Marcel Leconte est le deuxième en partant de la droite.
« J’étais dans le Train ».
Septembre 2009, allée des Cîteaux à Issy-les-Moulineaux. Après-midi ensoleillé d’un été finissant. Robert Dudot reçoit l’un des ses voisins et vieux camarade au sein des associations d’anciens combattants : Marcel Leconte.
Marcel Leconte : « Je n’aime pas vraiment parler de la guerre d’Algérie. D’abord, parce que tout le monde croit que c’était le Club Méditerranée ! Ensuite, parce que souvent, on me demande si j’ai torturé. Moi ? Torturer des fellaghas…
En 1956, j’avais alors vingt-deux ans et comme j’étais marié avec un enfant, j’avais un sursis. Je l’ai résilié, j’ai quitté mon emploi dans le bâtiment et je suis parti... Pour revenir quelques jours plus tard ! En effet, nous étions la veille de Noël et j’obtins une permission pour passer la fin de l’année dans ma famille. J’ai fait mes classes à la caserne Dupleix à Paris puis dans l’Arme du Train à Montlhéry. Mes classes se déroulèrent à peu près bien, si ce n’est une crise d’appendicite qui se transforma en péritonite.
En mars 1956, j’étais en Algérie, au sein du 504ème Bataillon du Train (BT), à Miliana, dans la chaîne du Zakar, au dessus de la plaine de cette ville qui s’appelait à l’époque Orléansville. Nous étions donc au sud d’Alger ».
Cette unité est l’héritière du Groupe de Transport (GT) 504, fondé pendant la Seconde Guerre mondiale, en Afrique du Nord. Elle participe aux campagnes de la 1ère Armée française entre 1944 et 1945. En avril 1956, le GT est recréé. Ses cadres viennent du 1er Régiment du Train de Paris, des GT 501 de Vincennes, 523 de Montlhéry et de la 602ème Compagnie de Circulation Routière (CCR) de Vincennes.
Le 504ème Bataillon du Train comprend les éléments suivants : une compagnie de commandement, d’appui et de services ; quatre compagnies de combat ; une harka, c’est-à-dire des rebelles alliés montés sur des chevaux (une cinquantaine) ; un peloton blindé, monté sur des half-tracks ; un groupe de mortier ; un groupe d’artillerie ; un groupe cynophile.
« J’y ai passé six mois. Avec les copains, on ne faisait pas que du transport. On « ratissait » : cela signifiait qu’on partait dans le djebel et qu’on inspectait tout le secteur qui nous était confié. Régulièrement, on avait des escarmouches avec des fellaghas. On avait aussi des têtes brûlées – des soldats ou des gradés – qui n’hésitaient pas, moyennant un bon paquet de billets, à voler des camions pour filer des armes à l’ennemi ou lui fournir des moyens de transport. Heureusement, cela restait exceptionnel. A la fin de l’année 1956, dans la région de Kerba, un de nos groupes, qui allait chercher du sable, est tombé dans une embuscade : sur les 26 militaires présents, un seul réussit à s’en sortir. Tu parles d’un Club Med ! Quelques temps plus tard, j’ai été muté au Groupe de Transport 535. »
Le GT 535 est formé d’éléments en provenance des Centres d’Instruction du Train de la Métropole : le 151 de Montlhéry, le 152 de Laon ; l’Ecole d’Application de Tours. Après quelques temps dans des tentes, et comme le service militaire est passé à 27 mois, le GT 535 s’installe dans un campement en dur, à l’ouest d’Alger dans un secteur défini par les bourgades de Koléa, Tefeschoum et Castiglione. Mis à la disposition du 23ème Corps d’Armée, le GT 535 est chargé d’assurer le transport de troupes – généralement des parachutistes ou des légionnaires – dans le cadre de missions spéciales : gazage de grottes, actions commandos, infiltration. Le GT 535 est alors associé au 1er REP (Régiment Etranger Parachutiste) et aux 2ème et 3ème RPC (Régiment Parachutiste Colonial). Il est équipé de camions Renault, de jeeps, de véhicule de marque Dodge. Il participe aux opérations de sécurisation de la zone. Cela veut dire aussi bien ratisser à la recherche d’ennemis, que de surveiller les villages, les ponts, les routes. Il y a également des missions que l’on qualifie aujourd’hui d’humanitaire : faire l’école ; soigner la population ; donner à manger.
Marcel Leconte : « On ne faisait pas que du transport spécial. J’ai aussi transporté des gars dans Alger, de l’essence dans le grand camp de la banlieue d’Alger – à la fois un camp pour les matériels et de prisonniers – et qui s’appelait Beni Messous. Ce camp était immense. Il portait aussi un nom bien français : le Camp Basset. Plusieurs unités de mon Arme s’y trouvaient : le Centre d’Instruction du Train 160 (CIT 160) ; le Groupe de Transport 520 (GT 520) ; la Compagnie de Circulation Routière 510 (CCR 510). Puis on me confia un job un peu particulier : pendant les grandes grèves en Algérie de 1957, je fus chargé de conduire des bus dans Alger ! Enfin, avant la fin de l’année 1957, on m’envoya dans une nouvelle unité : le 584ème BT. Et là, j’y ai connu un très grand militaire : Jean Pouget. »
Le 584ème Bataillon du Train.
A l’origine de la formation de ce bataillon, il y a le 228ème Bataillon d’Infanterie créé dans le département d’Eure-et-Loir avec des rappelés. L’unité s’embarque à Marseille et prend ses quartiers dans la région de Tizi Ouzou. Il devient 584ème BT en novembre 1956 et s’installe à Bordj de l’Agha. Composé à l’origine d’un état-major et de trois compagnies d’infanterie, ce BT se distingue par son manque d’équipements, un encadrement insuffisant et non préparé à la guerre.
Marcel Leconte : « Je me souviens bien. C’était pas l’anarchie, mais pas loin. Avec Pouget tout changea. Pour un gars qui faisait le con, on se retrouvait tous à 25 km du camp et il fallait rentrer à pied. Et sans eau, s’il vous plait ! Nous étions placés sur les hauts plateaux à la pointe sud de l’Algérois. On allait souvent dans le djebel Amour. On accompagnait et on servait le 1er et le 2ème REP. Je conduisais une jeep, placée derrière celle de Pouget. J’avais une remorque qui devait bien peser une tonne. On participait à pas mal de travaux. Ici, c’était une piste d’aviation qu’il fallait faire. Là, une route à réparer ou une autre à ouvrir. Le paysage était désertique. Pas d’arbres. Juste quelques touffes d’alfas. Il y avait par contre beaucoup de bédouins. Je me souviens d’avoir vu des caravanes. Certains dromadaires portaient des sortes de baldaquins.
Bien souvent, on participait à des opérations d’héliportage. Ce n’était pas sans risque. Une fois, une mission échoua et on releva quinze hommes. Quand il y avait des accrochages, on faisait appel aux légionnaires. Les avions décollaient, larguaient les gars. On les voyait revenir bien après. Certains que le nécessaire avait été fait. »
Avec ce nouveau commandant, le 584ème BT se métamorphose et créé une compagnie de commandement et d’appui, une peloton blindé, un autre de mortiers et de canons sans recul, un élément de transport en 6x6 et quatre compagnies de combat. L’unité grossit donc et passe à environ un millier de soldats, auxquels il convient d’ajouter une harka de 120 hommes et un commando de chasse. Bientôt, le BT est sollicité pour de nombreuses missions, dans ses secteurs de Djelfa, Bou-Saada, Tizi-Ouzou, Djurdjura.
Jean Pouget.
Jean Pouget nait en 1920. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il participe aux opérations de la 1ère Armée française. Cavalier, parachutiste, ancien du 1er Régiment de Hussards Parachutistes, Jean Pouget fait plusieurs séjours en Indochine. Avec ses hommes, alors que l’issue dramatique semble inévitable, il se fait larguer sur le camp retranché de Diên-Biên-Phù en 1954. Prisonnier au Camp n°1, il résiste au régime inénarrable du Vietminh. En Algérie, il prend, entre autres, la tête du 584ème BT pour en faire en quelques mois une unité de premier plan. Après la guerre d’Algérie, il se tourne vers l’écriture, publie plusieurs ouvrages et entre au journal Le Figaro où il devient grand reporter.
Marcel Leconte : « Jean Pouget, c’était quelqu’un. Un vrai chef. On aurait pu le suivre partout. Je me rappelle de plusieurs anecdotes. Une fois, c’était au mess des officiers. Je m’assois. Je mange. Je récupère ici et là du pain et de quoi faire des sandwichs pour les autres chauffeurs. Le commandant Pouget arrive : « Qu’est-ce que tu fais là toi ? me dit-il ». Ordre de mon lieutenant, c’est pour prendre des forces que je lui ai répondu du tac au tac !
Une autre fois, dans le djebel, je me trouvai un coin bien sympathique pour déjeuner. Je m’installai comme un chef, avec serviette, canon de rouge et tout le toutim ! J’ouvris une boîte de sardines et j’y ajoutai un filet de vinaigre et une belle échalote. Le commandant passa à côté de moi : « Encore toi ? Fais voir goûter ton frichti… Extra ! Quand je pense que j’ai un ordonnance incapable de me trouver un truc pareil… ».