Publié le 23 Octobre 2010
La bataille de Nghia Lo.
Le capitaine Denoix de Saint Marc à la tête de la CIPLE.
Pierre Dufour, dans son ouvrage Indochine (ED. Lavauzelle) décrit la situation : « Nghia Lo est le poste clé du système défensif français en Haute Région. Il commande l’accès aux pays thaï, au Laos et aux contrées bordant le Moyen-Mékong. Situé entre le Fleuve Rouge et la Rivière Noire, dans une cuvette de dix kilomètres sur quatre, à environ deux cent cinquante mètres d’altitude, Nghia Lo est un bourg entouré de hautes montagnes atteignant parfois 1.500 mètres. L’endroit présente une topographie faite de massifs granitiques couverts d’épaisses forêts, séparés par des vallées encaissées. Les voies de communication sont limitées : la route fédérale 13, des pistes de montagne praticables seulement avec des guides et un terrain d’aviation qui permet de ravitailler la vallée perdue. La population se compose essentiellement de Thaïs et de quelques hameaux muongs ou annamites ; la montagne est le domaine des Mans et des Meos réputés hostiles au Vietminh ».
La garnison française de Nghia Lo est formée par les mille hommes du 1er bataillon thaï, dirigé par le commandant Girardin.
Le 28 septembre 1951, la région du poste Sai Luong est attaquée. Ses défenseurs se replient sur la vallée. Deux jours plus tard, les TD 141 et 209 sont signalés. Ils convergent vers la cuvette de Nghia Lo. A l’est, le TD 165 approche également. Les TD sont des Trung Doï ; ils sont composés de quatre bataillons qui peuvent contenir chacun mille hommes. Les TD appartiennent à la division de montagne 312, commandée par le colonel Le Trong Tan.
En l’absence du général de Lattre, occupé à demander de l’aide aux Etats-Unis après un passage en métropole, le commandement français est sous l’autorité du général Salan, qui s’y connaît en matière de troupes coloniales ! Il décide de soulager les défenseurs de la cuvette de Nghia Lo en larguant, sur les arrières de l’ennemi, le 8ème BPC (bataillon parachutiste colonial) du capitaine Gauthier et ses cinq cent soixante-treize hommes. C’est l’opération Rémy.
La 312 réagit en jetant toutes ses forces dans la bataille. A Nghia Lo, le commandant Girardin est tué, mais ses hommes tiennent bon. Le 4 octobre, le 2ème BEP est à son tour largué (opération Thérèse). Avec le 8ème BCP, il forme le GAP (Groupement aéroporté) nord-ouest sous les ordres du colonel de Rocquigny. Le 2ème BEP est alors composé d’une compagnie de commandement de base, sous les ordres du lieutenant Longeret, du 2ème CIPLE (compagnies indochinoise de la Légion étrangère – capitaine Hélie Denoix de Saint Marc), la 3ème compagnie (lieutenant Lemaire), la 4ème compagnie (lieutenant Louis-Calixte).
Le 5 octobre, Rocquigny donne l’ordre au 2ème BEP de se rendre à Bac Co, à six kilomètres du point de chute du bataillon. Les hommes mettent plus de neuf heures à atteindre leur objectif. Le lendemain, le bataillon accroche les bo-doïs à plusieurs endroits. Les combats sont terribles. Face à un ennemi que rien n’arrête, les légionnaires de Lemaire et les paras de Saint Marc usent de toutes leurs armes : baïonnettes au canon, ils repoussent les Vietnamiens dans les attaques incessantes de l’après-midi et de la nuit. Le 8ème n’est pas en meilleure posture : le capitaine Gauthier est grièvement blessé et les pertes sont importantes.
Le 6 octobre encore, le 10ème BPCP (bataillon parachutiste de chasseurs à pied), dirigé par le commandant Weil est lui-aussi largué en renfort.
Le 2ème BEP subit à nouveau des attaques tout au long de la journée du 7 octobre. Raffalli décide de se replier et de rejoindre le 8ème , en direction de Tan Kouen. Mais les coloniaux ne sont pas là où on les attend. Ils se sont positionnés sur la crête de la cote 405. Avec des blessés, portés sur des brancards de fortune, Raffalli reprend la piste, fait tailler un passage dans la forêt de bambous au coupe-coupe et parvient, seulement le lendemain, à retrouver le 8ème BPC du colonel Rocquigny. Ce dernier annonce à Raffali que la division 312 se retire, laissant sur « le carreau » entre 1.500 et 4.000 morts chez les bo-doïs, selon les sources. Le 2ème BEP compte quant à lui au moins au moins une trentaine de tués ou disparus.
Hélie de Saint Marc : « Les troupes de Giap repassèrent à l’attaque. Elles ne voulaient pas laisser sur leurs arrières un adversaire qui risquait de les gêner dans leur offensive. Durant d’interminables heures, enterrés, nous avons subi les assauts des bo-doïs qui avançaient au coude à coude, en rangs serrés. Giap n’économisait jamais les vies humaines de son camp. Il profitait du nombre. En 1946, Hô Chi Minh avait prévenu le ministre français des colonies, Marius Moutet : « Cette affaire peut se régler en trois mois ou en trente ans. Si vous nous acculez à la guerre, vous me tuerez dix hommes quand je vous en tuerai un. A ce prix, c’est encore moi qui gagne… ». Ce jour-là, le Vietminh voulait anéantir le 2ème BEP à n’importe quel prix. Le syndrome de Cao Bang hantait les esprits de part et d’autre. Nos hommes tombaient, morts ou blessés. Les cadavres vietminhs s’amoncelaient. Nous eûmes le dessus. Les bo-doïs s’éloignèrent ».
Sur la RC6.
Des bo-doïs franchissent le pont Paul Doumer à Hanoi, en 1954.
1952 marque une nouvelle rupture dans la guerre d’Indochine.
Le 11 janvier, le général Raoul Salan devient commandant en chef des forces françaises en Extrême-Orient en lieu et place du général Jean de Lattre de Tassigny, qui vient de mourir d’un cancer. Une très grande émotion envahit les soldats du CEFEO : leur « patron » vient de les laisser à leur sort.
La Guerre froide bat son plein : en Corée, la Chine accuse les Etats-Unis d’utiliser des armes bactériologiques. Dans le même temps, l’empire du Milieu accentue son aide au Vietminh comme les Américains appuient massivement en matériels et en logistique les troupes françaises. Des pays communistes – Chine, URSS, Allemagne de l’Est – se sont associés pour envoyer des instructeurs assister les bo-doïs dans la conduite de la guerre. Michel Bodin, spécialiste reconnu de la période indochinoise indique même que la Chine donne l’ordre à une dizaine de bataillons de son armée de soutenir le Vietminh pour des coups de main et la logistique.
Quant au 2ème BEP, il connaît une relative accalmie. Après la bataille de Nghia Lo, il est d’abord envoyé en convalescence en Cochinchine. Il est basé à Ba Kéo. Le repos n’est que de courte durée : du 13 janvier au 22 février 1952, il est placé sur la RC6 (la route qui part d’Hanoi en direction de l’ouest vers le Laos et Luang Prabang) dont il assure la protection d’une partie. Le 2ème prend position au col de Kem et participe à l’opération Speculum qui vise à nettoyer la route coloniale des éléments ennemis. En quelques jours, au prix de très violents combats, plus d’un millier de soldats communistes sont retrouvés morts.
Dans les semaines qui suivent, le 2ème BEP trouve encore l’occasion de faire parler de lui lors des opérations de dégagement du Delta grâce, entre autres, à l’opération Turco, qui se déroule en avril 1952. Toutes ces batailles du premier semestre sont un calvaire pour Giap qui voit disparaître près de 10.000 de ses hommes. Le général Salan peut savourer sa victoire. Mais elle est de courte durée : dès la fin de l’été 1952, les Services secrets français mentionnent la reconstitution des unités anéanties…
Robert Flageul est bien loin de ces préoccupations. Prisonnier, le soldat de 2ème classe meurt en plein jungle, au Camp C13 en juin 1952. Après le conflit, sa fiche est transmise aux Autorités françaises et la transcription est réalisée sur la commune d’Issy-les-Moulineaux. Robert Flageul est déclaré « Mort pour la France ».
Hélie de Saint Marc : « Ceux qui prétendent aimer la guerre ont dû la faire loin du carnage des champs de bataille, des cadavres épars et des femmes éventrées. La guerre est un mal absolu. Il n’y a pas de guerre joyeuse ou de guerre triste, de belle guerre ou de sale guerre. La guerre, c’est le sang, la souffrance, les visages brûlés, les yeux agrandis par la fièvre, la pluie, la boue, les excréments, les ordures, les rats qui courent sur les corps, les blessures monstrueuses, les femmes et les enfants transformés en charogne. La guerre humilie, déshonore, dégrade. C’est l’horreur du monde rassemblée dans un paroxysme de crasse, de sang, de larmes, du sueur et d’urine ».
Sources.
- Pierre Dufour, Indochine, Lavauzelle.
- Erwan Bergot, Bataillon Bigeard, Presses de la Cité.
- Erwan Bergot, La Légion au combat, Presses de la Cité.
- Hélie de Saint Marc, Mémoires : les champs de braises, Perrin.
- Paul Bonnecarrère, Par le sang versé, Fayard.
- Lucien Bodard, l’Illusion, l’Aventure, Gallimard.
- Michel Bodin, Dictionnaire de la guerre d’Indochine, Economica.
- Pierre Montagnon, La guerre d’Indochine, Pygmalion.
- Jules Roy, la bataille de Dien Bien Phu, Julliard.
- Général Yves Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Plon.
- Général Marcel Bigeard, Ma guerre d’Indochine, Hachette.
- Bernard Simiot, De Lattre, Flammarion.