"Ma guerre d'Algérie", par le général Glavany - 4/4.

Publié le 21 Décembre 2009


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Alouette II.

 

Dans le Hodna.

 

« Ainsi s’acheva notre garde à la frontière. Nous repartîmes immédiatement pour le Hodna, au sud-ouest de Constantine, pour un rodéo d’un mois, aux premières lourdes chaleurs de juin, dans un paysage extraordinaire où se succédaient, du nord au sud, les collines boisées du Hodna même, la plaque grise et salée du Chott El Hodna, les monticules pierreux du Méharga et les premiers sables d’un désert que les Algériens appellent déjà Sahara. Héliportages sur héliportages, PC tactiques dans les cailloux, nuits à la belle étoile, fatigue et soif, nous poursuivions les fellaghas, repérant, tirant et tuant, tandis que commençaient à Melun les premiers pourparlers avec le F.L.N. (Front de Libération Nationale). Nous donnions le meilleur de nous-mêmes dans ces sites admirables pour une course sans fin qui ne résolvait rien. »

 

Dans le massif de l’Ouarsenis.

 

« On nous expédia ensuite très loin dans l’ouest, dans le massif de l’Ouarsenis, au sud d’Orléansville, où je retrouvai, à la tête du P.C.A. local, mon camarade Jean-Pierre Rozier, ancien pilote d’essais comme moi. Et ce fut le même enchaînement de reconnaissances, d’appuis-aériens et de tirs « Pirate » au soleil d’août qui rendait nos Alouettes brûlantes. Comme assez souvent depuis l’Akfadou, fidèle à mes souvenirs de sous-lieutenant du 1er choc, je participai au sol aux opérations et j’eus, un jour, à connaître le capitaine Sergent du 1er REP dans un « coup » assez rude. Après quinze jours de détente en Bretagne, je rejoignis le PC du général Saint-Hillier, d’abord à Molière – un nom qu’on ne retrouvera plus jamais sur les cartes – puis à Teniet-el-Haad en bordure de la plus belle forêt de cèdres d’Algérie, une des dernières. Nous poursuivîmes ces opérations jusqu’à la fin du mois de septembre, jusqu’à l’évanouissement total des fellaghas réfugiés ailleurs.

 

Dans ces régions, nous n’avions plus alors en face de nous de grande « katibas » organisées et pouvions, à juste titre, considérer que nous étions vainqueurs sur le terrain. Mais le terrorisme urbain persistait et, sur le terrain même, des petites bandes fluides nous condamnaient à attaquer, à attaquer sans cesse et à tuer. Totalement intégré à cette division parachutiste dont j’étais solidaire, je restais néanmoins un aviateur et gardais ma liberté d’esprit et de jugement. Si je n’étais pas lassé des combats – car l’allégresse des combats, cela existe – je voyais avec consternation ce beau pays peu à peu crucifié tandis que l’amertume des officiers montait tout autour de moi devant une politique qu’ils ne comprenaient point. »

 

Dans les Aurès.

 

« Et nous repartîmes encore, le 4 octobre 1960, cette fois pour les Aurès. Henri Maslin, mon second durant près d’un an, me quitta. Le lieutenant Jacques Clerget le remplaça.

 

A 100 km au sud de Constantine, les Aurès constituent une unité géographique très caractéristique et très belle. Des crêtes successives, orientées du sud-ouest au nord-est, séparées par des vallées profondes, y culminent à plus de 2300 mètres dans le Djébel Mahmel et le Djébel Chélia. La population très faible était concentrée dans les vallées. Nous nous posions parfois en hélicoptères sur des sommets vierges de toute trace humaine et ramassions à chaque pas des fossiles, coquillages et ammonites, vieux de millions d’années et si étranges sur ces hauteurs. Mais c’était aussi un pays d’insoumission séculaire où des hommes rudes vivaient, par tradition, de brigandage et de coups de main, guerriers entraînés que nous allions connaître.

 

Le P.C. de la division s’établit d’abord à Arris puis, très vite, sur un sommet voisin beaucoup plus propice aux liaisons radio indispensables. Les régiments se mirent en chasse des pentes du Chélia à celles du Mahmel.

 

Immédiatement, les accrochages furent très meurtriers pour nous comme ils ne l’avaient jamais été depuis plus d’un an. Tireurs d’élite, les fellaghas restaient retranchés sur les crêtes. Donner l’assaut se soldait par des pertes inadmissibles. A chaque passage d’Alouette, nous étions « tirés » de telle sorte qu’il nous était impossible de baliser l’objectif pour l’aviation d’appui, T6 de Batna ou chasse lourde, et devions nous contenter d’un guidage radio approximatif. Clerget et moi tournions chacun à quatre missions par jour avec nos pilotes habituels d’Alouette, Bobet, Boyer, Baudoin : guidage de tirs « Pirate » à 30 mètres devant les nôtres, héliportages au sommet du Chélia aux limites opérationnelles des H34, anéantissement d’une bande avec le patron du 9ème RCP, évacuation de blessés sous le feu, guidage de la chasse, tout y passa et nous prîmes des risques parce que nos camarades étaient tombés par dizaines. »

 

Les adieux.

 

« J’effectuai ma dernière mission le 6 novembre 1960. La dernière parce que l’Armée de l’Air avait décidé ma relève et que mon remplaçant, le commandant Germain, venait d’arriver. Avant de partir, je sollicitai l’honneur de passer une semaine sur le terrain avec le 9ème RCP : il me fut accordé.

 

Vint le moment des adieux. J’allai en Alouette, de piton en piton, saluer les colonels. Le colonel Balbin avait fait monter pour moi, de la vallée, une bouteille de champagne, chaude, et nous trinquâmes dans nos quarts métalliques à ce qui restait de plus sûr, c’est-à-dire l’amitié. Puis je saluai le général Saint-Hillier. Quand mon Alouette décolla, un piquet d’honneur présenta les armes.

 

Quelques jours plus tard, j’étais à Alger. Je réglais quelques dernières formalités. Le commandant de Saint-Mars, alors à la base arrière, me donna rendez-vous à l’hôtel Aletti avec quelques officiers pour m’offrir le cadeau de départ de la 10ème D.P. : un très beau panneau de bois orné de tous les insignes des régiments de la division et que j’ai précieusement conservé.

 

Ainsi se terminait mon parcours algérien. Je laissais derrière moi bien des parachutistes inquiets de leur avenir. Quelques mois plus tard, le putsch d’Alger éclata. Il était prévisible. J’y étais formellement opposé mais j’en comprenais trop les motivations.

 

Je retrouvai Paris et le bonheur de la famille. J’eus la chance d’être affecté au cabinet du général Lavaud, premier Délégué ministériel pour l’Armement et patron exemplaire. Je plongeai dans le travail d’état-major. Je savais depuis longtemps que le travail était le meilleur antidote mais pour oublier le drame algérien, il me fallut beaucoup, beaucoup d’années. »

 

 

Général Roland Glavany, grand-croix de la Légion d’honneur.
 



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9ème RCP – Opération dans le Djébel Chelia.