituteur. Il a fallu fortifier ce poste de façon à éviter d’être harcelés, surtout la nuit. Avec 25 hommes et la proximité des gendarmes, je devais faire face à la population incertaine qui se trouvait tout autour. Nous n’avions pas de radio pour les liaisons avec la compagnie et nous devions nous contenter du téléphone civil.
Nous sommes restés là durant trois mois. J’avais également pour mission de faire des patrouilles tout autour du village pour bien faire voir que l’Armée française était présente. Nous devions aussi protéger des exploitations agricoles isolées, par des patrouilles de nuit, car les colons avaient quitté leurs fermes pour se réfugier au village. Nos contacts avec les colons ont toujours été très bons mais nous avions beaucoup de mal à avoir des relations suivies avec les Algériens dispersés dans les douars. Il y avait des passages de bandes qui faisaient pression sur les populations. Quand les gendarmes venaient nous voir le matin, c’était pour nous annoncer que des Algériens avaient été assassinés dans leurs douars. Il fallait alors les accompagner pour constater les crimes commis par les fellaghas durant la nuit. Ces hommes étaient égorgés ou brûlés, simplement parce qu’ils avaient résisté aux fellaghas. Quant aux autres, terrorisés, ils ne disaient plus rien.
Un jour, le général de Brebisson a atterri en hélicoptère pour venir voir mon poste. Il m’a félicité en me disant « c’est un véritable petit bordj, lieutenant, félicitations » J’étais content parce que les murettes étaient tirées au cordeau, avec des meurtrières efficaces et que tout était parfaitement ordonné. Puis, après six mois dans le grade d’aspirant, je suis devenu sous-lieutenant et à la suite d’une permission, le lieutenant m’a envoyé en plein djebel pour m’installer sur un autre piton, complètement à l’écart du village de Montenotte. Ce piton, désigné par la « cote 541 », devait être aménagé. Le capitaine avait mis à ma disposition un bulldozer, de manière à l’araser afin que toute la compagnie puisse y tenir. Deux sections surveillaient le travail du bulldozer et assuraient la protection. La section Verley et la mienne.
Le 7 juin 1957, j’ai dû me rendre à Cavaignac pour aller chercher des papiers et du ravitaillement. Le lendemain, 8 juin, je me suis joint au convoi remontant, avec le colonel qui voulait voir nos travaux d’implantation. Ce convoi comprenait plusieurs véhicules. En montant la fameuse piste, nous avons aperçu des silhouettes au sommet du piton, comme des ombres chinoises. Le colonel a fait arrêter le convoi pour me demander qui étaient ces hommes qu’on voyait en contre jour. J’ai répondu que c’étaient les hommes du sergent Verley qui nous regardaient monter. Mais d’un seul coup, une rafale de mitrailleuse est partie de là haut et on a compris qu’il ne s’agissait pas de la section Verley, mais de fellaghas. J’ai pris le commandement de la section d’état-major pour donner l’assaut. Nous sommes montés sur une pente assez raide, à travers les broussailles, mais quand nous sommes arrivés en haut, les fellaghas étaient partis. Malheureusement, quatre des nôtres avaient été tués, le sergent Verley lui même et son éclaireur de pointe, Serge Merre, André Canot et Jean Dudat. Un cinquième gars, qui s’appelait Claude Denis, avait été très choqué car il avait reçu une balle sur la crosse de son fusil. Il l’avait échappé belle ! Nous avons retrouvé deux fellaghas tués dans les broussailles. A partir de là, une grosse opération a été engagée avec l’aviation et la chasse mais on n’a jamais retrouvé les fellaghas. Pourtant nous en avions bien vu une vingtaine en silhouettes sur le piton et il est probable qu’ils y en avaient d’autres sur le versant opposé. »
Le second témoignage est de celui de Raymond Ponton : « Le 22ème RI est l’un des régiments qui a eu le plus de morts en Algérie. La plupart étaient des appelés du contingent. La 8ème compagnie était évidemment opérationnelle et de ce fait, j’ai crapahuté partout dans le secteur de Ténès et même au-delà. Ces opérations duraient souvent trois ou quatre jours, notamment dans le massif de l’Ouarsenis et dans des conditions difficiles. A plusieurs reprises, nous avons été héliportés par des « bananes » et autres Sikorski. Au cours des vingt-deux mois que j’ai passés en Algérie, j’ai vu mourir trente camarades de ma compagnie. Cela ne s’oublie pas. Fin janvier 1957, j’ai été désigné avec trois autres copains pour aller porter renfort à une gendarmerie qui se trouvait à Chasseriau, un village entre Ténès et Orléansville. Là, les gendarmes vivaient avec leurs familles mais comme ils n’étaient pas très nombreux, il fallait bien les protéger. C’est là que le 8 juin 1957 les fells nous ont attaqués et que le sergent Verley a été tué. Sur ce piton, nous avons vécu dans des conditions très difficiles. D’abord sous des toiles de tentes, puis dans des baraquements en bois. Le ravitaillement nous était parfois parachuté en même temps que le courrier et les munitions. Nous faisions aussi des ouvertures de routes car les pistes que nous devions emprunter étaient très sinueuses et parfois minées. »
A la suite de la mort du sergent Verley, le bordj auquel il était affecté prend son nom, comme cela peut être constaté sur cette photographie.