Le 26 mai 2008, rue Foucher Leppeltier à Issy-les-Moulineaux : Madame Renée Pagès nous reçoit. Aux murs sont accrochés des souvenirs de voyages en Chine et au Vietnam.
Henry Pagès est né le 19 octobre 1914, peu après le déclenchement de la Première Guerre mondiale. S’engageant dans l’Armée française en 1932, il gravit peu à peu tous les échelons et est nommé sous-lieutenant au 7ème Bataillon de Chars Légers de Satory en 1939.
En mai 1940, sous le commandement du capitaine Mignotte, il reçoit l’ordre de lancer ses chars face aux Panzers III et IV de la Wehrmacht, sur la Meuse, près de Sedan. La progression est difficile car les routes sont encombrées par des réfugiés. Ayant atteint la zone des combats, Henry Pagès commence par détruire un canon de 37 chargé de lui couper la route. Mais peu après, c’est à son tour d’être arrêté par une batterie antichar postée sur une petite colline. Il détruit les armements de son Renault FT 17 et s’enfuit à travers les bois. Les chars français qui ont réussit à passer doivent faire face aux Panzers. Un combat inégal s’engage. En dépit de pertes sérieuses infligées aux Allemands, les Français doivent lâcher prise. Quant à Henry Pagès il est rapidement encerclé par les soldats ennemis. Théâtral, respectueux de son adversaire, un officier allemand lui tend un casse-croûte et une bière et lui dit, dans un français impeccable : « Pour vous, la guerre est terminée ». De fait, Henry Pagès va passer près de cinq années en Autriche, dans l’Oflag XVII A.
A son retour, Henry Pagès est affecté à Valence, puis part pour l’Afrique du Nord, d’abord à Bizerte, en Tunisie, puis à Sidi-Bel-Abbès, en Algérie. 1950 marque son départ pour l’Indochine. Au 3ème REI (Régiment Etranger d’Infanterie), promu capitaine, il rejoint le nord du Tonkin au mois de septembre de la même année. Là, il fait la connaissance d’un personnage hors du commun : Elie de Saint-Marc. Le capitaine Pagès se trouve à Cao Bang au moment où est décidée l’évacuation de cette garnison française, située à la frontière entre Indochine et Chine.
L’affaire de Cao Bang est également connue sous le nom de « désastre de la RC4 » (Route Coloniale n°4, qui suit la frontière chinoise entre Cao Bang et Lang Son). Sur cet événement, le général (2S) Jacques Maillard, Chef de corps du 503ème Régiment de Chars de Combat entre 1986 et 1988, a écrit : « La RC4 n’avait de route que le nom. C’était une piste élargie (d’environ cinq mètres) et empierrée, tout juste suffisante pour permettre le passage des camions et des blindés légers qui l’empruntaient pour aller ravitailler Cao Bang, ainsi que les agglomérations et les postes intermédiaires. Cette route reliait des massifs rocheux, « les calcaires », par un itinéraire sinueux, parfois escarpé, passant par des cols élevés et des gorges profondes, et franchissant de nombreux ponts ou radiers. La saison des pluies (mai à septembre) était éprouvante. On ne pouvait pas trouver mieux pour tendre des embuscades aux convois. Le Vietminh installait ses bases de feu sur les points dominants, « les calcaires », et ses bases d’assaut près de la route, bien camouflées dans la végétation luxuriante. Sur plusieurs dizaines de kilomètres, c’était un véritable coupe-gorge. Les blindés sautaient sur les mines. Les camions étaient incendiés. Les blessés agonisaient. Les légionnaires (mais aussi les coloniaux, les tirailleurs indochinois et nord-africains, les goumiers et les sénégalais) mouraient dans des combats violents et inégaux ».
L’évacuation de Cao Bang a été en fait décidée un an auparavant, à la suite d’un rapport du général Revers, chef d’état-major de l’Armée de Terre. La RC4 n’a jamais été maîtrisée totalement depuis la fin du 19ème siècle. Elle coûte trop cher, en vies humaines et en moyens. Mais il faut ménager les susceptibilités des officiers généraux en place. L’opération est reportée à plusieurs reprises. En Mai 1950, grâce à une attaque éclair, la Brigade 308 du Vietminh prend un poste situé sur cette RC4, entre Cao Bang et Lang Son : Dong Khé. Le 27 mai, le 3ème GCCP du commandant Decorse est parachuté et, aidé du 10ème Tabor marocain, reprend rapidement le poste. L’Armée française pense la situation stabilisée et décide finalement l’évacuation de Cao Bang pour le début du mois de septembre 1950.
L’opération est confiée au colonel Constans qui commande le secteur depuis Lang Son. C’est-à-dire très loin de la zone même des opérations. Le succès de l’évacuation repose sur le recueil de la colonne de Cao Bang du colonel Charton, à laquelle le capitaine Henry Pagès appartient, par la colonne du colonel Lepage, lui-même venant de Lang Son. Au même moment, le poste de Dong Khé est à nouveau attaqué, et pris, par les Bodoïs. Le plan de Giap, chef militaire du Vietminh fonctionne parfaitement : le colonel Lepage commence par porter secours aux légionnaires qui défendent Dong Khé. Puis, apprenant que la colonne Charton a quitté Cao bang, le colonel Lepage, alors qu’il est dans une position critique, décide de remplir sa mission initiale. Il lance ses hommes à travers la jungle afin de récupérer la colonne Charton. Dans le même temps, plutôt que de rebrousser chemin, la colonne Charton, lassée d’être harcelée par les Bodoïs, progressant avec une lenteur infinie sur des pistes déformées par les pluies, finit par abandonner ses matériels et équipements et applique l’ordre de défendre la colonne Lepage durement touchée par la guérilla.
C’est une catastrophe. Sortant des routes, les hommes du CEFEO (Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient) sont massacrés par les troupes communistes vietnamiennes. Face à 5.000 soldats français se trouvent plus de 20.000 ennemis, qui connaissent parfaitement le terrain. Se sentant perdus, les officiers français donnent l’ordre de constituer de petites unités afin qu’elles puissent, par chance, s’exfiltrer des griffes du Vietminh. Seuls 12 officiers et 475 soldats parviennent à regagner That Khé, camp qui sera lui-même évacué quelques temps plus tard, dans des conditions tout aussi dantesques.
Quant aux survivants des combats, encerclés, ils sont emmenés au Camp n°1, situé dans cette région du Haut-Tonkin. Pendant quatre ans, le capitaine Henry Pagès réussit à survivre grâce à la formidable solidarité des camarades de combat et les conseils de médecins militaires, eux-aussi prisonniers.
Le 2 septembre 1954, Henry Pagès est rendu aux autorités françaises.
De retour dans la Métropole, Henry Pagès est nommé au sein des Forces Françaises en Allemagne, avant de faire un séjour en Algérie, en 1960. L’année suivante, il est affecté à la Préparation Militaire Supérieure de Vincennes. Il prend sa retraite militaire en 1965, mais conserve des activités dans le civil jusqu’en 1979. Commandeur de la Légion d’honneur, titulaire de la Croix de guerre 39-40, avec une palme et une étoile de vermeil, de la Croix de guerre T.O.E. (Théâtre des Opérations Extérieures), de la Médaille commémorative d’Indochine, le lieutenant-colonel Henry Pagès s’éteint le 17 mars 2006, aux Invalides, où il avait été admis deux ans plus tôt.
Son frère cadet, le général (2S) Jacques Pagès, chef de corps du 8ème Régiment de hussards de 1976 à 1978, a dit de son frère aîné : « C’était un homme non seulement sportif, résistant et énergique, mais également cultivé, perspicace, fin, plein d’humour et sensible, en somme quelqu’un d’équilibré, à la fois déterminé et ouvert. De plus, il était fidèle en amitié et très attaché à la famille, ainsi qu’au terroir du Mâconnais ! »
Le lieutenant-colonel Henry Pagès et le Gouverneur des Invalides, le général Hervé-Michel Gobilliard.