Mon discours de Buchenwald, par Guy Ducoloné.
Publié le 28 Septembre 2007
Guy Ducoloné à Issy-les-Moulineaux, le 29 avril 2007 à l'occasion de la Journée de la Déportation.
Guy Ducoloné est résistant, déporté, président de l’association Buchenwald-Dora et Kommandos, officier de la Légion d’Honneur, ancien dirigeant du Parti communiste français, conseiller général d’Issy-les-Moulineaux (1953-1988), député des Hauts-de-Seine (1964-1988), ancien vice-président de l’Assemblée nationale, député honoraire.
Le 14 juillet 2007, à l’occasion de la réception française à Buchenwald, Guy Ducoloné a remis, au nom de l’ancien président de la République, Jacques Chirac, les insignes de chevalier de l’Ordre national du Mérite à Inge et Gerhard Eisenäscher, pour leur aide et leur soutien aux prisonniers français d’Ellrich, et leur travail de Mémoire. Guy Ducoloné a également prononcé le discours suivant.
« Lorsqu’en juillet 1937 commençait la construction du camp de Buchenwald, nous avions, en France, célébré le 14, le 148ème anniversaire de la Révolution française. Juillet 1937, c’était en France le temps du Front Populaire et les dizaines de milliers de parisiens, qui défilaient alors de la place de la République à la Bastille, proclamaient : « à bas le fascisme italien, à bas le nazisme hitlérien, vive la République espagnole ».
Nous savions qu’il y avait des camps de concentration où des milliers d’Allemands étaient enfermés. Le nom de Dachau était connu, d’une part, par les reportages de Marie-Claude Vaillant Couturier et, d’autre part, par les récits que nous faisaient des jeunes et des moins jeunes antifascistes allemands qui avaient pu fuir l’Allemagne hitlérienne. Mais, avouons-le, ce n’est qu’à partir de 1942, que les quelques 170.000 femmes et hommes (dont 80.000 juifs) partis de France, connurent la réalité monstrueuse des camps. Plus de 25.000 d’entre eux arrivèrent à Buchenwald jusqu’aux derniers convois venant de l’est de la France en novembre 1944.
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Ainsi, en ce 14 juillet 2007, nous avons voulu, chers amis, vous donner ce rendez-vous. Merci à vous, chers camarades internés et vous tous, amis allemands, d’être présents. Fête nationale en France, le 14 juillet porte témoignage de la chute de la monarchie et de la liberté prochaine annoncée.
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C’est pourtant un 14 juillet qu’un jeune allemand de 18 ans fut, en 1943, victime indirecte de notre hymne national : la Marseillaise. Ce 14 juillet, un prisonnier de guerre français travaillant en usine a demandé à un garçon allemand de jouer la Marseillaise sur son harmonica. L’hymne fut joué et son interprète, dénoncé, se retrouva à Buchenwald.
Merci camarade Gunther Pappenheim de ta présence parmi nous. Merci de ton geste fraternel et courageux du 14 juillet 1943. Tu fus notamment ce jour-là de ceux à qui s’adresse le couplet : « Liberté, liberté chérie, combat avec tes défenseurs ». Ainsi, sans peut-être le savoir, Gunther effaçait à sa manière ce 14 juillet 1933 où Hitler proclamait le NSDAP (le parti Hitlérien) parti unique en Allemagne.
Souvenons-nous toujours que ce chant résonna en janvier 1943 à l’entrée d’Auschwitz de 230 patriotes françaises. C’est encore sur ces paroles que les 2.000 Français ayant échappé aux marches de la mort se sont rassemblés, avec tous les détenus présents, pour prêter le 19 avril 1945 le Serment de Buchenwald. Ces hommes de toutes les nationalités ont, ce jour-là, juré que : « Notre idéal est la construction d’un monde nouveau dans la paix et la liberté ».
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Nos rencontres de ce mois de juillet 2007 prouvent que nous sommes encore nombreux en Allemagne, en France, en Russie, en Pologne, dans l’ex-Yougoslavie et dans les autres pays d’Europe, à demeurer fidèles à ce Serment et à poursuivre notre action sur la même voie. Nous voulons tous que les jeunes de nos pays, que leurs parents ne soient plus confrontés à la guerre.
Nous voulons que les jeunes et les moins jeunes conservent, non seulement le souvenir de nos camarades morts en ces lieux ; mais surtout qu’ils maintiennent le souvenir des causes et des responsables de leur mort et de nos misères. Aidons-les à refuser le mépris et la haine de l’autre quelle que soit sa couleur de peau ou sa religion. Nous qui sommes encore présents, aidons les plus jeunes à refuser et à combattre les sentiments racistes, colonialistes ou antisémites. Aidons-les à refuser les idées de conquêtes mais à cultiver les idées de fraternité et de concorde entre les peuples.
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Les dizaines de milliers de détenus à Buchenwald, comme dans les autres camps à des degrés divers et malgré leurs différences de culture et des langues parlées, ont su s’unir dans leurs comités nationaux clandestins de résistance et dans le Comité international clandestin. Cela permit à ceux d’entre-nous présents au camp le 11 avril 1945 de dire « Nous sommes libres » aux unités américaines arrivées dans l’après-midi.
Je vous souhaite, chers amis, que nous puissions, encore longtemps, marcher d’un même pas dans la liberté et dans la paix. »