Ma petite participation au Débarquement, par Renée Boutet de Monvel.
Publié le 17 Juillet 2007
Juin 2007. Nous rencontrons le docteur Renée Boutet de Monvel, d’Issy-les-Moulineaux, médecin-gynécologue et qui a créé en 1962 le premier centre médical du Planning Familial en France. Nous nous asseyons à sa table. Les Métamorphoses de Richard Strauss – écrites en pleine tragédie allemande, au début de 1945 – nous accompagnent.
« Mai 1944. Les bombardements se multiplient sur Reims où nous habitons. Nous descendons fréquemment dans un abri souterrain bien précaire, creusé au fond du jardin de l’immeuble. Notre fils, Louis, âgé de 3 ans, y est chaque fois terrifié.
Mon mari et moi décidons que je parte avec nos deux enfants (3 ans et 16 mois) et avec ma sœur, Tita, pour nous installer provisoirement à Paris, dans un petit appartement loué par mes parents, rue de l’Université. Nous y serons, pensons-nous, à l’abri de tout bombardement. L’idée est d’y attendre qu’un oncle qui peut avoir de l’essence grâce à l’usine de goudron Lassailly, d’Issy-les-Moulineaux, fondée par son père et dont il est l’un des sous-directeurs, puisse nous faire conduire en voiture à Combleux, près d’Orléans, dans la propriété de ma grand-mère maternelle, en pleine campagne. Mon mari reste à Reims jusqu’à la fin de l’année scolaire, y étant professeur de lettres. Il nous rejoindra, un mois plus tard, faisant près de 200 kilomètres en bicyclette.
Nous logeons donc rue de l’Université. Un après-midi : coup de sonnette ! C’est Michel Bourgeois, 22 ans, ami aimé comme un frère, ayant été pensionnaire dans ma famille pendant plusieurs années, parce que nerveux et fragile. Il nous fait signe de ne pas faire de bruit et nous demande si nous voulons bien le recevoir une dizaine de jours. « Oui, bien sûr ». Il s’installe et se met de suite au travail. Sur un drôle de petite machine, il tape sans discontinuer quelque chose en morse. Il finit par nous dire que c’est pour Londres, des renseignements sur les endroits, en Normandie, où des parachutistes ou des avions pourraient atterrir. Après une semaine, il nous dit qu’il a terminé sa tâche et repart. Nous saurons plus tard qu’il a été arrêté en juillet 1944 et déporté à Bergen-Belsen. Nous ne le reverrons qu’à la fin de l’année 1945, venu nous voir à Bellevue (Meudon), squelettique mais ayant survécu à sa détention d’une année.
Nous, ma sœur Tita et les deux enfants, avons enfin la chance d’être emmenés en voiture à Combleux. Nous ne nous sommes pas très bien rendu compte de ce qu’il avait fait, qui a sans doute beaucoup servi.
A Combleux, règne un calme relatif. Je subis l’indignation d’une vieille tante au vu de ma 3ème grossesse. Nous participons au « goûter des mères » à la mairie car le ravitaillement est précaire. De nombreux réfugiés sont présents. Ma grand-mère en recueille un grand nombre, presque une quarantaine. Une sorte de vie communautaire s’installe dans cette maison familiale. Nous passons quelques nuits dans la cave car, début septembre 1944, il y a encore des bombardements sur Orléans et sa région. Nous voyons les Allemands, affolés, refluer. L’un d’eux entre dans la maison à la recherche de je ne sais quoi. Nous voilà nez-à-nez ; je pense qu’il a autant peur que moi et il s’enfuit sans demander son reste. Puis c’est l’arrivée des Américains, en jeeps, avec cigarettes et chocolat à profusion. Nous retournons en octobre 1944 à Reims. Nous y avons à nouveau des inquiétudes car, paraît-il, les Allemands ont lancé une contre-offensive et seront bientôt à Laon. Cette frayeur ne sera que passagère. Et au milieu de cela, mon fils, Olivier, naît le 13 décembre ».
Après la guerre, métamorphosé par son expérience des camps de concentration, Michel Bourgeois devient prêtre (« Grâce à l’homme, je n’ai pas manqué Dieu ») ; après un long séjour dans le nord, à Denain puis à Valenciennes, pendant 23 ans il est aumônier auprès des marins-pêcheurs de Saint-Vaast-la-Hougue, dans la Manche. En octobre 2001, se confiant au journal La Croix, il disait ceci : « L’arrivée au camp était une plongée si radicalement « hors de toute référence connue » que l’entendement ne pouvait ni suivre ni digérer. Durant quatre mois, je suis demeuré en état de choc, sans pouvoir nommer ce que je vivais ».