Journal d'un poilu - 3/5 - Les combats d'Ethe en Belgique.

Publié le 31 Octobre 2014

Journal d'un poilu - 3/5 - Les combats d'Ethe en Belgique.

Journal du caporal Eugène Chaulin (104e RI).

  Août 1914 :

 Dimanche 23 août : vers 8h du matin, nous nous groupons. Les régiments se reforment. On fait l’appel. On reconnait alors la quantité d’absents morts ou blessés, laissés sur le champ de bataille. Il parait que les Allemands circulent le soir et achèvent les blessés. Dans le régiment de plus de 3.000 hommes, on en compte environ 900. Dans notre compagnie, manquent le lieutenant, le sergent major, 4 sergents, bon nombre de caporaux et de soldats.

 Nous commençons à bivouaquer au bas du pays. L’ordre est alors donné de se replier plus en arrière car les Allemands sont signalés comme s’avançant toujours. Nous allons établir notre bivouac à Villers-le-Rond. Quelques heures après nous repartons à nouveau pour aller passer notre nuit dans un champ d’avoine, près d’un petit bois de sapins à quelque distance du hameau de Petit Failly. Nous dormons avec plaisir et bien que peu confortablement installés, nous reposons tout de même bien. Toute la journée, nous entendons le canon au loin.

 11e escouade :

 Présents : Chaulin – Bruche – Onfray – Geslin – Martel – Bellec – Guillaume – Calloc.

Manquants : Vormon – Souchot – Deshaye – Sielsberg – Noireaucourt – Saulieure.

 12e escouade :

 Présents : Caoral Chaulin – Martin (évacué) – Ray – Behuet – Sable – Chenu – Tourneri – Potter – Mormand.

Manquants : Helie – Onfroy – Gannier.

 Lundi 24 :dès 4h du matin, le réveil est sonné. Quelque temps après, nous partons. Nous passons à Marvelles, nous prenons la direction nord-est de ce pays. Toutes les crêtes sont occupées par l’artillerie. Notre régiment va occuper une crête à gauche pour soutenir les dernières lignes d’artillerie.

 Notre section est détachée vers 10h pour aller occuper et défendre le passage d’une rivière près du petit village de Flassigny. Nous sommes là, en attente, cachés dans un buisson. On entend seulement notre artillerie qui tire de temps en temps. Vers le soir, nous quittons le buisson pour aller prendre position de nuit à la lisière d’un bois tout proche.

 Nous installons de la paille sous un arbre après avoir rabattu les branches pour passer la nuit. A 8h, je fais une patrouille. De toute la journée, nous ne touchons ni pain ni viande. Nous mangeons nos vieilles croûtes et les morceaux de viande qui nous restent de la veille. La nuit se passe cependant tranquillement. A signaler, dans l’après-midi, le passage de deux aéroplanes allemands sur lesquels l’infanterie et l’artillerie tirent vainement.

 Mardi 25 : de bonne heure, nous sommes debout. La canonnade et la fusillade reprennent très intenses. Bien que ne recevant pas d’ordre, nous insistons auprès de l’adjudant pour quitter ce lieu périlleux où nous sommes pris entre les obus français et allemands pour rejoindre notre compagnie dans les tranchées. Nous arrivons dans ces dernières accompagnés de maints obus qui, heureusement, ne nous causent aucun dommage. Après un moment passé dans les tranchées, nous nous replions dans un bois que nous traversons pour gagner la route de Jametz et nous traversons le village de Remoiville. A peu de distance de ce village, nous nous installons en ligne de tirailleurs par section à l’abri d’une crête.

 On repart environ 1h après pour aller cantonner au village de Breheville mais on ne fait que bivouaquer et à 9h du soir on se remet en route. On dîne avec les pains de gruau et les boîtes de conserves, bien que nous ayons des légumes et de la viande que nous ne pouvons faire cuire, les feux pouvant éveiller l’attention de l’ennemi.

 Nous marchons toute la nuit par Brandeville – Dun-sur-Meuse et nous arrivons au jour à Brieulles-sur-Meuse après avoir marché longtemps sous bois. Nous sommes bien fatigués et avons grand besoin de dormir. Aux haltes, nous nous couchons sur la route.

 Mercredi 26 août 1914 : nous nous installons à Brieulles-sur-Meuse. J’avale deux œufs, j’achète une bouteille de vin blanc et avec un camarade, nous nous faisons faire un bol de café. Nous passons notre matinée et une partie de l’après-midi en repos. Vers 3h, nous repartons par Nantillois et venons nous coucher à Gesnes où nous passons une bonne nuit.

 Jeudi 27 : réveil dès 4h en vue d’un départ à 5h qui n’a pas lieu. Nous restons toute la journée dans notre cantonnement. Nous en profitons pour faire quelques repas un peu reconstituant et on se repose un peu. L’eau qui tombait vers le matin, cesse aussitôt vers 10h et la journée se termine par du beau temps.

 Je vais voir Serée et Denis au 26e d’artillerie. Nous faisons un bon repas. Nous apprenons le succès de nos armes et le rôle de notre IIIe armée. Quelques soldats rejoignent le régiment après avoir pu échapper au combat du 22.

 

Vendredi 28 : à minuit, l’ordre de départ d’urgence est donné. Nous quittons Gesnes et marchons par Remagne-sur-Meuse, puis nous laissons la Meuse pour entrer dans les Ardennes par Andevanne et passons par Taillis. Là, nous stationnons à environ 1 km au nord. Nous sommes en réserve pour défendre la Meuse que veulent traverser les Allemands.

 Deux corps d’armée ; six régiments d’artillerie attaquent les Allemands. Nous préparons le café pendant que défilent le 26e et le 44e d’artillerie. Je vois passer Serée. Il est environ 7h45 quand on passe à Taillis où je demande une carte des Ardennes. Nous restons là, toute la matinée. Nous préparons notre repas. Nous quittons notre emplacement vers 2 heures, pendant qu’on prépare le logement.

 Nous allons nous installer 1 km plus loin et nous attendons le départ pour aller occuper nos cantonnements. Nous allons nous installer vers 6h du soir au pays de Beauclair. Notre compagnie en entier et le groupe des brancardiers, logeons dans la même grange. Nous soupons donc avec du riz, des boîtes de conserves et des pommes de terre cuites à l’eau.

 Samedi 29 : réveil à 3h30 – départ. Nous allons occuper un emplacement à 500 m en avant de Beauclair. Nous y restons à peine une heure puis nous nous replions sur Beauclair, Taillis et suivons la route faite la veille. A Taillis, nous voyons des blessés allemands faits prisonniers, 35 dans une ambulance et 1 dans une petite voiture.

 Nous prenons position à 3h de Taillis. Nous y restons en tirailleurs. Environ 1 heure. Nous recevons les distributions mais pas de viande. Nous quittons alors nos positions pour en occuper d’autres où nous faisons des tranchées. Nous restons une bonne partie de l’après-midi sous les chauds rayons du soleil. Nous mangeons du pain et du singe et nous manquons d’eau.

 Vers 4 h, nous quittons ces positions pour en occuper d’autres un peu plus éloignées. Puis vers 5h30, nous allumons des feux. A peine ceux-ci sont-ils prêts qu’il faut tout détruire. L’heure du départ étant donnée. Nous faisons environ 6 km pour aller en cantonnement à Remonville où nous arrivons vers 8 heures. Nous préparons un peu de cuisine et du café, puis vers minuit, nous reposons toute la compagnie dans une grange. Nous marchons toujours à travers les champs d’avoine, de trèfle, de guéret et les chemins de terre ainsi que les bois. Rarement nous suivons les routes.

 Dimanche 30 : vers 3 heures, nous sommes réveillés par les distributions. Nous préparons un peu de viande et du café. Puis vers 4h30, nous quittons Remonville pour aller occuper des positions au sud du pays à quelques cents mètres.

 Nous opérons alors une série de mouvements tournants d’aller et de retour. Enfin vers 9h30, l’ordre de marche en avant est donné. Il paraît que toutes les troupes en 1ère ligne doivent prendre l’offensive. Nous repassons donc par Remonville, Barricourt. Là, nous devons encadrer l’artillerie. Notre section s’installe à la lisière d’un bois. Au loin, on aperçoit une patrouille de uhlans qui prend contact avec une patrouille française.

 Vers 1h, nous allons dans un petit plan près du village où nous préparons notre repas. Les obus allemands éclatent près de nous, nous craignons de ne pouvoir faire notre cuisine. Nous préparons des beefsteaks et du café. Nous restons à cette place jusque vers 4 heures. Puis nous partons dans la direction de Taillis. Nous avons vu un prisonnier poméranien amené par des cyclistes. En venant vers Taillis, nous voyons sur un brancard, un Allemand blessé. Nous arrivons au cantonnement à Taillis vers 9 heures. Il faut amener les distributions et l’on ne dort pas avant 1 heure du matin – après avoir mangé un beefsteak et bu ¼ de café. Je couche dans un petit réduit sur la terre, protégé par quelques sacs.

 Lundi 31 août : nous prenons la direction de Beauclair. Le 101e et le 102e sont partis en avant. Ils vont attaquer les Allemands qui ayant passé la Meuse sont installés dans le pays. Nous partons vers 5 heures. Il y a encore beaucoup de brouillard lorsque la bataille s’engage. Le 104e est en réserve comme soutien d’artillerie. Peu de temps après la bataille engagée, nous voyons le 101e et le 102e qui se replient. Toute la division suit le mouvement et nous nous replions jusqu’à Taillis. Là, vers 1 heure nous préparons un peu de riz ou du café. Les obus des Allemands éclatent près du village.

 Je profite de cet instant pour me changer de linge, ce que je n’ai pas fait depuis le commencement de la campagne. Une demi-heure après, nous quittons le Taillis et notre bataillon s’en va explorer et occuper un bois pour permettre le rassemblement du régiment. Nous rejoignons ce dernier, puis après plusieurs marches et contre marches, nous arrivons vers 11 heures à la lisière d’un petit taillis, où nous nous couchons la valeur de 2 à 3 heures, un peu enfermés dans les haies pour être à l’abri du froid.

   

 

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