Publié le 7 Mai 2008

 

Le 7 mai 1954, la France perdait la bataille de Diên Biên Phù. Cet échec allait marquer la fin de notre présence au Tonkin et de l’Indochine, « perle » de l’empire colonial. 

Novembre 1953. Depuis sept ans, depuis le bombardement du grand port du Tonkin, Haiphong, par la flotte de l’amiral Thierry d’Argenlieu en 1946, la France est en guerre contre les forces communistes du Vietminh. Il est généralement admis que la Guerre d’Indochine a commencé à ce moment-là. 

Mais en fait, les germes sont à rechercher un an plus tôt. Le 9 mars 1945, les Japonais attaquent les garnisons françaises d’Indochine. Rapidement débordées, nos forces se rendent et sont humiliées par l’envahisseur. Les Vietnamiens comprennent alors que les colons ne sont plus invincibles. Quelques mois plus tard, se sachant perdus, les Japonais quittent le Vietnam, non sans appuyer les mouvements sécessionnistes de l’Empire colonial. Le 2 septembre 1945, la République démocratique du Vietnam est proclamée à Hanoi par Ho Chi Minh, en présence de Bao Dai, dernier empereur sous administration coloniale. La France ne peut laisser faire sans réagir. D’où, après moult provocations des partisans du Vietminh, le bombardement d’Haiphong. 

Depuis cette date, la France est aux prises avec les forces communistes du Vietminh et plusieurs chefs militaires français de grand renom comme les généraux Leclerc et de Lattre de Tassigny n’ont rien pu faire pour arrêter l’expansion des soldats de Giap, chef militaire de ce même Vietminh. 

En novembre 1953, l’Opération Castor est décidée. Il s’agit de réoccuper les bâtiments d’une ancienne garnison japonaise dans le village reculé de Diên Biên Phù, à l’ouest du Tonkin, proche de la frontière du Laos. Le but étant d’attirer en cet endroit un maximum de forces du Vietminh et de les battre. Il s’agit également de fermer la frontière avec le Laos. Les gouvernements indochinois officiels semblent être de moins en moins sûrs pour la France. Il s’agit de l’empereur Bao Dai pour le Vietnam (revenu au pouvoir grâce à notre administration) et de Sihanouk au Cambodge. Seul, le prince Souvana Phouma, du Laos, a fait allégeance à la France. L’objectif est donc de prendre la cuvette de Diên Biên Phù, longue de 16 km, et d’en faire un point d’appui. Mission est donnée aux commandants Bigeard (6ème BCP) et Bréchignac (2/1er RCP) de sauter et prendre le village. Le général Bigeard : « Les hommes de Bréchignac et les miens, nous sautons. Ce n’est pas facile, il y a du vent. Nous voilà mélangés aux Viets. Ça tire de partout. Mais finalement on s’en sort. Tout le monde se regroupe et nous prenons le village de Diên Biên Phù. De notre côté, nous avons eu environ vingt paras tués, contre plus d’une centaine de Viets ». 

En globalité l’Etat-major français est persuadé de la bonne position des troupes françaises. Le Vietminh ne pourra pas attaquer le Laos et va venir s’empaler sur nos défenses. Si certains font remarquer que la position se trouve au creux d’une cuvette, entourée de collines d’environ 700 mètres de hauteur, ce qui permet des tirs tendus d’artillerie, l’évocation est vite reprise par le colonel Piroth, responsable de l’artillerie qui s’est engagé : « Jamais les Bodoïs ne pourront monter des canons à dos d’hommes et les placer sur les collines ». Le responsable du dispositif, le colonel Christian de Castries est également de cet avis. « C’était une vue de l’esprit. On ne connaissait pas l’embrigadement des soldats du Vietminh. Et tenir une vallée n’empêche personne de passer » répond aujourd’hui le général Bigeard. A partir de la fin du mois de novembre 1953, des avions en provenance d’Hanoi acheminent hommes et matériels. 

Le général en chef du Vietminh, le général Giap, est d’accord avec les Français sur un point : il faut que la bataille finale s’engage. Pour la France, s’il s’agit d’annihiler une fois pour toutes les forces communistes ; pour elles, il convient de battre la puissance coloniale pour placer le Vietnam aux conférences de Berlin (janvier 1954) et de Genève (mai 1954) dans les meilleures conditions qui soient. 

Entre les mois de janvier et mars 1954, Giap lance une offensive générale. Mais elle ne se transforme pas en une attaque éclair. 75.000 hommes du Vietminh, grâce à 20.000 vélos, des camions prêtés par la Chine et des armes soviétiques, s’approchent du camp retranché de Diên Biên Phù. Ils creusent des centaines de kilomètres de galeries, de tunnels. Ils démontent les pièces d’artillerie, les installent sur des mulets et les enfouissent dans des galeries placées à flanc de colline. Ainsi, le canon peut être sorti, tirer et être aussitôt rentré dans sa cachette ("les Gueules du Crapaud" selon les soldats du Vietminh).

En 1991, au micro de France Inter, dans Indochine 1946-1954 : histoire d’une guerre oubliée, une émission de Patrice Gélinet, le colonel vietnamien Le Kim expliquait l’approche de Diên Biên Phù : « Nous voyons que le sol est très fertile. Très facile à creuser. Et les Vietnamiens sont un peuple de terrassiers. Alors, nos hommes s’équipent de pioches et de pelles. Ils creusent. Partout. Il s’agit d’acheminer les munitions et l’artillerie au plus près du camp afin de détruire la piste d’aviation et la forteresse ».

 

 

 

Lire la suite

Rédigé par Frédéric-Edmond RIGNAULT

Publié dans #Indochine

Publié le 6 Mai 2008

 

 

Le jeudi 8 mai 2008 au matin, le Comité d’Issy-les-Moulineaux du Souvenir Français procédera à la quête du Bleuet de France (esplanade de la mairie).

 

 

L’origine du Bleuet de France remonte à 1916, quand deux infirmières, Suzanne Lenhardt et Charlotte Malleterre, décident de palier à la souffrance de combattants en leur faisant confectionner des bleuets en tissu pour les vendre. Le but étant également de procurer des ressources à ces mêmes blessés. Cette fleur est choisie car les uniformes étant « bleu horizon », les jeunes appelés sont surnommés les « bleuets ». Une telle pratique existe également en Angleterre mais la fleur est le coquelicot. Lors de la terrible offensive de la Somme en juillet 1916, plus importante opération militaire anglaise sur le continent, cette fleur se trouvait en grande quantité dans les champs de Picardie.

Après la Première Guerre mondiale, l’action devient nationale, et les deux infirmières créent un atelier de confection de l’emblème aux Invalides. A la quête du 11 novembre s’ajoute, en 1957, celle du 8 mai.


Frédéric Rignault, secrétaire du Souvenir Français à Issy-les-Moulineaux avec le général Roland Glavany, président d'honneur de ce même comité.

Lire la suite

Publié le 29 Avril 2008


 

Jean-Claude ICHAC, élève officier en Algérie en 1959.

 

 

Le général de Base aérienne (2S) Jean-Claude Ichac a effectué l’essentiel de sa carrière dans les fonctions de renseignement, à la 3ème Escadre de chasse et en Etats-majors, interprétation photo, à la 33ème Escadre de reconnaissance. Le général Ichac a également accompli des missions de longues durées aux Etats-Unis : à l’Ecole de l’Air américaine de Colorado Springs et à l’Ambassade de France à Washington. Avec le grade de colonel, il a commandé la Cité de l’Air « Capitaine Guynemer » et Base Aérienne 117 de Balard, située aux portes d’Issy-les-Moulineaux, sur les anciens terrains du Champ de Manœuvres, qui servit aux premiers essais de l’histoire de l’aviation au début du 20ème siècle. Le général Ichac raconte ici la fin, peu banale, de sa scolarité à l’Ecole de l’Air de Salon de Provence. 


« A l’issue de leur scolarité de deux ans, les élèves officiers de ma promotion Ecole de l’Air 1957 « Colonel Ducray », corps des Bases de l’air, c’est-à-dire non pilotes, devaient effectuer un séjour de deux ans en Algérie, à compter du 1er octobre 1959, date de leur nomination au grade de sous-lieutenant.
 

Mais un mois plus tôt le contre-ordre arriva et c’est avec notre galon d’aspirant de l’Ecole de l’Air que, le 31 août, notre C-54 n°148 se posa sur la piste du terrain de La Regahia, à l’est d’Alger, base arrière des commandos de l’air. Je crois que c’était une idée à la fois du patron de l’école, le général Delfino, un fonceur ancien du « Normandie-Niemen », et du commandant en chef en Algérie, le général Challe, de l’armée de l’air, qui souhaitait que celle-ci prenne une part plus grande dans les opérations de maintien de l’ordre au sol.


Le but de la manœuvre était donc de nous faire effectuer un stage de « familiarisation », sur le terrain, avant de nous répartir en unités dès que nous serions officiers. Donc, après dix jours d’entraînement intensif, tir, sport, combat rapproché, mines et explosifs, nous nous retrouvâmes au col de Chelata, en Grande Kabylie, où était implanté le PC Artois de l’opération Jumelles lancée par le général Challe. Et nous fûmes répartis par petits groupes au sein des commandos de l’air qui participaient aux opérations. Pour ma part, je fus détaché au commando 50, et dès le lendemain je pouvais noter dans mon carnet de vol : « 10/09/59, fonction à bord commando, pilote xxx, hélicoptère H-34 n°819, héliportage du PC Artois à NY45G02 » … et baptême du feu juste après l’héliportage sous une petite crête de la part aussi bien d’un groupe rebelle que de la section de la légion qui les poursuivait !

 

Et là nous eûmes droit à une engueulade surréaliste de la part de notre chef de section : « Attention, vous les trois aspis, vous êtes toujours sous statut élève, et censés être encore à l’Ecole de l’Air, là-bas en Provence, alors je ne veux pas d’emm…, et le premier qui se fait butter prend trente gros ! ». Je ne sais si ce fier discours eut un effet dissuasif, mais notre séjour aux commandos de l’air fût exempt de victimes et donc d’arrêts de rigueur ! Et c’est sans encombre que nous vîmes arriver à Alger, avec le 1er octobre, notre première ficelle qui nous donnait enfin le droit de passer légalement dans la colonne « pertes ».

 

GBA (2S) JC ICHAC

 

Lire la suite

Rédigé par Frédéric-Edmond RIGNAULT

Publié dans #Algérie

Publié le 27 Avril 2008

PC Artois de l'Opération Jumelles.
 




Isséen, le général Ichac a participé, en tant qu’élève officier, à l’Opération Jumelles en juillet 1959. Nous lui devons les clichés qui illustrent cet article relatif à cette opération.

Celle-ci fait partie du Plan Challe, du nom du général qui prend la relève du général Salan, le 12 décembre 1958. L’idée maîtresse de ce plan consiste à traiter de manière successive des surfaces importantes avec des moyens très conséquents, dans le but de réduire à néant les bandes rebelles ou « Fellaghas ». Le plan comporte de nombreuses opérations : les zones refuges d’Oranie (février 1959) ; opération Courroie sur la couronne d’Alger (avril à juin 1959) ; opération Etincelle sur le passage du Hodna (juillet 1959) ; opération Jumelles (juillet 1959) en Grande Kabylie ; opération Rubis (avril 1960) en petite Kabylie ; opération Pierres Précieuses (septembre 1959 à août 1960) dans le nord Constantinois. Enfin, de septembre 1960 à avril 1961, se déroule la grande mission des Aurès (opération Ariège – Dordogne – Charente – Isère). Et à toutes ces opérations s’ajoutent des missions dans l’Atlas saharien. En encerclant des zones, en bloquant toutes les issues possibles, l’Armée française provoque des dégâts considérables – jusqu’à 50 % dans l’Oranie – au sein de l’ALN (Armée de Libération Nationale, bras armé du FLN, le Front de Libération Nationale).

 

De fait, il est globalement admis que l’ensemble de ces opérations a permis une victoire militaire de la France. Victoire incertaine, car si de nombreuses bandes ont été décimées, pour autant le lien avec les populations civiles n’a pas été rompu et peu à peu les maquis algériens se sont reformés.

De plus, le putsch – et son échec rapide – des Généraux (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller) d’avril 1961, contre la politique du Président Charles de Gaulle et de son gouvernement qu’ils considèrent comme un abandon de l’Algérie française, sonne la fin du Plan Challe.

 

 

Pendant l’Opération Jumelles, le binôme hélicoptère H-34/commandos de l’air au col de Chelata.

 

Lire la suite

Rédigé par Frédéric-Edmond RIGNAULT

Publié dans #Algérie

Publié le 23 Avril 2008

 

Le 13 mars 2008, le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) a annoncé la disparition, à 94 ans, d’Adam Rayski.
De son vrai nom Abraham Rajgrodski, il nait dans une famille juive polonaise, à Bialystok, le 14 août 1913. Dès son adolescence, il s’engage au parti communiste clandestin puis émigre à Paris en 1932. Il devient journaliste, est engagé comme rédacteur en chef du quotidien français en langue yiddish la Naïe Presse (Presse Nouvelle) puis entre à L’Humanité. Il est alors nommé responsable de la section juive du Parti communiste français. En 1940, après s’être sauvé d’un camp de transit de prisonniers de guerre à Nantes, il intègre la MOI (Main d’œuvre Immigrée) puis les Francs-Tireurs et Partisans (Missak Manouchian suit un parcours identique). En 1943, il participe à la création du CRIF, clandestin, dont la mission consiste à aider les Juifs à se soustraire à l’Occupation allemande.
A la Libération, Adam Rayski est décoré pour ses faits d’armes (Croix de guerre, médaille de la Résistance) et part pour la Pologne où il dirige un groupe de presse. Coupant les liens avec le Parti communiste polonais en 1957, il rentre en France et écrit de nombreux ouvrages sur la résistance des Juifs pendant l’Occupation. Il préside l’Union des résistants et déportés juifs de France (URDF) et continue son inlassable combat pour la mémoire de ses camarades de combat, ainsi que pour tous les résistants.
Adam Rayski a publié de nombreux ouvrages. Il convient de citer : Nos illusions perdues (Balland, 1985) ; Qui savait quoi ? (La Découverte, 1987) ; De Gaulle et les Juifs (URDF, 1994) ; La Rafle du Vel d’Hiv (Mairie de Paris, 2002) ; l’Affiche Rouge (Mairie de Paris, 2003).
Il est important de signaler qu’Adam Rayski a publié en 2006, grâce à la Mairie de Paris, une enquête sur le Stand de Tir, situé dans le 15ème arrondissement de la capitale, à la limite de la commune d’Issy-les-Moulineaux, sur l’ancien emplacement du Champ de Manœuvres, où se déroulaient jusque dans les Années 30 des essais et des démonstrations aériennes. Le Comité du Souvenir Français reviendra plus longuement dans de prochains articles sur le Stand de Tir.

 

Lire la suite

Publié le 18 Avril 2008

 

 

Le général de corps aérien Michel Forget, isséen, a fait une brillante carrière d’officier pilote de chasse. Il a assumé tous les commandements correspondants à sa spécialité. Il a quitté le service actif en 1983 après avoir commandé pendant quatre ans la Force Aérienne Tactique. Auteur de plusieurs ouvrages (« Puissance aérienne et stratégies » - 2001, « Guerre froide et guerre d’Algérie » - 2002, « Notre défense dans un monde en crise » - 2006, « Du Vampire au Mirage » - 2007), il est correspondant de l’Académie des Sciences Morales et Politiques et a été Vice Président national du Conseil d’Administration du Souvenir Français.

 

 

« Un beau matin du mois d’avril 1965, notre Défense aérienne entrait en transes. Un objet lumineux non identifié était en effet signalé à la verticale de Pierrelatte. Pierrelatte ! Site stratégique majeur où était enrichi à l’époque l’uranium nécessaire à la réalisation de nos armes nucléaires. L’objet étant stable, il ne pouvait s’agir d’un avion. Il n’en était pas moins indispensable de renseigner les autorités politiques sur sa nature. L’honneur de notre Défense aérienne était en jeu, même si l’affaire était à la limite du domaine de sa compétence !

Ainsi, le Mystère IV d’alerte de la base d’Orange avait-il reçu l’ordre de décoller pour reconnaître l’intrus, suivi ensuite d’un Vautour puis d’un Super-Mystère, ces deux appareils ayant réussi à grimper jusqu’à 15.000 mètres d’altitude (50.000 pieds) sans parvenir à identifier l’objet en question. Plus les altitudes atteintes par les intercepteurs étaient élevées, plus celui-ci paraissait inaccessible et mystérieux. La température montait dans les hautes sphères de la Défense aérienne. Son commandant se décidait finalement à demander à l’escadre de Dijon, alors équipée du meilleur intercepteur de l’époque, le Mirage IIIC, d’intervenir, bien que Pierrelatte soit en dehors du rayon d’action du Mirage.

Et c’est ainsi que, en tant que commandant de l’escadre de Dijon, je bondissais dans un Mirage IIIC et me retrouvais en l’air, bien décidé à résoudre l’énigme. Cap au sud après le décollage, et je montais à pleine puissance à 12.000 mètres d’altitude (40.000 pieds). A partir de Lyon, j’accélérais pour prendre une vitesse égale à une fois et demie la vitesse du son (Mach 1,6 – soit 1.960 km/h) pour monter ensuite jusqu’à 15.000 mètres. A la bonne distance de l’objet non identifié indiqué par le contrôleur radar, je tirais sur le manche pour gagner le maximum d’altitude tant en perdant de la vitesse (on appelle cela un « zoom »). Et c’est ainsi qu’ayant atteint 19.000 mètres (63.000 pieds), je distinguais parfaitement au-dessus de moi l’objet en question : il s’agissait en fait d’un simple ballon sonde dont je vis les antennes qui pendaient en dessous de lui. Un ballon dont l’altitude réelle devait être de l’ordre de 24.000 mètres (80.000 pieds !). L’information était transmise au contrôleur au sol, lequel pouvait rassurer les autorités de la Défense aérienne… et de l’Armée de l’air.

L’honneur était sauf. Il ne restait plus aux autorités qu’à identifier les maladroits qui avaient manifestement perdu le contrôle de leur ballon sonde… mais ce n’était plus notre affaire. Quant à moi, il me restait quand même à me soucier de la suite des événements, les jaugeurs de carburant atteignant leurs limites basses ! Aux altitudes et vitesses atteintes au cours de ma mission, effectuée de bout en bout à pleine puissance, la consommation de carburant avait été considérable et ce pour un avion dont la capacité en pétrole n’était pas la caractéristique la plus marquante. Moteur plein réduit, profitant de la finesse remarquable de l’avion, je descendais en vol plané pour me poser sans encombre à Istres où j’étais accueilli par Roland Glavany, alors colonel commandant la base. Durée du vol : 35 minutes !

Général Michel Forget. »

"PS : J’avais enfreint au cours de ce vol les consignes de sécurité, lesquelles interdisaient de voler au-dessus de 15.000 mètres sans le scaphandre spécial qui ressemblait à celui que portent les cosmonautes. Il faut dire qu’il fallait au moins vingt minutes pour endosser un tel équipement lourd et peu confortable, et ce, avec l’aide d’un spécialiste de l’habillage. Il y a maintenant prescription et j’ajoute qu’aucune autorité ne s’est inquiétée alors de savoir dans quelle tenue j’avais fait ma mission… "

 

Lire la suite

Publié le 11 Avril 2008


Richard Marillier a été Résistant, membre de la section Chabal au maquis du Vercors, capitaine d’une section au 494ème R.I. pendant la guerre d’Algérie ; il est colonel honoraire de l’Armée de Terre. Richard Marillier a été très présent dans le monde du cyclisme : Directeur Technique National du cyclisme français de 1970 à 1981, Directeur Adjoint Délégué du Tour de France de 1981 à 1990 (à ce titre, il venait chaque année présenter le parcours de l’épreuve et les équipes participantes au PACI d’Issy-les-Moulineaux), Président de la Ligue du Cyclisme Professionnel et membre du Comité Directeur de l’Union Cycliste Internationale de 1989 à 1992. Le colonel Richard Marillier est commandeur de la Légion d’honneur.


« J’ai fait la connaissance de Robert Eggs, en 1957, à Bir El Ater (sud-est constantinois). Il avait le grade de capitaine et commandait la compagnie portée du 4ème Régiment Etranger d’Infanterie. Il jouissait d’une réputation exceptionnelle. En 21 ans de Légion, il avait combattu de Narvik à l’Indochine en passant par la Syrie et la Lybie ou il avait été fait Compagnon de la Libération à Bir Hakeim alors qu’il était adjudant-chef !

Au cantonnement comme en opération, il était un spectacle à lui tout seul. Il ne faisait rien comme les autres, il ne s’exprimait pas comme les autres. Il était à la fois craint, détesté et admiré. A cette époque, le commandement rassemblait les unités de secteurs pour monter des opérations. A Bir El Ater, j’étais lieutenant et je commandais la 6ème compagnie de 2/44ème RI. Je me retrouvai « accolé » à la compagnie Eggs pendant un an et demi. C’est dire si j’ai des anecdotes en mémoire. En voici une parmi tant d’autres.

Ce jour-là, nous avions accroché une bande rebelle dans le djebel Foua. Très rapidement, les différentes unités avaient éclaté et des combats sporadiques se déroulaient aux quatre coins du djebel. Enfin d’après-midi, les derniers fellaghas étaient aux prises avec la compagnie Eggs et tentaient de sortir du dispositif. Je fus appelé à la rescousse et, avec une section, je réussis à colmater la brèche puis je cherchai à rejoindre le capitaine. Au fur et à mesure que j’avançais, et que je dépassais les légionnaires, je finis par arriver auprès du sergent-chef Campanella, porte fanion de la Compagnie Eggs. Il était assis, adossé contre un rocher et fumait une cigarette en souriant. Son pantalon froissé laissait apparaître un pansement compresse au niveau de la hanche.

La bonne blessure, mon lieutenant, 23 jours de convalo ! me dit-il.

Il me précisa que le capitaine se trouvait devant, comme d’habitude. Les rebelles continuaient de tirer et je m’accroupis derrière un rocher où se trouvait le radio Rychtick. Ce dernier me dit que le capitaine était de l’autre côté. En me baissant, je le vis. Il était debout sur un rocher, les jumelles à la main et je l’entendis distinctement crier aux tireurs d’en face :

Alors, messieurs les fellaghas ! Montrez vos sales gueules et rendez-vous ! Après, il sera trop tard.

Une volée de balles s’abattit sur son rocher sans le toucher. Il répéta son discours et obtint la même réponse. Alors, se tournant vers ses hommes, il entonna : « Légionnaires… A l’assaut ! » et il se mit à chanter « Combien sont tombés au hasard d’un clair matin ». Toute la compagnie reprit le célèbre chant. Incroyable ! Un quart d’heure après, le combat cessa, faute de combattants.
Le commandement décida que l’on resterait sur place pour la nuit, afin de fouiller le terrain le lendemain matin. Il faisait froid car nous étions à 1.300 mètres d’altitude. Eggs m’invita à dormir avec lui et son ordonnance Mayerhoffer nous confectionna une sorte de litière avec de l’alfa, entourée d’un muret de pierres sèches. Sa djellaba nous servit de couverture. Je n’arrivai pas à trouver la bonne position pour dormir. Il s’en rendit compte et bougonna :

Encore un peu tendre (prononcé à l’allemande, en appuyant sur le « dre »).

Il saisit sa musette remplie d’alfa qui lui servait d’oreiller et me la glissa sous la tête, puis ramassa une grosse pierre sèche pour la remplacer. Je ne savais pas s’il fallait le remercier. J’attendis cinq minutes et lui dis :

Mon capitaine, Bir Hakeim, c’est quand même autre chose ?

Il ne répondit pas. Il dormait à poings fermés.

Aujourd’hui, le commandant Robert Eggs, grand officier de la Légion d’Honneur est âgé de 93 ans. Il vit avec son épouse en Côte d’Or, très exactement à Ivry-en-Montagne. Il est Français officiellement depuis quelques semaines».

 

 

  Bir El Ater 1957 – Le Capitaine Eggs à la tête de sa compagnie du 4ème REI. Le porte-fanion est le sergent-chef Campanella.

 

Lire la suite

Rédigé par Frédéric-Edmond RIGNAULT

Publié dans #Algérie

Publié le 4 Avril 2008

 


Le 23 octobre 2007. Rue de la Glacière, chez Monsieur et Madame Pierre Debeaurain.

  

Pierre Debeaurain : « Mon arrière-grand-père, Ernest-Pierre Richard est mort en 1942, à l’âge de 92 ans. Il était donc né en 1850. Habitant de ce qui n’était alors encore qu’un village, Issy, il avait appris à lire et écrire très jeune, grâce à un curé qui avait dû déceler en lui certaines capacités. Lire et écrire, ce n’était pas si courant à l’époque. Comme, de plus, Ernest Richard était très grand et costaud, il eut la chance d’entrer à la Garde personnelle de l’empereur Napoléon III, peu avant la Guerre franco-prussienne».

Il semble qu'Ernest-Pierre Richard ait rejoint une formation particulière : l’escadron des Cent-gardes à cheval. Corps d’élite de cavalerie créé par décret du 24 mars 1854, il est commandé par Lepic puis par le colonel baron Jacques Albert Verly. L’esprit de constitution des Cent-gardes s’inspire des Life Guards anglais. Composé d’un état-major, de deux compagnies de cent quatre-vingt-dix sous-officiers et gardes, l‘escadron ne fait pas partie de la Garde impériale mais est attaché directement à l’empereur.

Sa mission consiste en la protection personnelle de Napoléon III et le service au quotidien dans les palais impériaux, ne rendant les honneurs qu’à l’empereur et sa famille. Une des particularités de ce corps consiste en la taille minimum de chacun des cavaliers : mesurer au minimum 1,80 m !

La tunique s’inspire des cuirassiers : bleu de ciel, culotte blanche, bottes de cuir noir à l’écuyère. Pour la grande tenue, une cuirasse est portée ; elle arbore les grandes armes de l’Empire. L’armement des Gardes comprend un mousqueton et un sabre-lance qui se fixe comme une baïonnette. La solde est particulièrement généreuse : mille francs-or pour les gardes et les trompettes.

En juillet 1870, après des provocations des deux côtés du Rhin, entre autres au sujet de la candidature du prince de Hohenzollern à la couronne d’Espagne – ce qui entraînerait de facto un enveloppement de l’Empire français par des souverains allemands – la France déclare la guerre à la Prusse, soutenue immédiatement par les princes allemands (ce qui accélérera la fondation de l’Allemagne). Le 28, Napoléon III arrive à Metz, suivi des Cent-gardes et prend le commandement de l’armée du Rhin.

Au début du mois d’août, les armées prussiennes envahissent la France et attaquent à Wissembourg ; les batailles se multiplient : Woerth (Froeschwiller pour les Français – la fameuse charge des cuirassiers de Reichshoffen), Spicheren, Borny-Noisseville. La ville de Nancy est occupée. Partout les armées de l’empereur sont bousculées.

Napoléon III se retire de Metz, se dirige vers Verdun puis Châlons-en-Champagne ; à Beaumont, dans les Ardennes, le corps d’armée du général de Failly est mis en déroute. L’empereur s’enferme dans la ville de Sedan. Plusieurs Cent-gardes l’ont suivi et demeurent en permanence à ses côtés.

Pierre Debeaurain : « C’est au moment de la bataille de Sedan que Napoléon III confie à Ernest Richard la mission de sa vie ! Il s’agit de porter des courriers au plus vite à l’impératrice Eugénie – devenue régente – et la maison impériale. Huit jours sont nécessaires à mon aïeul pour se rendre au château de Saint-Cloud et remettre les courriers. Mais il est déjà trop tard. Le siège de Sedan dure moins d’une semaine. L’empereur, acculé dans une ville dévastée par les obus des canons prussiens, fait hisser le drapeau blanc et se rend auprès de Bismarck. La mission d’Ernest Richard n’aura servi à rien. Et je n’ai jamais su les lignes contenues dans ces lettres. Mon arrière-grand-père possédait dans sa maison de la rue Prudent Jassedé une grande armoire. Interdiction formelle nous était faite de l’ouvrir ou de poser la moindre question sur ce meuble, pour nous merveilleux».

L’escadron des Cent-gardes est dissous le 1er octobre 1870, par décret, et versé au 2ème Régiment de marche de cuirassiers ; régiment qui participe activement à la défense de Paris, dans un premier temps face aux Prussiens puis face aux partisans du gouvernement de la toute nouvelle République française, l’empire venant d’être déclaré déchu.

Pierre Debeaurain : « Mon arrière-grand-père n’a plus d’emploi. Il devient Garde national et s’enrôle dans un bataillon parisien. Il s’agit de défendre son pays et venger son honneur. C’était cela l’important : ne pas déposer les armes devant l’ennemi prussien ! Thiers pactise avec la Prusse car faire cesser les hostilités entre les deux pays passe avant toute chose par un désarmement de Paris ».

En avril 1871, Thiers, réfugié à Versailles et élu « Chef du pouvoir exécutif de la République française » monte une armée faite d’anciens prisonniers de la guerre qui s’achève, auxquels il peut ajouter plus de 12.000 hommes dont il dispose. Cette armée est placée sous les ordres de l’ancien vaincu de Sedan : le maréchal de Mac-Mahon. Les combats s’engagent rapidement. Les Prussiens tiennent le Nord et l’Est de Paris ; ils laissent passer les « versaillais ». La butte de Suresnes et l’ouest parisien sont pris assez facilement. Il n’en va pas de même avec le sud. Les partisans de la continuation de la guerre contre la Prusse et les Communards se défendent, rue par rue, maison par maison. Le 26 avril, le village des Moulineaux est occupé par les hommes de Thiers. Puis le fort d’Issy est pris, mais les Communards le reprennent dès le lendemain.

« Les versaillais se permettent tout. Ils brulent les maisons. Avec leurs canons, ils pilonnent les villages du sud de Paris. Ils se livrent à des atrocités. Dans Issy, des barricades sont montées, sur la place de l’église Saint-Etienne, rue de l’Abbé Grégoire également. Beaucoup de bâtiments sont ruinés du fait des bombardements prussiens ; ceux qui sont restés debout sont anéantis par les canons versaillais. Un obus tombe sur le Moulin de Pierre, alors réserve de munitions, et l’explosion qui s’en suit est incroyable de puissance. Le Moulin de Pierre se trouve aujourd’hui à Clamart, mais, à l’époque, il était dans Issy. Notre fort finit par tomber, comme celui de Vanves. Les versaillais entrent alors dans Paris et fusillent tous les meneurs de la Commune. Entre 10.000 et 25.000 personnes, selon les sources, sont passées par les armes. Ce fut une chance inimaginable pour Ernest Richard d’en réchapper.

Je me souviens très bien des histoires et des anecdotes que me racontait mon arrière-grand-père. Par exemple, il faisait tous les jours – parfois plusieurs fois par jour – l’aller-retour, à cheval, entre le Louvre et Issy, rue Prudent Jassedé. Et il rabâchait sans arrêt ses souvenirs de guerre : « D’abord Napoléon III était impressionnant. Tu m’imagines ? J’avais vingt ans et j’étais face à l’empereur. Le neveu de Napoléon Ier ! Napoléon III n’était pas un mauvais bonhomme mais il était mal entouré. Il y avait des orléanistes, des monarchistes, des illuminés. Surtout, il écoutait le dernier qui parlait. Lui était plutôt favorable à la paix. Finalement, c’est sa femme, Eugénie de Montijo qui emporta la décision. Elle était à la tête des partisans de la guerre. En tant qu’Espagnole, cela peut se comprendre. Et puis, l’empereur souvent laissait faire car il était rongé par la maladie : atteint d’un calcul de la vessie, il souffrait mille maux et cela pouvait le laisser anéanti pendant des heures. Mais le plus mauvais était bien Bazaine, qui perdit son armée enfermée dans Metz. Et par sa faute. Uniquement par sa faute. Douze balles que ce traitre aurait dû recevoir ! Douze balles pour avoir sacrifié son armée, la France et notre Honneur».

 

 Portrait d'Ernest-Pierre Richard, après 1870.

Lire la suite

Rédigé par Frédéric-Edmond RIGNAULT

Publié dans #1870-1871

Publié le 29 Mars 2008

 

 


Le 19 mars 2008, la ville d’Issy-les-Moulineaux a célébré le 46ème anniversaire du cessez-le-feu en Algérie.

 

Le 19 mars 1962 marque donc la fin de la guerre d’Algérie, à la suite des Accords d’Evian. Les négociations de ces accords commencent le 20 mai 1961. Ils sont signés le 18 mars 1962 et se traduisent immédiatement par un cessez-le-feu applicable sur tout le territoire algérien dès le lendemain.

La guerre d’Algérie s’est déroulée de 1954 à 1962 et a donné lieu à son indépendance.

L’Algérie est d’abord une colonie française de 1830 à 1848 puis un département de la République. Cette guerre est avant tout une guérilla entre les partisans algériens du Front de Libération Nationale (FLN) et son bras armé l’Armée de Libération Nationale (ALN) à l’Armée française, composée de troupes de parachutistes, de légionnaires, de soldats du contingent et de supplétifs « indigènes » comme les moghaznis et les harkis.

La guerre d’Algérie commence en 1954 à la suite d’attaques et du massacre en plusieurs régions de ce pays de militaires et civils français, par des hommes du FLN. Au Caire, le mouvement publie une déclaration pour la « restauration de l’Etat algérien, souverain, démocratique et social, dans le cadre des principes de l’islam ». Militairement gagnée par la France en 1959 avec l’Opération Jumelles, la victoire finale revient néanmoins aux forces de l’ALN avec l’indépendance proclamée le 5 juillet 1962, à la suite des Accords d’Evian et du référendum d’autodétermination. A ce moment, près de un million de Français vivant sur ce territoire sont « invités » à retrouver la Métropole.

L’une des caractéristiques de la guerre d’Algérie (qui à l’époque était appelée « Evénements d’Algérie ») consiste en la superposition d’une guerre civile et idéologique au sein des deux communautés. Du côté algérien, plusieurs partis s’affrontent et notamment le Mouvement National Algérien (MNA), dirigé par Messali Hadj, les harkis, qui veulent rester fidèle à la France, et le FLN, qui prend le dessus et détruit les forces de résistance du MNA en Algérie. Du côté français, la majorité de la population de Métropole finit par se ranger du côté de l’indépendance de l’Algérie, tandis que des minorités comme l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS) sont favorables à la poursuite de la guerre, quitte à réaliser des attentats aussi bien sur le sol algérien qu’en France et s’en prendre à la tête de l’Etat (attentats contre le général de Gaulle).

Aux Accords d’Evian, les négociateurs du côté du FLN sont : Krim Belkacem, Saad Dahlab, Ahmed Boumendiel, Ahmed Francis, Taïeb Boulahrouf, Mohamed Seddik Ben Yahia, Redha Malek, Kaïd Ahmed (appelé aussi commandant Slimane) et le commandant Mendjili. Louis Joxe, Bernard Tricot, Roland Cadet, Yves Roland Billecart, Claude Chayet, Bruno de Leusse, Vincent Labouret, le général Jean Simon, le lieutenant-colonel Hubert de Seguins Pazzis, Robert Buron et Jean de Broglie représentent le camp français.

Le texte de ces accords comprend deux parties :

  • - La première sur le cessez-le-feu, dont l’application est fixée au lendemain de la signature, soit le 19 mars.
  • - La seconde comprenant les « déclarations gouvernementales » relatives à l’Algérie sur la période de transition jusqu’au référendum d’autodétermination, avec la mise en place d’un Exécutif provisoire et un Haut Commissaire représentant l’Etat français ; la libération des prisonniers dans un délai de vingt jours ; des garanties prévues pour les personnes conservant le statut civil de droit français et le planning du retrait des forces militaires françaises.

En outre, les Accords d’Evian comportent des clauses dites « secrètes » sur la présence française cinq années de plus, dans le but d’achever le programme d’essais d’armes nucléaires, chimiques et bactériologiques (la base de lancement de fusée d’Hammaguir est libérée en 1967).

Ces accords marquent la fin d’une guerre de décolonisation qui a fait près de 30.000 morts et 250.000 blessés pour la France et, selon les estimations, entre 300.000 (des historiens comme Guy Pervillé) à plus de un million (selon le FLN) de morts du côté Algérien.

Retrouvez les photographies de cette commémoration dans l’album intitulé : « 19 mars 2008 – Commémoration des Accords d’Evian ».

 

Lire la suite

Rédigé par Frédéric-Edmond RIGNAULT

Publié dans #Algérie

Publié le 19 Mars 2008

undefined

 

Lazare Ponticelli en 2008.

 

 

A la déclaration de la guerre, en août 1914, de nombreux étrangers (plus de cinquante nationalités) se pressent devant les bureaux de recrutement. Les sentiments patriotiques sont très vifs. Il est question de « revanche » sur la Guerre franco-prussienne de 1870-1871 ; de défense du monde libre face aux appétits des empires centraux (allemand et Austro-hongrois). Beaucoup de jeunes gens veulent aider la patrie des Droits de l’Homme, pour laquelle ils travaillent, au sein de laquelle ils vivent ou simplement par sentiment de solidarité. Ainsi, des Américains vont s’enrôler dans ce qui va devenir l’Escadrille Lafayette, en témoignage du souvenir du général français lors de la guerre d’Indépendance des Etats-Unis, en 1781. Des Italiens, souvent des Garibaldiens, s’engagent également. Ils veulent suivre l’exemple de leur héros qui a combattu pour la France en 1870-1871, en remerciements de ce qu’elle avait fait dix ans auparavant pour l’unité italienne. Des Russes, par amitié pour la France, au titre de la Triple Entente (avec l’Angleterre) font de même. Des Arméniens de France, en guise de reconnaissance pour le pays, s’engagent. Avec l’écrivain italien Riciotto Canudo, le poète suisse Blaise Cendras lance un appel aux artistes étrangers qui vivent en France. Lui-même devient volontaire dans l’armée française. Tous ces étrangers sont naturellement versés dans la Légion étrangère.

 

En 1914, quatre régiments de marche (RM) sont formés au sein des deux Régiments étrangers (RE) : les 1ER, 2ème, 3ème et 4ème des 1er et 2ème RE. Les anciens légionnaires, qui ont servi en Algérie, à Sidi-Bel-Abbès et Saïda, où ces unités sont implantées, sont chargés d’intégrer et de former les nouveaux venus. Ce qui ne va pas sans mal : bon nombre des « bleus » n’ayant jamais subi d’entraînement militaire.

 

C’est le chemin que suit Lazare Ponticelli, italien vivant en France, en 1914. Il triche sur son âge (il a 16 ans) et rejoint la Légion, au 4ème du 1er RE. Blaise Cendrars fait de même (mais il a déjà 27 ans), au 2ème RM du 1er RE. Quant à Antonin Erneswecker, il quitte son domicile d’Issy et signe dans le département de la Seine son engagement dans les mêmes unités. Il a 28 ans.

 

 

undefined

 

 

 


Portrait de Blaise Cendras par sa fille Miriam à Londres en 1940.

 

 

 

Les deux Régiments Etrangers sont appelés en 1914 et en 1915 à combattre en Champagne. Le 2ème RM du 1er RE et le 2ème RM du 2ème RE relèvent, dans la région de Verzy, dans la Marne, des bataillons de Tirailleurs sénégalais. Albert Erlande écrit, dans « En campagne avec la Légion étrangère » : «  Les minnenwerfer (mortier), les mines, les grenades, la pluie, le froid, la boue sont autant d’épreuves qui s’ajoutent à la fatigue et au manque de sommeil. Les cuisines sont à trois heures de marche, la soupe et le ragoût arrivent glacés, rien pour les réchauffer ». Et pourtant, le 22 décembre 1914, le Régiment Etranger avance ses lignes de 1,5 km dans le bois des Zouaves, disputé depuis des semaines.

 

 

 

Le lendemain du jour de Noël 1914, en Argonne (est de la Champagne), dans le secteur de la vallée de Courte Chausse, les Garibaldiens du 4ème RM du 1er RE, donc de Lazare Ponticelli, sonnent la charge et enlèvent à la baïonnette trois lignes de tranchées allemandes. Ils capturent plus de cent prisonniers.

 

Lazare Ponticelli raconte comment il aide un soldat blessé et coincé entre les lignes : « Il hurlait : « Venez me chercher, j’ai la jambe coupée ». Je n’en pouvais plus. J’y suis allé avec une pince. Je suis d’abord tombé sur un Allemand, le bras en bandoulière. Il m’a fait deux avec ses doigts. J’ai compris qu’il avait deux enfants. Je l’ai pris et je l’ai emmené vers les lignes allemandes. Quand ils se sont mis à tirer, il leur a crié d’arrêter. Je l’ai laissé près de sa tranchée. Il m’a remercié. Je suis reparti en arrière, près du blessé français. Il serrait les dents. Je l’ai tiré jusqu’à nos lignes, avec sa jambe de travers. Il m’a embrassé et m’a dit : « Merci pour mes quatre enfants ». Je n’ai jamais pu savoir ce qu’il était devenu ».

 

En mars 1915, en raison des pertes élevées, les deux RE, épuisés, partent se reformer au sud de Clermont-en-Argonne, avant d’être dirigés sur Bar-sur-Aube. Le 23 mai 1915, l’Italie, bien que membre de la Triple Alliance avec les empires allemand et austro-hongrois, change de camp et déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie. Partant du principe que ses alliés étaient agresseurs en 1914, elle n’a pas d’obligation envers eux. Le départ d’un bon nombre de Russes, de Belges et d’Italiens ne laisse subsister, à l’été 1915, que deux Régiments de marche.

 

Lazare Ponticelli quitte la Légion étrangère, à regret, « la France est ma patrie » déclare-t-il. « Oui, mais ta nationalité est italienne ». Il est démobilisé de force et intègre les Chasseurs alpins dans un régiment stationné dans le Tyrol. Puis c’est le Monte Cucco, où les épreuves se multiplient : attaques, gaz moutarde, conditions épouvantables.

 

Lazare Ponticelli est blessé ; maintenu sur une civière par deux ambulanciers, il est opéré à vif, sans anesthésie. Quelques temps plus tard, il repart au front et se bat courageusement. Mais cette guerre le dégoûte : « Je tire sur toi mais je ne te connais même pas. Si seulement tu m’avais fait du mal ».

 

Pendant ce temps, le 2ème Régiment de Marche de la Légion étrangère se trouve embarqué dans une nouvelle histoire terrible : il doit reprendre les bois P16, P17 et P18 proches de la Ferme de Navarin (haut lieu de la Première Guerre mondiale, situé dans l’est de la Marne à côté de villages anéantis comme Tahure). Les Légionnaires attaquent. Ils sont aussitôt accueillis par les mitrailleuses allemandes. Ceux qui réussissent à passer sont attendus par les Allemands, armés de leurs baïonnettes. Plus de la moitié des officiers, sous-officiers et légionnaires sont morts. Le jeune écrivain américain Henry Farnsworth tombe ce jour-là également. Blaise Cendrars est blessé. Il perd sa main droite, sa main d’écrivain. Il est amputé au-dessus du coude. Pour écrire, il va devoir devenir gaucher et sa nouvelle identité va modifier le sens même de son œuvre.

 

Au cours de l’année 1916, le Régiment de Marche de la Légion étrangère est déplacé dans la Somme. L’objectif consiste, depuis le village d’Assevillers, à attaquer celui de Belloy-en Santerre, fortifiés par les Allemands. Les fortifications sont nombreuses, imprenables ; les positions de tirs sont truffées de mitrailleuses. L’ordre de lancer l’offensive est pourtant donné. C’est un nouveau massacre. En quelques heures le village est enlevé. A quel prix… Encore une fois, les légionnaires perdent un tiers de leur effectif. Pendant toute l’année les escarmouches et « coups » se multiplient. Le poète américain Alan Segeer tombe sous les balles allemandes le 4 juillet 1916, jour de l’indépendance de son pays d’origine. L’isséen Antonin Erneswecker survit à tous les engagements de l’offensive sur la Somme. Mais, le 9 décembre 1916, à l’occasion d’une escarmouche, il meurt, foudroyé par l’ennemi.

 

A la fin de la Première Guerre mondiale, Blaise Cendrars devient voyageur de l’écriture : poète, avec La Prose du Transsibérien et la petite Jehanne de France (1913) ; romancier, avec l’Or (1925) et Moravagine (1926), les Confessions de Dan Yack (1929), Emmène-moi au bout du monde (1956) ; auteur de récits autobiographiques avec La main coupée (1946) et Bourlinguer (1948) ; de nouvelles avec Histoires vraies (1937) et La Vie dangereuse (1938) ; des reportages : Rhum (1930 et 1934), Panorama de la pègre (1935), Hollywood Mecque du cinéma (1936). Il meurt le 21 janvier 1961 à Paris.

 

Lazare Ponticelli quitte l’armée italienne en 1918. Il rentre en France, s’installe au Kremlin Bicêtre, en Région parisienne, et créé, avec ses frères, une entreprise qui va devenir un groupe multinational réalisant, avec ses filiales, environ un milliard d’euros de chiffre d’affaires et employant 7.500 personnes, dans les métiers de la construction, de l’entretien et de la maintenance industrielle. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, il est naturalisé Français, veut s’engager une nouvelle fois. Trop âgé pour le service, il est renvoyé dans son entreprise ou l’Armée estime qu’il pourra être utile à l’effort de guerre. Ponticelli Frères est déménagé en Zone libre. Au moment de l’occupation de celle-ci, Lazare Ponticelli entre dans la Résistance. Après la guerre, il reprend ses activités et part en retraite dans les années 1960. Lazare Ponticelli rend son âme à Dieu le 12 mars 2008, à l’âge de 110 ans.

 

Il était le dernier des Poilus.

 

Et Antonin Erneswecker repose dans un petit cimetière de Picardie. 

undefined

 

« Mais le cri le plus affreux que l’on puisse entendre et qui n’a pas besoin de s’armer d’une machine pour vous percer le cœur, c’est l’appel tout nu d’un petit enfant au berceau : « Maman ! Maman ! » que poussent les hommes blessés à mort qui tombent et que l’on abandonne après une attaque qui a échoué et que l’on reflue en désordre. « Maman ! Maman ! » crient-ils… Et cela dure des nuits et des nuits car dans la journée ils se taisent ou interpellent leurs copains par leur nom, ce qui est pathétique mais beaucoup moins effrayant que cette plainte enfantine dans la nuit : « Maman ! Maman ! »… Et cela va s’atténuant car chaque nuit ils sont moins nombreux… et cela va s’affaiblissant car chaque nuit leurs forces diminuent, les blessés se vident… jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un seul qui gémit sur le champ de bataille, à bout de souffle : « Maman ! Maman ! », car le blessé à mort ne veut pas encore mourir, et surtout pas là, ni comme ça, abandonné de tous… et ce petit cri instinctif qui sort du plus profond de la chair angoissée et que l’on guette pour voir s’il va encore une dernière fois se renouveler est si épouvantable à entendre que l’on tire des feux de salve sur cette voix pour la faire taire, pour la faire taire pour toujours… par pitié… par rage… par désespoir… par impuissance… par dégoût… par amour, ô ma maman ! » (in « La main coupée », Blaise Cendrars, Denoël, 1946). 

 


 

Lire la suite