Capitaine Petit - En Algérie - 2.
Publié le 12 Janvier 2020
Dans les Aurès.
« Des rumeurs saugrenues circulent, laissent entrevoir un retour vers notre base d’Arzew. Les rumeurs se transforment vite en déplacement vers un autre grand massif du sud algérien : les Aurès.
Le 4 octobre 1960, une grande opération est lancée. Elle porte le nom « d’Ariège » et s’inscrit dans le cadre des opérations de démantèlement des zones refuges rebelles qui ont commencé en 1959 dans l’Ouarsenis puis se sont poursuivies dans le Hodna, en Kabylie et la presqu’île de Collo. Dernière phase du plan Challe, d’importantes opérations sont déclenchées dans les Aurès. La 11e DI, sous les ordres du colonel Langlois, groupe le 3e REI, le 5e REI, le 1er REP, le 1er REC et le 2e REP. Ensemble, ils vont opérer côte à côte durant cinq semaines de durs combats. Plus de 700 rebelles seront mis hors de combat et près de 700 armes saisies. Les opérations de ratissage se succèdent. Les résultats sont là.
Dix jours plus tard, nous accrochons une importante bande de rebelles. La compagnie fait face à un ennemi fortement retranché. Mais les légionnaires veulent en finir. Ils montent à l’assaut. De suite, 12 rebelles sont tués. Les 16 et 17 octobre, héliportés à 20 km au sud, nous réussissons avec quelques autres compagnies, à encercler des bandes éparses de fellaghas. Au soir de ces deux journées, 124 ennemis sont neutralisés. Ma compagnie est regroupée à proximité du 3e escadron du 1er REC. Je suis invité à partager le diner à la popote de cet escadron dans un véhicule 6x6 où se trouvent le capitaine Deheurles, le lieutenant Bao-Long, prince d’Annam et fils de Bao-Daï, le lieutenant Morillon (futur général d’armée et commandant des Forces françaises en Bosnie).
Après presqu’une année d’opérations sans discontinuer, nous voilà de retour à Arzew : remise en condition, prise d’armes, décorations, repas de corps. En permission du 17 décembre au 2 janvier 1961, je repars pour la métropole. Je passe les fêtes de fin d’année à Grasse et à Nice, en compagnie de ma fiancée, Françoise Desgeorges. Mais ça s’agite là-bas !
Le 20 décembre, dans une allocution radiotélévisée, le général de Gaulle a indiqué : « Le Peuple français est donc appelé à dire par référendum, s’il approuve, comme je le lui demande, que les populations algériennes, lorsque la paix règnera, choisissent elles-mêmes leur destin. Cela signifie : ou bien rompre avec la République française, ou bien en faire partie ou s’y associer ». On peut dire qu’à ce moment-là le sort de l’Algérie est clairement défini. Mon régiment est rameuté à Alger pour faire face, une seconde fois, aux événements qui s’y déroulent depuis le discours fameux. En date du 25 janvier, par décret paru au Journal Officiel, je suis promu au grade de capitaine ».
Dans le sud oranais – Le putsch.
« Le capitaine Roger Mougin, commandant la 1ère compagnie, est muté au Laos. Le colonel Pfirrmann me nomme pour prendre le commandement de cette compagnie.
Le 28 février, de graves incidents viennent de se produire à Oran place du docteur Roux où deux femmes européennes ont été brûlées. Appelé à la rescousse, c’est vers 16h00 que le régiment se dirige vers le centre ville. C’est sur les marches du perron du Grand Lycée que Mougin me passe le commandement en présence de l’adjudant de compagnie, puis s’éclipse dans la nuit naissante vers son destin. Le PC de l’EMT1 aux ordres du commandant Camelin, sous les ordres duquel je suis dorénavant placé, s’installe au stade Ben-Yamine Ville-Nouvelle. Habituellement, c’est au cours d’une prise d’armes que le colonel transmet le fanion de la compagnie de l’ancien au nouveau commandant de compagnie. Mais les circonstances ne s’y prêtent guère.
La 1ère compagnie patrouille à proximité immédiate de la Grande Mosquée, elle-même toute proche de la place du docteur Roux. C’est vendredi, jour de prière. La cour de la mosquée est pleine à craquer d’individus au coude à coude, aux visages barbus et hostiles. J’envoie dans cette foule la 1ère section forte d’une trentaine de légionnaires, qui se faufile et se trouve aussitôt noyée dans cette masse mouvante, avec le sentiment de ne pas pouvoir agir en cas de clash. Le chef de section, le sergent-chef Wasclulesky, me demande par radio du renfort ce que je fais en dirigeant une autre section vers les lieux. Je m’y rends également avec mon radio, l’infirmier et mon fidèle ordonnance. Il est vrai que dans de telles circonstances, c’est l’angoisse qui vous étreint. Une bavure et c’est le carnage. Aussitôt, je fais sortir mes deux sections de la cour que nous avons sous contrôle de l’extérieur. Des patrouilles et des bouchons sont assurés jour et nuit jusqu’au 3 mars 1961.
Nous retournons sur Arzew où nous recevons les félicitations du général Lhermitte, commandant le secteur urbain d’Oran. Début avril, nous faisons mouvement vers la petite palmeraie d’Aïn-el-Orak au sud de Géryville, elle-même au sud de l’Oranais. Notre mission se résume à la surveillance et l’assistance d’un regroupement de près de 6.000 nomades encerclés par un réseau de barbelés. Une entrée et une sortie contrôlée par mes légionnaires. La nuit, c’est patrouille sur la périphérie et embuscade. La plupart de la population masculine est pro-FLN, ce qui coupe court à tous renseignements. Mes hommes sont tous formés à la discipline légion. On ne transige pas sur une faute, aussi sommes-nous reconnaissants dans la rectitude du de voir accompli. Pour résumer : ça tourne rond. J’ai pu constater à plusieurs reprises, lors d’accrochages, l’allant de cette troupe d’élite, qui, sans coup férir, avance au charbon et prend aussitôt le dessus sur son adversaire au mépris de tous les dangers.
Le 11 avril 1961, l’Algérie est déclarée Etat souverain. Aussi, le 22 avril, à Alger, c’est le putsch des généraux Challe, Jouhaud, Zeller et Salan. Le 1er REP, commandé par le commandant Elie Denoix de Saint-Marc, venu de Zéralda, se place sous le commandement des généraux. L’armée a pris le pouvoir dans l’ordre et la discipline. La population, en liesse, manifeste sa joie, aussi bien parmi les pieds noirs que parmi la population algérienne dont les femmes quittent le voile et défilent dans l’allégresse. Au 2e bureau, des ralliements à la cause française sont enregistrés dans les rangs du FLN.
J’écris à ma fiancée : « Ce matin, une grande nouvelle sur les ondes. L’armée a pris le pouvoir en Algérie. Tu t’imagines facilement la joie de cette armée française qui souffrait, qui attendait que quelque chose se passe. Enfin, c’est chose faite maintenant, dans l’ordre et la discipline comme je n’osais l’espérer. Le général Challe est un homme raisonnable, ayant les pieds sur terre. Tu peux être sûre que nous sommes tous derrière lui. Comment t’exprimer tous mes sentiments ? Tout le monde savait que le général de Gaulle traitait secrètement avec le FLN pour lui donner tous les pouvoirs. Tu penses bien que cela ne pouvait avoir lieu. Tu sais aussi quelle était ma position sur ce sujet. Dans les milieux musulmans, ce doit être un immense soulagement. Nous savons maintenant à quoi nous en tenir ; notre mission de soldat a repris tout son sens, toute sa valeur, c’est une très grande satisfaction morale. Tu peux croire aussi que tous les « plastiqueurs » ou « troublions » de tous acabits seront remis dans le bon chemin. Les grandes choses ne se réalisent pas dans le désordre. L’ordre règne en Algérie. J’ai écouté la radio, celle d’Alger et celle de la France. Le gouvernement raconte des histoires sur ce qui se passe ici. Crois-moi, c’est la dernière chance maintenant. Il faut s’unir, l’armée ne fait qu’un bloc. Comme je te le disais, nombre de musulmans respirent maintenant. Pour moi, la chose est nette, je suis derrière Challe. D’un instant à l’autre, nous sommes prêts à descendre sur Oran ».
J’ajoute, deux jours plus tard : « Deux jours déjà, c’est fou ce que le temps passe vite. En commençant cette lettre le 22, je n’ai pu la terminer. Sous les ordres du commandant Camelin, en une heure de temps ce jour-là, nous avons bouclé nos cantines et pris le chemin du nord. Destination inconnue. Nous étions dans la joie. Nous avons quitté notre poste et toute la nuit sur les routes nous avons roulé. A 4h30, le 23, nous sommes donc arrivés à Saïda. La prise de contact avec nos camarades légionnaires du 1er RE, tous du même avis, et tous avec des sourires immenses, l’espoir fait vivre ! Du coup, personne ne s’est couché tellement l’ambiance était bonne. Les discussions allaient bon. Tous derrière Challe ! ».
C’est la compagnie portée commandée par le lieutenant Lepivain qui est allée encercler le PC du général Ginestet, lui demandant de se placer sous les ordres de Challe. Mais cette requête n’a pas abouti. Le 25 avril, c’est la reddition de Challe et la fin de l’insurrection. Le 27 avril, le 1er REP est enfermé au camp de Zéralda avec les 14e et 18e RCP. Le 30 avril, les cérémonies pour l’anniversaire de Camerone ne seront pas célébrées à Sidi-Bel-Abbès.
Nous regagnons notre poste d’Aïn-el-Orak dans la tristesse. En fin d’après-midi, un incident éclate à la 2e section réunie sous la guitoune. Un légionnaire la menace avec son pistolet-mitrailleur. Mon sang ne fait qu’un tour. Je coiffe mon képi. J’entre. Je m’approche du légionnaire et je me plante devant lui, au garde-à-vous à le toucher. Son arme est sur ma poitrine. Il me vient à penser qu’un légionnaire bien instruit obéit toujours aux ordres de ses supérieurs. Par trois fois, je le somme de se mettre au garde-à-vous et de rendre son arme. Les quelques secondes qui suivent sont longues. Le silence est total. D’un seul coup, il s’effondre et me donne son PM. Un coup de bourdon, le mal du pays, une injustice ? Allez savoir ! Bref, la suite de cette histoire se solde par 15 jours de prison.
Le 5 mai, le commandant Camelin rejoint Oran aux arrêts de forteresse. Le lieutenant Lepivain quitte délibérément le régiment et rejoint Alger pour se placer clandestinement dans la mouvance de l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète). Le colonel Pfirrmann, également aux arrêts de forteresse, garde son commandement. De retour d’Oran, le colonel nous déclare : « Je me suis rangé derrière le général Challe. Je n’aurai pas voulu que plus tard mon fils dise : « Et toi papa, qu’as-tu fait pour l’Algérie ? ». Je suis pied noir, c’est ma peau. J’ai beau me laver, rien n’y change. Je suis passé dans beaucoup de bureaux. J’ai vu beaucoup de colonels, qui lors du 23 avril me disaient : « Je suis avec vous. Nous sommes avec vous ». Maintenant, ils n’osent plus me regarder. Je préfère être à ma place qu’à la leur. On ne reconnaît plus ses amis ».
A Zéralda, le 1er REP est dissous. Tous ses officiers sont aux arrêts. Les compagnies sont dirigées sur Thiersville, encadrées par un officier de chaque compagnie. La route est jalonnée de CRS. La population européenne massée sur le parcours jette des fleurs en signe de reconnaissance. Les légionnaires déchargent leur mitraillette à chaque passage dans une ville. Le 16 juillet, au cours d’une prise d’armes, le lieutenant-colonel Bénézit prend le commandement du régiment en lieu et place du colonel Pfirrmann. Le commandant Colin remplace le commandant Camelin à la tête de l’EMT1.
Nous effectuons des reconnaissances. Nous sommes ensuite relevés par une compagnie du 2e REI, commandée par le fils du maréchal Juin. Le régiment n’est plus en odeur de sainteté. Nous sommes parqués le long de la frontière, dans des postes. Les véhicules de train qui d’habitude sont à notre disposition pour tous nos déplacements nous ont été retirés, de telle sorte que le commandement n’a plus à se méfier de nous. Il est vrai que des troubles risquent encore d’éclater. Des rumeurs circulent ici et là comme quoi nous serions sur le point de rejoindre Sidi-Bel-Abbès en vue de constituer une enclave française de fait, comprenant le siège de la Légion et toute la région au nord avec Oran et le port de Mers-El-Kebir. Et les mois passent. Pénibles.
Le 30 avril 1962, nous célébrons Camerone dans une ambiance emprunte d’une grande simplicité. Un repas amélioré est servi au mess. Je fais la tournée des sections et bois quelques bières avec les légionnaires. L’un d’eux me saisit mon képi et commence à faire le pitre avec. Arrive le commandant Colin, visiblement ivre. Il hurle « C’est inadmissible ! Un légionnaire ne porte pas le képi de son capitaine. Je vous mets aux arrêts ». Prévenu, le colonel nous reçoit dans son bureau. Ne sachant plus très bien ce qu’il fait, le commandant Colin donne un grand coup de sa canne sur le bureau du colonel et se met de nouveau à hurler. Le colonel n’est pas dupe et me demande de sortir de son bureau, afin d’avoir un entretien particulier avec le commandant. La décision est immédiate : le commandant Colin rejoindra la base arrière d’Arzew en attendant sa mutation hors légion.
Retour au quotidien. Nous tuons le temps en inspection de matériels d’équipement, de sports et quelques incursions au Maroc, au-delà du rideau du barrage. Figuig n’est pas très loin. Mon temps de commandement touchant à sa fin, je quitte le régiment fin juin. Le capitaine Savatier est désigné pour me remplacer. Le colonel Bénézit préside la cérémonie. De mes mains, il transmet le fanion de la compagnie dans celles du capitaine Savatier. Musette en bandoulière et car de rouge, adieux la Légion.
En permission à Cagnes-sur-Mer chez mes parents, je me marie le 10 juillet 1962 en l’église Notre Dame de Nice avec Mademoiselle Françoise Desgeorges. Ma nouvelle affectation prendra la direction de l’Allemagne à l’état-major du Secteur français de Berlin. Une semaine plus tôt, le général de Gaulle a reconnu l’indépendance de l’Algérie ».
Photographies :
Ces textes sont issus des mémoires du capitaine Petit, qui nous a fait l’amitié de nous les faire parvenir. Ses mémoires sont d’un seul bloc. Nous les avons sectionnées en plusieurs parties pour des facilités de transposition sur internet. Nous remercions le capitaine Petit pour ce témoignage remarquable et sa confiance.
Les photographies des deux articles du capitaine Petit sur sa période algérienne présentent des défilés du 5e REI à Arzew ; des opérations dans les Aurès ; le capitaine Petit ; le cimetière de Tlmecen ; opérations sur la presqu’île de Collo ; la visite du général de Gaulle et de Pierre Messmer ; opérations en Kabylie ; passation de commandement au capitaine Savatier ; les adieux à la Légion.