Publié le 30 Avril 2016

Charge du colonel Louis Morris du 4e régiment de chasseurs d’Afrique contre la smala d’Abd El-Kader, 1843.

Les origines.

L’idée d’une intervention militaire française en Algérie ne s’est pas décidée rapidement et sans concertation. Les origines de cette conquête se sont bâties sur plusieurs éléments et circonstances, qu’il convient d’ailleurs, comme d’habitude de replacer dans le contexte politique, économique et intellectuel d’alors.

La régence d’Alger, dont le territoire correspond à la partie non saharienne de l’Algérie actuelle, est depuis le 16e siècle une dépendance de l’Empire ottoman. En réalité, elle est quasi indépendante. Le territoire est réparti entre le sultan et les beys qui sont théoriquement des vassaux. La régence est en déclin depuis le début des guerres napoléoniennes qui limitent le commerce en Méditerranée. De 1802 à 1821, le pays est en proie à la violente dissidence des tribus de l’arrière-pays et à la rébellion des populations qui affichent ouvertement leur désir de se débarrasser de la régence. Sur la plan militaire, la flotte d’Alger est dépassée et ne peut plus tenir tête aux marines des pays européens.

La crise sociale déclenche une crise politique, le dey d’Alger semble contesté par les beys. L’implosion intérieure est effective dans les années 1820. Le pays est fragilisé : la perte de sa flotte à la bataille de Navarin (20 octobre 1827) livre le pays au blocus maritime étranger. Celui-ci commence en juin 1827 et va durer trois ans. La disette pousse le reste des populations dans l’action armée qui prend la forme d’une guérilla larvée contre les représentants de la régence.

Du côté français, le gouvernement du prince de Polignac espère revivre les conquêtes militaires de Napoléon et consolider l’influence française dans le bassin occidental de la Méditerranée. D’autres raisons sont également évoquées de ce côté-là du bassin : Polignac veut renouer avec le prestige de la monarchie afin de juguler l’opposition intérieure ; il est question de richesses en Algérie. Celles-ci pourraient bien faire l’affaire des finances du royaume de France. Enfin, et ce n’est pas la moindre des raisons qui vont pousser la France à intervenir militairement, régulièrement les bateaux de marchandises européens sont pillés par les barbares. Quant aux chrétiens présents en Afrique du Nord, même si de nombreux travailleurs sont libres, une frange non négligeable est encore réduite en esclavage.

Les débats sont nombreux au sein du gouvernement de Polignac. Les hésitations également. Un prétexte serait le bienvenu : il arrive par un coup d’éventail porté par le régent Hussein Dey au consul de France, Pierre Deval, à Alger le 30 avril 1827 ! Ce coup n’a pas été porté par hasard : il est fait suite à un défaut de paiement de la France sur des affaires de commerce de blé avec le dey d’Alger. Qu’importe : le prétexte a été trouvé. L’action militaire peut commencer.

La reddition d’Alger.

Charles X, roi de France et Polignac, se décident en janvier 1830 à entreprendre une action militaire en Algérie. Les 36.000 hommes du général de Bourmont transportés par les vaisseaux de l’amiral Duperré débarquent à Sidi-Ferruch du 14 au 16 juin 1830. Ayant repoussé les Turcs, qui occupent la région au nom de l’Empire ottoman, et 40.000 cavaliers rassemblés par Ibrahim, gendre du dey, les Français s’emparent d’Alger où le dey capitule le 5 juillet.

Le gouvernement passe en France, mais les conquêtes demeurent… Issu de la révolution de 1830, le roi des Français, Louis-Philippe, se borne d’abord à une occupation restreinte. Les généraux Clauzel, Savary, Berthezène, Voirol et Drouet d’Erlon, qui se succèdent pendant cinq ans, sans grands moyens ni directives se contentent d’occuper Alger et ses environs : Bône, Oran et Bougie. Pour augmenter ses effectifs, le commandement met sur pied des formations nouvelles : zouaves, légion, spahis, tirailleurs, chasseurs, tandis que les bureaux arabes établissent le contact avec les populations.

Durant les quatre premières années de présence française, on voit arriver un nombre important de colons qui sont alors divisés en trois classes :

  • Ceux qui ont assez de ressources pour construire leur maison, à qui on donne dix hectares ;
  • Les anciens militaires, qui reçoivent six hectares ;
  • Les colons sans ressources à qui on attribue quatre hectares.

Cependant, devant l’afflux trop important de colons, le général Savary obligent les nouveaux venus à avoir de quoi subvenir à leurs besoins pendant un an. Mais en 1832, deux chefs arabes, Abd el-Kader, émir de Mascara, et le bey de Constantine, Hadjdj Ahmad, se dressent contre les Français ; ceux-ci tentent d’abord de négocier, et par le traité du 26 février 1834, le général Desmichels reconnait l’autorité d’Abd el-Kader sur l’ouest algérien. Mais le général Trézel prend sous sa protection des tribus que l’émir considère comme relevant de son autorité : Abd el-Kader reprend la lutte et écrase la colonne Trézel à la Macta (1835). A la suite de cet échec, la France envoie des renforts ; Clauzel et le duc d’Orléans enlèvent Mascara mais échouent devant Constantine. Chargé de neutraliser Abd el-Kader, le général Bugeaud négocie le traité de la Tafna (1837) qui reconnait au chef arabe l’autorité sur tout le pays, sauf les villes côtières. A ce moment-là, la France semble abandonner tout le territoire à Abd el-Kader. Les avantages territoriaux qui lui sont reconnus sont très supérieurs à ceux qu’il exerçait initialement.

Cependant, à l’est, les Français portent leur effort sur Constantine qui est enlevée par le général Valée le 13 octobre 1837. Mais Abd el-Kader, en deux ans, organise une véritable armée, forte de plus de 50.000 hommes, et, après s’être assuré de l’appui du sultan du Maroc, déclare la guerre à la France le 18 novembre 1839 et pousse une pointe sur Alger.

L’occupation totale.

Redevenu chef du gouvernement au début de 1840, Adolphe Thiers, pour se démarquer de ses prédécesseurs et conquérir de la gloire, dénonce la politique consistant à limiter l’occupation française aux enclaves côtières en abandonnant de fait l’intérieur des terres à l’émir. Il se livre à une critique sévère du traité de Tafna. Pour lui, la France n’aura la paix en Algérie qu’en soumettant entièrement le territoire. Elle peut ainsi réaliser une excellente affaire puisque le pays était riche et prospère au temps de l’Empire romain… Le roi Louis-Philippe est en accord avec cette conception car il a compris que l’Algérie forme un terrain idéal sur lequel ses fils peuvent cueillir les lauriers militaires qui consolideront le prestige de sa dynastie. Le roi et son gouvernement vont donc braver les oppositions de ceux qui, à droite comme à gauche, craignent de voir l’armée engagée sur un théâtre lointain et contestent la valeur économique de l’Algérie.

Le général Bugeaud, qui passe pour un spécialiste de ces questions, est nommé gouverneur général de l’Algérie par Thiers en 1840. Il embarque à Toulon et le jour même de son arrivée, il adresse une proclamation aux habitants ainsi qu’à l’armée. Aux habitants, il expose qu’il a été l’adversaire de la conquête absolue en raison des moyens humains et financiers qu’elle exige, mais qu’il s’y consacrera désormais tout entier. A l’armée, il dit que son but n’est pas de faire fuir les Arabes, mais de les soumettre.

Bugeaud obtient la permission d’attaquer le Maroc qui aidait l’émir Abd el-Kader dans sa résistance. Le 14 août 1844, les troupes marocaines sont surprises par Bugeaud sur l’oued d’Isly. S’ensuit la bataille du même nom, non loin de la frontière. Sa victoire met fin à l’aide marocaine, les spahis continuent de pourchasser Abd –el-Kader jusqu’au 21 décembre 1847, date de sa reddition. Sa soumission officielle à la France a lieu le 23 décembre 1847. Dans le même temps, la flotte française bombarde Tanger et Mogador (Essaouira).

Le second Empire (1848-1870) porte son effort militaire sur les pays berbères, dont il s’attache à obtenir la soumission ; après la prise de Zaatcha (1849), le général Saint-Arnaud s’attaque à la petite Kabylie ; sous le gouvernement du maréchal Randon, en 1857, la France affirme son autorité sur la Grande Kabylie en créant, après la prise d’Ichériden, Fort-l’Empereur (devenu Fort-National). La pénétration s’exerce au sud d’abord – après l’occupation des oasis de Laghouat et de Touggourt (1854), l’explorateur Duveyrier pénètre chez les Touareg – puis dans le Sud-Oranais où, après plusieurs expéditions contre les Beni Snassen, les confins algéro-marocains seront soumis, à la veille de la guerre de 1870, par le général de Wimpffen.

Mais la France hésite entre une politique d’assimilation et une politique de semi-autonomie. De 1852 à 1858, Napoléon III substitue au régime civil de la 1ère République un régime militaire qui supprime la représentation algérienne au Parlement, mais maintient les trois départements (Alger, Oran, Constantine), créés par la République et administrés par les préfets, à l’exception des territoires militaires du Sud. Pour faciliter la colonisation, la gouverneur général Randon cantonne les autochtones ; mais l’hostilité des colons au contrôle de l’armée, jugé trop favorable aux musulmans, provoque, en 1848, la suppression du gouvernement général et son remplacement par un ministère de l’Algérie et des Colonies, siégeant à Paris et confié au prince Napoléon qui, incompétent, est remplacé dès 1859 par le marquis de Chasseloup-Laubat.

Un voyage qu’il accomplit en Algérie en septembre 1860 incite Napoléon III, séduit par la noblesse des autochtones et mécontent des abus de la colonisation européenne, à renoncer à la colonisation et à promouvoir l’idée du « royaume arabe », qui doit être non pas exploité, mais élevé au niveau de la métropole. Il rétablit donc le gouvernement général et le régime militaire.

La grande majorité des Européens n’ayant pas la citoyenneté française étaient donc privés de députés. En décembre 1866, sont rétablies les dispositions sur la gestion démocratique des communes. A la fin de l’Empire, il ya 96 communes contre 47 en 1852.

Après le départ des Turcs, la rudimentaire organisation barbaresque est maintenue avec les provinces, les aghas, khalifas auxquels s’ajoutent les bachagas (niveau intermédiaire). L’unité administrative de base reste la tribu contrôlée par un caïd. Ce dernier dispose d’un goum de mokhaznis ou d’une smala de spahis. Le tout est supervisé par les Bureaux arabes.

Sources :

  • Encyclopédie Larousse en ligne : www.larousse.fr
  • Encyclopédie Wikipédia.
  • Georges-Marc Benamou, Un mensonge français : retours sur la guerre d’Algérie, Robert Laffont, 2003.
  • Benjamin Stora, Histoire de la guerre d’Algérie (1954-1962), La Découverte & Syros, 2004.
  • Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Fayard, 1994.
  • Pierre Montagnon, Histoire de l’Algérie : des origines à nos jours, Pygmalion, 1998.
  • Georges Fleury, Comment l’Algérie devint française, Perrin, 2004.
  • Georges Bensadou, Sidi-bel-Abbès naissance d’une ville, L’Algérianiste, septembre 1996.
  • Service d’Information et de Relations Publique de l’Armée de terre (SIRPA Terre).
  • Division communication et information de la Légion étrangère.
  • L’armée d’Afrique, Collectif, Ed. Lavauzelle, 1980.
  • Site www.legion-etrangere.com du Ministère de la Défense.

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #La Coloniale

Publié le 28 Avril 2016

En 1944, les Isséens se libérèrent aussi par eux-mêmes.
En 1944, les Isséens se libérèrent aussi par eux-mêmes.

Comme chaque année, le Comité du Souvenir Français participera aux cérémonies destinées à célébrer l’anniversaire de la Victoire du 8 mai 1945, qui commenceront à 8h00 par le rassemblement devant le CNET pour le départ en car vers l’église Sainte-Lucie, au 162 avenue de Verdun où une messe sera célébrée à la mémoire des Isséennes et des Isséens morts pour la France.

9h30 : fleurissement de la stèle du maréchal Juin.

9h50 : place du 8 mai 1945 – lecture du message du Secrétaire d’Etat aux Anciens combattants.

Le rendez-vous au monument aux morts de la ville est fixé à 10h15 pour les dépôts de gerbes et les discours dont celui de Monsieur le député-maire, ancien ministre.

A 11h00, vin d’honneur dans les salons de l’Hôtel de Ville.

Mais auparavant, le samedi 7 mai, à 18h00, le capitaine de frégate Guy Crissin, ancien commandant du chasseur de mines tripartite Andromède, donnera une conférence sur le thème de Verdun et du fort de Douaumont.

Enfin, et comme d’habitude, le Souvenir Français se chargera de la quête le 8 mai au profit du Bleuet de France. Soyez généreux !

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Publié le 18 Avril 2016

Au cimetière d’Issy-les-Moulineaux, Thierry Gandolfo explique la Première Guerre mondiale à une classe de l’école primaire Anatole France.
Au cimetière d’Issy-les-Moulineaux, Thierry Gandolfo explique la Première Guerre mondiale à une classe de l’école primaire Anatole France.

Thierry Gandolfo (à droite sur la photo) est conservateur au cimetière d’Issy-les-Moulineaux. Il est aussi passionné par l’Histoire de France et est secrétaire du Comité d’Issy-Vanves du Souvenir français. Régulièrement, il prend sur ses congés pour expliquer les conflits mondiaux aux écoliers, collégiens et lycéens.

Il le fait chaque année pour la classe de CM2 de l’école élémentaire Anatole France d’Issy, classe dirigée par Madame Véronique Pacitto (à gauche sur la photo). L’idée étant d’expliquer et de raconter la Première Guerre mondiale au travers de destins de soldats ou des différentes armes : quel était le rôle d’un artilleur ? Comment était équipé un cavalier ? Etre pilote dans un avion, cela signifiait quoi en 1915 ? Pourquoi des travailleurs malgaches se trouvent-ils dans le carré militaire ?

Récemment, à la fin du mois de mars, à la demande du Comité de Chatenay-Malabry et de sa présidente, Madame Françoise-Marie Belin, il est allé rendre visite au lycée Jean Jaurès. Thierry Gandolfo a cette fois axé son propos sur les troupes coloniales, en évoquant les conditions d’engagement, de la traversée depuis l’Afrique jusqu’en Europe et d’emploi dans les tranchées (problématiques des températures hivernales, des conditions de vie, de la curiosité – et du racisme – de certains camarades français ou des troupes allemandes).

Petit rappel : en 1857, le général Faidherbe, commandant les troupes françaises au Sénégal, et devant faire face à des besoins accrus en hommes, propose la création du corps des tirailleurs sénégalais. Sénégalais de nom, car les soldats proviennent aussi bien de ce pays que de Mauritanie, du Mali ou encore de Guinée. Le décret est signé par l’empereur Napoléon III le 21 juillet 1857, à Plombières-les-Bains.

Des difficultés de recrutement interviennent de suite. Il n’est pas rare que des révoltes éclatent. C’est notamment le cas chez les Bambaras du Mali. Aussi, les principaux contingents sont constitués d’esclaves rachetés à leurs maîtres, de « volontaires » et de prisonniers de guerre. Le nombre de régiments de tirailleurs sénégalais s’accroit, pour atteindre plusieurs dizaines de bataillons au moment de la Première Guerre mondiale. La majeure partie des sous-officiers et de nombreux officiers subalternes sont Africains. Il est vrai aussi que les officiers supérieurs sont tous issus de la métropole.

Au cours de la guerre de 1914-1918, près de 200.000 tirailleurs sénégalais participent au conflit, et environ 30.000 y laissent la vie.

Thierry Gandolfo évoqua le tirailleur sénégalais bien connu de l’époque « Y’a bon » qui illustrait la marque Banania (voulant dire « il y a de la banane dedans). Pierre Lardet, le fondateur de la marque, tire profit du ce conflit en décidant d’associer sa boisson à l’effort de guerre. Il envoie sur le front quatorze wagons remplis de poudre de Banania distribuée aux poilus dans les tranchées. Une légende veut qu’un tirailleur sénégalais blessé fût rapatrié à l’arrière et employé à la fabrication de la poudre Banania dans l’usine de Courbevoie. C’est en la goûtant qu’il se serait exclamé, la gamelle et la cuillère à la main : « Y’a bon » !

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Publié le 8 Avril 2016

Rescapé de la chambre à gaz d'Auschwitz.

Le 12 avril 2005, au PACI d’Issy-les-Moulineaux, Jo Wajsblat était venu faire une conférence pour présenter le livre écrit avec le journaliste Gilles Lambert : « Le témoin imprévu ». André Santini, ancien ministre et député-maire de la ville, lui avait demandé : « Jo, pourquoi à plus de 75 ans, t’obstines-tu à venir en moto ? C’est dangereux ! » Et Jo Wajsblat de répondre : « Après ce que j’ai connu, rien n’est dangereux ! » Jo Wajsblat s’est éteint il y a un an et demi, et nous tenions au Souvenir Français, à lui rendre hommage.

En Pologne.

Né le 31 janvier 1929 à Lodz en Pologne, Joseph Wajsblat grandit dans une famille pieuse. Son père, orfèvre, veut faire de son fils un rabbin. Jo va d’ailleurs au heder, l’école religieuse talmudique. Il vit avec ses parents, ses frères, Jonathan et Henri, et sa sœur Haya-Sarah rue Franciskaïa, dans le quartier du Balut. Jo est très proche de ses grands-parents maternels qui vivent dans un petit village du nom de Konstantyne et chez qui il va souvent se réfugier. Les Wajsblat vivent au rythme des fêtes religieuses qui sont l’occasion des réunions familiales.

La Seconde Guerre mondiale et le ghetto de Lodz.

1939. La guerre éclate. Les Juifs de Pologne sont d’autant plus inquiets qu’ils entendent parler du traitement de leurs coreligionnaires en Allemagne. Beaucoup de Juifs de Lodz décident de partir en URSS ou en Palestine. Mais pour le père de Jo, il en est hors de question. L’idée d’abandonner son atelier l’en empêche. « Ils n’oseront pas prendre mes machines : elles sont anglaises », dit le père de Jo à son cousin qui le pousse à partir. L’armée polonaise est vaincue. Les nazis entrent dans le pays. Et à partir de là commencent les scènes de pillages des magasins juifs, la mise en place des lois antisémites et les mauvais traitements…

Les Allemands, comme dans la plupart des villes, regroupent la population juive. A Lodz, l’instauration du ghetto a lieu le 8 février 1940. Les Juifs ont l’interdiction formelle de sortir, ce qui rend leur vie difficile. Dès les premiers temps, la nourriture vient à manquer. Il faut donc s’organiser pour survivre. Jo et son frère Jonathan arrivent à aller à l’extérieur des murs pour trouver de quoi manger. Ses parents sont malades. Jo trouve un job dans un atelier de fabrication de bijoux puis dans un atelier de métallurgie. Mais la misère est telle que ses parents ne survivent pas au manque de soins et de nourriture. Iser Wajsblat meurt en 1941 et Kalya-Rachel en août 1943. En juillet 1942, Jo assiste également à la rafle qui emportera son petit frère Henri, âgé de 9 ans, avec plein d’autres enfants du ghetto, vers le camp de Chelmno où il sera gazé dans des camions. « Dans l’appartement, raconte Jo, c’était soudain le silence. Ma mère a lavé Henri dans le baquet à lessive, elle l’a habillé de ses beaux vêtements de Shabbat en lui donnant des vêtements de rechange. Ils se sont embrassés. Avec ma sœur Haya-Sarah, on est descendu avec lui. Il y avait une charrette en bas avec d’autres enfants. Ma sœur et moi nous l’avons suivi pour le rassurer. Puis on nous a renvoyés. Je n’ai jamais revu mon frère ».

A la mort de sa mère, sa tante Esther vient s’occuper d’eux. Elle sera déportée, elle aussi, avec Jonathan et Haya-Sarah à Auschwitz lors des dernières rafles du ghetto pendant l’été 1944 et ils seront gazés dès leur arrivée.

Jo se retrouve seul. Il rencontre Meyer Leiserovicz, un boulanger du quartier, qui habite le même immeuble. Il restera avec ses amis boulangers jusqu’à sa déportation vers Auschwitz à la fin de l’été 1944.

A Auschwitz.

Son convoi a parcouru les 250 km qui séparent Lodz d'Auschwitz en une nuit et une demi-journée. Entassées dans le wagon à bestiaux, beaucoup de personnes malades et exténuées meurent de faim et de soif.

Quand ils arrivent, il est environ midi et le ciel est bleu. « C’est d’abord avec un énorme soulagement. L’air entre dans le wagon : on est arrivé. Où ? On l’ignore, mais cela importe peu. On va pouvoir respirer et peut-être boire », raconte Jo. Dehors, il y a une grande agitation. « Il y a des soldats allemands et des hommes étranges, très maigres, en pyjamas rayés de bagnards, coiffés de bérets. » La plupart de ces hommes restent muets aux nombreuses questions posées par les nouveaux déportés. D’autres, par contre, les apostrophent : « Pourquoi vous êtes-vous laissés emmener ici, pauvres idiots ? »

Sur la rampe, un prisonnier demande son âge à Jo. Il a 15 ans. L’autre lui dit de se faire passer pour un garçon de 17 ans. Ignorant totalement ce qu’il adviendra de la grande majorité des personnes déportées, certains se disent au revoir. C’est le cas de Meyer Leiserovicz qui dit à sa femme Fela et son fils Yankel de 11 ans : « Chérie, on se revoit à la maison, après la guerre ! » Sur la rampe, Mengele sélectionne. Jo et ses copains sont du bon côté. Il reçoit le numéro 67364.

Jo est dirigé vers le camp E dit des « Gitans ». Auschwitz, c’est l’endroit de « souffrances terribles, terribles, terribles », répète t-il en prenant sa tête dans les mains. Il raconte ce souvenir qui le bouleverse au point de le faire trembler : « Mon copain a rejoint son frère, Velvo, à la chambre à gaz. Il était comme mon frère. J’ai essayé de l’en dissuader. Mais il ne voulait pas laisser son frère mourir tout seul alors que leur père était déjà mort dans le ghetto en 1942. Il s’appelait Haïm en plus ce qui signifie la vie. Il m’a repoussé de force et il est parti. C’est comme si la moitié de moi était parti avec lui. Lui, je ne peux pas l’oublier, il me colle à la peau. »

Plusieurs fois, Jo évitera les sélections pour la chambre à gaz. Une première fois, il se hisse jusqu’à l’ouverture d’aération sous le toit du bloc et saute à l’extérieur. Un autre jour, il s’aplatit dans un fossé où il parvient à se dissimuler jusqu’à la fin de la sélection. Seulement, il ne peut échapper à la troisième sélection qui l’emmène au crématoire IV avec 500 ou 600 autres détenus.

« Autour de moi, dans la cour, l’agitation est intense. Des enfants sanglotent. D’autres disent la prière des morts. Nous sommes tous affaiblis, affamés, malades. SS et kapos n’ont guère de mal à nous pousser en distribuant des coups de matraque ou des coups de fouets. On nous entasse dans une pièce de plain-pied éclairée par des lampes au plafond. On est les uns sur les autres, mais on peut bouger. Je suis entré dans la chambre à gaz parmi les derniers et c’est ce qui va me sauver. Je n’entends pas se refermer les portes étanches mais soudain les lumières s’éteignent et il me semble qu’on commence à suffoquer…Je revois ma mère dans le ghetto, amaigrie, malade, disant avant de mourir : ‘Je rêve d’un jour où je pourrai mettre la table pour mes enfants et les faire manger à leur faim !’ Je revois mon père mourant, mon petit frère montant dans un camion. Et mon oncle me suppliant : ‘Essaye de survivre’ Combien de temps cela dure t-il ? Je suis incapable de le dire. Et soudain, j’aperçois un rai de lumière. La porte s’ouvre. Et on entend ‘Raus !’ (Dehors). Je me retrouve à l’extérieur avec une cinquantaine de garçons. En me retournant j’ai le temps de voir la chambre à gaz se refermer. »

Jo apprendra que celui qui a donné l’ordre de faire sortir les détenus est Mengele. Ce dernier n’a pas supporté qu’un autre SS décide d’une sélection sans l’avertir. Pour affirmer son autorité, il a, donc, ordonné que l’on ouvre la porte et qu’on en fasse sortir des prisonniers.

Quelques temps après, Jo réussit à intégrer un commando de travail pour l’Allemagne. En novembre 1944, il quitte Birkenau par la rampe où il est arrivé. Au terme d’un voyage d’une semaine sans aucun ravitaillement, il arrive au camp de Brunswick, dans le nord de l’Allemagne. Il y réparera des poids lourds. Il est ensuite évacué comme beaucoup de détenus vers d’autres camps en Allemagne. Il sera libéré par les Américains le 2 mai 1945 au camp de Wobelin.

En Israël – La guerre de 1948.

Jo reste sur Paris pour obtenir les papiers afin de partir en Amérique. Le jour de sa convocation à l’ambassade américaine pour aller chercher son visa, il tombe sur un journal yiddish, Unzer Wort, qui annonce que la guerre a éclaté en Israël. « Alors je me suis dit : « qu’est-ce que je vais aller en Amérique maintenant ? ». Je suis parti au 83, avenue de la Grande Armée, qui était le siège de l’Agence juive. Au fond de la cour, une maison en bois, dernier étage. Je suis parti pour m’engager. »

Jo fait partie des 630 Français volontaires (Mahal), juifs et non juifs, à s’être engagés pour aider le nouvel Etat pour sa survie. Pour lui, Israël représentait tout et il était naturel d’aller se battre aux côtés de ses frères. « Si on avait eu Israël à l’époque, pendant la guerre, il n’y aurait pas eu cette horreur par laquelle on est passé. Ni les chambres à gaz, ni les fours crématoires. Il n’y aurait pas eu tout ça. Israël comptait beaucoup pour nous. Si on relève la tête aujourd’hui, c’est grâce à Israël. » Il reçoit une formation au camp d’Arenas, près de Marseille, par des instructeurs de la Haganah. « Pendant une quinzaine de jours dans un camp, on nous a enseigné l’hébreu et formés de manière intensive au maniement des armes. La nuit nous avions des entrainements pour apprendre à ne pas faire de bruit, ne pas se faire remarquer. Un jour, on nous a avertis que nous partions. Au port, il y avait un pétrolier italien qui s’appelait Fabio. Le voyage a duré onze jours car le bateau est tombé en panne plusieurs fois. Enfin, on est arrivé dans le port de Haïfa. » « On nous a emmenés dans le camp d’Atlit, près de Haïfa, où l’on nous a donnés un uniforme militaire. Ils m’ont donné mon numéro. 93205. On a intégré le Palmach, une unité de combat. » L'activité principale du Palmach tient dans la lutte pour la prise de contrôle des routes, dans la protection des convois juifs, dans les assauts contre les bandes armées arabes et dans la prise des positions ennemies. « L’ambiance était extraordinaire. N’importe où, on se tenait main dans la main. L’un aidait l’autre c’était incroyable », se souvient-il.

Ben Gourion, le Premier ministre d'alors, avait comme priorité de défendre Jérusalem et garantir la liaison avec Tel-Aviv. « Nous avions comme mission d’ouvrir la nouvelle route de Jérusalem, ‘la route de Birmanie’. La ville, à l’époque, était bloquée. Il s’agissait d’une nouvelle route pour rejoindre Jérusalem », explique Jo. Il s’agissait de remettre en usage une piste de caravanes abandonnée passant plus au sud. L’opération commence à la fin du mois de mai 1948. La brigade Harel, une des trois brigades du Palmach, est une des plus importantes. Jo fait partie du 6e bataillon.

Avec ses compagnons, Jo est transporté jusqu’au Kibboutz Hulda. Ils ont pour mission de précéder les bulldozers qui vont rendre la piste accessible aux engins blindés. La zone est tenue par la Légion arabe de Transjordanie. Les volontaires encadrent les bulldozers et progressent lentement dans la poussière des explosions. Les tirs sont de plus en plus fréquents. Jo est touché. « J’ai ressenti une violente douleur au ventre. Avant de tomber, j’ai eu le temps d’appeler un camarade. » Son état est jugé inquiétant. Il est transporté à l’hôpital militaire. A la fin de sa convalescence, il rejoint son unité près de Kastel. Pendant un engagement, une balle traverse son casque. Venant de loin, elle a perdu une grande partie de sa force d’impact. Jo ne ressent qu’une sensation de piqûre. Il est de nouveau transféré à l’hôpital d’Abou Gosh. « Il y a eu de nombreux blessés. Dans le cimetière du kibboutz Kiriat Anavim sont enterrés des copains morts au combat. » Au bout d’une semaine, il rejoint son unité. La Route de Birmanie atteint Jérusalem. La liaison Tel-Aviv-Jérusalem est rétablie.

Son unité doit maintenant ouvrir la route vers le Néguev où les combats contre l’armée égyptienne font rage. Lorsque les forces égyptiennes sont repoussées, le bataillon de Jo doit surveiller cette zone, le long de la frontière. En février 1949, l’armistice est signé avec l’Egypte. L’unité de Jo doit rejoindre le golfe d’Akaba à l’extrême sud du pays puis effectuer des patrouilles dans le Néguev.

Au printemps, Ben Gourion dissout le Palmach dont les combattants sont répartis dans différentes unités de Tsahal. Jo est affecté à la brigade Golani, section des mortiers lourds. « Je suis resté presque deux ans en Israël jusqu’à ma démobilisation. Je suis ensuite revenu en France. J’étais resté en contact avec l’Américain qui m’a libéré. Il devait me procurer des papiers pour partir en Amérique. Mais ensuite j’ai rencontré ma femme… »

Plus tard, Jo et son épouse Rachel rentrent en France. Jo s’installe à son compte, devient tailleur. Son affaire prospère. Plusieurs enfants naissent de cette union, dont Claudine l’aînée.

« Une odeur de chair et de cheveux brûlés flotte constamment dans l’air. Les fours incinérateurs ne suffisent plus, on a creusé en lisière de la forêt de grandes fosses où l’on entasse les cadavres avant de les arroser d’essence, comme à Chelmno ou à Treblinka ».

Joseph Wajsblat est mort à Paris le 18 juin 2014, à l’âge de 85 ans.

Sources.

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Publié le 26 Mars 2016

Le commandant Jean Cornuault.
Le commandant Jean Cornuault.

Jean Cornuault s’est éteint le 9 janvier 2016 au Vietnam, dans cette contrée qu’il adorait, dont il continuait à étudier la langue qu’il trouvait merveilleuse. Un pays où il était « mort » une première fois, 65 ans auparavant…

Peu savent son parcours dans les FFI, dès l’âge de 17 ans et sa participation, décrite dans les notices, à la libération de Saumur et de la poche de Saint-Nazaire (1). On retient surtout son histoire indélébile avec les terres et la culture indochinoises où il effectue son premier séjour dès 1946 et déjà dans les troupes aéroportées.

Après son intégration à l’ESMIA à Coëtquidan en 1947 (promotion "Nouveau bahut"), il rejoint de nouveau l’Indochine à l’été 1949 et une affectation de chef de section à la 3e compagnie du 1er BEP, lequel s’est établi à Hải Phòng quelques mois plus tôt. Cornuault, décrit par Pierre Sergent comme le « plus jeune officier bataillon », c’était « le cauchemar de son capitaine. Saint-Etienne, en pleine opération, se demandait souvent où se trouvait le chef de la 2e section, qui semait ses légionnaires derrière lui, comme le Petit Poucet. Mais ses hommes l’adorait, tant il avait de charme. Ils le suivaient partout, et c’était immanquablement chez les Viets » (2).

De cet officier facétieux, Sergent raconte encore : « Cornuault coupa enfin les gaz. Le repas pouvait commencer. (…) Cet animal de Cornuault n’avait-il pas inventé d’arriver en motocyclette dans la salle à manger de Gia Lam. Il faut préciser qu’il avait le plus grand mal à rouler en voiture, aucune assurance ne voulant consentir à couvrir les risques qu’il prenait. Il semblait inconscient, même à tous ces hommes qui l’étaient déjà passablement » (3).

Jean Cornuault, devenu le « juge-para »,selon l’expression du ministre de la Justice Jean Lecanuet, était l’un des fondateurs d’un groupe informel, dont la seule évocation du nom pouvait susciter la jalousie : « les Paras du Palais ». C’est là que je l’ai connu, au début des années 2000. Un regard curieux et enjôleur, une tenue toujours impeccable, le cheveu très court et le sourcil taillé. Une vivacité physique et d’esprit qui nous bluffait. Fondateur du groupe, Jean en était aussi le pilier et le héros.

Un héros taiseux, modeste, qui n’aimait pas beaucoup parler de lui. Mangeant peu, ne buvant pas, il était néanmoins satisfait de trouver des « jeunes » pour leur conter ses voyages au Vietnam et aussi parler le Russe avec notre unique adhérente, parachutiste confirmée, qui avait naguère occupé un poste à Kiev.

Il faut dire que Jean avait terminé sa carrière militaire à Moscou, comme attaché militaire de l’Ambassade de France. Il en avait profité pour perfectionner son Russe et achever sa licence en droit.

Aussi, quand quelques années plus tard, devenu juge d’instruction – et par le hasard d’un échange de permanence impromptu avec un de ses collègues – il est dépêché sur les lieux du crash du Tupolev 144, en plein meeting du salon du Bourget, il peut difficilement dissimuler sa gêne devant les « autorités soviétiques » qui s’agacent de sa présence. Amusé, Jean nous racontait : « J’aurai pu tenter de leur expliquer que c’était par un pur hasard que, seul magistrat instructeur parlant russe et ancien officier en poste à Moscou, je me retrouvais chargé de cette affaire. Mais à quoi bon ? Ils ne m’auraient jamais cru ! ».

Tous, nous connaissions le récit de ce que Jean avait enduré en Indochine, et qui appartient à l’Histoire. La sanglante bataille de la RC 4 en octobre 1950, ses deux blessures sur le Na Kheo au sud de Dong Khé, le désastre de la cuvette de Coc Xa (Louis Stien parlera d’holocauste (4)), où tous les commandants de compagnie sont tués (Jean retournera à Coc Xa à une ou deux reprises). C’est la fin du BEP, la grande marche pour les survivants, puis quatre longues années de détention au camp n°1, ponctuées de nombreux déplacement et de brimades en tout genre.

Avec son camarade Louis Stien, notamment, il tentera de s’évader en mai 1951, dans des conditions qu’on imagine impossibles, mais toujours avec la même audace. Stien raconte ainsi que Cornuault, placé en tête du groupe d’évasion et tombant en pleine nuit nez à nez avec une compagnie viet sur l’étroite piste, décide de « bluffer », les bodois qu’ils croisent en remontant toute la file côte à côte…

Dans un des rares témoignages qu’il a laissé – resté anonyme et modestement signé d’« un des lieutenants du 1er BEP » – Jean raconte un épisode sa détention (5). Repris après son évasion, il est mis « aux buffles » où il est attaché jour et nuit. Une nuit, il est réveillé par des hommes armés : « Je suis sorti de la maison, tenu en laisse, deux ou trois pistolets-mitrailleurs dans le dos. J’ai conservé dans ma mémoire le souvenir de la ligne de collines visible dans l’obscurité et celui, aussi précis, de mes pensées, réduites à une seule : cette fois, ça y est. J’étais parfaitement calme et détendu, attendant la rafale. Ce jour-là j’ai vu la Mort et depuis je "fais du rab". (C’est assez dire que dans la suite de ma carrière, décorations, avancement et opinions des diverses hiérarchies sur mon compte ne m’ont jamais beaucoup préoccupé). La rafale n’est pas venue. Il s’agissait en fait d’un interrogatoire par le chef de camp sur la préparation et le déroulement de mon évasion, interrogatoire qu’il avait fait précéder d’une petite mise en scène destinée sans doute à me mettre en condition… ».

Bien plus tard, alors qu’il procède à une audition dans son cabinet d’instruction, le « Juge-para » balaie d’un revers de la main les menaces de mort que lui adresse… Jacques Mesrine. Tout en l’invitant à passer à l’action, il lui oppose calmement « Vous savez, j’ai déjà vu la mort et depuis je "fais du rab" ». Le respect prévaudra désormais dans leurs rapports.

Ce n’est que récemment que Jean Cornuault avait entrepris d’écrire sur sa vie. Ses mémoires, intitulés « Du sabre à la toge. Itinéraires d’un parachutiste » étaient parus en mars 2015 chez Indo Éditions. Un livre à lire, sans aucun doute.

Philippe Rignault, lieutenant de réserve (1er RHP), avocat au barreau de Paris et membre des "Paras du Palais".

  1. Officier de la Légion d’honneur, croix de guerre 1939-1945 (obtenue comme « SAS »), croix de guerre des T.O.E. (Indochine), croix de la valeur militaire (Algérie), 7 citations, médaille des évadés, 2 blessures de ‪guerre, il s’était notamment illustré au Na-Kéo, durant la bataille de la RC4 comme chef de section au 1er BEP. Fait prisonnier quelques jours plus tard, il avait subi 4 ans de captivité au camp n°1 (octobre 1950-septembre 1954). Il avait enchaîné avec la guerre d’‪Algérie où il fut un soldat digne d’éloges. De retour d’Algérie, il avait été chef de bataillon au 9e RCP.
  2. Pierre Sergent, Je ne regrette rien, Fayard - 1972, p. 54
  3. Ibid., p. 57
  4. Louis Stien, Les soldats oubliés, Albin Michel, 1993
  5. http://www.indochine-souvenir.com/recits/tem07_campn1.pdf


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NDLR : avant d’écrire ses mémoires, Jean Cornuault avait à plusieurs reprises évoqué quelques événements de sa vie. En voici deux :

Premiers pas derrière le Rideau de Bambou

Le 17 septembre 1950; à l'âge de 23 ans, je servais à la Légion Etrangère en qualité de lieutenant chef de section au Premier Bataillon Etranger de Parachutistes (1er B.E.P.). Ce jour-là nous avons sauté à That Khê, sur la RC4, dans le cadre de ce qui devait devenir le premier désastre de l'histoire de la Guerre d'Indochine, à savoir l'évacuation du poste de Cao Bang.

Je ne dirai rien sur l’histoire des combats, maintes fois décrite dans de nombreux ouvrages. En ce qui me concerne, deux fois blessé le 3 octobre sur le Na Khéo près de Dong Khé, j’ai participé ensuite aux combats de Côc Xa qui virent L’anéantissement du 1er B.E.P. A partir du 7 octobre, après la dispersion des unités, j’ai marché dans la jungle sans soins et sans nourriture jusqu’à That Khé que j’ai atteint le 12 au soir pour voir ce poste français occupé par les Vietminh. Il avait été évacué le 10. Je me suis caché dans des buissons avec l'intention de repartir le lendemain matin. Sans doute aperçu par des paysans, j'ai été capturé par des bodois (nom des soldats en vietnamien), peu après le lever du jour.

Les bodois m’ont emmené courtoisement vers une petite maison de paysan où se trouvait leur officier. J’avais mes vêtements déchirés et un essaim de mouches avait élu domicile sur ma cuisse droite blessée. J’ai été accueilli par un jeune homme de mon âge qui m’a dit dans un français sans accent : « tu as un grade, toi ? » Je lui ai répondu que j’étais lieutenant chef de section. Il m’a dit : « moi aussi. Il y a longtemps que tu n’as pas « bouffé ? » Sur ma réponse affirmative il m’a dit : « viens, tu vas bouffer avec nous ». Nous nous sommes assis tous les deux sur le lit bas de l’unique pièce de cette masure et ses hommes nous ont servi un menu que je n’ai jamais oublié, du riz et une soupe de potiron. Nous avons parlé métier. Ensuite nous nous sommes séparés, lui poursuivant la guerre et moi franchissant le rideau de bambou pour quatre ans de captivité. Quand je raconte cette rencontre et son atmosphère cordiale, je dis toujours que si ce jeune officier vietminh avait été un camarade de promotion rencontré par hasard lors d’une opération, notre relation n’aurait pas été différente. Nous avions le même âge, la même langue, le même grade et la même fonction. Seule l’Histoire nous séparait…et nous dépassait... A l’infirmerie, sise dans l’école du village, où mon hôte m’avait fait conduire après le repas, j’ai retrouvé quelques officiers blessés dont le lieutenant Faulques, grièvement atteint, et qui devait être rapatrié sanitaire par avion quelques jours plus tard. Pendant ce séjour nous avons eu de nombreuses visites d’officiers vietminh, manifestement heureux de parler français. Tous sortaient des établissements d’enseignement français.

Je me souviens de l’un deux, sympathique médecin, qui m’a dit qu’un jour, dans une réunion d’étudiants, une jeune Française de ses condisciples lui avait donné un coup d’éventail. On connaît l’importance des coups d’éventail dans l’Histoire. Cette anecdote illustre ce que tous évoquaient, à savoir le peu de considération avec laquelle ils étaient traités dans leur propre pays par ce qu’il faut bien appeler le Colonisateur, notamment par une grande partie des « petits blancs », lesquels ne parlaient qu’avec mépris des « Nhacs », abréviation de nhà qué, paysan, mot devenu depuis péjoratif et injurieux au Viet Nam. En outre peu de postes de responsabilité étaient réservés aux intellectuels locaux. Tous ces officiers d’unités combattantes étaient des nationalistes, déclarant se battre contre le régime colonial mais ne cachant pas leur sympathie pour la France, sa langue et sa culture. Aucun n’a jamais fait référence dans ses propos à l’idéologie communiste.

Ce n’est qu’en arrivant au camp n° 1, nom du camp ou étaient détenus les officiers prisonniers, que j’ai découvert les références au Communisme à travers le vocabulaire utilisé par nos geôliers. Choisis sans doute dans la précipitation, nos premiers chefs de camp étaient manifestement des rustauds peu préparés à cette fonction. Il faut noter toutefois qu’aucun pays en temps de guerre n’affecte ses meilleurs officiers à ces postes…

Ce camp n’était pas un « camp » au sens propre. Nous étions logés par petits groupes d’une dizaine dans les maisons de villages perdus dans le nord-est du pays en cohabitant avec les propriétaires et leur famille. Nos conditions d’existence étaient misérables, pieds nus, vêtus légèrement de tenues de paysan en toile. La nourriture se composait uniquement de riz et d’un bouillon clairet. Ceci est une autre histoire. Ces quatre ans de captivté ont été parfaitement décrits par mon camarade ce combat, de captivité et d'évasion, Louis Stien, dans son livre « Les soldats oubliés » publié aux Editions Albin Michel.

Expérience inoubliable

J'ai vécu au Camp N° 1, nom donné par le Commandement Vietminh au camp d'Officiers prisonniers, du 13 octobre 1950 au début septembre 1954, fin de la guerre d'Indochine pour la France, soit près de quatre ans.

Pendant cette période, début mai 1951, j’ai fait avec deux camarades une tentative d’évasion. Cette évasion a été racontée par l’un d’eux, Louis Stien, dans son livre « Les soldats oubliés », Editions Albin Michel. Repris après quelques jours et ramenés au camp soigneusement ficelés par notre escorte, nous avons été séparés et enfermés chacun dans des étables obscures situées sous des maisons, toutes sur pilotis dans cette région. Après une semaine, attachés jour et nuit, nous n’avons plus été attachés que la nuit. L’obscurité empêchait toute chasse aux poux qui proliféraient impunément dans nos vêtements. Pour compléter le tableau les buffles, les porcs et les canards se déplaçaient, eux librement, dans l’étable boueuse. Notre nourriture se composait uniquement d’un peu de riz et de sel.

C’est là que se place cette expérience inoubliable, moment de ma vie qui a eu une importance capitale dans le regard que j’ai porté par la suite sur l’existence. Pendant la semaine au cours de laquelle j'étais isolé et attaché jour et nuit, j’ai été réveillé une nuit par quelques hommes armés, à la mine sombre, qui m’ont dit : « Partir chef de camp ». Il est à préciser qu’à l’époque, des prisonniers évadés n’ont jamais été revus et ont été simplement « liquidés ». Je suis sorti de la maison, tenu en laisse, deux ou trois pistolets-mitrailleurs dans le dos. J’ai conservé dans ma mémoire le souvenir de la ligne de collines visible dans l’obscurité et celui, aussi précis, de mes pensées, réduites à une seule : « cette fois, ça y est ». J’étais parfaitement calme et détendu, attendant la rafale. Ce jour là j’ai vu la Mort et depuis je « fais du rab ». (C’est assez dire que dans la suite de ma carrière, décorations, avancement et opinions des diverses hiérarchies sur mon compte ne m’ont jamais beaucoup préoccupé). La rafale n’est pas venue. Il s’agissait en fait d’un interrogatoire par le chef de camp sur la préparation et le déroulement de mon évasion, interrogatoire qu’il avait fait précéder d’une petite mise en scène destinée sans doute à me mettre en condition….

Environ une heure plus tard j'ai été ramené dans mon étable... Quelques jours après cet épisode, j'ai retrouvé mes deux camarades d'évasion. Nos conditions de vie se sont améliorées. En effet, nous n'étions plus attachés que la nuit... Quand nous avons eu la possibilité de chasser nos poux, je me souviens de la première chasse : 250 têtes... Cette intéressante aventure humaine a duré quatre mois, à l'issue desquels nous avons rejoint nos camarades de captivité et repris ce qu'il faut bien appeler, par comparaison, une vie normale...

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #Indochine

Publié le 12 Mars 2016

La passe d’Amogjar dans le nord de la Mauritanie (région de l’Adrar, non loin d’Atar).
La passe d’Amogjar dans le nord de la Mauritanie (région de l’Adrar, non loin d’Atar).

Brève présentation de la Mauritanie.

La Mauritanie est un pays du nord-ouest de l’Afrique qui possède une côte de 600 km sur l’océan Atlantique et qui s’étire de Ndiago au sud jusqu’à Nouadhibou au nord. Elle est limitrophe de l’Algérie et du Maroc au nord, du Mali à l’est et du Sénégal au sud.

La Mauritanie constitue un point de passage entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, ce qui en fait un pays pluriethnique. Elle est peuplée de négro-africains, les premiers habitants (Peuls, Soninkés, Wolofs, Bambaras), de maures Arabo-Berbères et d’Haratins, dit « Maures noirs ». Son nom lui vient de la Maurétanie romaine, désignant le territoire des Maures, peuple berbère dans l’Antiquité. La capitale de l’actuelle Mauritanie est Nouakchott.

Période coloniale.

Les Portugais avaient déjà eu des contacts avec les habitants du banc d’Arguin dès le 17e siècle. Puis, au fil du temps, le commerce de la gomme au nord du Sénégal se développe. Le fort Portendick au nord du fleuve Sénégal ainsi que la vallée du Sénégal deviennent une région servant de base à l’expansion économique des colonies. Le général français Louis Faidherbe (1818-1889), gouverneur de la colonie française du Sénégal, considère que les émirats sont source d’insécurité et commence par annexer l’empire du Oualo avant de conquérir l’autre rive du fleuve. Plus tard, les Maures du Trarza (sud-ouest de l’actuelle Mauritanie) tentent d’instaurer une paix entre les tribus, mais dès 1899 l’administrateur Xavier Coppolani (1866-1905) institue une Mauritanie occidentale.

En fait Coppolani s’inspire de la pacification menée par le général Gallieni à Madagascar. Parti de Saint-Louis du Sénégal, il entre en contact avec les tribus maures du Hodh et de l’Azaouad. Geneviève Désiré-Vuillemin, sa biographe, indique : « Il fut bien accueilli par les Maures à qui sa haute taille, sa prestance, mais surtout sa connaissance de leur langue et leur religion, en imposaient ». Coppolani obtient l’allégeance de plusieurs tribus, puis pénètre dans Tombouctou.

Avec ce grand serviteur des affaires musulmanes du ministère des Colonies va s’effectuer la première phase d’implantation française dans les régions situées sur la rive septentrionale du fleuve Sénégal, avec l’ancrage au Trarza en 1903, au Brakna en 1904, au Tagant en 1905.

Il s’oppose à trois marabouts : Cheikh Sidiya Baba (Trarza, Brakna et Tagant), Cheikh Saad Bouh (Tagant et Sénégal) et Cheikh Ma Al Aynin (chef de l’Adrar) au nord). D’ailleurs, c’est en marchant vers cette région du nord qu’il est tué le 12 mai 1905 à Tidjikdja (son tombeau s’y trouve toujours).

Sous l’impulsion du général Henri Gouraud (1867-1946) les Français s’établissent dans l’Adrar en 1908 puis au Hodh en 1911. En 1920, la Mauritanie devient une des colonies de l’Afrique Occidentale Française (AOF). Totalement pacifiée en 1934, la Mauritanie n’est pas vraiment développée économiquement. Administrée depuis Saint-Louis du Sénégal, la Mauritanie accède au statut de territoire d’outre-mer en 1946 puis, dans le cadre de la Loi Defferre de 1956, met en place un pouvoir exécutif local. Douze années plus tard, une constitution est adoptée. Enfin, en 1960, le pays est déclaré indépendant.

Fort Gouraud et Fort Trinquet.

Pendant la domination française plusieurs forts sont construits par l’armée. Y sont implantés des détachements de troupes coloniales, entre autres, dans le but de pacifier et de surveiller à la fois le massif de l’Adrar, les oasis et le Sahara. En Mauritanie, il s’agit :

  • Fort Gouraud, wilaya du Tiris Zemmour dans le nord du pays.
  • Fort Trinquet (aussi base aérienne secondaire), encore plus au nord.
  • Fort Repoux à Akjout (centre ouest du pays).
  • Fort de Chegga (frontière nord du Mali).
  • Fort d’Aïn Ben Tili (au nord, à la frontière avec le Maroc).

Sur un site Internet, appelé Le jardin d’Idoumou, René, un ancien militaire de Fort Gouraud témoigne : « En mai 1933, un poste permanent a été installé dans la Sbkha d’Idjil, appelé Fort Gouraud. Il aurait été réalisé par la Légion étrangère ou les troupes Méharis, puis il a été occupé par le 12e escadron saharien de découverte et de combat (ESDC), infanterie de marine, jusqu’au 3e trimestre de 1965, date à laquelle il a été remis à l’armée mauritanienne. La vie au fort était rythmée par des horaires adaptés à la chaleur ambiante : travail de 8h00 à 11h00 puis de 16h00 à 19h00. Nous étions chargés de l’entretien des camions et du fort. Nous effectuions des patrouilles jusqu’à la frontière voisine du Maroc espagnol. Nous étions ravitaillés par voie aérienne une fois par semaine. Pour l’eau, un camion citerne faisait deux rotations par jour compte tenu de la distance pour aller la quérir. Notre mission consistait à surveiller la frontière entre le Maroc espagnol et la Mauritanie. Par la suite, nous avons assuré la sécurité de la mine de fer (la MIFERMA). Cette dernière a été nationalisée quelques années après notre départ. Le fort était composé d’une cinquantaine d’hommes. Le plus haut gradé était un lieutenant. Nous avions environ 13 camions de marques Dodge et Berliet. Je garde un excellent souvenir de ce temps-là, tant pour la beauté du paysage que pour la débrouillardise qu’il fallait développer pour vivre dans ce pays ».

Fort Trinquet.

Serge, un ancien militaire du Fort Trinquet a également témoigné sur ce site : « Fort Trinquet était situé au nord de la Mauritanie sur la piste impériale n°1, à 15 km du Rio de Oro (Maroc espagnol). Nous étions un effectif d’environ 300 hommes toutes armes confondues. Il y avait le train, dont je faisais partie, l’infanterie de marine, l’aviation, les goumiers et même à un moment la Légion étrangère. Les goumiers, principalement des Mauritaniens, avaient un sens inné de l’orientation. Ils se repéraient de points fixes en points fixes et avaient une parfaite connaissance du terrain. Ils étaient capables de trouver un point d’eau au milieu de nulle part. Notre mission était de surveiller les frontières pour éviter les infiltrations (nous étions en pleine guerre d’Algérie, avec en plus, des troubles du côté du Maroc espagnol). Nous disposions d’un important matériel : Land Rover, camions Simca Ford, camions Citroën C45, avions Nord Atlas, avions DC3 Dakota… Les camions ravitaillaient localement et nous transportaient. Les avions faisaient la liaison avec Dakar. La vie au camp était rythmée en fonction de la chaleur, des missions et des servitudes liées aux besoins du camp. Nous étions accueillis merveilleusement dans les villages. Souvent, des chameliers venaient se reposer et faire fourrager les chameaux avant une longue errance dans la désert. Il nous arrivait même de faire la fête avec des caravaniers. »

Le cimetière militaire d’Atar.

Le cimetière d’Atar, dans l’Adrar, témoigne de cette présence française en Afrique, de cinquante ans de pacification du Sahara à partir du sud algérien, des rives gauches du Sénégal, du Niger et du Tchad. Parmi les derniers combats des unités méharistes des troupes coloniales, ceux de Mauritanie ont été des plus difficiles en raison des conditions géographiques et climatiques du pays.

Le cimetière d’Atar, d’une superficie de 60 ares, abrite encore 252 tombes dont 176 soldats africains de confession musulmane ou chrétienne, 6 tombes d’épouses de militaires africains, 22 tombes d’enfants de militaires africains, 44 tombes de soldats français, 3 sépultures d’enfants de soldats français et une tombe d’un civil français. Certains de ces corps ont été transférés dans les cimetières d’Amatil ou de Fort Dérile, lors de la désaffectation de ces cimetières.

Le cimetière a été totalement restauré en 2003 et 2004 par la mission militaire française en Mauritanie, grâce aux crédits mis en place par la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives du ministère de la Défense. Il est entretenu par un agent appointé par elle.

Sources :

  • Encyclopédie Universalis, dictionnaire Larousse, encyclopédie Wikipédia.
  • Service historique de la Défense – Site « Mémoire des hommes » et site « Chemins de la Mémoire » du ministère de la Défense.
  • Site « Atlas des nécropoles » du ministère de la Défense.
  • Site www.idoumou.com
  • Georges Coppolani, Xavier Coppolani, fils de Corse, homme d’Afrique : fondateur de la Mauritanie, L’Harmattan, octobre 2005.
  • Geneviève Désiré-Vuillemin, Mauritanie Saharienne, L’Harmattan, septembre 1999.
Le cimetière militaire d'Atar, en Mauritanie.
Le cimetière militaire d'Atar, en Mauritanie.

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Publié le 9 Mars 2016

54e anniversaire du cessez-le-feu en Algérie.

Le samedi 19 mars 2016, se dérouleront les cérémonies célébrant le 54e anniversaire du cessez-le-feu en Algérie. Depuis 2012, les Pouvoirs Publics ont décidé d’appeler cette commémoration : « Journée nationale du Souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc ».

A Issy-les-Moulineaux, les cérémonies seront organisées par l’UFAC. Le programme est le suivant :

  • 8h20 : rassemblement sur le parking du CENT et départ en car.
  • 8h45 : église Saint-Bruno, 14 rue de l’Egalité. Messe du Souvenir.
  • 10h00 : place du 19 mars 1962 (en face du n°33 bis de la rue Jean-Pierre Timbaud) : dépôt de gerbes, minute de silence et lecture de l’ordre du jour n°11.
  • 10h20 : monument aux morts, square Bonaventure Leca. Dépôts de gerbes, discours de Monsieur Roger Fleury, président de la FNACA et de l’UFAC.
  • 10h45 : vin d’honneur dans le salon Elysée de l’Hôtel de Ville.

Le même jour, dans l’après-midi, les tombes des Morts en Algérie au cimetière communal, situé au 57 rue de l’Egalité, seront fleuries.

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Publié le 21 Février 2016

Les Isséens tués à Verdun 2/2.

Juin 1916.

  • 4 juin : Georges Souchet, 2e classe au 101e RI (casernement à Saint-Cloud et Paris – en 1914, au moment de la retraite, le 101e reviendra jusqu’à Paris, à la porte de Pantin ; des soldats repartiront au front dans les fameux Taxis de la Marne). Né le 17 septembre 1895 à Paris. « Disparu au combat en date du 4 juin 1916. Date fixée par le Tribunal civil de la Seine en date du 6 mai 1921 ».
  • 15 juin : Joseph Cosmeur, soldat de 2e classe au 410e RI (régiment de réserve ayant le camp Coëtquidan pour lieu de rassemblement de réservistes bretons, normands et de l’est de la France). Né le 19 mars 1880 à Floutech dans les Côtes du Nord (Côtes d’Armor). « Mort des suites de ses blessures à l’hôpital temporaire de Revigny dans la Meuse.
  • 23 juin : Joseph Lanaud, soldat de 2e classe au 407e RI (régiment de réserve ayant pour lieu de regroupement le camp de Châlons à Cuperly dans la Marne). Né le 22 mars 1885 à Peintre dans le Jura. « Tué à l’ennemi à Vaux ».
  • 26 juin : Maurice Motto, soldat de 2e classe au 220e RI (venu du 11e RI). Né le 26 juin 1895 à Paris. A Verdun, en 20 jours, le régiment perd 820 hommes. « Tué à l’ennemi à Fleury (Meuse) ».

Juillet 1916.

  • 7 juillet : Paul Bailly, soldat de 2e classe au 407e RI (se reporter plus haut). Né le 25 septembre 1895 à Nevers dans la Nièvre. « Blessure de guerre à Fleury dans la Meuse ».
  • 11 juillet : Alexandre Trochon, soldat de 2e classe au 370e RI (ce régiment sera dissous après les mutineries de 1917). Né le 18 mai 1878 à Chartres. « Tué à l’ennemi au Bois de Vaux (Verdun) ».
  • 15 juillet : Marcel Boudet, soldat de 2e classe au 130e RI (casernement à Mayenne – en Champagne, en 1915, le régiment perd 1.500 hommes). Né le 7 avril 1897 à Sablé dans la Sarthe. « Mort sur le terrain à Douaumont dans la Meuse ».

Août 1916.

  • 4 août : Martial Chabiron, soldat de 2e classe au 96e RI (casernement à Béziers et Agde). Né le 1er mars 1889 à Ardilly. « Disparu à Thiaumont (Meuse) ».
  • 7 août : Marcel Boissy, soldat de 2e classe au 134e RI (13 citations – le régiment est anéanti en 1914 où il perd près de 3.000 hommes, et à nouveau en 1915 avec 1.200 hommes). Né le 17 mars 1896 à Paris. « Tué à l’ennemi à Fleury-devant-Douaumont ».
  • 15 août : Jacques Riviero, soldat de 2e classe au 134e RI (se reporter avant). Né le 27 février 1879 à Cannes. « Mort des suites de blessures de guerre à l’ambulance 4/54 de Landrecourt dans la Meuse ».
  • 18 août : François Jean, soldat de 2e classe au 143e RI (se reporter avant). Né le 12 mai 1893 à Alfortville dans le Val de Marne (département de la Seine à l’époque). « Tué à l’ennemi à Vaux Chapitre (Meuse) ».
  • 24 août : Albert Zolla, 2e canonnier conducteur au 105e régiment d’artillerie lourde. Né le 17 octobre 1897 à Paris. « Mort des suites de blessures de guerre à l’ambulance 3/5 de Froides (Meuse) ».
  • 25 août : Alfred Crouet, soldat de 2e classe au 80e RI (casernement à Narbonne). Né le 9 décembre 1897. « Tué à l’ennemi à Fleury (Meuse) ».

Septembre 1916.

  • 5 septembre : Joseph Steiner, soldat de 2e classe au 24e régiment d’infanterie territoriale (casernement au Havre). Né le 1er janvier 1875 à Dabo en Alsace-Lorraine. « Disparu au tunnel de Tavannes – Tué à l’ennemi ». La tragédie du tunnel de Tavannes a fait l’objet d’un article sur ce site.
  • 7 septembre : Augustin Blanc, sous-lieutenant au 346e RI (régiment de réserve du 146 avec Toul pour lieu de regroupement). Né le 23 mai 1881 au Puy-en-Velay en Haute-Loire. « Mort de blessures de guerre à la Ferme de Maujouy dans la Meuse ».
  • 12 septembre : Camille Haurigot, soldat de 2e classe au 104e RI (le 104 était l’un des régiments de Paris – il participa à l’épisode des taxis de la Marne). Né le 2 janvier 1895 à Meudon. « Tué par éclats de grenades à Fleury-Thiaumont. Tué à l’ennemi ».

Octobre 1916.

  • 6 octobre : Edouard Ablin, soldat de 2e classe au 507e RI. Né le 27 juin 1888 à Paris. « Tué à l’ennemi à Vaux Chapitre (Meuse) ».
  • 26 octobre : Jean Henry, sergent au 4e régiment de zouaves (régiment de Tunis et Bizerte). Né le 19 février 1890 à Issy. « Tué à l’ennemi à Douaumont (Meuse) ».

Novembre 1916.

  • 8 novembre : Paul Petitpa, caporal au 4e RI (régiment ayant pour casernement la ville d’Auxerre). Né le 7 février 1882 à Paris. « Tué à l’ennemi à Vaux (Meuse) ».
  • 17 novembre : Léonide Wallerand, aspirant au 8e régiment de tirailleurs de marche (régiment décimé et reconstitué à cinq reprises – 5 citations à l’ordre de l’armée). Né le 12 septembre 1896 à Denain (Nord). « Tué à l’ennemi à Douaumont ».

Décembre 1916.

  • 5 décembre : Louis Delcorde, soldat de 2e classe au 246e RI (régiment de réserve avec Paris pour lieu de regroupement). Né le 10 décembre 1876 à Paris. « Tué à l’ennemi à Esnes (Meuse) ».
  • 11 décembre : Albert Guitton, caporal au 8e régiment de tirailleurs de marche (se reporter ci-avant). Né le 18 février 1889 à Tremblay en Ille-et-Vilaine. « Disparu à la Côte 318 (Meuse) ».
  • 15 décembre : Henri Guinet, sous-lieutenant au 2e régiment de tirailleurs de marche (régiment établi en Algérie – 7 citations dont une reçue pour ses combats à Verdun tout au long de l’année 1916). Né le 1er 1889 à Chaville dans le département de Seine-et-Oise (aujourd’hui Hauts-de-Seine). « Tué à l’ennemi à Douaumont ».

Sources :

  • Analyse du Souvenir Français d’Issy-les-Moulineaux.
  • Site Internet : « Mémoire de hommes » du Service historique de la Défense.
  • Les photographies viennent des archives de l’ECPAD.
  • Site Chtimiste – www.chtimiste.com
  • Archives de la Grande Guerre.
  • Inventaire sommaire des archives de la Guerre, de J. Nicot et J.C. Devos, 1975.
Les Isséens tués à Verdun 2/2.

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Publié le 21 Février 2016

Les Isséens tués à Verdun - 1/2

Terribles statistiques.

En 1914, la population française est d’environ 39,5 millions d’habitants. Près de 8.000.000 d’hommes seront mobilisés entre 1914 et 1918 dont 565.000 environ sont originaires des colonies. A la fin de la guerre, la France compte près de 1.400.000 tués et 4.300.000 blessés (coloniaux compris).

Le Comité du Souvenir Français d’Issy-les-Moulineaux a étudié le monument aux morts de la ville, place Bonaventure Leca. Celui-ci compte 860 noms d’Isséens morts pendant la Première Guerre mondiale. Ce nombre est à rapprocher avec la population locale de l’époque qui oscillait entre 22.000 et 23.000 habitants. Si l’on répartit celle-ci entre 50 % de femmes et 50 % d’hommes, et que l’on retire tous les jeunes garçons et les plus de 40 ans (législation de l’époque – plus tard les soldats de la territoriale seront appelés aussi et certains auront jusqu’à 50 ans), 860 morts devient un nombre terrifiant en rapport d’une population masculine mobilisable de peut-être 5.000 à 6.000 hommes !

Si l’on continue cette comparaison – sans aucune vérité scientifique – alors on peut appliquer les statistiques nationales à la population locale : 860 morts, cela implique environ plus de 2.500 blessés pour la commune. Soit, peut-être, 50% des appelés !

Tous ne sont pas morts à Verdun. Mais Verdun fut la plus terrible des batailles de la Première Guerre mondiale (se reporter à l’article qui vient d’être publié sur ce site). Pour illustrer ce qui a été indiqué, voici une partie de la liste des Isséens (donc ceux qui habitaient la commune au moment de leur incorporation) qui sont morts pendant cette bataille de Verdun, soit du 21 février 1916 à décembre de la même année, en ordre chronologique. Liste non exhaustive, car il convient d’indiquer que notre Comité du Souvenir Français a pu étudier 604 fiches individuelles sur 860 tués, soit environ 70%

Février 1916.

  • 22 février : Juste Bezet, soldat de 2e classe au 233e régiment d’infanterie (RI – casernement à Arras dans le Pas-de-Calais). Né le 18 mai 1880 dans le Pas-de-Calais. « Tué à l’ennemi ».
  • 23 février : Félix Favelot, soldat de 2e classe au 327e RI (casernement à Valenciennes dans le Nord). Né le 14 septembre 1879 à Paris. « Tué à l’ennemi au bois de Wavrille (Meuse) ».
  • 28 février : Marie-Jules Valtin, soldat de 2e classe au 44e régiment territorial d’infanterie (casernement à Verdun – le régiment sera dissous en mars 1918). Né le 24 novembre 1872 dans le département de Meurthe-et-Moselle. « Mort des suites de ses blessures à l’ambulance 3/5 de Clermont-en-Argonnes ».
  • 29 février : Auguste Barbé, soldat de 2e classe au 303e RI (casernement à Alençon – régiment de réserve du 103e – en octobre 1915, plusieurs explosions de mines ensevelissent près de 200 hommes). Né le 28 août 1886 à Grazay en Mayenne. « Tué à l’ennemi ».

Mars 1916.

  • 3 mars : Gustave Reisser dit Thomas, caporal au 22e régiment d’infanterie territoriale (casernement à Rouen). Né le 3 mars 1876 en Alsace-Lorraine (alors occupée par les Prussiens). « Tué à l’ennemi à Douaumont ».
  • 7 mars : Auguste Moutard, soldat de 2e classe au 34e régiment d’infanterie territoriale (casernement à Fontainebleau). Né le 18 octobre 1873 à Ris-Orangis. « Tué à l’ennemi dans les combats de Verdun ».
  • 10 mars : Marcel Laudé, soldat de 2e classe au 3e bataillon de chasseurs à pied (casernement à Saint-Dié). Né le 4 novembre 1889 à Crépy-en-Valois dans l’Oise. « Tué à l’ennemi au fort de Vaux ».
  • 13 mars : Adrien Patry, soldat de 2e classe au 16e bataillon de chasseurs à pied (casernement à Labry en Meurthe-et-Moselle – à l’automne 1915, seuls 150 hommes du régiment sont encore valides). Né le 16 octobre 1888 à Paris dans le 15e arrondissement. « Mort de blessures de guerre à l’ambulance 1/2 de Verdun ».
  • 14 mars : Achille Bicheray, soldat de 2e classe au 3e bataillon de chasseurs à pied (se reporter ci-avant). Né le 21 mai 1889 à Asnières. « Tué à l’ennemi ».
  • 16 mars : Alfred Maraldi, soldat de 2e classe au 154e RI (casernement à Lérouville dans La Meuse – fin 1916, quelques soldats en premières lignes tentent une approche de fraternisation avec des soldats allemands, séparés de seulement quelques mètres). Né le 26 août 1892 à Paris. « Tué au Mort-Homme à Verdun. Décès fixé disparu au combat par décision du 30 septembre 1920 ».
  • 23 mars : Alfred Lemaire, 2e canonnier servant à la 2e batterie du 45e régiment d’artillerie (casernement à Orléans). Né le 7 décembre 1893 à Vanves. « Décédé à l’hôpital de Sainte-Menehould des suites de blessures de guerre ».

Avril 1916.

  • 8 avril : Albert Gladines, soldat de 2e classe au 160e RI (casernement à Toul – en 1915 le régiment perd 1.000 hommes dans l’offensive en Artois). Né le 8 août 1888 à Paris. « Tué à l’ennemi ».
  • 8 avril : Charles Piesses, soldat de 2e classe au 24e RI (casernement à Paris et Fort d’Aubervilliers). Né le 26 décembre 1895 à Paris. « Tué à l’ennemi à Vaux ».
  • 9 avril : Robert Ribot, 2e classe au 32e RI (casernements à Tours et Châtellerault). Né le 2 septembre 1880 à Issy. « Tué à l’ennemi ».
  • 14 avril : Louis Delcey, 2e classe au 227e RI (casernement à Dijon – fin 1916, le régiment part faire la guerre en Orient). Né le 11 mai 1882 à Dôle dans le Jura. « Mort des suites de blessures, à Brocourt dans la Meuse ».
  • 18 avril : Gilbert Bourdelier, 2e classe au 287e RI (casernement à Saint-Quentin – régiment de réserve du 87e RI). Né le 3 août 1878 à Cossaye dans la Nièvre. « Tué à l’ennemi, au Mort-Homme dans la Meuse ».

Mai 1916.

  • 5 mai : Xavier Laforêt, 2e classe au 290e RI (régiment de réserve du 90e RI – casernement à Châteauroux – à Verdun le régiment perd 800 hommes). Né le 18 mai 1877 à Gelon dans le département de l’Indre. « Tué à l’ennemi à la Côte 304 dans la Meuse ».
  • 14 mai : Honoré Gralle, soldat de 2e classe au 2e RI (casernement à Granville dans la Manche). Né le 4 novembre 1879 à Saint-Servan en Ille-et-Vilaine. « Mort pour la France le 14 mai 1916, des suites de ses blessures à l’hôpital de Sainte-Menehould ».
  • 16 mai : Pierre Dugué, 2e classe au 354e RI (casernement à Bar-le-Duc – régiment de réserve du 154e RI). Né le 22 août 1885 à Vitry-sur-Seine. « Tué à l’ennemi à Verdun dans la Meuse ».
  • 22 mai : Jean Jetain, soldat de 2e classe au 151e RI (casernement à Verdun – en 1914, entre août et octobre, le régiment a plus de 1.500 tués). Né le 8 avril 1892 à Plestin-les-Grêves dans les Côtes du Nord (Côtes d’Armor). « Tué à l’ennemi au Mort-Homme dans la Meuse ».
  • 23 mai : Etienne Billard, 2e classe au 69e bataillon de chasseurs à pied (casernement à Epernay). Né le 20 septembre 1884 à Igornay en Saône-et-Loire. « Porté disparu dans les Carrières d’Houdromont à Verdun (Meuse) ».
Les Isséens tués à Verdun - 1/2

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Publié le 19 Février 2016

Un tranchée à Verdun - Copyright: Wikimedia.
Un tranchée à Verdun - Copyright: Wikimedia.

« La plus grande bataille du monde ».

On l’a surnommé ainsi. Peut-être. Mais il est certain qu’elle fut l’une des plus effroyables.

Ce ne sont pas seulement les morts qui donnent à Verdun sa place particulière dans l’histoire. Lancée en plein hiver, le 21 février 1916, Verdun fut l’offensive la plus longue de toute l’histoire de la Première Guerre mondiale et devint un symbole de la volonté de la France. La boucherie se poursuivit pendant dix longs mois. L’hiver céda la place au printemps, puis à l’été, puis à l’automne, et ce fut à nouveau l’hiver. Peut-être 150.000 soldats français tués et presque deux fois plus de blessés ; autant du côté allemand. Pourtant, à la fin, les lignes étaient à peu près au même endroit qu’au commencement.

L’architecte de cette bataille, l’homme qui avait promis que trois Français mourraient pour chaque Allemand, était le général Erich von Falkenhayn, commandant en chef de l’état-major. Cet aristocrate junker, avait pris la place de von Moltke, fin 1914, après la dépression de ce dernier à la suite de l’échec du Plan Schlieffen. Falkenhayn était relativement jeune pour ce poste : il n’avait que 53 ans au début de la guerre. Stricte et sévère, même pour un Prussien, il ne se confiait à personne, ce qui ne l’empêchait pas d’être un des favoris à la cour du Kaiser. Peut-être plus que tout autre général allemand, il était capable de discerner, au-delà des événements immédiats, la perspective à long terme du conflit. Il n’envisageait pas avec optimisme les chances de l’Allemagne.

A la Noël 1915, il présenta au Kaiser la meilleure stratégie selon lui pour que l’Allemagne remporte la victoire. D’après ses arguments : la France était « à bout de résistance ». La Russie ne valait guère mieux : « Ses forces offensives ont été écrasées au point qu’elle ne pourra jamais remettre sur pied quoi que ce soit qui ressemble à son ancienne puissance… Même si nous ne devons pas nous attendre à une révolution dans la grande tradition, nous sommes en droit de penser que les problèmes internes à la Russie la forceront à se rendre dans un délai assez bref. Mais une avancée sur le front oriental ne nous mènerait à rien ».

Poursuivant son raisonnement, il affirmait que le véritable danger venait de la Grande-Bretagne. Et s’il hésitait à attaquer un ennemi fort, il jugeait cependant indispensable de passer très vite à l’attaque, avant que l’Allemagne ne soit submergée par le blocus naval mis en place par la Grande-Bretagne et par les ressources humaines et matérielles des Alliés. Dans ce contexte, Falkenhayn se prononçait en faveur d’une offensive, l’une des rares que déclencherait le Reich pendant cette guerre : « Il ne reste que la France. Derrière le secteur français du front occidental, il existe, à notre portée, des objectifs pour la défense desquels l’état-major français sera obligé d’employer jusqu’à son dernier homme. Dans ce cas, les forces françaises seront saignées à blanc ! ».

Pourquoi Verdun ?

Verdun représentait quatre atouts majeurs pour les troupes du Reich : premièrement, c’était une ville proche de la ligne de front, en Lorraine. Le sentiment pro-français y était très fort. C’est à Verdun qu’eut lieu le partage de l’empire de Charlemagne, établissant les futures zones franques et germaniques. Une attaque sur Verdun entrainerait des régiments entiers à défendre ce symbole. Donc, aisés à pilonner par l’artillerie allemande car les unités d’attaques et de réserve étaient proches, a contrario des Flandres ou de la Picardie.

Deuxième point : Verdun représentait un nœud ferroviaire et un bassin industriel avec des usines de fabrication d’obus. Troisième élément : Verdun formait une sorte de saillant, entourés de positions allemandes et le terrain, mouvementé et séparé par la Meuse, ne se prêtant pas à une défense facile. Enfin, le Reich savait que le GQG (Grand Quartier Général) du général Joffre cherchait, lui, à faire la différence sur la Picardie. Et qu’il n’hésitait pas à retirer çà et là des batteries de canons pour les placer sur le front de la Somme. Le général Gallieni, gouverneur militaire de Paris, avait mis en garde le généralissime français : « Toute rupture du fait de l’ennemi dans ces conditions engagerait non seulement votre responsabilité, mais celle du gouvernement ».

Le 21 février 1916 au matin.

Le haut commandement français fut pris par surprise lorsqu’une offensive allemande massive fut lancée sur un front de 13 kilomètres le 21 février. On n’avait jamais rien vu de pareil. Le premier jour, un million d’obus avaient déjà été tirés.

Le bombardement le plus intense fut dirigé contre une position défensive clé en première ligne, qui devint zone de mort, le bois des Caures, sous le commandement du lieutenant-colonel Emile Driant. En temps de paix, cet officier de réserve était député d’une circonscription proche de Verdun. C’était aussi un écrivain militaire. Ironie du sort, huit ans auparavant, il avait écrit sous le pseudonyme « Danrit » un roman pour enfants où il décrivait sa mort sur un champ de bataille. Pendant la guerre, il avait été presque le seul à élever la voix pour prévenir de la concentration de matériels militaires allemands ; et personne n’avait tenu compte de ses remarques…

Après deux jours de bombardements, notamment aux gaz toxiques, les troupes allemandes mirent les lignes françaises à l’épreuve d’une arme nouvelle : le lance-flammes. Les rares survivants français émergèrent de leurs trous pour s’apercevoir qu’il ne restait plus de la forêt qui les avait entourés que quelques rares fagots et souches d’arbres. Les hommes de Driant résistèrent une journée, dirigeant le feu de moins en moins nourri de leurs mitrailleuses contre les Allemands qui ne cessaient d’avancer. Driant, qui dès la fin de la première journée de bombardements avait demandé à un prêtre de l’aider à « faire sa paix avec Dieu », prit le commandement du 59e bataillon d’infanterie légère et réussit à renforcer quelque unités qui tenaient toujours dans le bois des Caures. Le 22 février, vers 16 heures, il fut touché à la tête. Il s’écria « mon Dieu » et mourut, rejoignant ainsi la liste sans cesse plus longue des héros de légende français.

Le 24 février, la 37e division d’Afrique, formée de Marocains et d’Algériens jouissant d’une belle réputation de combattants, fut lancée dans la bataille. Le lendemain, les Allemands attaquèrent le fort de Douaumont. Cette gigantesque forteresse polygonale était l’élément clé de la ligne de défense française, mais n’abritait inexplicablement qu’une équipe de canonniers squelettique. Douaumont fut pris sans presque livrer bataille et sa capture suscita d’importantes célébrations en Allemagne.

L’enfer de Dante.

Ayant désespérément besoin de chefs, Joffre se tourna vers un commandant pour lequel il n’éprouvait aucune sympathie : Henri Philippe Pétain.

Lorsque Pétain arriva à Verdun il eut l’impression « d’entrer dans un asile de fous ! Tout le monde parlait et gesticulait en même temps ! » Agé de 60 ans, proche de la retraite au début de la guerre, Pétain se faisait un avocat loquace de la puissance de feu : « Le canon conquiert, l’infanterie occupe ! ». En cela, il s’opposait à de nombreux chefs de l’armée française. Mais c’est bien grâce à son insistance sur l’importance de coordonner le feu d’artillerie que Verdun resta aux mains des Français.

A la fin de février, l’offensive allemande s’enlisa pour une raison simple : malgré la taille stupéfiante des obus et des canons, le bombardement restait toujours en deçà de ce qu’aurait nécessité l’entreprise. Falkenhayn cherchait à continuer à aller de l’avant. Le 1er avril le Kaiser proclama publiquement que la guerre se terminerait à Verdun. Mais si l’artillerie allemande avait créé une zone de mort dans le périmètre bombardé, le terrain à l’extérieur grouillait d’artilleurs français. Et lorsque l’infanterie allemande avançait pour occuper le terrain dévasté par les obus de son armée, elle était cueillie par un féroce contre-feu. Ce fut la raison pour laquelle l’offensive se solda aussi par un bain de sang pour l’armée allemande.

Très vite, le secteur situé au nord de la ville devint un lieu de désolation. Un pilote qui le survola eut l’expression suivante : « je pénètre dans l’enfer de Dante ».

Le printemps venu, les combats semblaient avoir acquis une vie propre, peu soucieuse de stratégie favorable à un camp ou un autre. Il est difficile d’imaginer qu’une bataille puisse provoquer à elle seule un nombre total de victimes (morts et blessés) de près d’un million de soldats. Et il n’est pas moins difficile de concevoir comment les Français, qui subirent la moitié de ces pertes, résistèrent à ces bombardements jour après jour. Tout au long de la bataille, une quarantaine de millions d’obus d’artillerie furent tirés par les deux armées – soit près de 200 par soldat tué.

Une victoire à la Pyrrhus.

Bien avant la fin des combats, Verdun était déjà devenu une légende en France. En tant que lieu où s’exprima un courage impossible à imaginer, Verdun est unique. Mais en termes militaires, lorsqu’au bout de dix mois, la ligne de février 1916 fut rétablie, qu’y avait-on gagné ? Pour l’Allemagne, Verdun représente un échec. Falkenhayn avait certes saigné à blanc l’armée française, mais il n’avait pas pu éviter d’entraîner ses propres forces dans un enfer où l’Allemagne sortait au moins aussi affaiblie, sinon plus, que le France. Il fut remplacé en août 1916 au haut commandement par le maréchal Hindenburg, qui dirigea l’armée conjointement avec son premier quartier-maître général, Erich Ludendorff.

Pour la France, Verdun représente au mieux une victoire à la Pyrrhus. La ville, avec tout ce que cela représentait pour la France, avait tenu bon, mais les trois quarts de l’armée française avaient été envoyées à l’abattoir. La France poursuivrait le combat, mais, jusqu’à la fin de 1916, le poids de la contribution alliée au front occidental allait reposer sur les Britanniques, sur leur empire et sur les armées de civils qu’ils enverraient à la guerre.

Sources :

Ce texte a été repris pour parties de l’ouvrage de Jay Winter et Blaine Baggett.

  • 14-18, le grand bouleversement, Jay Winter & Blaine Baggett, Presses de la Cité, 1996.
  • Pétain, Marc Ferro, Fayard, 1987.
  • Foch, Jean Autin, Perrin, 1987 et 1998.
  • Les Poilus, Pierre Miquel, Plon, 2000.
  • 14-18 Mille Images Inédites, Pierre Miquel, Chêne, 1995.
  • Paroles de Poilus, collectif, Taillandier Historia, 1998.
  • L’album de la Grande guerre, Jean-Pierre Verney et Jérôme Pecnard, Les Arènes, 2004.
  • 1916 – Verdun et la Somme, Julina Thompson, Gründ, 2006.
  • Les clichés proviennent des archives de l’ECPAD.
Copyright ECPAD.

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