Lieutenant Blanc – 2 – La grande évasion.
Publié le 18 Février 2020
Dans un récit de sa main, le lieutenant Paul Blanc a raconté sa blessure en Italie, sa capture, son statut de prisonnier et son évasion. Voici le texte (extraits) :
« Je suis blessé et capturé le 26 juillet 1944 à San Casciano en Italie : une balle dans la jambe gauche, un éclat de grenade à la jambe droite et des plaies à la suite d’une chute. Pendant 8 jours, je subis des interrogatoires en continu, sur l’arme parachutiste. J’ai droit au cachot, ayant refusé de répondre. On m’a laissé mon premier pansement et j’ai les plaies aux jambes et au bras droit infectées.
Début Août 1944 : ébauche d’une évasion, malgré les blessures, du PC de la division de parachutistes allemands où j’étais gardé. Mais je suis arrêté au moment où elle allait être découverte. Je suis transféré en Allemagne dans un Oflag d’officiers alliés à l’intérieur du Stalag VII, à Moosburg, au nord de Munich.
En septembre 1944, à 9 h du matin, je fais partie d’une sortie de 50 officiers alliés. Nous marchons, en rangs, encadrés par des gardiens armés en tête et en queue. En arrivant sur le pont de l’Amper, je saute le parapet et je me cache sous le pont. Je rampe pendant 4 kilomètres et je me cache au bord d’une rivière en attendant la nuit. Il y a trop de paysans, je suis en uniforme et je ne sais pas parler l’allemand. De plus, je suis pisté et rapidement récupéré par une patrouille allemande accompagnée de chiens. L’un d’eux me mord profondément au bras droit.
Le mois suivant, je prépare un nouveau plan. Mais le major anglais me fait appeler et m’interdit de m’évader.
Novembre 1944 : arrivée à l’Oflag du médecin-capitaine Bacques. Il me donne un de ses laissez-passer pour Munich. C’est un vieux modèle. Il est facile de gratter le papier et d’y inscrire son nom. Je retire la photographie et place la mienne, prise sur ma carte d’identité d’officier. Dans l’alinéa réservé à l’indication des endroits autorisés pour la promenade, ne sachant quoi mettre, j’inscris une phrase ironique et difficilement lisible tournant les Allemands en ridicule. Ce laissez-passer me permet de passer les deux dernières enceintes du camp. Pour les deux premières, j’ai projeté de les passer en allant à la douche, en me sauvant des rangs après le blockhaus. Il ne me reste plus qu’à attendre que le jour et l’horaire des douches correspondent au jour et à l’horaire de sortie.
Le 26 décembre 1944, la coïncidence se produit. Je distribue mes affaires et change ma couverture pour que les chiens ne puissent plus me pister. J’ai un croquis de la région et une boussole-sifflet. Tout se passe comme je l’avais prévu. Par miracle, aucun Allemand ne me voit sortir des rangs. Pourtant la dernière sentinelle m’arrête et s’étonne de ne pas pouvoir comprendre la phrase humoristique dont j’ai parlé plus haut. Je lui fais comprendre que c’est un « secret ». Satisfait ; il me laisse.
NDLR : à chaque moment, Paul Blanc cite des témoins. Ici, il s’agit du capitaine Bacques et du lieutenant Essoubet.
Sur la route, je croise le colonel du camp. Je le salue. Il me répond. En faisant un détour par le nord, j’arrive à Munich le surlendemain, à 6 h du matin, après une randonnée de plusieurs heures par – 25°. Deux heures plus tard, à l’entrée de la ville, je suis arrêté par un gendarme. Je dis être du camp de Vestende, juste à côté, travaillant dans une cordonnerie de Garcing. Je lui sors ma carte d’officier et il finit par me laisser partir après que je lui ai montré ma plaque de prisonnier. J’ajoute que je vais être en retard. Insupportable pour un fervent partisan de la « grande Allemagne ».
Vers midi, je rencontre deux jeunes requis : André Pinault et Bernard Poisson, de Paris. Ils m’emmènent dans leur camp. Je troque mon uniforme contre des habits civils. Enfin, je vais pouvoir dormir. Le lendemain, à 5h, je suis réveillé par un SS. Ce dernier m’entraîne dans son bureau. Il veut téléphoner à la police. Au moment où il entre dans la pièce, je détale, descends les deux étages et je vais me cacher dans une petite rue. Là, je termine de m’habiller.
Quelques jours plus tard, je retrouve à Kufstein un jeune soldat échappé du Stalag VII. Il s’appelle Viron et s’est sauvé peu après moi. Il parle un allemand parfait. La neige tombe à gros flocons. Nous décidons de prendre le train pour Innsbruck. En chemin, nous échappons de justesse à un agent de la Gestapo, qui contrôle les papiers. Nous avons dû descendre du train en marche.
A Innsbruck, nous prenons la direction de la vallée de Saint-Jodock où nous espérons trouver des passeurs italiens. Il n’en est rien. Qui plus est, nous nous faisons cueillir par la gendarmerie. Ne voulant à aucun prix retourner dans un Oflag, nous indiquons être des sous-officiers. On nous déshabille presque entièrement, ne nous laissant que quelques effets militaires. Mis en prison, nous prenons le lendemain le train pour le camp de prisonniers de Salzbourg, en Autriche.
A Vorgl, le train est arrêté sous le pont route-chemin de fer. Viron se lève pour aller aux WC du wagon, ainsi qu’un prisonnier russe. Le gardien nous accompagne. Il se méfie de Viron. Il surveille la porte de devant. Mais il a oublié celle de derrière. Il faut en profiter maintenant. Je recule, déverrouille tout doucement la porte. Me voilà dehors. Il ne faut pas que je cours avec mon K.P. (prisonnier de guerre en allemand) inscrit dans mon dos sur ma capote. La sortie s’est bien passée. Je marche. Je file de l’autre côté du pont et marche dans la nature. Une alerte aérienne survient à ce moment. Tout le monde se met à plat ventre. Je fais de même après avoir retiré ma capote, si compromettante. Maintenant que faire. Il me faut d’abord des lunettes. Pour un myope comme moi, c’’est indispensable. Mais il me faut justifier un billet de la « Krankenkasse » et être régulièrement inscrit à « l’Arbeitsam » (bureau du travail). Je dois pousser jusqu’à Kufstein où je connais quelqu’un de sûr dans un camp.
J’y arrive quelques heures plus tard. Je profite d’une entrée de prisonniers pour me glisser à l’intérieur. L’ami me donne des vêtements – un bleu de travail – et m’indique qu’une place de fleuriste vient de se libérer. Il m’accompagne à l’Arbeitsam. Je dis avoir été transféré depuis l Pologne et avoir perdu mes papiers dans le bombardement du camp par les Russes. On me donne le travail de fleuriste. En quelques jours, embauché chez Madame Bickel, j’ai mis un peu d’argent de côté et je peux m’acheter la fameuse paire de lunettes. Grâce à mes nouveaux papiers obtenus à Kufstein, je peux aller et venir sans trop me faire remarquer.
J’ai décidé de me sauver une nouvelle fois. On m’a dit qu’en Slovaquie des Français se battent aux côtés des Slovaques et de Russes. Je sais qu’un camion doit partir pour Vienne. Je réussi à convaincre le chauffeur en indiquant que j’ai un frère à Vienne dont je n’ai plus de nouvelles depuis le dernier bombardement. L’homme finit par accepter. Mais je n’ai pas le droit de circuler aussi loin. Le chauffeur m’autorise à me cacher sous les bâches de son chargement. Me voilà à Vienne !
Dès mon arrivée, je suis contrôlé par la police qui trouve mon passeport du Tyrol relativement suspect. De plus, je devrais être au Tyrol et non à Vienne. Je réponds que je suis chauffeur et que je dois repartir au plus vite pour Kufstein. On me laisse partir. Je retire mon pardessus et entre dans la gare de Vienne en bleu de chauffe. Je vois un train pour Marchegg. C’est à la frontière. Je me glisse dedans et m’y cache. Bien m’en prends. Le train est rempli de SS !
Arrivé non loin de la Slovaquie. Je prends la direction approximative des Carpates. Je dois contourner plusieurs positions allemandes. Une fois, au détour d’un chemin, je tombe sur un camp allemand. Je feins de poser culotte ! En me disant que quelqu’un qui pose culotte à cinq mètres d’eux ne peut qu’avoir la conscience tranquille. Ça marche… Je continue ma route vers Svaty Jur. On m’a dit, il y a longtemps, qu’on s’y bat là-bas. Les fameux partisans. Je finis par y arriver à la fin du mois de février 1945. Enfin, contact est pris avec eux après quelques tentatives sans succès. Ce n’est qu’un mois plus tard, et après quelques combats aux cotés de Slovaques et de Russes, que je rencontre des Partisans français de Slovaquie. Ils appartiennent à la compagnie du capitaine Georges Barazer de Lannurien.
Chez les Russes, je fais une demande écrite pour rejoindre l’escadrille Normandie-Niemen. En vain.
Je ne retrouve la France qu’au mois de juin suivant ».
Sources :
Archives familiales.