"Une visite au Stand de Tir".

Publié le 1 Novembre 2009

Photographie extraite du livre d’Adam Rayski sur le Stand de Tir.

 

 

 

 

Samedi 12 septembre 2009, allée des Citeaux à Issy-les-Moulineaux. Reçu chez Mr et Mme Dubot, Marcel Lecomte, isséen (« Je suis né au 20 rue Hoche, à la maison, comme cela se faisait à l’époque. On était en 1934 »), ancien du bâtiment, combattant en Algérie, nous raconte sa Seconde Guerre mondiale et la Libération.

 

« Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de la conquête allemande. J’entendais surtout mes parents dirent que c’était grave, pas drôle et qu’il fallait faire avec. Mais j’ai bien encore en mémoire les événements extraordinaires. Par exemple, boulevard Voltaire. C’est là qu’eurent lieu les premiers bombardements.

 

Au moment de la Libération, mes parents ont fait comme tout le monde. Ils ont suivi la foule. Pendant près de quatre années, les rumeurs les plus folles avaient circulé sur certains endroits, certaines demeures. Que pouvait bien-t-il se passer dans ces immeubles, dans ces lieux occupés par les Allemands, par la Gestapo, et dont des bruits atroces venaient aux oreilles du voisinage ? C’était le cas du Stand de Tir où nous entrâmes à la fin du mois d’août 1944 (Ndlr : se reporter aux articles écrits à ce sujet et publiés sur ce site en septembre 2008). Je me souviens parfaitement avoir accompagné sagement mes parents. En ce temps-là, il était impensable pour nous de désobéir ou de courir partout. J’étais donc derrière eux. Je les écoutais parler avec d’autres adultes. Leur première impression fut une grande surprise. Beaucoup racontaient qu’ils avaient entendu des tirs, mais sans soupçonner ce que ces murs pouvaient cacher. Une pièce comportait des poteaux. A mi-hauteur, ils étaient criblés d’impacts de balles. Pire. Au sommet étaient encore cloués les bandeaux que devaient servir à couvrir les yeux des suppliciés. Au fond, un mur d’amiante avec des traces de mains, enfoncées assez profondément. L’une d’elles était placée très haut. Totalement inatteignable pour moi. Comment avait-elle pu être à une telle hauteur ?

 

Une autre pièce. Le mur du fond était pour partie fait de carreaux de verre. Sur le côté, il y avait une installation. On aurait dit les fours d’une boulangerie. Autour de moi, certains disaient que des gars avaient certainement été gazés dans cette pièce et que les fours auraient pu servir à faire disparaître les corps. D’autres racontaient que les cercueils de bois blanc étaient destinés aux soldats allemands ayant refusé de fusiller des Français. Quelle pouvait bien être la vérité dans tous ces propos ?

 

Au global, la visite dura une heure. Deux heures peut-être. Mais j’en sortis bouleversé. J’ai longtemps pensé à ce moment et longtemps imaginé ce qu’il avait pu s’y passer. Pour l’heure, il fallait aller à la soupe populaire. Et ce n’était pas facile. Les villes de Paris et d’Issy étaient libérées. Mais ça et là, des partisans étaient restés planqués et tiraient sur la foule… ».