Publié le 25 Avril 2009
Les débuts.
A l’armistice de 1918, l’aviation militaire française comptait 10.000 appareils dont 3.800 en ligne, répartis en 288 escadrilles, 3.000 appareils en écoles et 3.000 en réserve. Notre industrie aéronautique était la première au monde. Elle employait 190.000 personnes et avait produit pendant les quatre années de guerre 50.000 avions et 90.000 moteurs ! Ces chiffres traduisent le spectaculaire et foudroyant développement d’une aviation qui était encore dans les limbes en 1914 avec à peine 160 avions en ligne.
Les premiers textes officiels la concernant se situent en effet au début des années 1910. En octobre 1910, avait été créée une inspection de l’aéronautique chargée de suivre les progrès de l’aviation et d’en étudier les applications au domaine militaire. Deux ans plus tard, en mars, une loi avait été promulguée fixant les grandes lignes de l’organisation de notre aviation militaire.
Au début du conflit, bombardement et observation étaient les premières et seules missions envisagées pour l’aviation, et ce, aussi bien côté Français qu’Allemand. A la mi-août 1914, des appareils français bombardaient les hangars à dirigeables de la base de Metz, tandis qu’en septembre, Paris subissait son premier raid aérien – quelques bombes larguées (de fait, des obus de 90mm) sans causer de dommages significatifs. De telles actions n’eurent aucune influence sur le cours des événements. Plus important en revanche allait être le rôle de l’aviation d’observation : le 3 septembre 1914, un de nos appareils confirmait l’infléchissement vers le sud des colonnes allemandes, lesquelles se détournaient ainsi de la capitale. Même s’il ne fut pas le seul, ce renseignement devait conduire le général Joffre à donner le signal de la contre-offensive. Et ce fut la victoire de la Marne.
En novembre 1914, était constitué le premier groupe de bombardement, le GB1, suivi de trois autres entre cette date et mars 1915. Ces groupes étaient équipés d’appareils Voisins, biplans, biplaces, volant à une vitesse de 90 km/h, équipés d’un moteur de 80 CV dont l’hélice, placée à l’arrière présentait l’avantage d’offrir une grande visibilité verticale. En mai 1915, un raid de 18 de ces appareils était dirigé contre des usines d’armement de Ludwigshafen, laissant entrevoir ainsi le rôle stratégique de l’aviation.
L’action aérienne dans les domaines évoqués devait entraîner une réaction, celle de l’artillerie visant à s’opposer aux survols ennemis et surtout celle d’avions cherchant à abattre en vol les appareils de l’adversaire. C’est ainsi que le 5 octobre 1914, un équipage français (sergent-pilote Frantz et son mécanicien Quenault) remportait, pour la première fois au monde, une victoire aérienne en abattant au fusil mitrailleur de bord un biplace allemand. Un nouveau rôle se dessinait pour l’aviation : la chasse ! Un rôle qui eut d’abord du mal à s’affirmer en l’absence de toute étude sur le tir aérien.
Verdun.
C’est la bataille de Verdun – février à décembre 1916 – qui allait imposer définitivement le fait aérien dans la conduite des opérations militaires. L’offensive allemande déclenchée fin février reposait en effet sur l’engagement d’une puissante artillerie dont le réglage devait être assuré par des observateurs installés dans des ballons captifs. Le total était protégé par une flotte de près de 300 avions concentrés sur la zone et destinés à interdire toute intrusion d’appareils cherchant à détruire lesdits ballons captifs, voire les avions allemands chargés eux aussi de régler les tirs d’artillerie. L’enjeu était déterminant pour la réussite de l’offensive en question. Devant cette situation, le général Pétain convoquait un pilote très expérimenté, le commandant de Rose. Il lui ordonnait de rassembler les meilleurs pilotes de chasse afin de balayer l’aviation allemande du ciel de Verdun. S’engageait alors une bataille aérienne, la première du genre, dont le sort allait conditionner celui de la bataille au sol. La notion de bataille aérienne en vue d’acquérir la supériorité aérienne, préalable nécessaire au succès des armes, faisait son entrée dans l’Histoire. Elle ne la quittera plus.
Quant à notre aviation de chasse, elle acquérait à Verdun ses lettres de noblesse. Sa spécificité et son importance étaient désormais reconnus. Les premiers groupes de chasse étaient officiellement créés en octobre 1916, réunissant plusieurs escadrilles sous un même commandement afin de pouvoir agir en concentrant au maximum les forces.
Le développement de l’aviation militaire.
Notre aviation militaire devait connaître à partir de 1916 un développement considérable, conséquence de l’expérience acquise et aussi des rapides progrès techniques enregistrés dans tous les domaines de l’aéronautique.
L’aviation de bombardement partageait ses missions, d’une part, entre les attaques de concentrations de troupes, les cantonnements, les voies de communication et d’autre part, le bombardement à caractère stratégique avec une tendance de plus en plus marquée, pour ce dernier, aux raids de nuit. A l’automne 1917 cependant, la mise en service d’un nouvel appareil de bombardement – et de reconnaissance – plus puissant, plus rapide et mieux armé que ses prédécesseurs, le Bréguet XIV, permettait de relancer les bombardements de jour, notamment ceux à caractère stratégique : blocus du bassin lorrain, raids de représailles massifs sur les villes du Rhin, en liaison avec l’aviation britannique.
L’aviation de reconnaissance connaissait une évolution analogue et inaugurait les missions de reconnaissance stratégique de nuit.
L’aviation de chasse, de son côté, équipée à partir de 1917 d’un remarquable appareil, le Spad VII, affirmait son concept d’emploi. Aux missions de chasse à caractère offensif, elle ajoutait celles de couverture aérienne afin à la fois d’interdire à l’adversaire le survol de certaines zones et, d’assurer la protection de l’aviation d’observation.
Bombardement, reconnaissance, chasse : l’aviation militaire moderne était née. En 1918, toutes ses principales missions avaient été définies et défrichées. Afin de respecter le principe fondamental de concentration des forces, les unités aériennes étaient de plus en plus lourdes. Ainsi, en février 1918, après les escadrilles, puis les groupes, les premières escadres rassemblant sous un même commandement plusieurs groupes étaient créées. Au mois de mai suivant, naissait la Division aérienne, à savoir un ensemble de 600 appareils, moitié chasse, moitié bombardement et reconnaissance, grande unité mise à la disposition du Grand Quartier Général ou d’un groupe d’armées en vue d’une action donnée.
A partir d’août 1918, l’aviation était jetée en masse dans la grande bataille terrestre. Chaque offensive devait être appuyée par une force aérienne de 300 à 500 appareils : couverture de la zone d’offensive, actions de bombardements sur les arrières de l’adversaire, appui reconnaissance, appui feu rapproché des troupes par le mitraillage des tranchées adverses. En septembre 1918, ce furent même 1.500 appareils qui furent engagés en appui aussi bien direct qu’indirect de l’offensive du Corps d’armées américain destiné à éliminer le saillant de Saint-Mihiel.
En novembre 1918, notre aviation militaire était la première au monde. En cinq années, près de 16.450 pilotes et 2.000 observateurs avaient été formés. Elle avait acquis une expérience exceptionnelle. Elle avait contribué puissamment à la victoire, au prix de près de 5.500 pilotes tués du fait de l’ennemi ou par accident. Pour beaucoup, elle était destinée, de par l’importance de son rôle et la spécificité de ses conditions d’emploi, à constituer une armée à part entière. Ce sera l’objet d’âpres discussions et de polémiques désastreuses, pendant de nombreuses années avec les conséquences que l’on sait en 1940. Mais c’est déjà une autre histoire…
Général Michel Forget.
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(*) Le général de corps aérien Michel Forget, isséen, a fait une brillante carrière d’officier pilote de chasse. Il a assumé tous les commandements correspondants à sa spécialité. Il a quitté le service actif en 1983 après avoir commandé pendant quatre ans la Force Aérienne Tactique. Auteur de plusieurs ouvrages (« Puissance aérienne et stratégies » - 2001, « Guerre froide et guerre d’Algérie » - 2002, « Notre défense dans un monde en crise » - 2006, « Du Vampire au Mirage » - 2007), il est correspondant de l’Académie des Sciences Morales et Politiques et a été Vice Président national du Souvenir Français.