Diên Biên Phù - 2/2 : l'horreur des camps.
Publié le 10 Mai 2008
Le 13 mars 1954, en un éclair, une pluie d’obus s’abat sur le camp retranché de Diên Biên Phù. Stupeur au sein de l’Etat-major. Le colonel Piroth, de l’artillerie coloniale, qui avait juré qu’aucun obus ennemi ne tomberait sur le camp, se suicide. Le moral des troupes françaises s’effondre. En quelques heures, les troupes coloniales tenant les collines Béatrice, Gabrielle et Anne-Marie sont anéanties. Trois jours plus tard, Bigeard et ses paras sautent à nouveau sur le camp et prennent appui sur Eliane, une des collines principales. Pendant quinze jours encore, le ravitaillement aérien est possible. Le 28 mars, un Dakota se pose. A son bord se trouve Geneviève de Galard, convoyeuse de blessés. L’avion est touché au moment de l’atterrissage. Il ne peut repartir. Geneviève de Galard : « Je rejoins l’infirmerie. Elle est remplie de blessés. Nous faisons comme nous pouvons pour maintenir les conditions d’hygiène, en tapissant les murs de la salle d’opération de draps blancs. Mais nous sommes vite dépassés. Partout se trouvent des blessés. Dans certaines salles, par manque de place et de moyens, nous creusons des lits à même le sol et nous enveloppons les hommes dans des parachutes. Cela donne un air lugubre de catacombes à notre hôpital ».
Les offensives vietnamiennes des 13 et 31 mars sont repoussées. Le général Giap a perdu plus de 15.000 hommes. Mais il sait que bientôt s’ouvre la conférence de Genève. Il décide de jouer son va-tout et engage 25.000 hommes supplémentaires dans la bataille. Les Français ne croient plus en la victoire. Partout ils sont débordés. Ils arrêtent un assaut et tuent des centaines d’hommes. Quelques instants plus tard, les ennemis sont aussi nombreux. Et les munitions viennent à manquer. Cela n’empêche pas des actions héroïques, comme celle du capitaine Jean Pouget, qui saute avec ses hommes sur Diên Biên Phù fin avril 1954, alors que l’issue fatale est connue. La colline Eliane tombe le 6 mai. Bigeard : « Nous n’avons plus de munitions. C’est la fin. Je mets mon béret. J’ajuste ma veste. J’attends ». Le Groupement Opérationnel du Nord Ouest (GONO) refuse de hisser le drapeau blanc mais cesse le feu.
Diên Biên Phù représente pour le Vietminh une victoire sans précédent, mais au prix de plus de 25.000 morts et, environ, 12.500 blessés. Du côté français, sur près de 15.000 hommes présents, on dénombre 2.293 morts et 5.195 blessés. Les prisonniers sont aussitôt regroupés.
En 2004, un ancien combattant de Dijon, Pierre Chérier s’est confié au journal local le Bien Public : « On voyait le drapeau Vietnamien se hisser sur les collines à chaque fois qu'ils prenaient un nouveau poste. On reprenait du terrain, ils contre-attaquaient. Ça a duré 56 jours. Et ils se rapprochaient sans cesse. A la fin, ils étaient à 300 mètres. On sortait la tête de la tranchée, ils tiraient. Et le 7 mai au matin, on nous a donné l'ordre de détruire nos archives, notre matériel radio et de neutraliser nos armes. C'était fini. Ce jour-là, vers 17 heures, j'ai vu des Vietnamiens courir sur un pont, à quelques dizaines de mètres du PC. J'ai couru donner l'alerte. J'étais à peine revenu qu'un Vietnamien plus jeune que moi me braquait avec son fusil. J'étais prisonnier. Mais je pensais, comme l'immense majorité de mes camarades, que 10 000 prisonniers, c'était beaucoup trop pour eux, que cela ne durerait pas. »
Et pourtant. La longue colonne des prisonniers est formée. Elle a pour direction les camps de redressement du Vietminh à plus 700 kilomètres de Diên Biên Phù. Pierre Chérier : « On marchait de nuit, pieds nus parce que les Vietnamiens nous avaient volé nos chaussures. On partait vers 17 heures, et on marchait jusqu'à une heure du matin. On avait droit à 300 g de riz par jour et par homme. Nous étions en état de survie. A la halte, il fallait faire cuire le riz. On se débrouillait pour trouver de l'eau, trouver du bois, faire des feux, et on cuisait dans nos casques. La journée, on buvait quand on trouvait un ruisseau, une cascade, une mare, un suintement. Nombreux sont ceux qui sont morts sur le bord de la route, de dysenterie, d'épuisement.
Finalement, je me suis retrouvé au Camp 73. Nous devions assister chaque soir, à la nuit tombée, à des séances de rééducation. Le lavage de cerveau communiste de base. Séances d'autocritique, séances de délation. On nous faisait chanter l'Internationale, et ça se finissait toujours par la répartition du travail. Qui irait chercher le riz, le bois. Le régime était le même que sur la route : 300 g. de riz par jour et par homme, avec de temps en temps un poulet. Mais un poulet pour 100 personnes ! Et une fois par semaine du gras de porc. 4 ou 5 hommes mouraient chaque jour de dysenterie, de malnutrition, de fatigue, de manque de soins. Il n'y avait aucun médicament. Les malades, on les emmenait directement à la morgue quand ils étaient trop faibles. Ils gisaient là sur des bas-flancs en attendant la mort. On les enterrait à quatre par tombe, tête-bêche. C'était vraiment très très difficile.»
Le 21 juillet 1954, à la suite de la conférence de Genève, l’armistice est signé. Pierre Chérier : « On nous l'a annoncé le lendemain. Et on a été libérés le 28 août. Mais jusqu'au bout, les commissaires politiques ont continué leur travail : ils nous disaient que la France ne voulait plus de nous, que personne ne viendrait nous chercher. Je rassurais les copains en leur disant que c'était du flanc. »
Sur les 10 000 prisonniers du 7 mai 1954, seuls 3 200 ont survécu à l'enfer des camps communistes. Et Pierre Dupont, isséen, n’a pas eu cette chance. Brigadier au Centre d’Instruction de l’Artillerie du Nord Vietnam, il est mort le 31 juillet 1954 au Camp 73. Il avait 22 ans.