« Le 31 juillet 1944, il y a 75 ans, Saint-Ex partait retrouver le Petit Prince », par le GBA (2S) Jean-Claude Ichac, ancien de la 33e Escadre de reconnaissance.
Publié le 31 Juillet 2019
Antoine de Saint-Exupéry !
Pour les uns ce nom évoque le romancier, auteur de « Vol de nuit », « Terre des hommes » ou « Citadelle ». Pour d'autres c'est le souvenir du pilote de l'Aéropostale, compagnon de Mermoz, de Guillaumet, acheminant de la France à l'Amérique du sud, au milieu des années vingt, un précieux sac de correspondance avec une idée fixe : « Le courrier d'abord ! ». Pour les poètes, c'est l'auteur de l'inoubliable « Petit prince » et pour les férus d'aventures le pilote malheureux des grands raids aériens de l'entre-deux-guerres, vers l’Extrême-Orient avec un « crash » dans le désert égyptien ou entre les États-Unis et l'Amérique du sud avec un atterrissage forcé en catastrophe au Guatemala !
Mais pour ceux de l'Armée de l'air, St-Ex, c'est toute une carrière en trois époques :
1921 – 1923.
Alors mécanicien « avion » en 1921, sur la base de Strasbourg pendant son service militaire, il passe d'abord, à ses frais, son brevet de pilote civil, puis obtient au Maroc son brevet de pilote militaire. C'est ensuite Avord comme EOR (Elève-officier de réserve), avant Versailles, Villacoublay et enfin Le Bourget où, alors qu'il est sous-lieutenant, il est démobilisé, en juin 1923, après un grave accident à l’atterrissage, le premier d'une longue série qui émaillera la carrière de celui que ses camarades avaient surnommé « Pique la lune », allusion à son caractère rêveur !
1939 – 1940.
Arrive 1939 et la « drôle de guerre ». St-Ex est mobilisé, avec le grade de capitaine de réserve, d'abord comme instructeur sur la base de Toulouse-Francazal, puis au groupe de reconnaissance II/33 doté de bimoteurs d'assaut et de reconnaissance Bloch-174 et stationné près de Saint-Dizier. Le 10 mai 1940, c'est l'offensive allemande. Le 23 mai il effectue une mission de reconnaissance sur Arras, que les colonnes de blindés allemandes sont en train d'investir. Son appareil est touché à plusieurs reprises par la « flak » ennemie mais il parvient à le ramener sur le terrain de Nangis, équipage indemne. Cette action lui vaudra la croix de guerre avec palme et citation à l'ordre de l'Armée de l'air (1). Son unité se replie ensuite jusqu'à Perpignan où il est démobilisé à l'armistice. Après un bref passage en Afrique du Nord, il gagne les États-Unis où il va promouvoir l'idée de leur entrée en guerre contre l'Allemagne.
1943 – 1944.
Au printemps 1943 il rejoint l'Afrique du Nord et parvient malgré son âge, 43 ans, à se faire réaffecter en unité combattante, dans son ancien groupe de reconnaissance, le II/33. En effet ce dernier est maintenant doté de la version spécialisée reconnaissance-photo d'un chasseur américain, le « Lightning » P-38 « deux-queues » et les normes de l'US Army Air Force ont fixé pour ses pilotes l'âge limite de 30 ans ! Mais il est accepté sur l'insistance des autorités françaises. Cependant il maîtrise mal cette lourde machine et, après quelques incidents (dont, à l'instruction en Tunisie, la collision, au roulage, de l'aile de son appareil avec un arbre!) et vu ses ennuis de santé dues à ses blessures passées, il quitte son unité pour passer l'hiver à Alger. Il est alors commandant de réserve, mais les américains ne veulent plus le voir voler ! Au printemps 1944, alors que Saint-Exupéry tente de faire jouer tous ses contacts pour reprendre à nouveau le combat, la situation évolue : le débarquement en Provence est en préparation et les besoins en renseignement sont énormes. Alors un pilote de reconnaissance chevronné de plus en unité n'est pas à dédaigner. Il reprend donc sa place au II/33, à « La Hache » (2). Très vite l'unité se rapproche des futures plages du débarquement en Provence, avec un déploiement d'abord dans le sud de l'Italie, puis en Sardaigne, enfin, le 17 juillet, en Corse, première portion de la France métropolitaine libérée dès l'automne de 1943 (3), avec l'installation du groupe sur le terrain de Bastia-Borgo. C'est de là, le 31 juillet 1944, il y a juste 75 ans, que le commandant Saint-Exupéry, aux commandes du Lightning n°223, décolle pour une mission de reconnaissance à haute altitude le long de la vallée du Rhône, avec retour par Annecy et le long des Alpes. Mais il ne reviendra pas.
Pendant près d'un demi-siècle, aucun indice sérieux ne permit de lever le voile sur la disparition de Saint-Exupéry. Et puis, en septembre 1998, un pêcheur marseillais remonta dans ses filets un objet métallique qui, après nettoyage et expertises, se révéla être sans conteste la gourmette en argent du pilote disparu, cadeau que lui avait offert à New-York, en 1942, sa femme Consuelo. Dès lors la zone de recherche se précisait mais il fallut attendre le début des années 2000 pour que l'épave d'un P-38 soit enfin localisée au large de l’îlot de Riou, au sud de Marseille, et que des éléments de l'avion, remontés en septembre 2003, ne soient formellement identifiés par leur numéro de série. Ils sont exposés depuis au Musée de l'Aéronautique et de l'Espace du Bourget dans un espace dédié à cet aviateur mythique. Mais quelles furent les circonstances de sa disparition, panne mécanique, défaillance du pilote ou attaque d'un chasseur ennemi ? Le mystère reste entier.
Au sein de l'Armée de l'air, les traditions de « La Hache », et donc le souvenir du Petit Prince, furent reprises par l'Escadron de reconnaissance I/33, dissous en 2010 quand ses Mirage F-1 furent retirés du service, mais recréé comme unité de reconnaissance équipée de drones « Reaper » et opérant en particulier, au Sahel, dans le cadre de l'opération « Barkhane ».
Général de brigade aérienne Jean-Claude Ichac
Président honoraire du comité d'Issy-les-Moulineaux du Souvenir Français.
NOTES :
(1) Saint-Exupéry racontera cette mission dans son livre « Pilote de guerre », publié à New-York en 1942 sous le titre « Flight to Arras ».
(2) L'unité est l'héritière d'une escadrille de la Première Guerre mondiale, la SAL 33, commandée par le capitaine André Bordage qui avait choisi une hache rouge comme insigne, car c'était « la hache d'A. Bordage » !
(3) Notre regretté Président d'honneur, le GCA Roland Glavany, ancien du Bataillon de Choc, nous avait raconté cette épopée dans ses souvenirs parus sur ce site.
LEGENDE DES ILLUSTRATIONS :
(SE1) Antoine de Saint-Exupéry aux commandes de son P-38.
(SE2) Le Bloch-174 en mission de reconnaissance sur Arras.
(SE3) Un Lightning « recco » du GR II/33 aux cocardes tricolores.
(SE4) Mirage F-1 CR du I/33 avec insignes « La Hache » et « Le Petit Prince » lors de la dissolution de l'escadron en 2010.
Crédits photographiques : les clichés sont à diffusion réservée.