Publié le 31 Août 2011
Monsieur Foo Sien Wang.
Dans le carré militaire de la Première Guerre mondiale, à Issy-les-Moulineaux, se trouve la tombe de Foo Sien Wang, soldat travailleur chinois, mort pour la France le 1er mars 1919.
Dès les premiers mois de la Première Guerre mondiale, le manque d’effectifs se fait sentir autant chez les Français que leurs alliés britanniques. Les premiers font rapidement appel aux troupes coloniales d’Afrique et d’Orient (49.000 indochinois participeront à cette guerre), et les seconds aux hommes de l’Empire (Canadiens, Indiens, Australiens, Néo-zélandais, Africains du Sud, Irlandais du Nord…). Pour autant, cela n’est pas encore suffisant. Il convient de faire porter les armes par un plus grand nombre d’hommes encore. Aussi, en 1915, le président Raymond Poincaré et le roi George V signent une convention avec l’empereur Yuan Shikai, de la dynastie Qing. Entre 1916 et 1919, ce sont près de 150.000 Chinois qui arrivent dans le nord de la France pour être employés aux travaux de terrassement.
A l’instar de plusieurs populations alors appelées indigènes, comme les Noirs d’Afrique du Sud, les Chinois n’ont pas le droit d’être armés. Ce ne sont pas des soldats mais des travailleurs. Ils permettent justement aux manœuvres alliés de devenir des soldats. Ce sont bien souvent des paysans illettrés qui proviennent autant des provinces du nord de leur empire – le Jilin ou Shanxi – que des zones sud, comme le Zhejiang, le Jiangxi, ou encore le Fujian. Ils prennent le bateau à Shanghai ou à Wenzhou et, après des mois de traversée dans des conditions précaires, débarquent généralement à Marseille, à partir du mois d’avril 1917. Là, ils prennent le train, dans ces wagons qui sont faits pour « hommes : 40 ; chevaux en long : 8 ». Enfin, ils arrivent dans la Somme, épuisés – certains sont morts pendant le voyage – et affamés.
Ils ne sont pas tous recrutés de la même manière : les Anglais mettent en avant les YMCA locales (Young Men Christian Association), dont de nombreux membres parlent le chinois et des agences privées comme la Huimi ; alors que les Français confient cette tâche à des associations comme le Mouvement Travail-Etudes ou l’Etude Frugale en France. Les recrutements sont parfois douteux et il arrive que des voyous fassent le voyage depuis leur pays d’origine dans l’unique but de ne vivre que de vols et de rapines. Le journal Un siècle de faits divers dans le Calvados rapporte cet étonnant fait divers : « Colombelles. En mars 1917, arrive un groupe de 150 chinois qui viennent travailler sur les chantiers des hauts-fourneaux. Huit de ces fils du céleste empire émettent la prétention de rançonner leurs camarades et de les obliger à leur abandonner une partie de leur salaire, sans quoi ils les empêcheraient de travailler. Ces derniers ne s’en laissent pas compter et tendent un piège. Un soir de mai 1917, le 12 exactement, ils tombent sur les huit chinois qui ont à peine le temps de se réfugier dans une baraque où ils se barricadent. Les gendarmes, alertés, réussissent à faire sortir les assiégés. L’un d’eux a la malheureuse idée de fuir à travers la campagne. Il est bientôt rejoint par un groupe de poursuivants qui l’assomment. Il est retrouvé une heure plus tard, râlant dans la plaine. Il a le crâne ouvert à coups de pioche. Il expire presque aussitôt. Ses compatriotes : Yong, Chanong, Chauong, Memong, Yien, Pen, Ping et Tehien ont comparu devant le tribunal pour entraves à la liberté du travail. Les peines de prison s’échelonnent de 4 à 8 mois ».
Leur installation.
Dans son étude Assistance et éducation des travailleurs chinois pendant la Grande Guerre, les chercheurs Sylvie Demurger et Martin Fournier indiquent : « En majeure partie issus de familles paysannes, ils n’avaient pour l’essentiel jamais eu de contacts avec des Occidentaux avant leur arrivée en France. Symétriquement, leur arrivée constitue la première vague de migration chinoise de masse en France et les Français étaient tout aussi peu familiers des us et des coutumes chinois que les Chinois l’étaient de ceux des Français ou des Britanniques qui les employaient. S’ensuivirent immanquablement des incompréhensions et tensions liées aux différences culturelles entre les communautés, qui rendirent presque immédiatement nécessaire une prise en charge des travailleurs chinois ».
Les Chinois sont placés dans des camps, à Noyelles-sur-Mer près de Saint-Valéry-sur-Somme, ou à Dannes et Saint-Etienne au Mont, dans le Pas-de-Calais. Ces camps, longs de plusieurs centaines de mètres, ont été installés l’année précédente et comportent des baraquements de logements, des cuisines, des sanitaires, une blanchisserie (leur réputation les avait précédés), une infirmerie et même une prison ! Il leur est autorisé de sortir de ces camps pour aller travailler et quelques heures de loisir. Les enceintes sont d’ailleurs entourées de plusieurs rangées de barbelés. Pour autant, peu à peu, ces camps prennent des couleurs de villages asiatiques : certains baraquements sont ornés de lanternes ; les éléments artisanaux de décoration sont très présents. Parfois, ce sont même des cerfs-volants qui flottent dans le ciel picard.
L’un des fascicules du Bulletin de la Société d’Emulation d’Abbeville de 1984, reprend un texte du comte Joseph de Valicourt. Il raconte – il avait 17 ans à l’époque – l’arrivée des travailleurs chinois sur ses terres : « Vêtus de coton matelassé, bleu de chauffe, jambes ficelées dans des bandelettes entrelacées, courte veste, petit bonnet rond avec cache-oreilles de fourrure, les arrivants avaient piètre mine. Leurs outils suscitaient la curiosité et l'étonnement de tous : essentiellement des bambous, porte-fardeau porté par deux hommes entre lesquels se balançaient sacs de riz, poutres, planches et autres. Ou, porté par un homme, un bambou aux extrémités duquel pendaient deux petits paniers pour porter des cailloux, mâchefer, ferraille. Et que dire des brouettes : sorte de triangle dont la roue occupait le sommet, les brancards largement ouverts tenus bras étendus par les brouetteurs, avec pour les agrémenter des languettes de bambou frappant les rayons et produisant une triste mélopée ... tel était le matériel. Des hommes dont beaucoup n'avaient jamais vu un avion (dont ils firent au front la connaissance brutale) et qui marchaient en trottinant... tels étaient les arrivants ... ».
D’autres témoignages, rapportés par la chaîne France 3, à l’occasion d’un reportage diffusé il y a quelques années pour l’anniversaire de l’armistice de 1918, font état de l’étonnement et de l’incrédulité des Picards qui voient en ces hommes à la fois des envahisseurs et des porteurs de maladie, à commencer bien entendu par la jaunisse !