Deux films de mon père, par le général Jean-Claude Ichac.

Publié le 10 Juin 2009

 

Le jeudi 28 mai 2009, devant le Comité d’Issy-les-Moulineaux du Souvenir Français, le général Jean-Claude Ichac a présenté deux films de son père, Marcel Ichac

 

"Tempête sur les Alpes"

 

« Je souhaiterais, au travers de deux films de mon père, quelques jours après le 64ème anniversaire de l’armistice du 8 mai 1945, rendre hommage à des combattants souvent oubliés, ces chasseurs alpins qui, pendant l’hiver 44/45, ont redonné à la France ses frontières des Alpes en les arrachant de haute lutte aux « Gebirgsjäger », les chasseurs de montagne allemands, qui les tenaient depuis plus de quatre ans. Un montagnard comme eux les accompagnait, non pas militaire mais civil, non pas porteur d’un quelconque armement mais muni de sa seule camera, Marcel Ichac.

 

Il était né en 1906, avait, dans les années vingt, accompli son service militaire au 153ème Régiment d’Infanterie de Forteresse, à l’époque en occupation en Sarre, et avait en 1939 été mobilisé au S.C.A. : le Service Cinéma des Armées, compte tenu de la quinzaine de films qu’il avait déjà réalisée. Démobilisé, il s’était installé en Haute-Savoie, à Megève, et, quand à partir d’août 1944, à la suite du débarquement de Provence, les vallées des Alpes furent peu à peu libérées, il rejoignit l’un de ses amis et compagnon de cordée, le lieutenant-colonel Alain Le Ray qui, à 34 ans, commandait la 7ème demi-brigade alpine, nouvellement formée, qu’il allait emmener jusqu’aux portes de Turin. Ces images on fait l’objet d’un film intitulé : « Tempête sur les Alpes ».

 

 

"Les Etoiles du Midi"

 

« La paix revenue, Marcel Ichac continua à réaliser des films documentaires de ski, de montagne et d’exploration. Il fut en effet, toujours avec sa camera, aux côtés de Paul-Emile Victor au Groenland, de Maurice Herzog à l’Annapurna, du commandant Jacques-Yves Cousteau en Méditerranée, en mer Rouge ou plus tard au Pérou. Mais c’est en 1959 qu’il put enfin réaliser son grand projet : tourner, en haute montagne, un grand film de fiction avec deux idées directrices. D’une part faire de la montagne non pas un simple décor mais la considérer comme le principal personnage du film, d’autre part ne pas essayer d’apprendre à des comédiens les gestes du grimpeur, mais faire rejouer à des alpinistes des scènes dont ils avaient été les acteurs ou les témoins, non pas en studio mais sur les lieux-mêmes, avec pour conséquence que l’équipe technique de tournage du film, elle aussi, devait être composée de montagnards chevronnés ! Et c’est ainsi que naquirent « Les étoiles de midi ». Mais dans un souci d’authenticité, il voulut aussi montrer que la montagne n’était pas seulement un terrain de jeu pour alpinistes en quête d’exploits sportifs ou d’absolu, mais qu’elle pouvait, aussi, être le théâtre de cette monstruosité inventée par les hommes et qui s’appelle « la guerre ». Mais la guerre peut être aussi le révélateur des plus belles qualités humaines : camaraderie, sens du devoir, héroïsme… Et Marcel Ichac choisit pour illustrer cet aspect d’inclure dans son film l’incroyable aventure du « Prisonnier de la Ronce » : trois alpinistes, en mission de reconnaissance, aperçoivent un soldat ennemi. Lequel semble être un escaladeur chevronné. Le « Gebirgsjäger  n’a pas vu les trois Français, tout occupé à grimper. Peu de temps après, prenant un couloir praticable, l’Allemand tombe sur les Français et se retrouve prisonnier. La reconnaissance des crêtes se poursuit. Entre les quatre soldats une fraternité d’alpiniste se créé. Pour autant, avant de redescendre vers le camp, le « Gebigsjäger » préfère se jeter dans le vide et faire une chute de près de 500 mètres ! Le plus incroyable étant que le jeune Allemand réussit, en dépit de plusieurs blessures, à se relever et s’enfuir. Il n’est pas question pour lui de ne pas rentrer à son campement. Pas question pour lui d’imaginer un seul instant que ses officiers puissent penser qu’il déserte. »

 

 

Une poignée de mains historique.

 

« Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Le film « Les étoiles de midi » rencontra un grand succès à sa sortie dans les salles, tant auprès du public que de la critique, obtenant, entre autres distinctions, le Grand prix du Cinéma Français, ancêtre de nos Césars ! La carrière internationale du film fut elle aussi remarquable au point que, fin 1961, une chaîne de télévision allemande basée à Munich le programma, en « prime time » comme on dit maintenant. Et, peu de temps après, le directeur de la chaîne reçut une lettre d’un téléspectateur bavarois, ancien médecin militaire, lui confirmant d’abord la véracité de l’épisode du « Prisonnier de la Ronce », lui-même ayant servi dans la même unité sanitaire que le Caporal-chef Hörnle, mais surtout lui donnant l’adresse de ce denier qui, toujours vivant, habitait aux environs du lac de Constance. Tout de suite, l’idée germa de faire se rencontrer les anciens adversaires.

 

Mais qui étaient les trois français qui effectuaient en fait ce jour-là ce que l’on appelait dans l’armée une « reconnaissance d’officiers », et qu’étaient-ils devenus ? Le directeur de la chaîne posa la question au réalisateur du film et il eut par retour la réponse qu’il espérait: le plus jeune était le Lieutenant de réserve Jacques Boell qui poursuivait une carrière civile (tout près d’ici, en fait, à Clamart !), après avoir raconté ses souvenirs de guerre dans un livre magnifique, « Eclaireurs-skieurs au combat »,  le deuxième, le capitaine Stéphane, héros des maquis de Belledonne, dans le Dauphiné, était plus tard tombé au champ d’honneur en Indochine. Et le troisième ? Le troisième, c’était leur chef, le Lieutenant-colonel Le Ray, le premier officier à s’être évadé de la fameuse forteresse allemande de Colditz en Saxe, l’un des fondateurs du maquis du Vercors et l’ancien commandant de cette 7ème demi-brigade de chasseurs alpins, à trois bataillons, les glorieux 6ème, 11ème et 15ème B.C.A. Il était toujours en activité et allait bientôt accéder aux étoiles de général. Et qui plus est, il était attaché militaire près notre ambassade en… Allemagne fédérale, à Bonn, près de Cologne !

 

Et c’est donc sans difficulté que la chaîne de télévision, la « Bayerische Rundfunk », put organiser, au cours d’une soirée de gala en février 1962, les retrouvailles des anciens adversaires. Et l’accolade que se donnèrent ce soir-là le futur général Le Ray, qui devait être promu plus tard Grand-croix de la Légion d’honneur, et le Caporal-chef Hörnle, Croix de fer de 1ère classe, valait bien la poignée de main qu’échangeaient, à la même époque, le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer pour sceller, après trois guerres en moins d’un siècle, l’amitié franco-allemande !"