Capitaine Petit - Au Sahara - 1.
Publié le 4 Janvier 2020
Mr. Dominique Petit a été militaire de carrière. Engagé dans les troupes coloniales, puis dans la Légion étrangère et enfin retour au sein de l’armée de terre, il a vécut le déclin de notre empire colonial. Officier d’active – comme on dit aujourd’hui – il a été envoyé en Indochine alors que celle-ci se détachait de l’Union française. Ensuite, il a été nommé au Sahara français puis a fait la guerre d’Algérie.
En 1962, direction Berlin au sein de l’état-major des Force Françaises en Allemagne puis, plus tard, ce sera une nouvelle mutation au Fort de Vincennes et le départ de l’institution. Alors une nouvelle vie commence, dans le monde de la grande distribution au sein des Docks de France (hypermarchés Mammouth, repris depuis par Auchan). Enfin, vint l’heure de la retraite et le déménagement vers Nice.
Retour en Afrique du Nord.
NDLR : 1955. Après avoir vécu la fin de l’Indochine française, le lieutenant Petit rentre en métropole pour une permission avant de regagner le Maroc, où est stationné son régiment.
« Ma permission se déroule dans le calme. La joie de ma mère de retrouver son fils. Je passe des diapositives sur l’Indochine. Je raconte ce que j’ai vu, ce que j’ai vécu. Je raconte aussi ce que la France a fait de bien : les hôpitaux, les soins, les infrastructures… Mais bientôt les gendarmes viennent à la maison me signifier que je dois rejoindre au plus vite mon unité au Maroc. C’est une habitude : les autorités responsables ont besoin d’avoir tout leur monde autour d’eux lorsqu’ils ont eux-mêmes déjà pris leur permission.
Nous arrivons à Casablanca le 22 décembre 1955. Je fais route jusqu’à Rabat. Le commandant Bertin me reçoit et me fait part des intentions du commandement : nous devons partir en Algérie nous installer dans la région de Batna, sous la coupe du général Vanuxem (un ancien de l’équipe de chez de Lattre en Indochine).
Mon bataillon est maintenant le 2e bataillon du 9e RTM (régiment de tirailleurs marocains). Nous faisons route pour Mostaganem. L’Algérie n’a pas le caractère spécifique du Maroc, ni dans sa géographie, ni dans sa modernité urbaine. On a reproduit en Algérie des bâtiments et des casernes sur le même type qu’en métropole, sans cachet, sans goût. Il est vrai que la conquête de l’Algérie remonte à plus d’un siècle, comparé au Maroc de Lyautey, grand bâtisseur.
Nous poussons jusqu’à Tébessa. Là, nous voyons le défilé du 2e BEP du lieutenant-colonel Jeanpierre. Impressionnant. Nous prenons nos équipements puis direction Aïn-Ras-el-Euch à 100 km au sud de Tébessa. Nous nous installons dans un bordj. Dans le même secteur, il y a aussi le 6e RSM (spahis) et un régiment de tirailleurs algériens. Un officier des Affaires algériennes nous signale que parmi les rebelles il y a un ancien officier français. Il s’agit de l’ex-capitaine Tarago. Pour bien comprendre les choses, il faut signaler que Tarago a fait la campagne pour la libération de la France à la 1e Armée (celle de de Lattre). Ancien résistant communiste, il suit un stage en 1947 de mise à niveau à l’Ecole d’Achern, commandée par le colonel Petit (mon père). Il effectue un séjour en Indochine (1950-1952) comme capitaine où il commande une compagnie d’un bataillon de marche du 5e régiment de tirailleurs marocains. Durant son séjour, ayant pris des accords secrets avec le Vietminh local, il simule une attaque contre les Viets au cours de laquelle il incite sa compagnie à passer à l’ennemi. Mais en de compte, il se retrouve seul chez les Viets !
Régulièrement, notre bordj est l’objet de tirs en provenance des hauteurs. Désormais, chaque nuit, nous occupons les points élevés aux alentours. Au cours du mois de février 1956, à plusieurs reprises nous sommes harcelés par les tirs ennemis. Le 15, trois de nos tirailleurs désertent avec armes et bagages. Ceux du poste de garde qui n’ont pas déserté restent bouche cousue. En dépit de mesures prises par le commandant, de nouvelles désertions sont signalées.
Départ vers Alger. Notre position n’était plus tenable. Me revoilà en France à Marseille, le 10 mars 1956, jour de mes 28 ans ! Après quelques de permissions passés en Italie, j’apprends que je dois rejoindre d’urgence mon unité. Cela devient une habitude ! Mais en effet, mon comandant de compagnie, le capitaine Serghini, officier marocain, est rappelé au Maroc par le sultan Mohamed V. Je repars prendre la tête de la 7 Cie du 2e bataillon du 9e RTM. Ne voulant entretenir une troupe de balayeurs, je dépose, non les armes, mais une demande de mutation pour servir de nouveau en Algérie, là où se fait l’Histoire. Après un premier refus, mon dossier est finalement accepté par la DPMAT (Direction du Personnel de l’Armée de Terre) au sein de la Compagnie méhariste des Ajjer dont le PC est à Djanet aux confins de la Libye et du Niger. J’exulte ! »
Au sein de la Compagnie méhariste des Ajjer.
« Rien ne serait comme avant depuis que les troupes françaises installées en Libye et composées pour la plupart des compagnies sahariennes portées de la Légion étrangère avaient quitté le Fezzan par décision de l'ONU le 20 novembre 1956, pour s'installer au Sahara.
Le territoire ainsi évacué va permettre aux rebelles algériens d'envisager de développer des activités beaucoup plus importantes que par le passé, pour le soutien de la rébellion en territoire algérien : passage d'armes au sud de la Tunisie, infiltration de troupes et pourrissement de la population, implantations de bases stratégiques et de soutien aux points clés de la frontière, dont Ghat qui ne fut évacuée que le 5 décembre 1956. Tout le matériel et les biens que nous possédions dans cette garnison avaient été transportés en camions jusqu'à Djanet par la piste, via Tin-Alkoum et Arrikine, dont deux vieux canons de 75 datant de 1939 et les munitions correspondantes. Seul était resté à Ghat, en accord avec les autorités libyennes, le médecin français au titre de l'assistance médicale auprès de la population civile.
En cette fin d'année 1956, j'étais avec mon peloton méhariste dans la région de Fort Gardel et m'apprêtais à faire mouvement vers lherir. J'écrivais le 28 novembre à ma tante Simone ce qui suit : « Je t'adresse ces quelques lignes car je sais qu'elles te feront plaisir sachant que tu aurais peut-être aimé venir dans ce beau pays. Je suis actuellement avec mon peloton à Fort-Gardel à 150 km nord-ouest de Djanet. Voilà 1 mois que nous y sommes arrivés et déjà je songe à quitter ce lieu pour remonter plus au nord. Fort-Gardel est un endroit favorisé en ce sens qu'il y existe sept puits, une trentaine d'habitants qui cultivent de maigres jardins et aussi quelques zones de pâturages pour les chameaux. La région est très pauvre, comme toute l'Annexe du Tassili des Ajjer qui compte 5.000 habitants pour 382.000 km2. Sur ces 5.000 habitants, 2.000 sont fixés à Djanet et 1000 à Fort-Polignac. Il reste donc 2.000 nomades à se partager le reste du territoire. Ils sont d'ailleurs localisés dans les régions montagneuses plus riches au point de vue, de l'eau et des pâturages pour chameaux et chèvres.
La région Dider-lherir où je vais bientôt me rendre est un centre nomade assez important. J'ai sous mes ordres 47 méharistes dont 3 sous-officiers, 2 français, 1 targui et des chameaux, nos véhicules. J’en ai 63 plus ou moins en bonne forme mais, dans l'ensemble, assez forts pour remplir le travail demandé. En cette période de l'année où la chaleur est tombée à 25° de l0h30 à 17h30 et 4° la nuit, les bêtes ne vont à l'abreuvoir que tous les 8 jours au lieu de 3 à 4 jours l'été, ce qui nous permet de parcourir des distances importantes sans s'inquiéter du ravitaillement en eau pour les chameaux. Ainsi en 8 jours on pourrait facilement parcourir 400 km et dans la région qui m'occupe, les points d'eau sont beaucoup plus rapprochés entre eux que cette distance. La montagne recèle un nombre incalculable de « guelta », cuvettes de 3 à 15 mètres remplies d'eau de pluie et cette eau se conserve presque indéfiniment.
Je mène donc une vie nomade, mes affaires sont réduites au minimum, une cantine avec quelques effets de rechange, une petite caisse servant de bureau, un tapis, deux couvertures, une djellaba, un burnous, deux mezoued (grand sac de cuir en peau de chèvre) de fabrication locale dans lesquels se mettent diverses affaires et qui s'accrochent aux flancs du chameau, et la rahla (selle). C'est tout et la vie est belle. J'oubliais le calme reposant et l'horizon où la vue se perd, les masses noires des rochers immenses et les dunes roses, le ciel bleu. La nuit, les étoiles qui sont également nourriture de l'esprit.
Voilà ma chère tante, crois bien que je ne t'oublie pas ».
« C'est le 8 décembre 1956 que nous avons fait mouvement vers lherir, petite vallée perdue du Tassili où s'étale sur un kilomètre une jolie palmeraie au pied de laquelle circule une eau claire et transparente arrivée là par je ne sais quel repli du sous-sol ! Un bordj en torchis a été construit ici par nos anciens. Le coin est fort agréable et l'on comprend pourquoi il a été choisi comme résidence d'été par l'Amrar, le chef, des touareg Ajjer ».
Mission sur les hauteurs de Ghat.
« Le 11 décembre, vers 16h00, lors de la vacation radio avec le PC à Djanet, je reçois la mission suivante :
1 / Me rendre dans les meilleurs délais à hauteur de Ghat.
2/ Etudier tout en respectant les limites frontalières, l'implantation d'une batterie de canons de 105 permettant d'atteindre Ghat et la palmeraie.
3/ A partir d'Essayene relever l'itinéraire permettant l'accès à l'emplacement de batterie.
L'idée du commandement était de faire peser la menace de nos canons sur Ghat afin de dissuader le FLN d'intervenir chez nous. A vol d'oiseau Ghat n'est qu'à 80 km de Djanet. Aussitôt avec le sergent-chef Cabrol, mon adjoint, nous préparons cette expédition. Le sergent Ag-Khan m'accompagnera avec 13 méharistes, 6 chaamba et 7 touaregs et le 1ére classe français Magnin, radio. Le reste du peloton sous les ordres de Cabrol rejoindra Fort-Gardel.
Après avoir réparti les vivres et rassemblé les chameaux, nous avons pris la piste qui emprunte le plateau du Tassili en direction d'Essayene. Nous parcourons ainsi plus de 400 Km en 9 jours dans des conditions climatiques assez pénibles en cette saison. Nous sommes en moyenne entre 1.200 et 1.400 mètres d'altitude. Il fait froid 10 à 11 ° le jour aggravé par le vent qui souffle et la nuit la température tombe rapidement pour atteindre -2 à -3° vers 7h00 du matin. Nous progressons du lever au coucher du soleil sans arrêt ou presque et le plus souvent à pied pour soulager les montures.
Chaque jour le sergent Ag-Khan qui connaît parfaitement toute cette région, m'indique l'endroit le plus favorable pour baraquer la nuit. Le cinquième jour, la nuit étant arrivée, nous marchons toujours et je demande à Ag-Khan ce qu'il en est. Il me répond que la région n'est pas favorable pour les chameaux, il y a beaucoup trop de lauriers roses qui sont autant de poison. Nous continuons encore un bon moment puis à nouveau j'interroge Ag-Khan qui me fait la même réponse. Nous arrivons alors sur un glacis après avoir franchi un oued escarpé et là je décide l'arrêt pour le reste de la nuit, au grand mécontentement d'Ag-Khan. De toute façon, il fait nuit noire, il serait dangereux de continuer. Peut-être Ag-Khan prévoyait-il les étapes en fonction des campements nomades que nous serions susceptibles de rencontrer, cela je voulais l’éviter.
Le lendemain en fin d'après-midi, le radio butte sur une pierre, tombe lourdement sur un rocher la tête en avant et se coupe le nez en profondeur. Nous sommes arrivés à hauteur de l'akba d'Assakao qui mène à Djanet. Une akba est un passage rétréci et très pentu qui permet de relier le plateau du Tassili à 1.200 mètres à la plaine 400 mètres.
Après avoir donné notre position par radio au PC comme chaque jour, j'annonce l'évacuation de Magnin accompagné d'un méhariste sur Djanet afin qu'il puisse recevoir les soins appropriés à sa blessure. Ils rejoindront Djanet en deux jours tandis que nous continuons notre approche vers Ghat que nous apercevons dans le lointain le 18 décembre vers 11h00 du matin.
Un temps magnifique s'est installé depuis la veille, le ciel est bleu, l'horizon visible dessine une frange de verdure qui n'est autre que la palmeraie de Ghat à quelques 20 km de notre point d’observation.
Je fais baraquer les chameaux en deçà de la ligne de crête et nous nous installons pour une pause. De mon côté j'accède au sommet d'une dune et déploie ma carte sur laquelle est tracée le frontière qui sépare le Sahara français du Territoire libyen. Ce tracé résulte de discussions entre la France et la Turquie qui se sont tenus en 1911, mais des désaccords profonds subsistent toujours dans cette région, les Italiens puis les Libyens voulant s'approprier le passage de l'oued Essayene qui commande l'accès vers le sud, c'est à dire vers le Tchad et le Niger. Du côté français nous avons toujours su faire comprendre que ce passage était nôtre, d'où l'importance du poste de Tin-Alkourn qui en est le verrou.
Pour ma part, je m'en tiens aux indications portées sur ma carte et quoique je fasse la distance qui me sépare de Ghat et de sa palmeraie ne peut être inférieure à 20 km. Dans ces conditions je ne peux trouver un emplacement compatible avec la distance de tir des canons de 105 de 15 km pour atteindre l'objectif. Toutefois je fais le relevé d'une aire pouvant accueillir une batterie en précisant l'inconvénient de la distance.
Dans l'après-midi, nous nous dirigeons vers Essayene. Je fais le relevé d'itinéraire possible en indiquant chaque fois que cela est nécessaire les aménagements à pratiquer, tels que les élargissements, les trous à combler, les rochers à faire sauter, etc…
Avant la tombée du jour nous sommes à hauteur du village d'Essayene. Le village constitué de quelques zéribas, (sorte de paillotes) est abandonné et formons le carré pour la nuit afin de faire face dans toutes les directions. Toujours méfiant dans cette zone proche d'El-Barka en Libye à portée de tir de fusil, nous sommes prêts à toutes éventualités.
Rappelons nous que « c'est le 6 avril 1913 que le Lieutenant Gardel en mission dans les environs de Tin-Alkoum, décide d'aller aux renseignements vers Ghat, car apprend-t-il qu'une harka (compagnie) est en formation sous l'influence de la Senoussia qui prône la guerre sainte et s'apprête à marcher sur Djanet.
Le 10 avril le groupe commandé par Gardel est à Essayene, (à l'endroit même où nous sommes aujourd'hui). A 15h00 il est encerclé par la harka du Sultan Ahmoud. Tous les chameaux sont tués ou blessés. Gardel et ses hommes sont submergés. Durant la nuit un courrier est parti pour Djanet. A l'aube le combat reprend. Il faut en finir ou mourir. Gardel et ses méharistes s'élancent baïonnette au canon. C'est la fuite de la harka et pour Gardel la victoire. 47 hommes de la harka sont tués ou blessés et pour Gardel 2 tués et 10 blessés dont 6 gravement. Boukeghba doit être amputé d'une jambe, ce qui est fait sans anesthésie. Le 15 avril Gardel et ses hommes rentrent à Djanet » (cf Méharistes au combat de Raymond Lacroze, Ed. France Empire).
Mais nous sommes en 1956, je saurai plus tard que notre arrivée depuis la veille avait été signalée à Ghat ainsi que notre étape à Essayene.
Le 19 décembre nous reprenons la piste vers Tin-Alkoum, 25 km plus au sud.
De retour à Djanet le 26 décembre, je fais mon rapport sur la mission qui m'a été confiée, puis je rejoins Fort-Gardel le 10 janvier.
Le peloton est à nouveau regroupé après le retour de toutes les patrouilles ».
Aux pâturages.
« Le 17 janvier 1957, je pars au pâturage des 2ème montures dans l'oued Timedioune à 80 km ouest. Nous sommes au puits d'Aheledjem dans la nuit du 19 au 20 janvier où les 100 chameaux de réserve sont rassemblés pour être abreuvés.
Les 4 méharistes chargés du troupeau sont heureux de nous voir leur apporter des vivres. Les nouvelles s'échangent autour des rituels verres de thé à la menthe. Les chameaux sont en très bon état. Dans l'ordre des choses, chaque méhariste est doté de deux montures, l'une en service au peloton, l'autre au pâturage. Ainsi par alternance tous les douze mois, la monture en service va se refaire une « bosse » en échange de la 2ème monture qui prend du service.
Le 23 janvier à notre retour à Fort-Gardel, l'oued Afara est en crue. De très loin l'on entend le bruit sourd du bouillonnement de l'eau qui dévale sur plus de 200 mètres de large et qui durera 12h00. Il y a plus de 5 ans que l'oued n'a pas coulé et déjà l'on prévoit l'abondance des pâturages dans quelques mois.
La venue du Capitaine Marchand commandant la compagnie est annoncée pour le 1er février, avec lui le Capitaine Batimes, médecin-chef à Djanet. Il est de coutume en de telles circonstances que le peloton se présente en tenue de parade, les méharistes montés sur les chameaux. La revue précède le défilé au petit trot. C'est tout simplement magnifique. C'est ensuite le paiement de la solde, puis la perception des vivres pour les 3 mois à venir. Les vivres sont constitués principalement de farine, pâtes, huile, sucre, sardines, sauce tomate concentrée, thé, menthe, oignons et aussi les fameuses boites de singe de Madagascar. La viande n'est pas au menu de tous les jours. De temps à autre, un méhariste est dépêché pour aller tuer soit une gazelle soit un mouflon, généralement dans un délai de 3 à 4 jours.
Du 6 au 8 février, j'effectue une reconnaissance en amont de l'oued Afara au contact des nomades installés dans ce secteur.
Le 26 février le caïd El Hassan, chef des tribus des Kel lherir, vient nous rendre visite. Pendant que le thé à la menthe se prépare nous échangeons toutes les formules de politesse en usage et cela prend du temps. Puis le thé est servi. Enfin nous parlons de la pluie et du beau temps. En effet la pluie est tombée avec une rare intensité dans la cuvette de Tarat. Dans 3 ou 4 mois l'acheb (herbe) sera si abondante que la quasi totalité des nomades Ajjer seront au rendez-vous avec tous leurs troupeaux.
Ce sera pour le chef d'annexe, le Capitaine Rossi, l'occasion d'aller au milieu d'eux faire le point et recueillir par personne interposée tous renseignements utiles sur ce qui se passe à Ghat. L'antenne médicale devra s'attacher à soulager les douleurs aux yeux, oreilles et dents d'un grand nombre venus spontanément se faire soigner.
Le caïd El Hassan a l'œil vif et la rumeur circule qu'il possède une moustache si longue qu'il peut la nouer derrière le cou. Il ne m'est pas permis de lui demander de me la montrer, car il serait indécent pour lui de baisser son litham (voile qui cache son visage). Je ne peux qu'imaginer ! Le 22 avril de retour à Djanet après avoir été opéré de l'appendicite à Alger, le capitaine Marchand me confie le commandement du 4ème peloton porté composé d'une quarantaine d'hommes dont 1/3 de jeunes français du contingent et 2/3 de chaambas originaires de la région de Ouargla. Le peloton est transporté sur 5 dodges 6x6 et dispose comme armement outre des fusils MAS 36, de 2 FM et d'un mortier de 60m/m. Les missions des 2 pelotons portés de la compagnie sont principalement des missions de reconnaissance et d'intervention rapide en cas de besoin. »
Avec Henri Lhote.
« L'accès du plateau du Tassili, véritable forteresse, à trois jours de marche de Djanet après l'ascension de l'akba d'Assakao, s'étend une véritable forêt de pierres au sein de laquelle ont été découvertes de très nombreuses peintures rupestres par l'explorateur saharien Henri Lhote il y a déjà quelques années.
Il avait obtenu, ces derniers temps, d'envoyer une mission sur les lieux pour y effectuer le relevé systématique de toutes les peintures. Depuis déjà 2 mois, une équipe de 3 jeunes gens sortis des Beaux-arts est au travail. La technique pour effectuer le relevé des peintures consiste à humidifier les parois avec une éponge, les couleurs et les traits apparaissent alors très visiblement. Il faut aussitôt appliquer un calque et relever les contours. Cette méthode, pour aller vite, n'en a pas moins été une catastrophe pour les peintures qui, humidifiées, perdaient une grande partie de leurs pigments encore en place. Si bien qu'aujourd'hui la lecture de ces peintures est moins aisée.
Toujours est-il que le 4 mai 1957, Monsieur Henri Lhote en personne est arrivé à Djanet par avion spécial Nord 2501 venant d'Alger avec comme objectif d'aller larguer matériels et vivres au camp de base de nos 3 artistes sur le plateau afin qu'ils puissent terminer leur mission sans perte de temps. J'ai l'avantage de pouvoir accompagner Henri Lhote dans cette tâche. Après avoir largué comme convenu vivres et matériels nous avons survolé à plusieurs reprises cette fameuse région du Tamrirt, véritable chaos de pierres, qui recèle encore probablement beaucoup de trésors cachés. D'un coup d'aile nous sommes allés survoler lherir pour revenir nous poser à Djanet après un magnifique rase-mottes au-dessus du bordj.
Dans cette région, témoin des forêts anciennes, vivent encore quelques cyprès rabougris. Il y a ici et là d'autres vestiges laissés par les Garamantes (hommes du néolithique, 5000 ans) et notamment dans l'erg d'Admer à hauteur du djebel Tiska au pied des dunes sur des espaces balayés par le vent et mis au jour par le déplacement du sable, des ateliers où se pratiquait la taille du silex. Partout des éclats, des pointes de flèches, aussi des œufs d'autruches et les déchets sur le sol racontent l'histoire de la fabrication des perles dans l'épaisseur de la coquille. En d'autres endroits, ce sont des plats creux en pierre servant au concassage des graines, le pilon est là à côté !
Le 8 juin 1957, le colonel d'Arcimolles, nouveau commandant militaire du territoire des oasis rencontre l'aménocal des Ajjers, le caïd Brahim, entouré des anciens méharistes dont certains ont connu Laperrine ! »
Mission sur Tin-Alkoum.
« Cependant, du côté de Ghat, quelques touareg qui en reviennent informent le chef d'annexe, le Capitaine Rossi, sur les effectifs rebelles et leurs intentions. A Ouargla, la capitale saharienne, le haut commandement ne veut pas laisser la porte ouverte aux fellaghas qui voudraient pénétrer sur notre territoire par Tin-Alkourn.
L'idée d'implanter une batterie d'artillerie face à Ghat a été abandonnée. Par contre, l'implantation d'un poste fixe à Tin-Alkoum se précise. Le 20 mai 1957, j'effectue une reconnaissance avec le 2ème peloton méhariste en amont de l'oued Essandilène jusqu'à une magnifique guelta. Nous visitons un campement, nous ne relevons aucune trace suspecte.
Le Capitaine Marchand part en permission le 12 juin. Je commande la compagnie en son absence.
Le secteur Ghat-Essayene-Tin-Alkoum préoccupe le commandement qui ordonne maintenant la mise sur pied d'une SAS (section administrative spécialisée) qui sera implantée à Tin-Alkoum, chargée d'administrer le secteur, d'être un lieu de rencontre pour les nomades en transit, de recueillir des renseignements sur les voisins libyens et de récréer une activité dans cette ancienne palmeraie dont les 7 puits sont comblés. Enfin, attirer ici les touaregs plutôt que de les voir se rendre à Ghat. Outre ces activités, démontrer que nous ne sommes pas disposés à laisser le passage aux troupes du FLN installées à Ghat.
Nous accentuons nos reconnaissances dans le secteur du 13 au 15 juin vers Arrikine et In-Ezzane afin de vérifier s'il existe des passages, mais nous ne relevons aucun indice. Le Lieutenant Bert qui vient de terminer les cours des Affaires sahariennes à Alger est affecté pour prendre le commandement de la SAS de Tin-Alkoum. Le 22 juillet, nous effectuons une nouvelle reconnaissance sur la frontière entre In -Ezzane- Arrikine et Tin-Alkoum qui n'apporte aucun élément nouveau. Par ailleurs, des renseignements récents font état de la volonté d'agression des rebelles sur notre territoire.
Le Capitaine Marchand écourte sa permission et rentre le 18 août. Pour ma part avec mon peloton renforcé d'un canon de 75 m/m évacué de Ghat en décembre dernier, nous rejoignons Tin-Alkoum le 31 août. La situation est très sérieuse, il faut s'attendre à une attaque imminente de la part des rebelles installés à El-Barka, tout proche de la frontière.
A Alger le commandement ne reste pas indifférent et devant la faiblesse de mes effectifs (40+15) face à ceux estimés de nos adversaires (600) envoie le 5 septembre quatre avions Nord 2501 au-dessus de ma position parachuter des munitions, des quantités de rouleaux de fil de fer barbelés et des sacs à sable. Au total 20 tonnes en 2 passages. Avec ces moyens supplémentaires, je dois assurer la défense « sans esprit de recul » ! L'action d'envergure du FLN est attendue pour le 16 septembre date à laquelle la question algérienne sera à l'ordre du jour de l'ONU.
Chaque jour je reçois le même télégramme m'invitant à prendre toutes dispositions nécessaires en vue d'une attaque rebelle imminente. Les jours et les nuits s'écoulent dans l'attente des signes précurseurs. J'ai été informé également que le convoi de ravitaillement trimestriel venant de Ouargla composé de quatre camions dont deux de carburant, de la société Devicq est en route depuis quelques jours et doit arriver très bientôt.
A Tin-Alkourn notre système défensif est constitué de trois petits points d'appui, deux face au nord vers Ghat avec le peloton porté, un face au sud avec les éléments de la SAS du Lieutenant Bert. Nous avons utilisé les sacs à sable autour des emplacements de tir au milieu des touffes de drinn qui nous entourent (drinn : plante appréciée des chameaux). Les munitions sont réparties. Un observateur aérien aurait du mal à nous localiser dans cette immensité. La largeur de l'oued Essayene est d'environ 3 km, les premiers contreforts du Tassili à 2 km, là où se trouve cette ancienne palmeraie. Alors, une cinquantaine de « guss », ce n'est vraiment pas grand chose ! Une nuit les chameaux de la SAS ont été capturés et emmenés en Libye, ce qui n'est pas fait pour remonter le moral des touaregs du Lieutenant Bert.
Pourtant à regarder autour de soi on a l'impression d'être enfermé au milieu d'un décor qui vous domine, les mouvements de terrain semblent proches, les distances s'estompent complètement, on a l'impression de toucher le relief, de butter contre. Il y a ambiguïté sur les distances. Je n'ai pas voulu utiliser le fil de fer barbelé, à quoi bon s'enfermer au milieu de l'espace! J'ai voulu garder la possibilité de manœuvrer en cas de besoin.
La nuit est tombée et nous nous installons comme chaque jour pour une longue veille nocturne. Sur chaque PA (Point d’Appui), il y a 2 sentinelles mixtes, 1 français et 1 targui ou chaamba. Au poste de commandement avec le sergent Pinel nous nous partageons la nuit en surveillance afin de prendre toutes mesures sans délai en cas de nécessité.
Il faut scruter l'obscurité, écouter les bruits, en faire le tri, pour ne retenir que ceux qui nous semblent suspects. Y-a-t-il un bruit de fond qui dure et perdure ? Est-ce une colonne en marche à 20 Km de là ? Car ici, en l'absence d'humidité dans l'atmosphère, les sons se propagent très vite et très loin. Ce bruit, voilà déjà 10 minutes qu'il se propage. Je reste à l'écoute..., le silence est revenu ! A nouveau un ronron se fait entendre, heurte les montagnes, arrive de plusieurs directions à la fois, s'amplifie... je sais maintenant qu'il s'agit de l'avion régulier d'Air France qui relie chaque jour Marseille à Fort-Lamy via Tunis. L'avion se dirige sur la balise radio de Ghat avant de poursuivre sa route vers le sud. Longtemps encore après son passage j'entends le bruit de ses moteurs. On se prend alors à rêver, et de comparer la vie de ces pilotes, de ces voyageurs du ciel et la nôtre. Nous les voyons passer, eux ne savent pas que nous sommes là tout petit à veiller prêt au combat ! ... Le jour se lève, RAS (« rien à signaler »).
Nous attendons toujours le convoi de ravitaillement de la société Devicq. Ce convoi trimestriel apporte dans les garnisons reculées du Sahara le ravitaillement lourd indispensable, tels que: eaux, pommes de terre, oignons (anti-scorbut), farine, carburant, boissons diverses, conserves etc...
La piste pour atteindre Djanet passe obligatoirement par la Libye. A partir de FortPolignac, il n'y a pas d'autre possibilité que d'entrer en Libye pour atteindre Ghat puis Tin-Alkoum. et Djanet. La barrière du Tassili empêche toute liaison directe. Comme chaque soir, nous nous installons pour une nouvelle nuit de veille. Demain nous serons le 17 septembre. Avec le sergent Pinel nous restons très attentifs à toutes manifestations lorsque vers 21h00 une immense lueur apparaît à l'horizon, plein nord dans l'axe de l'oued en direction de Ghat. Compte tenu de la configuration du terrain et de la connaissance que j'ai des lieux, je localise cet embrasement dans le secteur du village d'Essayene à environ 20, 25 km de notre position.
Peut-être les rebelles ont-ils mis le feu aux zénibas (huttes) du village d'Essayene pour faire table rase et forcer les quelques derniers occupants à rentrer en Libye. Enfin nous montrer qu'ils sont là. Aussitôt je passe un message à Djanet aussi complet et précis que possible. Dès le lever du jour un avion de reconnaissance vient survoler la zone et constate non loin d'Essayene sur un promontoire à proximité de la piste les quatre camions du convoi attendu, rangés côte à côte, entièrement détruits par le feu. C'est l'embrasement des deux camions citernes remplis de carburant que j'ai pris hier pour un simple feu de paillotes. Eh bien oui, la veille au soir après que le convoi Devicq ait été liquidé, il semblerait que les fellaghas, de retour à Ghat, avec les 4 chauffeurs originaires de Touggourt, les aient passés par les armes.
Dès la première heure nous sommes allés sur les lieux du drame pour faire l'inventaire des dégâts et recueillir le maximum de renseignements possibles. Toutes les marchandises ont été brûlées. Seules deux cents boîtes de bière qui ont chauffé n'ont pas éclaté. C'est la seule récupération qui nous permet sur-le-champ de nous désaltérer à bon compte ! Dans le même temps, le médecin militaire français qui avait été maintenu à Ghat après l'évacuation aurait été conduit à l'extérieur de ses locaux et placé sous la surveillance de quelques rebelles dans l'attente de savoir s'il allait être passé par les armes... Heureusement il n'en fut rien. Cet incident a été relaté dans la presse française les jours suivants.
A Alger le Commandement a pris des mesures pour renforcer le secteur de Tin-Alkoum en envoyant une quinzaine de jours après ces événements trois pelotons portés de la 1ère CSPL (compagnie saharienne portée de la Légion étrangère) sous les ordres du Lieutenant Leproust dont 1 peloton d'AM M8 (auto mitrailleuse) commandé par le Lieutenant Post. En soutien à Arrikine ont été dépêchés deux pelotons, l'un de parachutistes équipé de jeeps, l'autre de la CSPO (compagnie saharienne portée des oasis) venant de Ouargla.
Ces renforts presque trop importants nous ont soulagé en grande partie des tâches que nous assumions seuls depuis un mois. Surtout la nuit, les veilles incessantes. Et puis malgré tout, l'incertitude du comportement de nos chaamba et touareg en cas d'accrochage avec les rebelles ».