Capitaine Petit – En Indochine – 1.

Publié le 15 Décembre 2019

Une vue de Djibouti.

Une vue de Djibouti.

Mr. Dominique Petit a été militaire de carrière. Engagé dans les troupes coloniales, puis dans la Légion étrangère et enfin retour au sein de l’armée de terre, il a vécut le déclin de notre empire colonial. Officier d’active – comme on dit aujourd’hui – il a été envoyé en Indochine alors que celle-ci se détachait de l’Union française. Ensuite, il a été nommé au Sahara français puis a fait la guerre d’Algérie.

En 1962, direction Berlin au sein de l’état-major des Force Françaises en Allemagne puis, plus tard, ce sera une nouvelle mutation au Fort de Vincennes et le départ de l’institution. Alors une nouvelle vie commence, dans le monde de la grande distribution au sein des Docks de France (hypermarchés Mammouth, repris depuis par Auchan). Enfin, vint l’heure de la retraite et le déménagement vers Nice.

Le capitaine Petit sait ce qu’a été notre empire colonial. En faisant son métier de militaire, il l’a défendu, a guerroyé pour cela. Et si la guerre est ni belle ni romantique, le capitaine a aussi défendu les valeurs de la République et d’humanité que le monde entier reconnait à la France.

 

Départ et traversée.

 

« Ce matin-là, je suis destinataire d’une note de service émanant du colonel Chrétiennot, mon chef de corps au 4e RTM (régiment de tirailleurs marocains) : Désignations pour servir sur les théâtres d’opérations extérieures – Infanterie : tour normal – Sous-lieutenants : Barreau Charles et Petit Dominique.

 

Ouf ! Les dés sont jetés, je suis heureux de cette affectation. Depuis des années j’entends parler de cette guerre d’Indochine par tous ceux qui y sont allés et revenus, par ceux qui sont partis avec lesquels j’avais des liens fraternels et qui ne sont pas rentrés.

 

Oui, je suis content de partir là-bas, à 12.000 km. Défendre quoi au juste, se disent les Français moyens ? Pour moi, c’est clair : il faut barrer la route au communisme, d’autant que la situation au Tonkin semble chaque jour un peu plus critique. Avec Barreau, nous avons une chance terrible car nous partons dans les tous premiers de la promotion.

 

Ma permission se déroule calmement chez mes parents, à Cagnes-sur-Mer. Mon père, le colonel Petit, me prodigue ses conseils, ma mère me couvre de son regard pour garder en mémoire un maximum d’images de son fils. Evidemment tout peut arriver. Qui sait ? Elle a déjà vécu des moments très difficiles : son frère Jean tué en 14-18 ; son frère Jacques tué pendant la Seconde Guerre mondiale ; son fils François tué en 1944 pendant la campagne d’Italie devant Sienne et enterré dans le cimetière militaire de Rome…

 

Les côtes de la France s’estompent à l’horizon pendant que nous prenons notre premier repas à bord du SS Cambodge. Eh, oui, ce mercredi 7 avril 1954, nous avons embarqué quai de la Joliette sur ce magnifique bateau tout blanc. C’est un voyage de rêve que nous allons faire. Tout est impeccable, astiqué, rutilant. L’air est frais. Tout va bien. Nous sommes une douzaine d’officiers en première classe. Les autres passagers sont des civils.

 

Après une première nuit calme, nous passons dans l’après-midi du lendemain au large du Stromboli. Le temps est bouché mais j’aperçois une épaisse fumée noire qui s’échappe du cratère. Quelques heures passent. Le temps se couvre. L’horizon est maintenant noir. Alors que les côtes d’Italie et de Sicile se perdent dans le lointain, nous fonçons droit sur la tempête.

 

Je suis réveillé en sursaut par un très fort roulis. Je m’accroche à mon lit. Dans le noir, je ne distingue rien, mais par contre j’entends les paquets de mer qui viennent frapper la coque du bateau, qui prend parfois des inclinaisons impressionnantes. Le grincement des rivets accompagne le bruit de la mer. Levé tôt, je monte à 6h30 sur le pont. J’y suis seul ! L’étrave pique du nez dans la vague, d’énormes paquets de mer passent sur le pont avant et viennent se briser sur les vitres de la coursive où je me trouve. Le bateau fait face au vent qui balaye la mer blanche d’écume. Entre deux vagues, des creux impressionnants se succèdent. Ce mauvais temps perdure jusque dans la soirée à l’approche de la Crête. Enfin calmée, la mer laisse les autres passagers se regrouper au restaurant. Notre aventure continue. Nous voilà quelques heures plus tard, en vue de Port-Saïd.

 

Les sirènes d’un bateau voisin me réveillent brusquement. 7h. Par le hublot, je vois beaucoup de bateaux ancrés comme nous dans la zone portuaire. Le passage du canal de Suez ; long de 161 km, se fait en convoi à sens unique et les convois montant et descendant se croisent au milieu sur le lac Amer.

 

Pour l’heure, nous sommes à quai et à 8h nous pouvons descendre à terre visiter le port et un semblant de ville sans intérêt. Le vent fait tourbillonner la poussière des trottoirs en terre battue. De nombreux marchands égyptiens ont envahi le pont de notre bateau, offrant leur pacotille, des piastres. Un prestidigitateur sur la place arrière fait sensation, il est connu de tous ceux qui ont transité ici. C’est Gali-Gali. Autour du bateau est venue se coller une multitude de barques ayant à leur bord les marchandises les plus diverses : fruits, poissons, crevettes, maroquinerie…Nous avons quitté Suez dans le courant de la nuit et longé les côtes du Sinaï. En ce début de matinée nous entrons dans la mer Rouge et je dois dire qu’elle est d’un bleu éclatant. De Suez à Djibouti, la mer Rouge s’étend sur 2.500 km. A hauteur de Djedda, la largeur est de 300 km, aussi nous pouvons apercevoir les côtes d’Arabie.

 

Dans l’après-midi, nous croisons La Marseillaise qui rentre en France en provenance de Saigon. Trois coups de sirène retentissent et simultanément sur chacun des bâtiments les trois couleurs sont hissées puis amenées. Un pincement au cœur et une pensée pour tous ceux qui rentrent chez eux.

 

Escale à Djibouti. Après un dîner entre camarades, nous allons visiter la ville dans de superbes taxis. Retour au quai où il règne une ambiance fébrile. Toute la ville s’est déplacée ici. Un immense marché s’est installé sur le quai et parmi les marchandises les plus diverses, ce qui surprend le plus ce sont des pyramides de cartouches de cigarettes américaines, anglaises, s’élevant à plus de 1,50 mètres et sur des dizaines de mètres de long. A bord, c’est jour de fête. Toute la colonie française s’est donné rendez-vous. On boit beaucoup. On danse sur des musiques sud-américaines. Ici, chaque escale fait l’objet des mêmes débordements de joie.

 

Le 16 avril, nous quittons le golf d’Aden pour entrer dans l’océan Indien. Durant trois jours nous naviguerons sans voir âme qui vive. Les vagues de l’océan sont beaucoup plus amples qu’en Méditerranée.

 

Les côtes de Ceylan nous apparaissent au loin, brunes et vaporeuses. A l’approche, la végétation envahit tout l’espace. Ici, la vie exubérante de la nature s’oppose au monde minéral de la corne de l’Afrique.

 

Le S/S Cambodge s’est immobilisé en rade de Colombo. Nous voilà maintenant en vedette pour une visite organisée de la ville et de ses environs. Le parc et ses singes en liberté, le zoo et sa collection de serpents, du boa de 6 mètres de long à la petite vipère de 10 cm en passant par toutes sortes de najas et autres cobras. Les éléphants, tigres, panthères… Le tout dans un décor gigantesque, riche en couleurs et en odeurs. L’atmosphère est moite et chaude. La nature est luxuriante, touffue, inextricable, étouffante.

 

En quittant Ceylan, ce mardi 20 avril 1954, nous quittons un monde orienté vers l’occident. L’Inde, le Moyen-Orient étaient à portée de marche de l’Europe. Nous nous dirigeons maintenant vers le lointain monde du sud-est asiatique pour lequel la France nous envoyait défendre nos territoires d’Indochine : Tonkin, Annam, Cochinchine, Laos et Cambodge, qui sont en ce moment sous la pression du monde communiste qu’il soit chinois ou bien soviétique.

 

A bord, la vie est paisible. Nous profitons de tout ce qui nous est offert : piscine, jeux divers, cinéma, fêtes organisées, sans compter les excellents repas qui nous sont servis matins et soirs : un régal !

 

A Singapour, le vendredi 23 avril, le port est occupé par une armada de bateaux de guerre de Sa Majesté la reine Elisabeth II, hôte de la ville. Grands pavois partout, oriflammes, arcs de triomphe. La ville est propre, terrains de polo, tennis sur gazon, cricket, greens à perte de vue. La population ici est en majorité chinoise. Avant de retourner à bord à l’issue de notre visite, nous allons au célèbre cercle des officiers de l’armée anglaise, prendre un thé : il s’agit du Raffles.

 

Il nous faudra encore deux jours de navigation pour arriver à destination. C’est vers 8h du matin que le dimanche 25 avril nous arrivons à l’embouchure de la rivière de Saigon. Tous les passagers sont sur le pont et scrutent les rives de cette terre où les événements se précipitent. Les dernières nouvelles ne sont pas encourageantes… Dien-Bien-Phu… Le Tonkin ? »

 

Arrivée en Indochine.

 

« Tôt le lendemain, je me rends au bureau des affectations. Puisque c’est au Tonkin que le torchon brûle, je demande une affectation au Tonkin, ce qui m’est accordé sur le champ. La machine administrative est en marche. Je dois rejoindre à Hanoi, l’état-major des Forces Terrestres du Nord Viêtnam (FTNV). Je ne réalise pas encore très bien, ici à Saigon, que la vie ressemble à ce que l’on peut observer dans n’importe quelle grande ville. La population grouille dans les rues, dans les milieux civils et militaires. On parle de réceptions, tennis, concours hippiques… De mon côté, j’ai le ventre un peu serré. Je n’ai pas encore pris mes marques dans toute cette affaire et Dien-Bien-Phu est à l’agonie.

 

Avec mon contact, Edouard, nous allons dîner à L’Arc en Ciel, un restaurant très réputé. Un dîner chinois époustouflant : ailerons de requins, serpent spécialement cuisiné, pousses de nénuphar… Quels parfums subtils !

 

Le 29 avril, le Dakota qui assure la liaison avec Hanoi m’emporte vers d’autres cieux. Edouard m’a confié 75 kg de papiers (secrets) à remettre en mains propres à l’arrivée. Après une escale à Hué, nous arrivons à l’aéroport d’Hanoi, Gia-Lam.

 

Le commandant Tessere m’attend avec les 75 kg. Je suis le mouvement avec les documents dans une traction avant. Direction Hanoi par le pont Doumer construit par Eiffel, qui enjambe le fleuve Rouge sur une longueur de 4 km. Etant arrivé à destination, je suis invité à déjeuner à la popote du général Gambiez. Celui-ci est absent. Son fils vient d’être tué à Dien-Bien-Phu. Le général Bodet, commandant l’armée de l’air en Extrême-Orient préside la table et derechef je m’installe à sa droite. En face du général, se trouve le commandant Jacquelot.

 

Je me rends au bureau des affectations. Je demande à servir dans une unité de tirailleurs marocains, de préférence un groupement mobile. J’ai le choix entre trois bataillons et j’opte pour le 4/5e RTM, groupement mobile n°7 (GM7), commandé par un vrai colonial, le colonel Quiliquini. J’apprends plus tard que le GM7 est au Laos, ce n’est pas vraiment de chance pour moi qui voulais rester au Tonkin. »

 

 

Au Laos, au sein 4/5e RTM.

 

« Mercredi 5 mai 1954 : après deux jours d’attente forts longs, nous décollons enfin de Gia-Lam. Direction la Plaine des Jarres puis Vientiane. Halte à Seno. Samedi 8 mai, départ de Seno. Dien-Bien-Phu vient de tomber. Le recueillement témoigne de la gravité de la situation : 12.000 prisonniers et de très nombreux disparus.

 

Dimanche 9 mai 1954. Je rejoins mon bataillon à Phiafay, en 4x4 par la route : 51 km sud sur la RC13 (Route Coloniale n°13), reliant les provinces du nord et du sud et parallèle au Mékong, lequel d’une largeur impressionnante, roule ses eaux boueuses tout près de là. Déjeuner au PC (Poste de Commandement) du bataillon. Je me présente au commandant Fournier-Foch (petit-fils du maréchal et ancien élève de papa à Saint-Cyr), commandant le bataillon et tous ceux qui l’entourent : capitaine Menu, le toubib, le lieutenant Coffi. Je suis affecté à la 15e compagnie, commandée par le capitaine Fabre, ayant pour adjoint le lieutenant Lamarle. Le bataillon est composé de quatre compagnies de combat et d’une compagnie de soutien. Après le déjeuner le capitaine Fabre me conduit à la compagnie et, sur le sentier de brousse que nous empruntons, arrive en courant un tirailleur la mine déconfite : « Vite, vite, un blessé ! ». Nous pressons le pas et effectivement sur un brancard est allongé un homme avec un énorme pansement sur la tête, taché de rouge. Mais les acteurs de ce scénario ne sont guère convaincants et le rouge du pansement ressemble plutôt à du mercurochrome qu’à du sang… Nous trinquons à la santé de la compagnie !

 

Tout au long du mois de mai 1954, nous faisons des missions d’ouverture de routes, de protection de convois sur la grande voie de communication que constitue la RC reliant la Cochinchine, le Cambodge et le Laos. De temps à autre, je suis chargé d’aller occuper un poste d’observation. Notre installation est tout à fait sommaire. Nous sommes sous nos toiles de tente et la nuit les fourmis rouges ne tardent pas à nous dévorer. Il faut soigneusement choisir un endroit hors de leur parcours, les morsures sont très douloureuses. Un moyen de les éloigner consiste à utiliser les sachets de vin en poudre « Vinogel », les réhydrater et les asperger avec ce produit. De même, il faut aussi vérifier que quelques sangsues ne se soient pas introduites sous les vêtements. Question d’habitude ! »

 

Sources : Dominique Petit.

 

Capitaine Petit – En Indochine – 1.
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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #Indochine

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