Il y a 55 ans : le général à Alger.
Publié le 1 Juin 2013
Le général de Gaulle à Alger – Juin 1958.
Les débuts de la guerre d’Algérie.
Dans notre histoire contemporaine, le mois de mai 1958 revêt une importance particulière. Cela fait près de trois ans et demi que la France doit faire face à ce que l’on appelle à l’époque les « événements d’Algérie » et qui se traduisent par des « opérations de maintien de l’ordre ». Depuis 1999, nous parlons de guerre.
En novembre 1954, il en est tout autre. A la tribune de l’Assemblée nationale, le président du Conseil, Pierre Mendès-France déclare : « À la volonté criminelle de quelques hommes doit répondre une répression sans faiblesse. Qu'on n'attende de nous aucun ménagement à l'égard de la sédition, aucun compromis avec elle. On ne transige pas lorsqu'il s'agit de défendre la paix intérieure de la Nation et l'intégrité de la République. Les départements d'Algérie font partie de la République, ils sont français depuis longtemps. Jamais la France, jamais aucun parlement, jamais aucun gouvernement ne cédera sur ce principe fondamental. L'Algérie, c'est la France et non un pays étranger que nous protégeons. »
En 1955, l’état d’urgence est décrété et les premiers contingents de militaires appelés sont envoyés en Algérie. Les massacres, de part et d’autre, bien souvent dans des proportions sans aucune commune mesure, sont fréquents.
En 1956, les combats – les escarmouches, guérilla ou encore coups de force – se déroulent maintenant partout aussi bien dans les villes que dans les campagnes. Il ne s’agit pas d’emplois de forces conséquentes à proprement parler mais d’accrochages allant de quelques individus à plusieurs centaines. Il s’agit également d’attentats. La guerre d’Algérie n’est pas la situation d’une armée en ligne contre une autre. Pour la Métropole, l’appel au contingent est systématique et les débarquements de soldats se multiplient. Le pouvoir confie le commandement militaire à un général chevronné, ayant fait ses preuves aussi bien à la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’en Indochine : Raoul Salan.
1957 est marquée par la reprise en mains des villes. Se déroule, entre autres, la bataille d’Alger à partir du mois de janvier, sous les ordres du général Salan. Elle se solde par une victoire complète de l’Armée française, au prix, parfois, et comme dans tous les conflits, d’atrocités certaines. Mais, d’un point de vue diplomatique et politique, la France est montrée du doigt et perd peu à peu pied face à une population musulmane qui n’est pas acquise à sa cause. Il convient d’ajouter une opinion mondiale qui condamne cette guerre qui aux yeux de bon nombre d’observateurs n’est devenue qu’une « guerre de décolonisation » ou une émancipation du peuple algérien.
Edmond Vernay.
Edmond Vernay est appelé à faire son service militaire le premier jour de septembre 1956. Il intègre le CIT 156 de Toul, puis est muté à Metz au CCR 220. « J’obéissais aux ordres du capitaine Mien. Quelqu’un de formidable. Il ne se cachait pas pour nous dire que nous partirions bientôt pour l’Algérie. Mais j’étais d’accord. C’était pour moi l’occasion de servir mon pays. Et puis quelque part, je rendais hommage au papa de celle qui allait devenir mon épouse trois ans plus tard à Issy-les-Moulineaux. Oui, celui qui aurait dû être mon beau-père, n’avait pas survécu à l’offensive allemande de mai 1940. Et on avait dit que les soldats s’étaient enfuis… Tant d’hommes massacrés pour entendre cela quelques années plus tard !
En novembre 1957, notre unité débarquait à Alger et prenait ses positions à Baba Hassen, dans l’actuelle banlieue sud-ouest d’Alger. Notre compagnie était chargée du pilotage des convois, de la circulation et de la protection des personnes. Cela passait par des contrôles d’identité presque à chaque carrefour, en ville, mais aussi dans les villages qu’on appelait des douars. Les fouilles : il fallait en faire aussi, et nous n’étions pas très rassurés. Il ne se trouvait pas une chambrée où on ne racontait pas des aventures avec des femmes qui cachaient des bombes sous leurs vêtements !
Les fellaghas : notre hantise… Je ne peux oublier la mort de mon copain Louis Waechter, originaire de Wissembourg. C’était le 11 décembre 1957. Nous effectuions un ratissage dans un village. Les fouilles avaient commencé. Louis faisait face à un jeune garçon. Ce dernier n’hésita guère plus d’une seconde : il sortit de sa djellaba un fusil et abattit Louis d’une cartouche de chevrotine. Ce fut terrible. Pas facile de s’en remettre. De penser à la famille.
Une autre facette de notre activité consistait à partir souvent en opérations pour piloter, guider ou accompagner des unités combattantes comme le 1er REP (régiment étranger parachutiste) ou la 10ème DP (division parachutiste). Ainsi, je découvris les gorges fameuses (depuis 1956) de Palestro, les villes d’Aumale ou de Sidi-Aïssa.
Et puis, il y eut le général de Gaulle à Alger en juin 1958. Et là, ce fut du délire ! ».
Mai 1958.
Au début du mois de mai 1958, l’histoire s’accélère. Le gouvernement de Félix Gaillard vient de chuter. Pendant quelques semaines, c’est l’incertitude, alors que les combats ont repris. Le 10 mai 1958, Alain de Sérigny, directeur du journal l’Echo d’Alger, lance un appel au général de Gaulle. Le même jour, le ministre-résident Robert Lacoste quitte l’Algérie. Le plus haut représentant de la Métropole vient de disparaître.
Le lendemain, des soldats français sont attaqués et massacrés. Pierre Pflimlin est pressenti pour former le nouveau gouvernement, alors que chacun sait sa volonté de négocier une sortie de crise en Algérie. A Alger, les « Pieds-Noirs » – près d’un million de métropolitains installés souvent depuis plusieurs générations – manifestent. Le général Massu qui s’est vu remettre par Félix Gaillard les pleins pouvoirs, civils et militaires, demande aux députés de surseoir à l’élection de Pierre Pflimlin, et fait parvenir à Paris un télégramme : « Exigeons création à Paris d’un gouvernement de salut public, seul capable de conserver l’Algérie partie intégrante de la Métropole ».
Les députés refusent cette intrusion militaire dans le pouvoir législatif et exécutif et votent pour Pflimlin. Le lendemain, le même général Massu recommence et publie une conjuration au général de Gaulle : « Le comité de salut public supplie le général de Gaulle de bien vouloir rompre le silence en vue de la constitution d'un gouvernement de salut public qui seul peut sauver l'Algérie de l'abandon».
Le 15 mai 1958, le général Raoul Salan, toujours commandant de l'armée en Algérie, prononce, sur proposition du gaulliste Léon Delbecque, qui se trouve à ses côtés : «Vive la France, vive l'Algérie française, vive le général de Gaulle !». C’est un triomphe. Alors, depuis se retraite de Colombey-les-Deux-Eglises, Charles de Gaulle fait savoir qu’il est prêt à « assumer les pouvoirs de la République ». Le président de la République René Coty demande à l’Armée française en Algérie d’obéir à la République, de ne pas écouter Massu et Salan, et de rentrer dans le rang. Il n’est pas entendu.
Puis, le 27 mai, alors que la Corse a déjà décidé de former un Comité de Salut Public et de soutenir les insurgés d’Alger, le général de Gaulle fait indiquer : « J’ai entamé hier le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain. » L’opposition – Pierre Mendès-France, François Mitterrand, Jacques Duclos, Edouard Daladier – crie au scandale et au coup d’Etat.
Le 1er juin, René Coty fait publier le communiqué suivant : il fait appel au «plus illustre des Français... Celui qui, aux heures les plus sombres de notre histoire, fut notre chef pour la reconquête de la liberté et qui, ayant réalisé autour de lui l'unanimité nationale, refusa la dictature pour établir la République».
Charles de Gaulle forme immédiatement un gouvernement d’union nationale, où figurent des représentants de partis politiques aussi bien de gauche que de droite, avec pour mission de régler les affaires en Algérie et de mettre au point une nouvelle constitution. Il fait à Alger le premier voyage de sa présidence du Conseil (le 4 juin 1958) et prononce le désormais fameux : « Je vous ai compris ! ».
Edmond Vernay : « Nous étions sur le tracé de la navette entre la Maison blanche (l’aéroport) et la place du Forum au cœur d’Alger. Nous l’avons vu passer. Lui, le grand chef. Le Chef de la France libre. Le libérateur du pays. Incroyable. Je peux vous dire que mon cœur a battu la chamade pendant un moment ! C’était du délire total. Une foule immense. Je n’avais jamais vu cela. Et partout étaient agités des drapeaux français. Les gens hurlaient. Les femmes criaient, comme hystériques. Le sauveur était là et il allait régler tous les problèmes. Contenir cette foule fut l’un des choses les plus difficiles de ma vie. Je crus qu’on n’y arriverait jamais. Notre chef, le capitaine Prestat, semblait tenir bon. Dans mon fort intérieur, je me disais qu’un fou furieux aurait pu faire ce jour-là des dégâts incommensurables.
Je les vois. Le général et son escorte descendent de voiture pour se rendre au Forum. Il apparaît au balcon du bâtiment du Gouvernement général. Il n’est pas seul. Des militaires l’encadrent. Il commence : « Je vous ai compris ! Je sais ce qui s’est passé ici. Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la rénovation et de la fraternité ».
Nous aussi nous avions tous compris ce jour-là. Pour certains, c’était la paix, pour d’autres la réaffirmation de l’Algérie française. Avec le temps, je me dis que les Algériens ont aussi compris ce jour fameux que leur espoir d’une Algérie indépendante avait peut-être commencé le 4 juin 1958 ! ».
La constitution de la Vème République est approuvée par référendum (79,2 % pour le « oui ») le 28 septembre 1958 et le 21 décembre de la même année, le général de Gaulle est élu, par un cortège électoral, premier président de la toute nouvelle république.
Trois ans et demi plus tard, l’Algérie est indépendante. Comme l’a écrit l’historien Benjamin Stora, « le général de Gaulle croit d’abord aux nations. C’était bien le destin de l’Algérie de devenir indépendante. De Gaulle a voulu négocier en position de force avec le FLN ; il a peut-être cherché à associer le destin de la France à celui de l’Algérie. Mais la fin de l’histoire était écrite dès le début du conflit ».
Edmond Vernay : « Pour moi la guerre était finie depuis longtemps. J’étais installé en région parisienne. Je travaillais au bureau d’études de Renault, à Rueil-Malmaison. Une petite fille vient bientôt faire la joie de notre famille. Mais voilà, un verre de rosé, une odeur de merguez ou une belle journée ensoleillée et je me retrouvais là-bas avec le souvenir des camarades. Ceux qui étaient rentrés, comme moi. Et ceux que nous avions laissé ».
Sources :
Georges-Marc Benamou, Un mensonge français : retours sur la guerre d’Algérie, Robert Laffont, 2003.
Benjamin Stora, Histoire de la guerre d’Algérie (1954-1962), La Découverte & Syros, 2004.
Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Fayard, 1994.
Pierre Montagnon, Histoire de l’Algérie : des origines à nos jours, Pygmalion, 1998.
Georges Fleury, Comment l’Algérie devint française, Perrin, 2004.
Entretiens Edmond Vernay, novembre 2012.
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