premiere guerre mondiale

Publié le 7 Avril 2019

Les Serbes de Thiais.

L’amitié franco-serbe.

Feu notre ami Alexander Tesich, qui était d’origine serbe, et qui longtemps présida le « post » isséen de l’association américaine Veterans of Foreign Wars (VFW) parlait régulièrement de l’amitié franco-serbe et de la présence de centaines de tombes de soldats serbes dans le cimetière de Thiais.

« Cette amitié n’est pas née d’hier » disait-il. Elle a toujours existé. Et il avait raison. Dès le 11e siècle, lors de la première Croisade, entre 1096 et 1099, les croisés traversent la Serbie, et leur chef, Raymond de Toulouse, rend une visite d’amitié au roi Bodin. Les chroniqueurs dépeignent alors une rencontre pleine d’amitié. Il en est de même un siècle plus tard, quand Louis VII traverse à son tour la Serbie. Au 13e siècle, la princesse Hélène d’Anjou épouse le roi Ouroch 1er ; ensuite, c’est au tour de Charles de Valois, frère du roi Philippe IV, dit le Bel, de conclure une alliance avec le roi serbe Miloutine Némanide. Et il en sera ainsi pendant des siècles.

Si cette amitié est mise entre parenthèses pendant la période ottomane (la Serbie est un vassal de l’Empire ottoman du 15e à la seconde moitié du 19e siècle), elle renait dès l’indépendance nouvelle de cet Etat. Le nouveau roi, Pierre 1er, est francophile et Saint-Cyrien. Il s’est engagé dans la Légion étrangère pour défendre la France face à la Prusse en 1870. Dès son accession, Pierre 1er replace la France au rang de ses premiers alliés.

 

La Triple Entente.

La Triple Entente est l’alliance militaire de la France, du Royaume-Uni et de la Russie impériale. Ces alliés s’opposent à ceux de la Triple Alliance, bientôt appelée la Triplice, à savoir : l’Allemagne, l’Empire d’Autriche-Hongrie et l’Italie.

La Triple Entente est le résultat d’une convention militaire entre la France et la Russie signée en 1892, puis de l’Entente cordiale, signée entre la France et le Royaume-Uni en 1904. Et les jeunes royaumes du Monténégro et de la Serbie sont alliés de la sainte Russie tsariste. Des accords bilatéraux résultent de ces conventions militaires et de ces traités d’amitié.

Le 28 juin 1914, le double assassinat à Sarajevo de l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, et de son épouse Sophie Chotek, duchesse de Hohenberg, par Gavrilo Princip, devient l’événement déclencheur de la Première Guerre mondiale. Les organisateurs de l’attentat sont de jeunes nationalistes serbes de Bosnie et des musulmans bosniaques, qui effectuent leurs études à Belgrade.

 

La guerre des Serbes.

La Serbie entre en guerre. En 1914, elle remporte la première bataille des Alliés face aux Empires Centraux. Mais cette victoire est de courte durée. Moins nombreuse, mal armée et manquant de munitions, l’armée serbe doit se replier dans les montagnes face à la nouvelle offensive autrichienne.

L’année suivante, la France envoie plusieurs missions en Serbie, dont une militaire, l’autre sanitaire. Elles participent à l’effort de guerre.

Au moment où les Serbes retraitent à travers les montagnes enneigées du Monténégro et de l’Albanie, des diplomates, des militaires, des hommes d’affaires, des médecins et des professeurs français les accompagnent. Se portant au secours de son alliée, la France contribue au transport des civils et des militaires de la côte albanaise sur son propre sol et à Corfou. Ainsi, elle participe à la reconstitution de l’armée serbe. Ses écoles et ses universités accueillent environ 4.000 élèves et étudiants serbes qui doivent former la future élite intellectuelle et administrative du pays.

Sur le front de Salonique, l’armée serbe reconstituée et l’armée française d’Orient combattent côte à côte et finissent par libérer la Serbie. La Serbie « martyre » et « vaillante », comme on disait à l’époque, marque les esprits des Français qui ont partagé avec elle les horreurs de la guerre.

L’historien Frédéric Le Moal ajoute : « Le rapprochement entre les deux pays est antérieur à 1914. Mais le conflit a renforcé ce lien. La France s’est rangée du côté des Serbes en raison du jeu des alliances : alliance franco-russe d’une part et alliance russo-serbe de l’autre, mais elle l’a également fait en solidarité avec ce petit pays ami qui était considéré comme victime d’une agression. »

En 1918-1919, la France joue un rôle décisif dans la fondation du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes qui deviendra la Yougoslavie en 1929. Ainsi, les relations franco-serbes sont inscrites dans la pierre et mémorisées dans la culture immatérielle à Belgrade et partout en Serbie. Des visites régulières sont organisées entre Poilus d’Orient et vétérans serbes du premier conflit mondial.

 

Les rapatriés sanitaires.

La République française n’abandonne jamais ses enfants. Même si elle n’est pas toujours vertueuse – l’adage dit bien que les Etats n’ont pas d’états d’âmes mais que des intérêts – elle a souvent aussi veillé à aider et soigner les soldats de ses alliés. C’est vrai en 1915 avec les soldats russes qui combattent en Champagne : les tombes russes du carré militaire de Vanves sont là pour en témoigner. C’est aussi vrai avec les militaires serbes.

Recueillis sur le front, ces derniers sont acheminés par bateau jusqu’à Marseille. De là, ils sont dispersés dans des hôpitaux militaires – temporaires ou d’active – et les morts sont enterrés dans des carrés. Au cours des années 1930, la République décide de les regrouper à Thiais, ce qui, entre autres, facilite les commémorations.

 

 

Sources :

 

Soldats serbes.

Soldats serbes.

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Publié le 6 Janvier 2019

La démobilisation des soldats de la Grande Guerre.

Dès la proclamation de l’armistice, la perspective du retour au foyer des quatre millions de mobilisés de l’armée française (dont peut-être 300000 soldats des anciennes colonies) est sans doute le plus grand facteur de joie des soldats et de leurs familles. Le gouvernement est conscient de ces aspirations. Mais il tient à conserver une armée puissante jusqu’à la signature de la paix définitive imposée à l’Allemagne vaincue, acte qui n’intervient que le 28 juin 1919, avec le traité de Versailles. D’autres préoccupations internationales (Europe centrale et orientale, Russie et pays du Levant) incitent également à la vigilance.

 

Organiser la démobilisation.

Le renvoi des soldats à la vie civile s’effectue donc de façon échelonnée, avec priorité donnée à l’ancienneté. Dès la fin novembre, les hommes les plus âgés (49 à 51 ans) peuvent rentrer dans leurs foyers. Les hommes de 32 à 48 ans sont pareillement renvoyés chez eux de décembre à avril. À ce moment, les dirigeants alliés s’alarment des réticences exprimées en Allemagne à l’égard de conditions jugées trop dures, et envisagent explicitement une intervention militaire destinée à contraindre les vaincus à se soumettre.

Le processus de démobilisation est donc interrompu. Les classes constituant la réserve de l’armée active, c’est-à-dire comprenant les soldats de moins de 32 ans, sont maintenues sous les drapeaux jusqu’en juillet 1919. Si plus d’un million de soldats ont été démobilisés à cette date, l’armée française compte encore 2,5 millions d’hommes aux armées contre un peu plus de 4 millions le 11 novembre 1918. Puis la démobilisation reprend, et s’opère en 4 échelons jusqu’en septembre. C’est seulement le 14 octobre 1919 qu’est signé le décret de démobilisation générale. Le renvoi des originaires des colonies s’opère de la même façon. En revanche, pour ceux, nombreux, qui ont contracté des engagements pour la durée de la guerre, leurs contrats stipulent que la démobilisation ne doit intervenir que six mois après la fin des hostilités, ce qui signifie, au mieux, le mois de mai 1919, en retenant la date de l’armistice comme date de référence. En septembre 1919, il resterait en France environ 15 000 militaires "indigènes", dont 13 000 Indochinois, surtout vietnamiens, essentiellement infirmiers et conducteurs. Ils regagnent leur pays entre septembre et novembre.

Cet échelonnement est rarement apprécié des intéressés, même quand il donne à certains d’entre eux le grand souvenir d’avoir participé au défilé du 14 juillet 1919 sous l’Arc de Triomphe. Il introduit un certain désordre dans la composition des unités, qu’il faut réorganiser pour tenir compte des départs. Par ailleurs, la discipline a tendance à se relâcher, les soldats-citoyens estimant que la fin de la menace allemande ne justifie plus l’application de règlements auxquels la grande majorité s’est soumise avec une sourde révolte, et à l’égard desquels elle conserve un vif ressentiment. Pour les démobilisés, le départ de l’armée ne va pas toujours sans difficultés. La procédure est pourtant simple : une visite médicale, la mise à jour des papiers militaires, puis l’envoi vers le centre démobilisateur qui est le dépôt du régiment d’appartenance de l’intéressé. Mais les désordres sont fréquents, particulièrement dans les transports ferroviaires : les soldats, pour protester contre la lenteur des convois et l’inconfort des wagons, brisent fréquemment vitres ou portières. Des manifestations se produisent chez les tirailleurs sénégalais du camp de Saint-Raphaël, qui, à l’occasion d’une revue, bousculent un général et demandent bruyamment leur retour. Il faut dire que, faute de moyens de transport maritimes, le rapatriement des soldats d’outre-mer est encore plus difficile.

 

Quitter l’armée et retrouver son foyer.

Les premiers retours créent bien des désillusions. Les hommes rentrent en effet dans l’indifférence des autorités, sans cérémonie d’aucune sorte. Pour remplacer les vêtements laissés à la caserne, abandonnés ou abîmés, ils ne reçoivent qu’un costume mal taillé (dit "Abrami", du nom du sous-secrétaire d'État à la Guerre Léon Abrami), ou, s’ils le refusent, la somme ridicule de 52 francs, peut-être 50 euros d’aujourd’hui. Ils sont même sommés par l’administration fiscale de payer leurs arriérés d’impôts, la fin du moratoire en la matière ayant en effet été décrétée dès la fin des hostilités. C’est seulement à partir de mars 1919 que des mesures plus compréhensives viennent remédier à ces maladresses : rétablissement du moratoire des impôts, paiement d’une prime à la démobilisation calculée selon un barème plus décent (250 francs plus 20 francs par mois de présence au front), loi sur les pensions versées aux invalides de guerre ou aux familles des décédés. L’accueil s’est modifié aussi.

À partir de la signature du traité de Versailles, les retours des régiments qui reviennent dans leur localité d’attache sont désormais célébrés : la fête commence par le défilé des soldats, acclamés par la foule de leurs compatriotes, dans des rues pavoisées et ornées de feuillages ; l’émotion est d’autant plus forte que beaucoup de ceux qui défilent, en dépit du brassage survenus dans les régiments au cours du conflit, sont encore des enfants du pays. Le défilé est parfois, mais pas toujours, suivi de festivités diverses (concerts, bals, feux d’artifice, retraites aux flambeaux). Même quand elles ont lieu, ces fêtes ne peuvent, cependant, cacher le deuil que manifeste pour de nombreuses années la présence des mutilés, mais aussi celle des veuves ou des familles dont les vêtements noirs de deuil rappellent tous ceux qui ne reviendront jamais.

Les démobilisés doivent aussi faire un gros effort de réadaptation. Ils ont vécu, pendant plusieurs années, 5 ans pour certains, au milieu de leurs camarades, loin de leurs familles, et coupés du milieu civil, à l’exception de rares permissions. Il leur faut d’abord retrouver du travail, ce qui n’est pas toujours aisé. Même si une loi de 1918 oblige les patrons à rembaucher leurs anciens ouvriers ou employés, encore faut-il que ces patrons soient encore en activité et en mesure de le faire. Il leur faut aussi accomplir toute une série de démarches, longues et souvent vécues comme humiliantes, pour obtenir les indemnités auxquelles ils ont droit. Mais il ne s’agit pas seulement de trouver du travail. L’homme libéré, dont jusque-là le quotidien était pris en charge par l’armée, a oublié comment régler son rythme de vie, pourvoir individuellement à ses besoins, choisir comment se nourrir ou se vêtir. Tout particulièrement, la vie familiale est à réorganiser, avec des épouses qui, bon gré mal gré, ont pris les responsabilités dévolues aux chefs de famille, des enfants qui ont perdu un temps leur père ou n’ont jamais connu sa présence. Des couples se sont défaits ou se défont, et les divorces sont plus nombreux qu’avant la guerre.

Les démobilisés estiment enfin qu’ils ne peuvent rien communiquer de leur expérience à ceux qui n’ont pas partagé les mêmes souffrances, les mêmes peurs, la même solidarité avec les camarades. Une partie des six millions et demi d’anciens combattants (environ un homme adulte sur deux) trouvent cependant dans les associations, comme l’Union Nationale des Combattants, un moyen d’exprimer leur solidarité et leurs revendications au sein de la société française. Leur état d’esprit se caractérise avant tout par la fierté d’avoir «tenu» dans l’épreuve, en s’accrochant à leurs positions, comme à Verdun, pour empêcher la masse des troupes allemandes de se déverser sur le pays. Ils ressentent infiniment plus la satisfaction du devoir accompli que l’exaltation de l’exploit guerrier, même si tous n’y ont pas été insensibles. Plus la guerre s’éloigne, plus se renforce chez la majorité d’entre eux un patriotisme très pacifique, voire pacifiste, marqué avant tout par la condamnation de la guerre, et un rejet de tout ce qui peut la faciliter : notamment le militarisme, l’exaltation de l’héroïsme guerrier voire même, dans certains cas extrêmes, il est vrai, de l’honneur qui fait préférer la mort à la servitude.

 

Quel sort pour les autres « mobilisés » de la guerre ?

La fin de la guerre concerne d’autres catégories de soldats. Les prisonniers français, dont le nombre peut être évalué à 500 000, ont eu la possibilité de quitter les camps dès l’armistice. Nombre d’entre eux prennent l’initiative de rentrer par leurs propres moyens, non sans difficultés. Les autorités françaises prennent en charge le rapatriement des autres. Deux mois, de mi-novembre 1918 à mi-janvier 1919, suffisent pour assurer l’essentiel des retours. Ceux-ci se font dans l’indifférence des autorités et de l’opinion, comme si une sorte de déshonneur s’attachait à la condition de ces anciens soldats, qui, pour la plupart, n’ont pourtant pas démérité. Les règlements les assimilent d’ailleurs aux autres anciens combattants pour les indemnités qui leur sont dues.

Tout aussi discrète, pour des motifs compréhensibles, est la démobilisation des Alsaciens et Lorrains des territoires annexés au Reich depuis 1871, qui ont servi dans l’armée impériale (au nombre de 250 000 pendant la durée de la guerre). Pour tenter de remédier aux incompréhensions et aux injustices que fait naître leur situation de Français ayant servi dans une armée ennemie, une première association est créée dès 1920 sous le patronage du grand écrivain patriote Maurice Barrès, et prend le nom explicite de "malgré-nous", appelé à être de nouveau employé, à la suite de circonstances encore plus tragiques, lors de la Seconde Guerre mondiale.

Encore plus négligée est la démobilisation d’un certain nombre de femmes, appelées pendant le conflit à exercer des travaux jusque-là largement attribués aux hommes dans l’industrie et les services. Elles doivent accepter de quitter leur travail pour redevenir femmes au foyer ou employées de maison, sous la pression des autorités (circulaire du ministre de l’Armement Louis Loucheur du 13 novembre 1918). Ce transfert s’effectue sans beaucoup de bruit, et laisse peu de traces.

 

Remise en cause ou maintien de l’ordre colonial ?

La rentrée des démobilisés des colonies est souvent marquée, elle aussi, par des solennités. Dans une allocution prononcée à Alger, le général Nivelle, venu souhaiter la bienvenue aux tirailleurs et aux zouaves qui regagnent leurs garnisons, exalte leur héroïsme, leur esprit de sacrifice et leur foi invincible. Cet accueil s’adresse surtout, il est vrai, aux premiers contingents rapatriés, les suivants débarquant dans une plus grande indifférence. Dans certains cas, les autorités paraissent se préoccuper de préparer la réadaptation des combattants. Une brochure est ainsi distribuée aux démobilisés d’Indochine pour leur indiquer les formalités à remplir afin de faire valoir leurs droits. Ils sont soumis à une visite médicale, les blessés ou malades étant soignés dans des formations sanitaires.

Cette sollicitude ne signifie pas un abandon de la surveillance. Toujours en Indochine, un service des rapatriés, mis sur pied dès septembre 1917, reçoit pour mission de centraliser les informations sur les "indigènes" en métropole, de manière à signaler les problèmes éventuels, mais aussi les écarts divers dans les comportements individuels, dont mention est faite aux services de la Sûreté locale. Il faut dire que, dans certaines régions, les arrivées ont donné lieu à des incidents : à Djibouti, au printemps de 1919, les soldats démobilisés, dont certains se sont illustrés sur le champ de bataille (notamment lors de la reprise de Douaumont en octobre 1916), se mutinent. Certains, retournés dans leurs campements, se livrent au pillage. Des incidents éclatent en ville. D’autres agitations analogues se produisent en Afrique occidentale française (AOF), notamment au Sénégal et en Guinée. Aucune, cependant, ne dégénère en troubles graves. Les travailleurs recrutés dans les colonies à l’occasion de la guerre (dont le nombre est évalué à 200 000) regagnent, eux aussi, leur pays en très grand nombre. Les autorités ne désirent pas les maintenir sur place. Elles craignent qu’ils ne soient contaminés par les idées révolutionnaires qui paraissent faire de grand progrès au sein du prolétariat français. Elles trouvent en les renvoyant l’occasion de donner une satisfaction démagogique aux mécontentements populaires, alors que les combattants de retour du front sont encore à la recherche de travail. Enfin, les responsables des colonies souhaitent retrouver au plus vite l’intégralité de la main-d’œuvre "indigène", indispensable pour assurer la reprise économique des territoires en touchant des salaires ramenés à des niveaux plus bas grâce à la pression des rapatriés. Pour faire face aux besoins de la reconstruction en France, on juge préférable de faire appel à des originaires d’Europe, jugés plus efficaces et qui excitent moins la méfiance des syndicats, en raison de leur tradition ouvrière. On se contente d’employer un nombre réduit de coloniaux et de Chinois sur les premiers chantiers de déblayage du front, dans des conditions d’ailleurs souvent très dures et dangereuses. Le voyage de ceux qui rentrent est en principe pris en charge par l’État, mais l’administration ne s’empresse pas de satisfaire à ses obligations. Les Vietnamiens n’achèvent de regagner leur pays qu’en juillet 1920.

Comme leurs camarades en métropole, les anciens combattants, Européens ou "indigènes", évoquent peu les réalités de la guerre. Certains ont tendance à attribuer l’attitude de ces derniers à un «fatalisme», qui les rendrait indifférents aux plus prodigieux événements, et non au désir d’oublier très répandu chez les anciens combattants. De retour chez eux, ces mêmes "indigènes" ne contribuent pas moins à remettre en cause l’ordre d’avant-guerre, l’ordre imposé par l’autorité coloniale, mais aussi celui des sociétés traditionnelles. La soumission à leurs propres notables et à leurs anciens leur pèse.

Ils excipent de leur qualité d’anciens soldats de l’armée française pour chercher à échapper aux injonctions de l’administration. En AOF, des chefs dénoncent l'arrogance des démobilisés et les accusent d’avoir acquis au service des habitudes de paresse qui les poussent à la délinquance. Beaucoup en revanche jouissent, dans le peuple, de la considération que leur vaut leur maîtrise apparente des "manières de Blancs" : ils fument le tabac, connaissent quelques mots de français, peuvent exhiber des "papiers" officiels. On admire leurs actions militaires, dans une société au sein de laquelle le guerrier jouit d’un grand prestige. Leur prime de démobilisation, versée en une seule fois et souvent dépensée en cadeaux, leur vaut, au moins dans les débuts, un certain prestige dans des milieux contraints à une existence frugale.

Par ailleurs, certains rapatriés ont acquis, au contact de l’Europe, une nouvelle conscience politique et de nouvelles pratiques d’action. Un ancien combattant, Dorothée Lima, fonde en 1920 le premier journal dahoméen, la Voix du Dahomey. Un ouvrier, Tôn Duc Thang, de retour de France, et qui a peut-être participé aux mutineries de la Mer Noire, crée le premier syndicat de Saigon. Chez d’autres, le passage par l’armée a plutôt confirmé une vocation politique, comme chez l’instituteur Jean Ralaimongo, qui s’est porté volontaire à trente-deux ans et va devenir un des premiers animateurs du mouvement d’émancipation malgache, ou le comptable Galandou Diouf, bientôt devenu rival sénégalais de Blaise Diagne. On peut se demander cependant si ces comportements sont très fréquents parmi les anciens combattants. En effet, la plupart d’entre eux semblent plutôt rentrer de la guerre avec le désir de jouir de la paix, en bénéficiant des avantages que leur dispense le gouvernement et de l’estime de leur entourage.

Les vétérans et les anciens combattants d’origine européenne, notamment les Français d’Algérie, ont une attitude différente. Si leur mentalité apparaît assez proche de celle de leurs compatriotes de métropole, la situation coloniale donne à leur patriotisme une nuance particulière. Leur expérience de guerre, la fraternité d’arme qui a lié nombre d’entre eux à des soldats "indigènes", les innombrables exemples d’héroïsme et de dévouement fournis par ces derniers, paraissent plaider en faveur du maintien d’un ordre colonial qui a su engendrer ces comportements impeccables. Leur vision très positive de leurs anciens camarades de combat fait trop souvent peu de cas des conditions de vie, souvent difficiles, de ceux-ci ou de leurs aspirations, quand ils sont revenus à la vie civile, à échapper à la condition de "sujets". Tout en éprouvant à l’égard des "indigènes" plus d’affection et d’estime que par le passé, ceux qu’on n’appelle pas encore les "Pieds Noirs" ne sont guère davantage disposés à prêter l’oreille aux revendications de leurs représentants. Ces sentiments exagérément optimistes seront encore renforcés par la participation exemplaire des soldats des colonies lors de la Seconde Guerre mondiale.

Au total, la démobilisation peut paraître une réussite : les soldats ont été réintégrés sans heurts dans la vie civile. Les anciens combattants de métropole continuent à exprimer leur fidélité à la République, qui paraît sortie grandie de l’épreuve. Mais leurs attentes sont à la mesure des sacrifices qu’ils ont consentis : une vie plus heureuse, des gouvernements plus attentifs. Quant aux hommes mobilisés dans les colonies, la fierté d’avoir été de bons soldats alimente une revendication de dignité qui contribuera à nourrir l’aspiration à l’indépendance.

 

 

Sources :

Site Internet du Ministère des Armées : www.cheminsdememoire.gouv.fr

Ce texte a été écrit par Jacques Frémeaux - Professeur émérite à l’université de Paris-Sorbonne (Paris-IV), membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer et membre émérite de l’Institut universitaire de France.

 

 

Un soldat enfile le costume fameux « Abrami ».

Un soldat enfile le costume fameux « Abrami ».

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Publié le 12 Novembre 2018

De Morne-à-l'Eau aux Moulineaux.

Le 24e RIC.

 

Le 24e RIC (régiment d’infanterie coloniale) est créé le 16 décembre 1902 à Perpignan. Il est issu, par dédoublement, du 4e RIC, l’un des quatre plus vieux régiments des Troupes de marine, et qui s’est illustré en Crimée, en Indochine, à Madagascar et en Chine au moment de la révolte des Boxers.

 

Le 24e a donc son casernement principal à Perpignan et un casernement secondaire se trouve à Sète pour le 1er bataillon. Avec le 22e RIC, il forme la 6e brigade coloniale et fait partie de la 2e division d’infanterie coloniale (avec les 4e et 8e RIC). L’effectif du 24 est de 72 officiers et de 3.290 sous-officiers et soldats.

 

Dès le début de la Première Guerre mondiale, la 6e brigade est engagée dans les combats de Rossignol puis ceux de Jaulnay où 500 hommes de l’unité périssent. Le chef de corps, le colonel Béthouart est grièvement blessé. Dans la foulée, l’unité est engagée dans la Première bataille de la Marne, avec à sa tête le commandant Bourda. Les combats du Mont Morêt coûtent encore plus de 500 hommes au 24e RIC. Un mois et demi après le début de la guerre, le régiment ne compte plus que 1.700 hommes…

 

1915 est marquée par les combats de la ferme de Beauséjour et la Seconde bataille de Champagne. L’année suivante, le 24e est transportée sur la Somme où il participe à l’offensive de juin puis aux combats de Frise le mois suivant.

 

En 1917, la brigade participe à la bataille – au massacre – du Chemin des Dames. Charles Tardieu, lieutenant au 24e RIC, a raconté les combats : « Nous occupions, nous 24e colonial, une position en travers du plateau, perpendiculaire au Moulin de Laffaux. A 6h, nous entendons l’assourdissant cataclysme d’artillerie. Devant nous, nul indice. Nous nous amusons à contempler les courbes des torpilles. Nous étions persuadés qu’il n’y avait devant nous qu’un rideau peu consistant. Nous étions un peu fébriles, impatients, anxieux. Jamais journée de combat, commencée avec les résolutions les plus viriles au cœur et dans l’âme, les espoirs les plus fous, ne se termina dans un tel effondrement. A mon cri, les poilus bondissent. Les coups de fouet des balles se font plus drus autour de nos têtes et voilà les mitrailleuses qui s’en mêlent. Les balles claquent à nos oreilles. Mes hommes avancent de plus en plus difficilement dans ce terrain gluant, inégal, troué comme une écumoire. Les tirs de barrage nous mitraillent d’éclats. Le sergent Jourda est tué, l’adjudant Figuières est tué. Notre ligne se disloque et semble se vider. J'ai l'impression encore vague que notre élan est coupé. D'innombrables, d'infernales mitrailleuses sorties au dernier moment des carrières et embusquées aux quatre coins de l'horizon, à Laffaux, au Moulin, sur l'éminence de la Motte, à droite, à gauche et devant nous, balayent la route de Maubeuge, le plateau que nous venons de traverser et celui qui s'étend, arrondi comme une carapace de tortue sous mes yeux; des rafales meurtrières brisent net tout départ et interdisent toute avance sur la deuxième ligne où le boche est retranché ».

 

L’année suivante, en 1918, le 24e régiment d’infanterie coloniale est basé à l’est de Reims. Il participe à des combats comme ceux de la Côte 240 en juillet ou d’Herpy à l’automne.

 

Après la guerre, le 24e participera à la Guerre du Rif, au Maroc, à la bataille de France en 1940, puis deviendra 24e régiment de marche, 24e régiment de tirailleurs sénégalais et enfin 24e RIMa (régiment d’infanterie de marine). Il aura participé aux guerres d’Indochine et d’Algérie et sera dissous en 1991.

 

Claricin Joannès Gaspard.

 

Claricin Joannès Gaspard nait le 17 janvier 1897 à Morne-A-L’eau (Guadeloupe), commune située à l’ouest de Grande-Terre, entre la mangrove, les grands fonds vivriers et la plaine cannière. Morne-à-l’Eau est connue aujourd’hui, entre autres, pour avoir un des cimetières les plus visités de l’archipel. Son attrait provient des motifs en damier noir et blanc qui ornent la majorité des sépultures, donnant à l’ensemble des airs de grand échiquier.

 

Claricin Gaspard quitte son île et s’engage au 24e RIC. Il porte le matricule 20.776 au Corps (Classe 1917) et le numéro 157 au bureau de la Guadeloupe. Malheureusement, il tombe malade au front, est rapatrié sur l’hôpital temporaire de l’école Saint-Nicolas d’Issy-les-Moulineaux et meurt le 30 mai 1918 des suites d’une pleurésie tuberculeuse.

 

Claricin Gaspard était l’un des 48 enfants de Morne-à-l’Eau qui s’étaient engagés pour défendre la patrie.

 

En ce 7 novembre 2018.

 

Le 7 novembre 2018, une délégation a tenu à rendre hommage à Claricin Gaspard, enterré au carré militaire du cimetière d’Issy-les-Moulineaux. Celle-ci était composée de :

 

  • Madame la sénatrice de Guadeloupe Victoire Jasmin ;
  • Monsieur le sénateur de l’île de Saint-Barthélemy et président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer Michel Magras ;
  • Joël Althey, représentant du CREFOM (Conseil Représentatif des Français d’Outre-mer) ;
  • D’une délégation de Mornaliens d’Ile de France ;
  • De Madame Michèle Makaïa Zenon, adjointe au maire de Morne-à-l’Eau, en charge de la Jeunesse, qui a initié les recherches pour retrouver la tombe de Claricin Gaspard.

 

Et en présence :

 

  • De Jean-Pierre Saint-Eloi, membre du Comité de la Flamme.
  • Des porte-drapeaux des associations d’anciens combattants d’Issy-les-Moulineaux (FNACA, ANACRA, UNC, ACV) et du Comité local du Souvenir Français, l’ensemble étant emmené par Jacques Tchirbachian, vice-président de l’UFAC.

 

Madame la sénatrice Victoire Jasmin : « Nous voilà rassemblés sur la place du Souvenir d’Issy-les-Moulineaux où nous honorons une page injustement oubliée de notre Histoire nationale, où nous honorons une aventure extraordinaire qui était tombée dans l’oubli. En effet, la restitution de cette « Grande Guerre » décrite dans biens des ouvrages et à travers de nombreux témoignages reste parcellaire. Une partie de cette histoire est méconnue du grand public : l’apport des colonies françaises de l’époque dans la lutte incessante pour la victoire et la préservation de nos valeurs. Oui, de nombreuses mères et de nombreux pères – parfois qui avaient été réduits en esclavage jusqu’en 1848 – ont vu leurs fils s’engager au sein des forces armées afin d’aller braver l’ennemi au péril de leur vie, dans des lieux et des conditions climatiques profondément méconnus. Le tribut payé par les colonies françaises de l’époque fut lourd. Lourd de sacrifices tant la volonté de ces hommes non préparés au jeu de la guerre, était grande. Derrière cet engagement se cachait le désir ardent de reconnaissance de la mère Patrie pour des hommes devenus libres peu de temps auparavant, d’être considérés comme des citoyens français au même titre que les autres soldats ».

 

Le Comité d’Issy-Vanves du Souvenir Français, comme l’ensemble des associations d’anciens combattants, a été fier de pouvoir participer à cette cérémonie.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sources :

 

  • Encyclopédie Larousse en ligne : www.larousse.fr
  • Encyclopédie Wikipédia.
  • Site Internet « Mémoire des Hommes » du Ministère des Armées.
  • Service d’Information et de Relations Publique de l’Armée de terre (SIRPA Terre).
  • Crédit photographique : Issy-les-Moulineaux – Cimetière – Fabien Lavaud.
  • Site sur 14-18 : www.chtimiste.com
De Morne-à-l'Eau aux Moulineaux.

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Publié le 7 Novembre 2018

Le 11 novembre 1918 de Paul Tuffrau.

Biographie.

Paul Tuffrau nait à Bordeaux le 1er mai 1887. Il effectue des études brillantes. Passionné par le pays basque, il écrit quelques nouvelles qui seront rassemblées après sa mort sous le titre d’Anatcho. Plus tard, le jeune homme monte à Paris et prépare, au lycée Louis-le-Grand, le concours de l’Ecole normale supérieure. En 1911, il est reçu au concours de l’agrégation de lettres. Il est nommé professeur à Vendôme, dans le Loir-et-Cher.

Mais la guerre éclate et Paul Tuffrau part en août 1914 comme sous-lieutenant de réserve. Blessé plusieurs fois, il refusera d’être évacué, sauf durant un mois en 1917. Il reçoit, sur le front des troupes, la Croix de guerre puis la Légion d’honneur. Il termine la guerre comme chef de bataillon dans l’armée du général Mangin, et achève l’année 1918 comme commandant de place à Sarrelouis.

Paul Tuffrau rejoint Vendôme après la guerre et reprend son métier de professeur. Par la suite il est nommé au lycée de Chartres, puis au lycée Louis-le-Grand, comme professeur de khâgne, enfin à l’Ecole polytechnique où il sera titulaire de la chaire d’histoire et de littérature jusqu’en 1958.

Réengagé en 1939, il prend part aux combats des ponts d’Orléans. Pendant l’occupation, il partage sa vie entre Lyon et Paris, où se trouve l’Ecole polytechnique. Au cours de ces années, il publie régulièrement des œuvres sur l’histoire de la littérature et renouvelle des textes médiévaux, comme La Légende de Guillaume d’Orange ou Les Lais de Marie de France ou encore une version du Roman de Renart.

Écrivain, critique littéraire, historien, sachant transmettre ses connaissances par son enseignement qu'il a poursuivi toute sa vie, avec une grande rigueur et un grand humanisme, Paul Tuffrau aura été non seulement un homme de lettres au sens plein du terme, mais aussi un homme d'une modestie peu commune, alliée à une extrême intelligence, une très grande culture. Paul Tuffrau meurt le 16 mai 1973. Il était commandeur de la Légion d'honneur.

 

Extrait des Carnets d’un combattant.

Le 11 novembre 1918.

« Hier nous avons reçu de nous porter à Neuviller. Marche de nuit, d’abord par clair de lune, puis par brouillard noir. Pas de convois sur les routes, mais beaucoup d’autos d’états-majors, phares allumés, des cantonnements pleins de troupes qui s’installent, une impression un peu fiévreuse et joyeuse à la fois. Un avion boche, très canonné, nous survole très haut, au départ. Plus tard, dans le grand silence de la campagne, Dumetz, qui me suit à cheval, me dit tout d’un coup : « Mon commandant, on entend encore le canon ». Coups sourds au loin. Toutes les pensées sont ainsi tendues pour deviner plus tôt le grand événement, qu’on sent imminent.

Installation de nuit à Neuviller. Une fois de plus, j’apprends que l’armistice serait signé, du major de zone lui-même. Mais on reste sceptique.

Réveil paresseux. Journaux. Davoigneau, un peu moins calme qu’à l’ordinaire, me dit que des artilleurs ont lu, à Bayon, un message capté par la TSF de là-bas, qui indique la signature de l’armistice ce matin à 5 heures. Inault, le cycliste du bataillon, est allé le copier. On me l’apporte : « Plénipotentiaires allemands à GQG allemand… ». Je veux continuer à douter. Mais un officier de l’armée a apporté la nouvelle au vieux colonel chez qui je reste. Et pendant que je me présente à celui-ci dans son bureau, un voisin remet la copie d’un message du préfet aux maires : « Aux conditions imposées par les alliés, armistice signé à 5 heures. Faites carillonner. » Les femmes courent, frappent aux vitres pour s’appeler et se donner la nouvelle ; par la rue montante qui mène à l’église, les petits enfants galopent à toutes jambes ; les rues se remplissent de poilus radieux ; et les drapeaux sortent partout des fenêtres (…).

On avait dit : ce jour-là, il y aura une saoulerie générale. Jamais la rue n’a été aussi calme. Rumeur heureuse mais insaisissable. (…) On avait dit aussi : il y aura une crise de la discipline. C’est une erreur. Les poilus « se gobent » trop pour cela. Jamais ils n’ont si correctement salué. Pour accentuer l’impulsion dans ce sens, et mieux savourer la joie de ces heures pleines comme un siècle, j’ai fait une prise d’armes ce matin. (…) Et une idée m’est venue.

Ceux qui ont fait les premiers combats, la Belgique, la Marne… mettez l’arme sur l’épaule. J’en ai à peine trouvé quarante-neuf, en comptant les officiers, qui tenaient à ne pas être oubliés. Ceux qui ont fait l’Yser… Ceux qui ont fait la Champagne et l’Artois en 1917… Ceux qui ont fait Verdun… A mesure que j’avançais les fusils montaient plus nombreux sur les épaules… Ceux qui ont fait l’Ourcq…les combats de l’Aisne, de l’Oise… Ceux qui ont fait l’Italie… Ceux qui ont fait l’Orient, Sedülh-Bar, Florina, Monastir. Il ne restait plus à la fin qu’une soixante d’hommes, l’arme au pied. Les recrues, regardez vos anciens. Ils comptent parmi les plus grands soldats de l’histoire ».

 

 

 

Sources :

  • Encyclopédie Wikipédia.
  • Encyclopédie Larousse.
  • Œuvres de Paul Tuffrau :
    • Carnets d’un combattant, Payot, 1917 (paru dans un premier temps sous pseudonyme).
    • Nos jours de gloire : de la Moselle à la Sarre en novembre 1918, Cahier de la Quinzaine, 1928.
    • La Grande Guerre, Gauthier-Villars et Cie, 1930.
    • Les Lais de Marie de France, Piazza, 1923.
    • Le Merveilleux Voyage de Saint-Brandan, l’Artisan du Livre, 1925.

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Publié le 1 Août 2018

La communauté jésuite de Vanves, rue Raymond Marcheron.

La communauté jésuite de Vanves, rue Raymond Marcheron.

Les Jésuites.

La Compagnie de Jésus est un ordre religieux catholique masculin dont les membres sont appelés « jésuites ». La Compagnie est fondée par Ignace de Loyola, saint François-Xavier et les premiers compagnons en 1539, et approuvée l’année suivante par le pape Paul III. Dissoute en 1773, elle est rétablie en 1814 par le pape Pie VII. Au début du 21e siècle, elle constitue numériquement, avec environ 17.300 membres, l’ordre religieux masculin pleinement intégré le plus important au sein de l’Eglise catholique, où elle n’est devancée que par l’ensemble divisé des branches franciscaines.

Comme les autres ordres religieux, les jésuites professent les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, mais prononcent également un quatrième vœu qui leur est propre, celui de l’obéissance spéciale au Pape, en ce qui concerne les missions « selon ce qui est contenu dans les Lettres apostoliques et les Constitutions ». Les jésuites ne recherchent pas les honneurs. Leur histoire compte ainsi peu d’évêques ou cardinaux et le pape François, élu en mars 2013, est le premier pape jésuite.

L’écrivain Jean Lacouture voit en eux les « pionniers d'une aventure humaine au sein d'un monde pris en charge dans sa totalité », hommes d'action et d'initiative, et « découvreurs de mondes, d'êtres, de civilisations différents ».

 

A Vanves.

Les Pères jésuites arrivent sur le site de la rue Raymond Marcheron à Vanves en 1922 avec à l’installation à l’époque de l’Action Populaire (aujourd’hui CERAS), œuvre qui cherchait à promouvoir l’engagement social des chrétiens dans la société. En 1931, ils acquièrent une propriété contigüe et construisent un nouveau bâtiment confié au cabinet d’architecte des frères Perret. En 2012, ils réorganisent le site pour construire la Maison Soins et Repos (EHPAD).

A Vanves sont rassemblées depuis 1989 les archives des 4 anciennes provinces des jésuites français : La Province de France, plus tard appelée par commodité Province de Paris, créée en 1819, la Province de Lyon, constituée en 1836, la Province de Toulouse, à partir de 1852 et enfin la Province de Champagne depuis 1863. L’unification en une seule province, en 1976, a entraîné ce rassemblement des 4 dépôts d’archives et la constitution d’un cinquième fonds : la Province de France unifiée (archives de 1976 à aujourd’hui). Cet ensemble représente près de 3 km de documents.

Les fonds conservés concernent de nombreux domaines :

  • Gouvernement de la Compagnie (Lettres des généraux, des provinciaux, consultes, congrégations générales et provinciales).
  • Administration (admissions, vœux, etc.).
  • Histoire (jansénisme, suppression de la Compagnie, jésuites en Russie Blanche, rétablissement en 1814, Commune de Paris, guerre 1914-1918, Action Française, deuxième guerre mondiale, Résistance, guerre d’Algérie, etc.).
  • Formation.
  • Maisons et établissements.
  • Missions.
  • Dossiers personnels.
  • Œuvres et activités.

A Vanves, se trouve également une stèle rappelant le sacrifice des jésuites pendant la Première Guerre mondiale.

 

Ils furent 165 à donner leur vie pour la France.

Les archives de la Province de France de la communauté de France montrent que 855 jésuites ont été mobilisés au cours du premier conflit mondial. 165 d’entre eux sont morts pour la France, ce qui fait quand même environ 20% d’entre eux. Sur ces 165, il y avait 50 prêtres, 97 scolastiques (novices) et 18 frères coadjuteurs.

Géographiquement, au titre des provinces telles qu’entendues par l’organisation, 52 venaient de la Province de Lyon, 46 de celle de paris, 29 de Toulouse et 35 de la Province de Champagne. 3 MPLF (Morts Pour la France) sont issus de provinces étrangères : 1 de Castille, 1 de Rome et 1 de Belgique.

Les jésuites furent-ils de bons soldats, de bons aumôniers ? Si l’on s’en tient aux décorations et actes héroïques, retenons ces chiffres : sur 165 jésuites Morts Pour la France, 39 reçurent la Légion d’honneur ; 150 la Croix de guerre 14-18 et 115 la Médaille militaire. 90 % des décorés reçurent au moins deux récompenses.

Enfin, il est à noter que l’ancienne noblesse fournit de nombreux enfants aux jésuites. Il n’est de citer parmi ces 165 MPLF les noms de : Charles Aubin de la Messuziere, Louis Colas de Brouville de Malmusse, Bernard Courlet de Vrégille, François de Billeheust d’Argenton, Jean de Blic, Joseph de Boissieu, Louis de Gironde, Marie-François de Daran, Marie-Amédée de Jourdan…

Selon Elisabeth de Montmarin qui a réalisé des recherches sur le sujet l’expulsion des congrégations en 1880 et en 1903, de même que l’interdiction d’enseigner en France en 1904 (donc de fait la fermeture de nombreuses écoles) expliquent la forte implantation de ces religieux en Belgique, Angleterre, Hollande, Espagne, Suisse, Italie… pays voisins de la France où ils firent pour certains d’entre eux leur noviciat. A la suite des événements indiqués ci-avant, ils partirent dans ces pays où ils furent ordonnés prêtres et purent ouvrir des écoles. D’autres partirent comme missionnaires.

Arriva la guerre. Tous les religieux en âge d’être mobilisés rentrèrent en France pour rejoindre leurs unités.

 

Des héros.

Voici des informations sur une infime partie des jésuites morts pour la France entre 1914 et 1918.

Henri AUFFROY

  • Il nait le 1er mai 1873 à Reims. Fils de Jules et de Victoire Leterme. Jésuite, prêtre de la Province de Champagne, il entre au noviciat d’Amiens en 1899. Il est par la suite professeur au collège de Saint-Jean-Berchmans à Florennes en Belgique puis professeur de droit canon à Enghien (Belgique). Docteur en droit en 1899 avec une thèse ayant pour titre Evolution du testament en France des origines au 13e siècle. En 1916, l’Académie française lui décerne le prix Thérouanne (prix d’histoire et de sociologie).
  • Le 8 août 1914, le révérend père Auffroy vient à Sault-les-Rethel dans le département des Ardennes pour remplacer le curé mobilisé. Le 29 août, alors que la population fuit devant l’invasion allemande, il est pris comme otage par les Allemands et abattu à bout portant. Médaille militaire. Croix de guerre.

 

Frédéric BOUVIER

  • Il nait le 5 décembre 1871 à Vienne dans l’Isère, fils de Benoît et Nathalie Jacquet, il a pour frère l’abbé Claude Bouvier, mort à Vienne en Autriche le 4 novembre 1914. Jésuite au sein de la Province de Paris, il fréquente plusieurs maisons de jésuites à Lons le Saunier, puis Beyrouth, Cantorbéry (Angleterre), Hastings, Vienne en Autriche et enfin retour à Hastings en 1908.
  • Incorporé aumônier militaire et brancardier au 86e RI, il est cité à l’ordre du Régiment puis de l’Armée. Citation n°487 du 23/03/1916 à l’ordre du Régiment : « Au front depuis 17 mois, où il est venu comme volontaire, très actif, ne connaissant pas le danger et ignorant la fatigue. Dans la journée du 9 mars, a pansé et relevé de nombreux blessés sous un bombardement très violent ». A l’ordre de l’Armée, le 25/10/1916 : « Brancardier aumônier volontaire. Exemple parfait de l’abnégation et du dévouement, toujours prêt pour les missions les plus périlleuses. Tué glorieusement le 17 septembre 1916, en partant à l’assaut avec le deuxième élément ». Médaille militaire. Croix de guerre.

 

Alexandre CONSTANT

  • Né le jour de Noël 1878 à Savenay en Loire-Atlantique. Prêtre jésuite de la Province de Toulouse, il est missionnaire à Maduré (Indes françaises) en 1898, puis professeur au collège d’Hernani en Espagne.
  • Au 5e SIM (Service de Santé), Aumônier militaire volontaire, interprète anglais, brancardier, il est mobilisé le 8 août 1914. Il part en campagne avec le Train sanitaire n°9 et, de ce fait, est déclaré déserteur (par erreur). Il accompagne alors un convoi de blessés anglais, comme interprète, affecté au Royal Génie. Il est cité à l’ordre de l’Armée le 22 décembre 1916 : « S’est fait constamment remarquer par son activité et son courage. Le 24 octobre 1916, s’est porté courageusement en première ligne pour encourager les chasseurs qui partaient à l’assaut, a exercé son ministère auprès des blessés des bataillons de chasseurs et y a été tué. A été cité ». Chevalier de la Légion d’honneur. Croix de guerre.

 

Eugène JACQUART

  • Né le 5 mai 1887 à Ennetières-en-Weppes dans le département du Nord. Jésuite de la Province de Champagne, ancien professeur à l’école Saint-Joseph de Lille, il entre en noviciat le 12 janvier 1912.
  • Il est mobilisé le 1er août 1914 au 29e régiment d’artillerie de Laon avec le grade de maréchal des logis, il est nommé sous-lieutenant au 1er régiment d’artillerie à pied le 23 février 1915. Par la suite, il est rattaché au 15e régiment d’artillerie de campagne. Il est blessé le 6 septembre 1916 à Maurepas dans la Somme. Cité à l’ordre du Corps d’armée le 28 septembre 1918 (n°6) : « Au front depuis le début de la campagne, a toujours fait preuve au feu d’un courage et d’un mépris absolu du danger. Officier d’une haute valeur morale, blessés par de multiples éclats d’obus, le 5 septembre, au cours d’une reconnaissance, a supporté ses souffrances avec un calme héroïque ». Chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume. Médaille militaire. Croix de guerre.

 

René LE TOURNEUX DE LA PERRAUDIERE

  • Né le 3 avril 1892 à Versailles, fils de René Marie et de Pauline Deschassayns de Richemont, frère d’Henri, MPLF le 8 juin 1915 à Souchez (62). Il effectue son noviciat jésuite à Canterbury entre 1912 et 1914, licencié en histoire et en droit, étudiant à la faculté des lettres d’Institut catholique de Paris. Son père est officier d’infanterie de marine.
  • Incorporé en août 1914 au 135e RI à Angers, il est nommé caporal le même mois, puis sergent en janvier 1915. Il passe au 409e RI, en mars 1915, avec lequel il part au front. Blessé, il est évacué en juillet 1915. Il arrive à Verdun en février 1916. Sergent au 409e RI, il est cité à l’ordre de l’Armée : « Blessé une première fois, est revenu au feu, a pris le commandement de sa section avec grand courage. A été blessé une deuxième fois. Est enfin tombé glorieusement à la tête de sa troupe, à laquelle il avait su communiquer son énergie et son abnégation ». Médaille militaire (à titre posthume). Croix de guerre avec étoile de vermeil.

 

Jean POISSON

  • Né le 8 juillet 1895 à Rion-des-Landes (40), ayant trois frères MPLF : Marie-Antoine le 9/05/1915 à Neuville-Saint-Vaast (62) ; Joseph (lui aussi jésuite), le 23/05/1916 à Douaumont ; Jean-Charles le 18/08/1918 en Tunisie. Il étudie au collège jésuite en Belgique avant la guerre.
  • Incorporé le 15 décembre 1914 à la 18e SIC (Section d’Infirmiers Coloniaux), puis il intègre la SIC de la 10e division d’infanterie coloniale. Il est cité à l’ordre de la Division le 31 octobre 1916 : « Brancardier de grand cœur, apportant le dévouement jusqu’aux dernières limites, toujours volontaire pour les missions périlleuses. A été tué à son poste le 23 octobre 1916. A été cité ». Médaille militaire.

 

Marcel THELIER

  • Né le 4 novembre 1878 à Paris, il est jésuite de la Province de Paris, ordonné prêtre en 1912. Professeur de sciences au collège de Jersey, en Angleterre, il obtient une licence-ès-sciences à la faculté des Sciences de l’Institut catholique de Paris en 1905.
  • Sergent-brancardier au 22e régiment d’infanterie territoriale, il rejoint la 22e SIM. Cité à l’ordre du Régiment en octobre 1914 : « Sous-officier d’une rare noblesse de caractère. Au combat de Puisieux, le 29 septembre 1914, sous un grêle d’obus avant que sa section ne fût engagée, a exhorté au courage les hommes de sa demi-section en leur administrant les secours de la religion. A été tué quelques instants après par un obus qui blessait son lieutenant et tuait un de ses soldats ». MM : « Sous-officier d’un dévouement et d’une énergie dignes d’éloges, très estimé de ses chefs et de ses hommes. A en toutes circonstances montré l’exemple du devoir et fait preuve du plus grand mépris du danger. Tombé glorieusement au champ d’honneur le 29 septembre 1914 à Miraumont. A été cité ». Médaille militaire. Croix de guerre.

 

Sources :

  • Encyclopédie Wikipédia.
  • Encyclopédie Larousse.
  • Site Memorial GenWeb – www.memorialgenweb.org
  • Site institutionnel www.jesuites.com
  • Présentation de la communauté Pedro Arrupe de Vanves sur le site www.jesuites.com
  • Jésuites morts pour la France, Ed. Alfred Mame et Fils, Tours, 1921.
  • Travaux et relevés de madame Elisabeth de Montmarin.
  • Jean Lacouture, Jésuites, Seuil, 1991.
Portraits photographiques d’Henri Auffroy (en habits de prêtre), de Frederic Bouvier (casqué), d’Alexandre Constant (béret), d’Eugène Jacquart (képi), René Le Tourneux de la Perraudière (en habits de prêtre), de Jean Poisson (casqué), Marcel Thelier (habits de prêtre).
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Portraits photographiques d’Henri Auffroy (en habits de prêtre), de Frederic Bouvier (casqué), d’Alexandre Constant (béret), d’Eugène Jacquart (képi), René Le Tourneux de la Perraudière (en habits de prêtre), de Jean Poisson (casqué), Marcel Thelier (habits de prêtre).

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Publié le 2 Avril 2018

Docteur Nicole Girard-Mangin.

A Issy-les-Moulineaux, tout le monde connait ou a entendu parler de Madame le général Valérie André, Grand’ Croix de la Légion d’honneur, première médecin à devenir général de brigade, en 1976. Elle est alors directrice du département de santé de la 2e région Air. Les hommages qui lui sont rendus sont unanimes et mille fois mérités. Il suffit de regarder ses états de services extraordinaires, que ce soit pendant la guerre d’Indochine ou celle d’Algérie.

 

Valérie André est une pionnière. Elle n’est pas la seule. Qui connait Nicole Girard-Mangin ?

 

Biographie.

 

Nicole Mangin nait à Paris en 1878, de parents originaires du petit village de Véry-en-Argonne, dans le département de la Meuse.

 

A l’âge de 18 ans, en 1896, elle entame des études de médecine à Paris, ce qui n’est pas si courant. Elle se marie en 1899 avec André Girard et aura un fils, Etienne. Elle travaille alors, au côté de son mari, viticulteur, à l’exploitation du champagne.

 

En 1903, Nicole Magin-Girard divorce et revient à la médecine. Elle présente sa thèse en 1906. Le sujet est : Poisons cancéreux. Lors du Congrès international de Vienne en 1910, elle représente la France au côté du professeur de médecine, Albert Robin dont elle intègre le dispensaire antituberculeux à l’hôpital Beaujon. Elle effectue des recherches sur la tuberculose et le cancer et signe différentes publications.

 

En 1914, au déclenchement de la Première Guerre mondiale, elle se porte volontaire sous le nom de Docteur Girard-Mangin. L’administration ne doute pas un seul instant que ce docteur fut un homme. Elle est affectée au soin des typhiques du secteur de Verdun, qui croule sous les bombes depuis le 21 février 1916. Lorsque l’ordre d’évacuation est donné, Nicole Girard-Mangin ne peut se résoudre à abandonner les neuf blessés qu’elle a en charge. Elle reste sur place. De même, lorsqu’il est question d’évacuer cinq soldats nécessitant une hospitalisation, elle prend la tête du convoi, au mépris des obus qui pleuvent, au mépris de sa propre blessure : elle vient de recevoir un petit éclat d’obus qui lui a tailladé le visage.

 

Mais l’administration militaire ne voit pas d’un bon œil cette femme médecin. Elle lui fait savoir. Les heurts sont fréquents. Le meilleur moyen de se débarrasser de quelqu’un est encore de le promouvoir et de l’éloigner : en décembre 1916, Nicole Girard-Mangin est nommé médecin-major et est affectée à Paris, où elle se voit confier la direction de l’hôpital Edith Cavell, rue Desnouettes (Edith Cavell était une infirmière belge qui avait été fusillée par les Allemands, car elle avait permis l’évasion de centaines de soldats belges et alliés, alors prisonniers de l’ennemi).

 

Après la guerre, Nicole Girard-Mangin s’investit au sein de la Croix Rouge et donne des conférences sur le rôle des femmes durant la Grande Guerre. Préparant une conférence internationale, elle est retrouvée morte, peut-être victime de surmenage, au côté de son chien Dun, d’une overdose médicamenteuse, le 6 juin 1919. Athée, ses funérailles et sa crémation se déroulent au cimetière du Père-Lachaise, avant l’inhumation dans la caveau familial à Saint-Maur-des-Fossés.

 

Jamais, elle ne reçut ni citation ni décoration.

 

Un siècle plus tard… en mars 2015, La Poste lui consacre un timbre : « Il est fort probable que peu d’années, que dis-je, peu de mois après notre victoire, j’aurai un sourire amusé pour mon accoutrement singulier. Une pensée critique pour l’affection que je porte à Dun, ma chienne. Ce sera du reste injuste et ridicule. Je dois à ma casquette d’avoir gardé une coiffure correcte, même en dormant sur des brancards; d’avoir tenu des heures sur un siège étroit sans gêner le conducteur. Je dois à mes multiples poches d’avoir toujours possédé les objets de première nécessité, un couteau, un gobelet, un peigne, de la ficelle, un briquet, une lampe électrique, du sucre et du chocolat. Je dois à ma chienne, née et élevée là-bas bien des minutes d’oubli, son attachement désintéressé m’a été doux. Enfin, je dois à mes caducées et mes brisques le prestige qu’il m’a fallu parfois auprès des ignorants et des sots. »

 

Publication.

 

  • Les Poisons cancéreux, 1909.
  • Toxicité des épanchements pleurétiques, 1910.
  • Essai sur l’hygiène et prophylaxie antituberculeuse au début du 20e siècle, 1913.
  • Guide antituberculeux, 1914.

 

 

 

 

Sources.

 

  • Jean-Jacques Schneider, Nicole Mangin - Une Lorraine au cœur de la Grande Guerre - L'unique femme médecin de l'armée française (1914-1918), éditions Place Stanislas, 2011.
  • Catherine Le Quellenec, Docteure à Verdun - Nicole Mangin, éditions Oskar, 2015.
  • Encyclopédie Larousse.
  • Encyclopédie Wikipédia.

 

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Publié le 4 Mars 2018

La bataille de Verdun, vue par le Kronprinz.

Verdun. Un bilan.

 

Verdun fut une bataille de position, avec des pertes considérables pour un territoire conquis nul. Après 10 mois d’atroce souffrance pour les deux camps, la bataille coûta aux Français 378.000 hommes (62.000 tués, plus de 101.000 disparus et plus de 251.000 blessés, souvent invalides) et aux Allemands 337.000.

 

53 millions d’obus furent tirés dont près d’un quart n’explosèrent pas. Le 21 février 1916, les Allemands tirèrent près de 2 millions d’obus. Ce chiffre rapporté aux dimensions du champ de bataille, donne 6 obus par mètre carré ! Ainsi, la célèbre Cote 304, dont le nom vient de son altitude, ne fait plus que 297 mètres de hauteur après la bataille et le Mort-Homme a perdu 10 mètres !

 

Du fait du résultat militaire nul, cette bataille ramenée à l’échelle du conflit n’eut pas de conséquences fondamentales. Considérée par certains comme un symbole de futilité, la construction mythologique française d’après-guerre, à travers les cérémonies officielles, les défilés militaires, l’historiographie ou la littérature en a fait l’incarnation du sacrifice consenti pour la victoire.

 

Le Kronprinz.

 

Guillaume de Hohenzollern, en allemand Wilhem von Hoenzollern, est né à potsdam le 6 mai 1882 et est mort à Hechingen le 20 juillet 1951. Il fut le dernier Kronprinz, prince héritier royal prussien et impérial allemand.

 

Fils de l’empereur Guillaume II et de la princesse Augusta-Victoria de Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Augustenbourg, Guillaume épouse le 6 juin 1905 à Berlin, Cécilie de Mecklembourg-Schwerin (1886-1954), fille du grand-duc Frédéric-François III de Mecklembourg-Schwerin et d’Anastasia Mikhaïlovna de Russie.

 

Pendant la bataille de Verdun, il était à la tête de la Ve armée allemande, justement placée sur ce secteur.

 

La bataille de Verdun, décrite par le Kronprinz.

 

Le texte original du Kronprinz est assez long et détaille par le menu la bataille de Verdun. Précis, sobre en précisions stratégiques, c’est aussi un recueil de considérations générales sur la guerre. Il a été publié par le journal L’Illustration le 22 décembre 1928. Voici la conclusion de ce texte.

 

 

« Verdun a-t-il été le tournant décisif de la guerre ? Je réponds : non !

 

Verdun nous a coûté cher, très cher. Je ne parle pas seulement ici de nos pertes en hommes ou en matériel. Il y en eut d’autres non moins irréparables. Une gigantesque entreprise sur laquelle nous comptions terminer victorieusement la guerre fut réduite à néant malgré notre extrême ténacité et un emploi des forces pour ainsi dire illimité. Davantage : l’offensive contre Verdun eut pour résultat d’ôter pour bien longtemps à l’armée allemande, de la façon la plus dangereuse, sa puissance offensive. Elle épuisa nos effectifs sans possibilité de combler leurs vides. Chaque division qui avait combattu dans l’enfer de Verdun se trouva si lourdement éprouvée qu’un répit considérable lui devenait nécessaire avant de pouvoir être engagée de nouveau.

 

Malgré cela, Verdun n’a pas été le tournant décisif de la guerre. Les Alliés se trompent en le considérant comme tel. Si l’on compare le tracé de nos fronts sur le théâtre occidental et sur le théâtre oriental, au commencement et à la fin de l’année 1916, on se rend compte qu’il ne s’était pas sensiblement modifié, en dépit de l’offensive du Broussilof, en dépit de Verdun, en dépit de la bataille de la Somme. Tout en soutenant la bataille sur tous ces fronts, nous avions défait la Roumanie.

 

Bien que Verdun nous ait beaucoup coûté, il nous a aussi rapporté. Après tout, la victoire n’est pas le facteur essentiel de l’histoire, mais l’héroïsme de l’homme qui se laisse briser plutôt que de plier. C’est pour la gloire des héros qui ont combattu à Verdun, pénétrés de cet esprit, que j’ai fait mon récit. C’était à mes yeux un devoir envers ma patrie et envers les combattants de l’Allemagne. Il se peut que je me sois laissé aller à des digressions sur le caractère général de la guerre. Ce que j’ai dit à ce sujet sera peut-être approuvé par quelques-uns de mes lecteurs et déplaira à d’autres.

 

Mais les plus scrupuleux remettront sans doute à plus tard leur jugement définitif. Je ne serai plus là pour le connaître ou je n’en connaîtrais qu’une partie. Néanmoins, je suis convaincu qu’il existe entre tous ceux qui ont combattu héroïquement une sorte de communion universelle qui les anime d’un même esprit de camaraderie fraternelle, même lorsqu’ils ont été opposés face à face sur les champs de bataille.

 

C’est pour eux que j’ai écrit ce récit de la bataille de Verdun. »

 

KRONPRINZ GUILLAUME.

 

 

 

 

 

Sources :

 

  • Encyclopédie Wikipédia.
  • Encyclopédie Larousse.
  • Extraits de la revue l’Illustration.

 

 

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Publié le 16 Janvier 2018

Les disparus de la Grande guerre.

Joseph Baud.

Joseph Baud est né le 15 novembre 1882. Isséen, classe 1902, il porte le matricule 4413 au recrutement du 1er Bureau de la Seine (département d’alors). En 1914, il est affecté au 91e régiment d’infanterie, dont le casernement est à Mézières (département des Ardennes). Le 91 est une unité de la 7e brigade d’infanterie, de la 4e division et du 2e corps d’armée des armées françaises de l’Est.

En 1914, le 91e participe à la bataille des frontières, en Belgique, puis aux combats d’Houdrigny et de Rolbelmont. Un temps, il semble que les armées françaises puissent prendre le dessus sur les Allemands. Mais l’euphorie est de courte durée… Bientôt sonne l’heure de la retraite, qui va être intelligemment menée par les généraux Joffre et Castelnau. L’épilogue de cette première phase étant la Première bataille de la Marne.

Le 24 octobre 1914, dans les combats de Saint-Hubert, dans la Marne, Joseph Baud est porté disparu. Il a vraisemblablement été tué (mais il y eut aussi des déserteurs dont plus personne n’a entendu parler et même après la fin de la guerre, un peu comme dans le roman Un long dimanche de fiançailles écrit par Sébastien Japrisot, en 1991 aux éditions Denöel). Rappelons qu’une bataille, ce sont des milliers de morts et blessés en quelques jours… Morts et blessés qu’il faut évacuer, qu’il faut transporter et disperser dans les hôpitaux militaires. Alors, les disparus… Ce n’est pas forcément la priorité des régiments. Cela va le devenir de l’Etat-major de l’Armée française.

Trois ans après la fin de la Première Guerre mondiale, le tribunal du département de la Seine porte le jugement « Joseph Baud est considéré comme disparu » et est déclaré « Mort pour la France ». Le mois suivant, le jugement est transmis à la mairie d’Issy-les-Moulineaux. Joseph Baud est l’un des 350.000 (!!) soldats portés disparus ou faisant partie des « inconnus » dont les fosses communes sont présentes dans toutes les nécropoles nationales et autres cimetières militaires.

 

« La recherche des disparus ».

Dès les premières batailles, compte tenu du nombre de tués et de soldats qui ne « rentrent » pas se pose la question des disparus. Les militaires se mettent en recherche de ces soldats portés disparus, et ce dès 1915. Il s’agit de montrer que la France n’oublie aucun de « ses enfants » et, surtout, que tout disparu est recherché pour justement éviter… les disparitions hâtives ou désertions !

Ce ne sont pas les seuls.

D’abord les familles se mettent en quête de leurs disparus pendant et après la guerre. Il n’est que de voir le film remarquable de Bertrand Tavernier intitulé La Vie et rien d’autre. L’Etat cherche à jouer un rôle de facilitateur, en s’appuyant à la fois sur le bureau des renseignements du ministère de la Guerre et sur l’Agence des prisonniers de guerre de la Croix-Rouge française.

Le bureau de renseignements aux familles, rattaché au cabinet du ministre de la Guerre, a pour mission principale de rechercher les disparus. Il centralise tous les renseignements relatifs aux soldats blessés, malades, captifs, morts ou disparus. Ensuite, il transmet ces informations aux dépôts des unités, lesquelles doivent aviser officiellement la personne désignée par chaque soldat pour recevoir de ses nouvelles et répondre aux demandes des familles.

Mais à Lyon, une initiative privée complémentaire voir le jour avec l’Association française pour la recherche des disparus. Bientôt, elle édite un journal intitulé La recherche des disparus. Placée sous le haut patronage de la Société de secours aux blessés militaires et rattachée à l’Agence des prisonniers de guerre de la Croix-Rouge française, l’association s’est fixée deux missions : la recherche des disparus, sans concurrencer les circuits officiels et la facilitation des retrouvailles. Elle édite un journal qui publie des listes de personnes internées, hospitalisées, réfugiées, rapatriées de Suisse mais aussi des noms de personnes voulant se signaler. On y trouve également des petites annonces ainsi que des listes de camps de prisonniers français en Allemagne et, ce qui est plus rare, dans l’Empire ottoman.

Entre février 1915 et décembre 1917, 73 numéros de La recherche des disparus vont paraître. Selon les renseignements pris auprès de la Mission du Centenaire, cela représente plus de 50.000 noms de militaires et de civils.

Aujourd’hui encore, des initiatives ici et là sont prises (Conseil départemental des Yvelines, initiatives d’établissements scolaires, initiative de Jean-Michel Gilot : « 1.000 jours pour 1.325.290 poilus ». Initiative qui consiste à indexer les renseignements des fiches militaires publiées sur le site « Mémoire des Hommes »).

 

 

Sources :

  • Encyclopédie Wikipédia.
  • Encyclopédie Larousse.
  • Site de la mission du Centenaire.
  • Site des unités et régiments « Chtimiste ».

 

Les disparus de la Grande guerre.

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Publié le 14 Septembre 2017

A Rancourt, la Chapelle du Souvenir Français.

L’importance stratégique.

 

Les villages de Rancourt et de Bouchavesnes avaient une importance stratégique pendant la bataille de la Somme. La route reliant Péronne à Bapaume qui y passait était importante puisqu’il s’agissait d'un axe de communication allemand, essentiel pour le ravitaillement. C'est pourquoi l'armée française a été chargée en septembre 1916 de la reprendre, au prix de très nombreuses pertes et endeuillant de nombreuses familles.

Les communes de Rancourt et de Bouchavesnes-Bergen abritent aujourd’hui en un espace restreint trois cimetières de nationalités différentes : française, britannique et allemande.  Deux chapelles, une allemande et une française, y sont aussi implantées. Haut-lieu du souvenir de la participation française à la bataille de la Somme, le site de Rancourt-Bouchavesnes témoigne également de la rencontre d'hommages publics et privés.

L’implantation des cimetières, la co-visibilité existant entre eux et la qualité paysagère de leur environnement en font un lieu funéraire très symbolique.  Site international par les hommes qui y sont enterrés, il a également une vocation et pédagogique, puisqu’il permet de comprendre la manière dont chaque nation a rendu hommage aux siens, à travers une architecture, des matériaux, des références culturelles différentes.

Une cérémonie commémorative est organisée annuellement dans chacun des sites, le deuxième dimanche de septembre, ainsi que devant la statue du Maréchal Foch, au coeur du village de Bouchavesnes. La prochaine cérémonie se déroulera le dimanche 17 septembre 2017. S'appuyant sur la forte dimension symbolique et internationale de ce secteur mémoriel, la « Rose Somme 2016 » y a été baptisée le 25 juin 2016. Elle rend un hommage unique à l’ensemble des combattants inhumés, quelque soit leur nationalité.

 

La Chapelle du Souvenir Français.

Cette chapelle en pierre de taille est le fruit d’une initiative privée. La famille du Bos, originaire de la région, voulut ériger un monument à la mémoire de son fils mort et de ses camarades de combat, tombés dans le secteur, à la suite de combats très violents.

Depuis 1937, le Souvenir Français assure la gestion de l’édifice et l’animation du site, via un petit centre d’accueil. La nécropole française, située à Rancourt-Bouchavesnes, est la plus grande de sa catégorie dans la Somme (28 000 m²). 8 566 soldats y reposent, inhumés sous les stèles, ou dans les quatre ossuaires. Cette nécropole atteste de la violence des combats pendant la bataille de la Somme (1er juillet - 18 novembre 1916), résultant de la guerre de masse, totale et industrielle.

Marie-Thérèse et Jean-Pierre Desain sont les actuels gardiens de la Chapelle du Souvenir Français, de son musée ainsi que du centre d’accueil. La Chapelle est ouverte tous les jours de 9h à 18h de 10h à 17h du 1er octobre au 31 mars). Son accès est libre. Adresse : 2, route Nationale 80360 Rancourt - Téléphone + 33 (0) 3 22 85 04 47.

 

Le cimetière allemand.

 

Après le conflit, l'État français en 1920 choisit de regrouper les cimetières provisoires et les tombes isolées allemandes. Ainsi, est créé sur le champ de bataille de Rancourt-Bouchavesnes l’un des plus grands cimetières de la Somme. La plupart des combattants inhumés sont morts en 1916 et en 1918. Dans le cadre de la convention franco-allemande, le VDK (Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge, organisation allemande chargée de recenser, préserver et entretenir les sépultures des victimes de guerre allemandes à l'étranger) investit le site en 1929. La chapelle y aurait été alors élevée, comprenant une sculpture de mise au tombeau. Elle est inaugurée le 17 septembre 1933 en présence des autorités locales.

 

Le cimetière britannique.

 

Après la bataille de la Somme, l’armée française est relevée par l’armée britannique dans le secteur de Rancourt-Bouchavesnes. Les unités de la Guards Division y aménagent un cimetière pendant l'hiver 1916-1917 et l'utilisent à nouveau pour inhumer les officiers des 12e et 18e divisions en septembre 1918. Le cimetière définitif a été dessiné par N.A. Rew.

Marie-Thérèse et Jean-Pierre Desain.

Marie-Thérèse et Jean-Pierre Desain.

Sources :

 

  • Stéphane Audoin-Rouzeau, Jean-Jacques Becker, Encyclopédie de la Grande guerre, Bayard, 2004.
  • John Buchan, La bataille de la Somme, Thomas Nelson & Sons, 1920.
  • Marjolaine Boutet et Philippe Nivet, La bataille de la Somme, Taillandier, 2016.
  • Général Georges Girard, La bataille de la Somme en 1916, Plon, 1937.
  • Archives du Souvenir Français – Siège national.
  • Archives de la Délégation du Souvenir Français pour les Hauts-de-Seine et du Comité d’Issy-les-Moulineaux-Vanves.
  • Les informations de cet article sont issues du site Internet www.somme14-18.com

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Publié le 5 Août 2017

Le cimetière de Soupir, au pied du Chemin des Dames.

Le cimetière de Soupir, au pied du Chemin des Dames.

Contexte.

 

Printemps 1917. Une nouvelle fois, le grand commandement militaire français décide de faire la différence, une « bonne fois pour toutes », et de renvoyer les Allemands à Berlin. En dépit de plusieurs échecs depuis 1914, la décision est prise. Et puis, Verdun a montré l’année précédente, que la victoire était possible…

 

Le 16 avril 1917, l’armée française lance donc une grande offensive en Picardie, sur le Chemin des Dames, qui doit son nom au fait que cette route était régulièrement, deux siècles plus tôt, empruntée par Victoire et Adélaïde, filles de Louis XV.

 

Mais l’échec de l’offensive est consommé en 24 heures malgré l’engagement des premiers chars d’assaut français. On n’avance que de 500 mètres au lieu des 10 kilomètres prévus, et ce au prix de pertes énormes : 30.000 morts en dix jours. Le général Nivelle, qui a remplacé Joseph Joffre à la tête des armées françaises le 12 décembre 1916, en est tenu pour responsable. Lors de la conférence interalliée de Chantilly, le 16 novembre 1916, il assurait à tout un chacun que cette offensive serait l’occasion de la « rupture » décisive tant attendue. « Je renoncerai si la rupture n’est pas obtenue en quarante-huit heures » promettait Nivelle. Mais le lieu choisi, non loin de l’endroit où s’était déroulée la bataille de la Somme de l’année précédente, n’est pas propice à la progression des troupes, avec ses trous d’obus et ses chemins défoncés. De plus, les Allemands ont abandonné leur première ligne et construit un nouveau réseau enterré à l’arrière : la ligne Hindenburg.

 

Le ressentiment et le désespoir des poilus – qui bientôt se transformera en mutineries au sein de nombreux régiments – s’expriment dans la Chanson de Craonne.

 

La chanson.

 

Cette chanson anonyme a certainement plusieurs auteurs. Elle est apprise par cœur et se diffuse oralement de manière clandestine. Antimilitariste, le chant est bien entendu interdit par l’armée. Une légende veut que le commandement militaire ait promis une récompense d’un million de francs or et la démobilisation à quiconque dénoncerait l’auteur !

 

Chantée sur plusieurs fronts (Notre Dame de Lorette, Verdun), sa première version publiée parait le 24 juin 1917. Elle est notamment retrouvée dans les carnets du soldat François Court. Elle y est suivie de la mention « chanson créée le 10 avril 1917 sur le plateau de Craonne ».

 

Quand au bout d'huit jours le r'pos terminé

On va reprendre les tranchées,

Notre place est si utile

Que sans nous on prend la pile

Mais c'est bien fini, on en a assez

Personne ne veut plus marcher

Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot

On dit adieu aux civ'lots

Même sans tambours, même sans trompettes

On s'en va là-haut en baissant la tête

- Refrain :

Adieu la vie, adieu l'amour,

Adieu toutes les femmes

C'est bien fini, c'est pour toujours

De cette guerre infâme

C'est à Craonne sur le plateau

Qu'on doit laisser sa peau

Car nous sommes tous condamnés

Nous sommes les sacrifiés

 

Huit jours de tranchée, huit jours de souffrance

Pourtant on a l'espérance

Que ce soir viendra la r'lève

Que nous attendons sans trêve

Soudain dans la nuit et dans le silence

On voit quelqu'un qui s'avance

C'est un officier de chasseurs à pied

Qui vient pour nous remplacer

Doucement dans l'ombre sous la pluie qui tombe

Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes

- Refrain

C'est malheureux d'voir sur les grands boulevards

Tous ces gros qui font la foire

Si pour eux la vie est rose

Pour nous c'est pas la même chose

Au lieu d'se cacher tous ces embusqués

F'raient mieux d'monter aux tranchées

Pour défendre leur bien, car nous n'avons rien

Nous autres les pauv' purotins

Tous les camarades sont enterrés là

Pour défendr' les biens de ces messieurs là

- Refrain :

Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront

Car c'est pour eux qu'on crève

Mais c'est fini, car les trouffions

Vont tous se mettre en grève

Ce s'ra votre tour, messieurs les gros

De monter sur le plateau

Car si vous voulez faire la guerre

Payez-la de votre peau

 

Philippe Pétain.

 

Le général Nivelle est limogé. Il est remplacé par le général Philippe Pétain, vainqueur de Verdun. Il s’applique en premier lieu à redresser le moral des troupes. Il fait sanctionner avec modération les faits d’indiscipline collective, limitant à quelques dizaines – sur des milliers – le nombre d’exécutions (de fait, bien moindre que le nombre de fusillés de 1915).

 

En 1918, le général Pétain est resté le plus populaire des officiers généraux de l’armée française. La Chanson de Craonne aussi... Depuis 1918, elle a été reprise des centaines de fois.

 

 

 

Sources :

 

  • Encyclopédies Larousse, Britannica, Wikipédia.
  • Thierry Bouzard, Histoire du chant militaire français, de la monarchie à nos jours, Editions Grancher, 2005.
  • Jean-Claude Klein, Florilège de la chanson française, Ed. Bordas, 1989.
  • Guy Marival, La Mémoire de l’Aisne, 2001, et Enquête sur une chanson mythique, 2014.
  • Pierre Miquel, le Chemin des Dames, Perrin, 1997.
  • René-Gustave Nobécourt, Les Fantassins du Chemin des dames, Robert Laffont, 1965.
  • Nicolas Offenstadt, le Chemin des Dames, Paris, Stock, 2004.
  • Site www.herodote.net

 

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