Jean Boilleau, le général de Gaulle et Radio-Brazza.

Publié le 13 Janvier 2019

Le général de Gaulle à Brazzaville en octobre 1940.

Le général de Gaulle à Brazzaville en octobre 1940.

Au cours du mois d’octobre dernier, ayant surfé sur notre site Internet, Madame Catherine Belan nous a contacté afin de communiquer des archives en sa possession. Ces dernières montrent l’engagement de Jean Boilleau, résistant en Afrique Equatoriale Française et son action au service du général de Gaulle dès 1940.

 

Les communications en AEF.

 

L’Afrique Equatoriale Français, ou A.E.F., était un gouvernement général regroupant au sein d’une même fédération quatre colonies françaises d’Afrique centrale, entre 1910 et 1958 : le Gabon, le Congo, le Tchad et l’Oubangui-Chari (qui deviendra la République centrafricaine). La superficie de l’ensemble représentait environ 4 fois celle de la France. Son chef-lieu était Brazzaville, résidence du gouverneur général.

 

Au sein de cette unité territoriale, les déplacements se faisaient soit sur des pistes soit en bateau sur les fleuves immenses de cette partie de l’Afrique. Au début du 20e siècle, la République française décide d’innover et de relier, au sein du territoire du Congo, Brazzaville (la ville tire son nom de l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza), située au cœur du pays, à Pointe-Noire, sur la côte, et capitale économique. Les deux villes étant séparées de plus de 500 kilomètres.

 

Jean-Baptiste Emile Boilleau nait le 21 mars 1898 à Bordeaux. Il suit ses études dans la capitale girondine puis entre à l’Ecole des Télécommunications d’où il sort ingénieur dans les années 1920. Il commence sa carrière en métropole puis rejoint l’Afrique Equatoriale Française (AEF) en 1932 où il est nommé Chef du Service des Communications Electriques du Chemin de Fer Congo-Océan. Chemin de fer que la France, et la Société de Construction des Batignolles (qui deviendra SPIE-Batignolles), construisent de 1921 à 1934.

 

En 1952, dans un rapport à sa hiérarchie, Jean Boilleau revient sur des travaux réalisés à partir de 1933 : « Construction des lignes télécommunications du Chemin de Fer Congo-Océan et installation de toutes les stations téléphoniques y compris les dérivations vers Madigou – Loudima – Sibiti et les installations des centres de Brazzaville et de Pointe-Noire. Ces lignes comprenaient 4 circuits plus deux circuits fantômes – Longueur de 510 km. J’ai commencé les travaux le 4 septembre 1933 à partir de Brazzaville. La liaison avec Pointe-Noire était assurée dès le 28 juin 1936 ainsi qu’avec toutes les stations de la ligne. Cela malgré les importantes difficultés que j’ai rencontrées dans le Mayumbe. Nous avons travaillé 15 heures par jour pendant plus de quatre mois pour maintenir la cadence rapide de construction entre les Bandas et Fourastier (72 km).

 

A partir de l’année 1937 on téléphonait couramment et sans difficulté de Brazzaville à Pointe-Noire.

 

Après l’armistice du 18 juin 1940 ces lignes ont permis d’assurer des communications clandestines entre le commandant Delange de Brazzaville, elles se sont poursuivies jusqu’au 28 août 1940 malgré les difficultés que présentaient de telles liaisons pour les maintenir secrètes. Je les donnais depuis mon bureau à Brazzaville où les lignes passaient en coupure. A Pointe-Noire, M. Dupri, mon adjoint, court-circuitait le standard et passait la communication au commandant d’Ornano sur son appareil portatif de contrôle.

 

Actuellement, l’Administration des P.T.T. utilise les appuis et les armements de cette nappe de fils pour l’installation de la téléphonie par courant porteur H.F. entre Pointe-Noire et Brazzaville ».

 

L’AEF au service de la France Libre.

 

Dès le 18 juin 1940, Félix Eboué, gouverneur général du Tchad, se déclare partisan du général de Gaulle. Avec le colonel Pierre Marchand, il décide du ralliement officiel du pays, donnant ainsi « le signal de redressement de l’empire tout entier ». Dans la foulée, de Gaulle nomme Eboué gouverneur général de l’Afrique Equatoriale Française. En quelques mois, Eboué transforme l’A.E.F. en une véritable plaque tournante géostratégique d’où partent les premières forces armées de la France Libre, conduites par les généraux de Larminat, Koenig et Leclerc.

 

Jean Boilleau a lui aussi entendu l’appel du général. Il créé un poste radio à Brazzaville et se met au service de l’homme de la France Libre. D’ailleurs, le général de Gaulle, à l’occasion de son déplacement de Fort Lamy (Tchad) à Brazzaville, le 25 octobre 1940, s’adresse à Jean Boilleau et lui dit : « Vous avez bien mérité pour votre action dans la lutte pour la libération de la Patrie ».

 

Six mois plus tard, le 31 mars 1941, le Haut-Commissaire de l’Afrique Française Libre, le médecin-général Adolphe Sicé, ancien directeur de l’Institut Pasteur de Brazzaville, indique : « M. Boilleau s’est dépensé jusqu’au surmenage pour l’installation et le fonctionnement, l’extension des stations radio de Radio-Brazza et Radio M’Pila, qui ont permis à l’Afrique Française Libre de faire entendre sa voix et d’organiser sa propagande à partir du 28 août 1940. Il était difficile de témoigner plus d’esprit de sacrifice à la grande cause de la libération de la Patrie ».

 

Le 30 août 1941, le Chef du Service de l’Information de l’Afrique Française Libre, le capitaine Desjardins, indique : « M. Boilleau, qui dirige la station régionale de Radiodiffusion de Brazzaville, qu’il a lui-même créée et dont il assure seul le fonctionnement ne cesse de faire preuve du plus grand dévouement dans l’accomplissement de sa tâche et dans la poursuite inlassable des résultats cherchés. Technicien expérimenté, il pousse le scrupule professionnel jusqu’au surmenage ayant à cœur de consacrer toutes ses forces au service de la France Libre ».

 

Le 1er janvier 1942, le général de Gaulle nomme Jean Boilleau au grade d’Ingénieur de 4e classe pour « titres exceptionnels en rapports directs avec la lutte pour la libération Nationale ».

 

Tout au long de la guerre, Jean Boilleau assure l’exercice, seul, de Radio-Brazza, première radio de la France Libre. En 1944, Brazzaville, qui est devenue depuis 1940 capitale de la France Libre, reçoit une nouvelle fois le général de Gaulle. A l’occasion de son discours d’ouverture de la Conférence de Brazzaville, ce dernier définit ce que seront pour lui les relations entre la France et les colonies africaines après la Seconde Guerre mondiale. Et il évoque la question de l’émancipation. Bien entendu, le tout est retransmis sur Radio-Brazzaville.

 

Radio-Club.

 

Extrait du Journal de l’A.E.F. n°151 du 11 janvier 1945 :

 

« Le Radio-Club n’est plus.

 

C’est avec regret que nous voyons disparaître ce nom que nous entendions chaque jour et qui évoquait pour nous ces journées fiévreuses où s’est décidée la rentrée en guerre de l’A.E.F. Il convient au moment où l’Association du Radio-Club est dissoute que nous rappelions en quelques mots les débuts de cette station d’émission et le rôle qu’elle a joué un jour qui, si les historiens sont justes, lui fera donner une honorable place dans l’histoire de l’Afrique française.

 

Le Radio-Club fut créé en avril 1936 par Messieurs Cruveiller et Boilleau, celui-ci ne cessa d’être l’âme même de l’association et le remarquable technicien réalisateur pour lequel aucune difficulté n’est invincible. Une première station d’émission de 25 watts fut installée dans un local prêté par M. Amouroux et fonctionna deux fois par semaine à partir de novembre 1936. Elle répondait à un besoin car la plupart des postes européens étaient alors mal reçus à la Colonie. C’est en vain qu’au début, l’Association essaya d’intéresser les pouvoirs publics à ses efforts. M. Boilleau dut payer de ses deniers personnels la construction et l’installation d’un poste, sans compter une bonne partie des notes de secteur car les cotisations n’atteignaient que 350 francs par mois. Cependant, sans se lasser, M. Boilleau perfectionnait son poste et augmentait, toujours à ses frais, sa puissance. Un nouveau poste de 50 watts entrait en service en juin 1938.

 

Dès le début de la guerre, le Radio-Club, en des émissions quotidiennes, diffusaient les nouvelles. MM. Cherubin, Delpech faisaient des prodiges pour fournir chaque soir les renseignements intéressants. En janvier 1940, le docteur Bizien rentra dans l’équipe.

 

Cependant, sur les instances de Monsieur Soubirou-Pouey, alors Président du Club, en mars 1940, le Gouverneur général accordait 10.000 francs de subvention à Radio-Club.

 

Un nouveau poste était installé, mais la note s’élevait à 23.000 francs. M. Boilleau payait la différence et en juillet 1940 le Radio-Club possédait deux émetteurs, l’un sur 36m50, puissance 50 watts, l’autre sur 25 mètres puissance 150 watts.

 

Cette fois la portée de l’émission était intéressante, elle atteignait le Sénégal et parfois l’Afrique du Nord et même le midi de la France ainsi qu’en ont témoigné les auditeurs.

 

Cependant, dès l’armistice, s’affirmait le rôle patriotique de la station. Après entente avec le médecin-général Sicé, qui a Brazzaville était reconnu comme le chef du mouvement gaulliste, le docteur Bizien prenait seul la charge des émissions. Il fallait faire comprendre à tous, malgré la censure, que la capitale de l’Afrique Equatoriale voulait rester française et suivait le chef qui s’était révélé. Il fallait combattre la propagande défaitiste de Vichy et rendre unanime sur le territoire l’adhésion au mouvement de Libération.

 

Les Autorités Vychistes ne trouvaient pas cela de leur goût et M. Boilleau fut en but aux menaces et le 25 août, le docteur Bizien était mis aux arrêts de rigueur. Le lendemain, M. Boilleau, sans speaker, se contenta de jouer la Marseillaise pour toute émission ce qui mit le général Husson en fureur, et craignant lui-même d’être arrêté, le 27 août réduisit à 25 watts son poste de 50 et rendit inutilisable le poste de 150 watts dont il cacha les pièces essentielles dans le bureau de M. Soubirou-Pouey, pour les soustraire à une perquisition probable. Il était temps : les dernières passèrent sous le nez d’un garde militaire armée de fusils-mitrailleurs qui occupa les locaux pendant que M. Boilleau recevait l’ordre de quitter immédiatement les lieux. Mais le soir-même, le général Husson voulut parler au micron et M. Boilleau, rappelé, après avoir refusé de faire l’annonce, dut mettre en marche son petit poste réduit à 25 watts dont, par surcroît, il dérégla le pilote. Husson n’eut pas le temps de réagir et, le lendemain, dans la joie, M. Boilleau remontait fébrilement son 150 watts et, à nouveau le docteur Bizien pouvait pour la première fois annoncer : « Ici Radio-Brazzaville, poste d’émission de l’Afrique Française Libre ». Le rôle de Radio-Club n’était pas terminé : chaque soir des nouvelles et des commentaires étaient diffusés. Peu après, un service d’informations, encore bien modeste, était dirigé par M. Clavaldini.

 

Le 25 octobre 1940, le général de Gaulle, visitant le Radio-Club, exprima sa satisfaction de la tâche accomplie par M. Boilleau et au docteur Bizien. Il annonça l’arrivée prochaine des frères Desjardins. A la même époque commencèrent les essais du grand poste de Radio-Brazzaville où chaque soir, à 21 heures, jusqu’au début de décembre 1940, le Papier du Jour, était lu par le docteur Bizien, après l’émission de Radio-Club.

 

Le 8 décembre, le Service de l’Information de la France Libre prenait la charge de la diffusion des nouvelles et des commentaires. Par la suite, la puissance d’émission de Radio-Club ne cessa de s’accroître. En 1941, un troisième émetteur de 150 watts était construit et mis en service au mois d’avril, la puissance du poste de 50 watts était portée à 125 watts. En 1942, un poste de 150 watts était modifié et émettait avec 250 watts. En 1943, la puissance des trois émetteurs devenait respectivement 250, 500 et 650 watts. Au début de 1944, la puissance du poste de 250 watts était portée à 500 watts et celle de 650 watts à 1 kilowatt. Enfin, au cours de la même année était construit un quatrième émetteur de 2 kilowatts et un cinquième de 150 watts.

 

Actuellement, Radio-Club dispose de deux émetteurs modernes : 1 poste de 150 watts, 2 postes de 500 watts, 1 poste de 1 kilowatt, 1 poste de 2 kilowatts qui sont remis au Gouvernement général par la dissolution de l’Association.

 

Nous nous plaisons ici à rendre hommage qui lui est dû à celui qui fut à la fois le créateur, le constructeur inlassable, l’animateur constant du poste d’émission de Radio-Club, à M. Boilleau, qui sans un jour de repos, en assura le fonctionnement.

 

Les services rendus à la France Libre par ce poste ont été réels. Il a facilité l’union entre les Français de l’A.E.F. et il a convaincu les hésitants. Il a rendu le courage aux isolés, manifesté à ceux, qui dans d’autres colonies, étaient encore sous la férule allemande, que la Résistance demeurait.

 

Le Radio-Club a vécu. Il fut le premier poste d’émission français qui mena le combat pour la France et aussi le premier poste d’émission français libre, le premier poste français où parla le général de Gaulle.

 

A ces titres, nous devons en garder le souvenir ».

 

Après la guerre.

 

Après la Seconde Guerre mondiale, Jean Boilleau regagna la métropole et fut nommé ingénieur à la Radiodiffusion Française à Paris, en charge des stations de la France Outre-Mer et de la construction des antennes des Centres mondiaux d’Allouis et d’Issoudun.

 

Par la suite, il rentra en A.E.F : en 1949, il prit le poste de Chef du Service des Postes et Télécommunications du territoire du Gabon à Libreville puis, de 1950 à 1952, fut Chef-adjoint du Service Radioélectrique de l’A.E.F. à Brazzaville.

 

Jean Boilleau se retira en métropole, à Bidart dans les Pyrénées Atlantiques, pour y passer sa retraite et finir ses jours. Il avait eu deux enfants d’un premier mariage, Henriette et Jacqueline (nées en 1921 et 1923) puis avait épousé en secondes noces, Mademoiselle Marcelle Chavignier, alors Directrice des sages-femmes à l’hôpital de Brazzaville.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sources :

 

  • Archives familiales et personnelles de Madame Catherine Belan, filleule de Monsieur Jean Boilleau.
  • Dossier militaire de M. Jean Boilleau.
  • Encyclopédie Wikipédia.
  • Encyclopédie Larousse.
  • Archives de l’ORTF.
  • Site Internet www.france-libre.net
  • Site sur l’Histoire : www.herodote.net
  • Site de l’ambassade de France au Congo : https://cg.ambafrance.org/
  • Site www.cvce.eu

 

 

Discours du général de Gaulle à Brazzaville le 30 janvier 1944.

Discours du général de Gaulle à Brazzaville le 30 janvier 1944.

Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #La Coloniale

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C
Très bel article, très intéressant et bien écrit. Je reviendrai me poser chez vous. A bientôt.