Georgette Poussange :
Dépôt de gerbe par Mme Poussange – à gauche – et Mr Fleury, président de l’UFAC d’Issy-les-Moulineaux, le 29 avril 2007 (Journée de la Déportation).
« En 1939, j’avais 13 ans, et nous habitions Malakoff. Après la déclaration de guerre, les alertes se sont multipliées. Nous étions dans un sentiment de panique. Nous descendions dans les abris – généralement les caves – pour un oui ou un non. De plus, les mairies avaient distribué des masques à gaz. Cela renforçait le sentiment de malaise et d’impuissance. De notre fragilité également. Tout à coup, nous pouvions disparaître.
Toujours à la mairie, on nous avait distribué des sortes de laissez-passer, ou bon d’évacuation, je ne sais plus. Tous ceux qui le pouvaient étaient poussés à quitter la ville. Alors, nous sommes montés dans un train, à destination de la ville de Le Blanc, dans l’Indre. Ma mère et ses quatre enfants. Et le spectacle qui nous était offert n’était guère réjouissant : nous voyions défiler les soldats français qui revenaient du front. Ils semblaient paniqués. Et des rumeurs annonçaient l’arrivée imminente des Allemands. Alors, nous suivions le troupeau…
L’accueil des populations de province ne fut pas toujours simple, c’est le moins qu’on puisse dire. En dépit de ces fameux « bons » que nous montrions dès notre arrivée dans une ville, il ne fallait pas se faire remarquer. Nous passions, en quelque sorte, pour des envahisseurs. Chaque soir, il fallait trouver où dormir, de quoi nourrir trois enfants en bas âge. J’aidais ma mère comme je pouvais.
Quand l’armistice a été prononcé, nous sommes rentrés à Malakoff puis nous avons habité les Hauts d’Issy. Là, nous reprîmes l’habitude de faire la queue afin d’avoir des tickets de rationnement pour tous les produits de la vie quotidienne : le pain, le savon (en pâte uniquement), les légumes, la viande ; le dentifrice, par exemple, avait disparu. Le beurre : on nous donnait des quantités infimes. Nous avions faim. Chaque élément prenait une importance considérable. Vous aviez oublié quelque chose : il fallait retourner faire la queue. Combien de fois me suis-je levée à 4h du matin pour patienter devant une boutique. Et souvent, pour ne rien avoir. On vivait au crochet de la mairie et des allocations familiales.
Ceux qui avaient les moyens prenaient leur voiture et allaient à la campagne. Puis, ils revenaient et vendaient ce qu’ils avaient négocié avec des agriculteurs, des commerçants, des amis ou la famille. Des bombardements, j’ai surtout conservé le souvenir de ceux du début de l’année 1942. Le ciel était rouge des flammes des usines Renault de l’île Seguin. Il y eut de nombreux morts. Je me souviens également des soldats allemands blessés. Nous voyions passer des convois en direction de l’hôpital Percy.»
Lucette Pontet :
A droite, Mme Pontet, porte-drapeau du comité local de la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes.
« Pour ma part, j’habitais le quartier de la Ferme, en face de l’usine Chausson. Aujourd’hui, on aurait du mal à y croire, mais il y avait là une véritable ferme, avec des animaux de basse-cour, des vaches. On déplaçait souvent ces dernières d’ailleurs. On envoyait les pauvres bêtes à la campagne, se refaire une santé et brouter de la bonne herbe, et les nouvelles venues étaient nourries de foin. Une fois, l’une d’elles s’est échappée : je vois encore mon frère courir après dans les rues de la ville. C’était folklorique, tout de même. La ferme servait à fournir du lait pour les habitants des Moulineaux, et c’était aussi, avec ses pigeons et ses lapins, un commerce comme un autre. Je trouvais cela formidable.
A l’époque, j’étais une petite fille. Je me souviens avant tout des bombardements. Les usines Renault étaient souvent visées. Et nous avions une source d’informations hors pair : notre chien ! Avec mes parents, il suffisait de voir le chien inquiet, puis aboyer, et nous savions que quelques minutes plus tard, nous allions être bombardés. Ou du moins que des avions allaient nous survoler pour bombarder Boulogne ou Paris.
Il y a eu des bombardements allemands, et aussi anglais et américains. Je ne saurais pas dire lesquels ont fait le plus de morts. Mais souvent j’entendais mes parents évoquer le triste sort d’une maison, d’une rue (Auguste Gervais par exemple) ou encore d’un immeuble. Le bas de Meudon était particulièrement visé. Il y eut aussi le Pont de Sèvres, en 1944. Un dimanche, alors, que les parisiens allaient au champ de course de Longchamp. Ce fut un massacre.
Beaucoup de choses, certainement insignifiantes pour les adultes, m’ont marquées durant cette période. Ainsi, je me souviens des fenêtres qu’il fallait calfeutrer, des ampoules de couleur bleue qu’il fallait partout installer. Surtout, ne pas se faire remarquer et respecter le couvre-feu.
A l’école, j’allais chez les Sœurs (Ecole Jean-Pierre Timbaud). Nous chantions « Maréchal nous voilà ». Moi qui étais gauchère, je me suis souvent fait taper sur les doigts pour changer de main.
Les descentes de police étaient fréquentes. Une fois, boulevard Rodin, nous avons vu la Gestapo entrer dans un immeuble. Nous savions que des choses horribles allaient se passer.
Et puis la Libération est arrivée. On a d’abord vu de plus en plus de Résistants. Beaucoup portaient des brassards des F.F.I. Un bon nombre d’entre eux était certainement d’authentiques héros ; il y en eut aussi qu’on avait vu « discuter » peu de temps auparavant avec les Allemands. Ensuite, ce furent les soldats de la 2ème Division Blindée, de Gaulle, les Américains. Nous étions enfin libres ».