La chanson de Craonne.
Publié le 5 Août 2017
Contexte.
Printemps 1917. Une nouvelle fois, le grand commandement militaire français décide de faire la différence, une « bonne fois pour toutes », et de renvoyer les Allemands à Berlin. En dépit de plusieurs échecs depuis 1914, la décision est prise. Et puis, Verdun a montré l’année précédente, que la victoire était possible…
Le 16 avril 1917, l’armée française lance donc une grande offensive en Picardie, sur le Chemin des Dames, qui doit son nom au fait que cette route était régulièrement, deux siècles plus tôt, empruntée par Victoire et Adélaïde, filles de Louis XV.
Mais l’échec de l’offensive est consommé en 24 heures malgré l’engagement des premiers chars d’assaut français. On n’avance que de 500 mètres au lieu des 10 kilomètres prévus, et ce au prix de pertes énormes : 30.000 morts en dix jours. Le général Nivelle, qui a remplacé Joseph Joffre à la tête des armées françaises le 12 décembre 1916, en est tenu pour responsable. Lors de la conférence interalliée de Chantilly, le 16 novembre 1916, il assurait à tout un chacun que cette offensive serait l’occasion de la « rupture » décisive tant attendue. « Je renoncerai si la rupture n’est pas obtenue en quarante-huit heures » promettait Nivelle. Mais le lieu choisi, non loin de l’endroit où s’était déroulée la bataille de la Somme de l’année précédente, n’est pas propice à la progression des troupes, avec ses trous d’obus et ses chemins défoncés. De plus, les Allemands ont abandonné leur première ligne et construit un nouveau réseau enterré à l’arrière : la ligne Hindenburg.
Le ressentiment et le désespoir des poilus – qui bientôt se transformera en mutineries au sein de nombreux régiments – s’expriment dans la Chanson de Craonne.
La chanson.
Cette chanson anonyme a certainement plusieurs auteurs. Elle est apprise par cœur et se diffuse oralement de manière clandestine. Antimilitariste, le chant est bien entendu interdit par l’armée. Une légende veut que le commandement militaire ait promis une récompense d’un million de francs or et la démobilisation à quiconque dénoncerait l’auteur !
Chantée sur plusieurs fronts (Notre Dame de Lorette, Verdun), sa première version publiée parait le 24 juin 1917. Elle est notamment retrouvée dans les carnets du soldat François Court. Elle y est suivie de la mention « chanson créée le 10 avril 1917 sur le plateau de Craonne ».
Quand au bout d'huit jours le r'pos terminé
On va reprendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile
Mais c'est bien fini, on en a assez
Personne ne veut plus marcher
Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot
On dit adieu aux civ'lots
Même sans tambours, même sans trompettes
On s'en va là-haut en baissant la tête
- Refrain :
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes
C'est bien fini, c'est pour toujours
De cette guerre infâme
C'est à Craonne sur le plateau
Qu'on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés
Huit jours de tranchée, huit jours de souffrance
Pourtant on a l'espérance
Que ce soir viendra la r'lève
Que nous attendons sans trêve
Soudain dans la nuit et dans le silence
On voit quelqu'un qui s'avance
C'est un officier de chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer
Doucement dans l'ombre sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes
- Refrain
C'est malheureux d'voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose
Pour nous c'est pas la même chose
Au lieu d'se cacher tous ces embusqués
F'raient mieux d'monter aux tranchées
Pour défendre leur bien, car nous n'avons rien
Nous autres les pauv' purotins
Tous les camarades sont enterrés là
Pour défendr' les biens de ces messieurs là
- Refrain :
Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront
Car c'est pour eux qu'on crève
Mais c'est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève
Ce s'ra votre tour, messieurs les gros
De monter sur le plateau
Car si vous voulez faire la guerre
Payez-la de votre peau
Philippe Pétain.
Le général Nivelle est limogé. Il est remplacé par le général Philippe Pétain, vainqueur de Verdun. Il s’applique en premier lieu à redresser le moral des troupes. Il fait sanctionner avec modération les faits d’indiscipline collective, limitant à quelques dizaines – sur des milliers – le nombre d’exécutions (de fait, bien moindre que le nombre de fusillés de 1915).
En 1918, le général Pétain est resté le plus populaire des officiers généraux de l’armée française. La Chanson de Craonne aussi... Depuis 1918, elle a été reprise des centaines de fois.
Sources :
- Encyclopédies Larousse, Britannica, Wikipédia.
- Thierry Bouzard, Histoire du chant militaire français, de la monarchie à nos jours, Editions Grancher, 2005.
- Jean-Claude Klein, Florilège de la chanson française, Ed. Bordas, 1989.
- Guy Marival, La Mémoire de l’Aisne, 2001, et Enquête sur une chanson mythique, 2014.
- Pierre Miquel, le Chemin des Dames, Perrin, 1997.
- René-Gustave Nobécourt, Les Fantassins du Chemin des dames, Robert Laffont, 1965.
- Nicolas Offenstadt, le Chemin des Dames, Paris, Stock, 2004.
- Site www.herodote.net