premiere guerre mondiale

Publié le 25 Octobre 2014

Journal d'un poilu - 2/5 - En état de guerre.

Journal du caporal Eugène Chaulin (104e RI).

 Août 1914 :

  Samedi 1er : ordre de mobilisation générale.

 Lundi 3 : départ pour la mobilisation. 2e jour : Déclaration de guerre de l’Allemagne à la France.

 Mardi 4 : visite et habillement.

 Mercredi 5 : exercices divers de service en campagne.

 Jeudi 6 : même chose.

 Vendredi 7 : marche de la compagnie pour réunion du bataillon à Châtillon – pluie battante.

 Samedi 8 : à 2 heures, embarquement à Vaugirard. Passage et arrêt à Meaux à 9h30. Passage et arrêt à Reims à 15h00. Arrivée à Verdun dimanche matin à 1 heure. Stationnement à Belleville à 2 km de Verdun. On couche dans une grange.

 Dimanche 9 : repos à Belleville. Le matin, avec un camarade, on déjeune d’une boîte de langouste et d’une bouteille de vin gris à 0 franc 80.

 Lundi 10 : départ à 2 heures du matin. Direction de la frontière – marche pénible et longue dans les côtes de la Meuse du côté de Ornes par Bras. Bivouac vers 9h00 du matin, dans un verger garni de prunes dont on mange les prunes. Le 104 est mis en réserve près de Gremilly. On achète des œufs et un peu de vin.

 9h00 du soir. Changement de position. On distribue un supplément de cartouches. Bivouac dans un champ d’avoine où l’on arrive fort en sueur. Garde tranchée. Je couche dans le champ d’avoine. Le matin, je suis réveillé par le froid, la rosée nous mouillant tous nos vêtements.

 Mardi 11 : garde dans tranchées occupées la veille. Il fait très chaud, le soleil est brûlant. On établit des abris avec des feuillages pour avoir de l’ombre. On couche dans les tranchées. On se repose assez bien, on n’a pas trop froid.

 Mercredi 12 : on quitte les tranchées dès le matin pour aller occuper une ferme. Après, nous avons exploré le terrain. Là, un camarade achète du beurre. Dispositions pour la surveillance. Pendant 6 heures, de 2h00 à 8h00, je suis en patrouille fixe au milieu d’un immense champ d’avoine à surveiller la lisière d’un bois. Le soleil est brûlant, la place peu agréable.

 Jeudi 13 : alerte dans la nuit (une section tire des coups de fusils dans un bois sur un ennemi imaginaire). Départ vers 2h30 pour aller occuper une autre ferme où l’on bivouaque (on couche dehors sur la terre) et où l’on cantonne après avoir établi les postes de surveillance. Journée de complet repos. Le soir, pendant 2h, de 8 à 10, poste pour garder la compagnie.

 Vendredi 14 août 1914 : la compagnie reste à occuper la ferme. Ma section est de piquet. Vers 11h00, groupement du bataillon à 200 m dans un champ. Repas. Départ, on repasse par la ferme occupée le 12 août (changement de direction causé par la présence de l’ennemi dans une ferme qu’on avait occupée). Reconnaissance d’un bois. Vers 10h du soir, groupement en bivouac de tout le régiment au Haut.

 Le 104 doit être en réserve, et une grande bataille doit se dessiner, ayant pour but d’anéantir le corps d’Allemands coupé par le général d’Amade.

 Samedi 15 : réveil causé par le froid. Suivi de concentration présentant un fond marécageux. Non loin de l’endroit, se trouve la tombe d’un soldat du 130e, blessé dernièrement et mort à la suite de ses blessures.

 Le 104e reste en réserve. Je vois Duval et Petron. On entend le canon au loin. Fusillade sur un aéroplane allemand. Gauthier vient me voir et m’apporte des lettres.

 Après la soupe du matin, on transporte le bivouac dans un petit bois contigu après avoir aménagé de petites cabanes garnies de roseaux. Il y a eu distribution d’eau de vie à cause du mauvais temps. Vers 6h du soir, une pluie intense commence, qui dure une grande partie de la nuit. Mais nous n’avons été guère mouillés. Les capotes étaient à peine traversées.

 Dimanche 16 : le matin nous conservons nos cantonnements (les hommes se réunissent autour des feux pour sécher leurs effets. Eau mauvaise à boire, elle est puisée dans un étang). A midi 30, départ pour aller occuper une ferme à 2km environ afin de se trouver logés à l’abri dans les granges et les hangars. Temps nuageux et pluvieux. Nuit tranquille. Nous sommes très tassés. Les jambes des uns dans les jambes des autres. On repose cependant.

 Lundi 17 : à 5h30, départ pour la direction de Romagne-sur-Cotes, lieu où nous arrivons vers 9h. Tout le long du parcours, on remarque les abattis de bois, les tranchées, les barrages. On passe dans un lieu où il y a eu sans doute une bataille à cause des traces de vêtements et d’obus. Dans la matinée, on entend le canon à différentes reprises. Toute la brigade est réunie, je trouve des camarades du 103 (Lebouc), des infirmiers (Tourmart), un médecin-major (Delivet).

 A noter, la bataille du 10 août à Mangiennes où le 130e régiment d’infanterie (deux bataillons, Mayenne et Domfront) a subi une perte importante. D’une compagnie, il ne reste qu’un officier et un soldat. Malgré tout, les Allemands reculent parce qu’ils sont repoussés par le 26 d’artillerie qui arrive au secours du 130 dont le départ est dû à une manœuvre risquée.

 A noter, la cherté et la rareté des vivres. On ne trouve rien, ni sucre, ni chocolat, ni vin. Le vin se vend 2 francs 25 le litre et on ne peut même pas en avoir. Cela vient de ce que beaucoup de troupes ont passé avant nous.

 Mardi 18 : à 5h30, départ pour la direction de Rupt, après avoir dépassé Damvillers et Dambras – marche longue de plus de 25 km (environ), route sinueuse, beaucoup de côtes longues et abruptes, chemin très boueux et de mauvaise odeur. On arrive tard à Rupt (environ 1 h). On s’installe dans une remise. La marche a été longue et pénible, chaleur intense. Beaucoup d’hommes sont exténués et tombent sur la route. J’ai fait installer des feuillées. J’ai vu un chargeur allemand avec ses balles, ainsi qu’un ceinturon et un biscuit extérieurement petit, à peine gros comme un morceau de sucre (ces trophées viennent du combat de Mangiennes). Nuit tranquille, on repose dans une grange.

 Notes : beaucoup de noms de cette région portent le nom de Rupt (Rupt-sur-Othain, Betrupt). Ce nom de Rupt doit signifier rivière ou vallée. Beaucoup de noms terminent en « Dun » : Verdun, Audun.

 Un ami m’a acheté 6 morceaux de sucre pour 2 sous. Nous sommes dans de petits pays de peu d’importance et mal ravitaillés. Heureusement que l’ordinaire nous suffit.

 Mercredi 19 : 8h30. A 4 camarades, nous allons chez une brave femme boiteuse qui nous sert à chacun un demi-bol de café avec un verre d’eau de vie, le tout pour 30 centimes. Elle nous vend 1 sou les 5 morceaux de sucre. Je conserve ma part d’eau de vie dans une bouteille à alcool de menthe que me cède un camarade.

 Notes : dans chaque endroit, beaucoup de camarades achètent poules, canards, lapins, à des prix différents. Je n’achète rien pour la bonne raison que c’est difficile et long de préparer toutes ces victuailles et que d’autre part, nous ne manquons pas de viande.

 Vers 11h, rassemblement de la compagnie. Nous partons nous installer aux avant-postes placés à environ 4 km au nord de Rupt-sur-Othain. Notre escouade est installée en petit poste au milieu d’un champ d’avoine, sous l’ardeur des rayons d’un brûlant soleil d’août. Nous voyons un aéroplane allemand.

 Le soir, on nous apporte à manger, mais on ne nous apporte ni pain ni viande. Nous passons la nuit abrités pas quelques gerbes d’orge. Nous dormons peu car il faut veiller en étant assez proche de l’ennemi. La nuit est très fraîche et nous n’avons pas trop chaud, surtout aux pieds. Malgré tout, la nuit se passe tranquillement.

  Aspects du pays :

 Physique : grandes étendues de terrains en plaine ou en coteau. Des côtes. Des mamelons. Des bois. Rappelle plutôt la Beauce que la Normandie, du moins dans notre région. De petites forêts. Routes boueuses – ravinées – Terrain calcaire (coquelicots – bleuets). Pas de haies.

 Dans l’Oise : grandes plaines cultivées surtout en blé et en betteraves. Rappelle beaucoup la Beauce mais avec un aspect moins rigide. Les bourgs sont plus coquets et plus riches.

 Politique : peu de gros villages. Fermes isolées et de grande étendue. Dans les villages, ce ne sont pas des maisons de commune mais de grosses fermes réunies.

 Economique : pays agricole. Grandes cultures de blé, avoine, orge. Prairies artificielles, luzerne, trèfle. Culture en grand. Dans chaque ferme toutes les machines agricoles modernes (moissonneuses, râteaux, faucheuses, …). On emploie le bœuf dans les travaux champêtres. Les vaches sont noires et blanches. Culture des pruniers dont les prunes servent à faire une eau de vie utilisée dans le pays.

 Habitation : constructions en pierres assez solides. A remarquer la toiture très plate. Couverture en tuiles (les tuiles sont ovales et s’emboitent les unes dans les autres). Les charrettes et les chariots sont à quatre roues, ils diffèrent beaucoup des voitures employées en Normandie. Les maisons sont vieilles, elles datent de 1820 environ (la date y figure).

 Mœurs : les femmes portent de gros souliers pour aller travailler dans les champs. L’hygiène est peu observée dans les bourgs, tous les tas de fumiers se trouvent installés devant les portes.

 Langage : les habitants ont un accent spécial, ils parlent en donnant l’impression qu’ils serrent les dents. Ils ne brillent pas par leur propreté. Ils sont en général d’un accueil peu sympathique.

 Belgique : suite naturelle du pays environnant. Villages plus concentrés, plus propres. Les gens parlent un français analogue à celui des départements frontières. A noter les poteaux indicateurs sur les routes ayant plusieurs bras et les plaques bien plus claires et plus lisibles que les nôtres (genre métro).

 Départements visités : Meuse, Meurthe-et-Moselle, Belgique, Ardennes, Marne, Oise, Aisne.

  

Etat de guerre : d’abord dans les champs, des tranchées recouvertes suivant les lieux (de blé, d’avoine, d’herbe). Puis les rouleaux de fil de fer déroulés le long des haies pour présenter un obstacle à la cavalerie ou des réseaux de fil de fer attachés de piquet en piquet dans le même but.

 Les barrages des routes, des chemins, des abords des villages avec voitures, machines agricoles, arbres, terre, pierres, etc. – afin de retarder l’arrivée des ennemis et permettre aux troupes d’organiser le combat. Les abattis de bois et de taillis à hauteur de genoux pour servir de piège à la cavalerie ennemie et servir de couvert à l’infanterie. Les routes sont abimées par le passage réitéré des troupes de toutes armes. Dans beaucoup d’endroits, les gens quittent leurs fermes, emmenant leur bétail et leur mobilier de peur de l’invasion ennemie. On coupe les fils de fer. On traverse les champs en pleine culture, on y creuse des tranchées.

 Beaucoup de soldats de régiments divers se conduisent en pirates et pillent les fermes où ils cantonnent (prennent les légumes du jardin, les fruits des arbres, le bois, les poules…). Les villages où ont lieu des combats sont complètement saccagés. Ils sont incendiés. Tous les boulets et beaucoup de balles arrivent sur les maisons. Le soir, on aperçoit, au loin des lueurs, ce sont des villages incendiés.

 Les rails de chemin de fer sont enlevés. Les pays se vident et c’est un spectacle malheureux que de voir tous ces habitants s’enfuir avec leur matériel, leur bétail et leurs biens. Les vieux, les jeunes, tous se sauvent de village en village avec une mine effarée. Tout le long de la route, on trouve des cadavres de chevaux épuisés de fatigue et abandonnés. Près de Sainte-Menehould, dans les champs, on voit des quantités de tripailles de bœufs et de vaches qui ont dû être tués pour le ravitaillement de la troupe. Le long de la ligne de chemin de fer, nous croisons des trains de la Croix Rouge qui vont chercher des blessés. Les voitures sont aménagées avec des lits pour le transport des blessés.

 Jeudi 20 août : dès 4h30, nous sommes debout. Quelques temps après, nous voyons arriver du pain et un casse-croûte. Le soleil nous réchauffe et nous sommes bien. Nous épluchons des petits pois trouvés au milieu du champ d’avoine. Nous supportons jusqu’à 12h30 les ardeurs du soleil. A cette heure, nous sommes remplacés par une autre compagnie et nous rentrons à Rupt.

 Il faut aller tout préparer pour passer une revue. Vivres de réserves, chaussures, cartouches (188). Toute notre soirée est ainsi occupée en vue de cette revue d’un commandant. Je reçois deux lettres en arrivant de notre garde. Après la revue, repas et coucher dans une grange où je me repose bien.

 Vendredi 21 : le réveil est donné à 4h, mais seulement vers 6h nous quittons Rupt-sur-Othain pour la direction de la Belgique pour Grand Failly. Petit Failly, Villette, Charency, c’est à quelques kilomètres de cette dernière localité que nous entrons en Belgique où la démarcation de frontière est donnée par la lisière d’un bois et d’un chemin.

 Il est environ 1h de l’après-midi. Près de la frontière, se trouve une maison où l’on vend du tabac, des allumettes à des prix très faibles. Près de Charency, au bord d’un champ d’avoine, on a vu un uhlan tué quelques instants auparavant. Dans une rencontre entre une patrouille de hussards et de uhlans, deux hussards, deux frères dont l’un est officier, ont été tués. A partir de 1h, nous reconnaissons un bois, dans lequel nous restons jusque vers 5 heures. Notre compagnie est en réserve pendant que le 1er bataillon du 104e RI et du 103e RI se mettent aux prises avec l’ennemi. On entend le canon et la fusillade une bonne partie de la journée et tard encore vers le soir.

 Un orage vers 16h30 avec une pluie intense arrête un instant le combat. Nous profitons de l’accalmie pour sortir du bois et venir se former sur la route. Nous attendons alors pour se rendre à notre commandement. Le canon tonne toujours au lointain. Une partie du 14e hussards (NDLR : commandé par le chef d’escadron de Hautecloque) défile devant nous et l’on remarque un casque de uhlan, des lances, et un cheval du 19e uhlan – deux hussards ont été blessés et un cheval tué.

 Nous sommes bien reçus. Un peu après Charency, on nous donne un litre de grenadine. Une fois reformés sur la route, deux dames nous distribuent du café et du lait. Nous arrivons vers 8h du soir au cantonnement à Ruette. Les gens sont très affables, ils nous donnent à profusion du café, mais ils n’ont pas beaucoup de provisions car les Allemands leur ont empêché le ravitaillement. Nous sommes très tassés, nous sommes obligés de dormir accroupis. A cause de la fatigue, on dort cependant surtout que nos nuits sont brèves.

 Samedi 22 : réveil et départ dès 4h. Toute la division au complet avec toutes les armes. C’est le 4e corps d’armée qui marche en Belgique vers l’ennemi. Itinéraire : Ruette – deux petits pays et arrivée au village de Gilzar où doit se livrer la bataille. Au premier village précédent, on distribue des cartouches et les outils sont accrochés au ceinturon. A peine arrivé au village d’Ethe (Belgique) qu’un échange de quelques coups de fusils a lieu. On arrive alors à la gare et l’on continue vers la ligne de chemin de fer. On trouve alors deux uhlans et cheval tués, on rencontre un soldat du 103e blessé. Les balles sifflent, notre section gravit le talus et va prendre position près des rails.

 Les Allemands sont installés sur l’autre côté. Notre commandant tombe aux premières balles. La fusillade dure un long moment des deux côtés. L’artillerie rentre en ligne et le canon tonne des deux côtés. A ce moment, l’ordre est donné de se replier sur le village pour laisser le champ libre à l’artillerie. On dégringole le talus sous les balles, on saute par-dessus les fils de fer. On traverse routes, fossés, gare et l’on suit quelque temps une ligne de chemin de fer, on côtoie une rivière, on traverse des champs et enfin on se retrouve dans le village. Une partie de la compagnie va occuper une crête, les autres se réfugient vers une aciérie. Après quelques temps, on quitte cette position et le capitaine nous installe à l’abri d’une barge de fagots. Nous restons là. Les canons bombardent toujours et la fusillade a lieu par moment.

 Enfin, à 8h, l’ordre de retraite est donné. Tous les hommes sont dispersés, il y en a de tous les régiments et toutes les compagnies. Sur une largeur de plus de 100 mètres, on ne rencontre que chevaux tués, voitures cassées, blessés qui geignent et appellent au secours. Tout le monde fuit sans ordre et avec hâte malgré l’état de fatigue physique et morale. Nous arrivons au cantonnement de la ville de Ruette à 10h30, nous reposons un peu, mais de peur de surprises de l’ennemi, nous quittons ce lieu dès minuit et nous reprenons le chemin de la frontière.

 Nous franchissons cette dernière et après une marche de plusieurs kilomètres nous arrivons au petit jour à Charency. Nous couchons comme nous pouvons dans les maisons. Avec Petron et quelques autres, nous couchons dans une pièce, sur un parquet. Nous sommes tellement harassés que nous dormons tout de même. C’est une grande journée de bataille qui m’a vivement impressionné. Deux villages ont été incendiés.

Défense de tranchée par des soldats français (© www.sambre-marne-yser.be )

Défense de tranchée par des soldats français (© www.sambre-marne-yser.be )

Voir les commentaires

Publié le 22 Octobre 2014

Le caporal Eugène Chaulin du 104e (© Famille Keraudren).

Le caporal Eugène Chaulin du 104e (© Famille Keraudren).

 

Présentation.

 Le colonel Pierre Keraudren a longtemps été membre du conseil d’administration du Souvenir Français. Il y exerçait le rôle de secrétaire général adjoint. Il a bien voulu nous confier une archive familiale. Il s’agit d’un journal du grand-père de son épouse, le caporal Eugène Henri Jean Chaulin, mort à 25 ans, le 29 septembre 1914 à l’hôpital militaire de Brest, des suites de blessures reçues aux combats de Canny-sur-Matz, le 22 septembre. A la déclaration de guerre, Eugène Chaulin faisait partie de la 12e compagnie du 104e RI, portait le matricule 4796 au corps, le 46 au recrutement à Argentan et était de la classe 1909.

 Madame Keraudren : « Ma grand-mère, âgée de 91 ans, est décédée en 1980. Depuis 1914, elle avait toujours fait fleurir la tombe d’Eugène au cimetière de Saint-Martin-des-Landes en Normandie. Maman a fait de même jusqu’en 1996, et depuis c’est moi, qui chaque année fait déposer des fleurs sur la tombe de ce jeune papa mort pour la France à 25 ans.

 Après le départ de ma mère, j’ai éprouvé le devoir et le désir de faire revivre celui dont on n’avait jamais parlé. De recopier ses notes au crayon, presque effacées. Le souvenir était presque envahissant, en pensant à cet homme disparu que maman n’avait jamais connu. »

 Eugène Chaulin était né le 27 août 1889, fils de Jean Chaulin et de Joséphine Bisson, époux de Mademoiselle Gabrielle Barraud et papa de la petite Jeanine, née le 19 août 1913. Il exerçait la profession d’instituteur.

 Le 104.

 Le 104e régiment d’infanterie est un vieux régiment, créé sous la Royauté, en 1779. Il a pour nom à l’origine « Royal Deux Ponts ». Au cours de la révolution française, il sert à Jemmapes et participe à la victoire contre l’Autriche. Puis il est utilisé au moment des guerres napoléoniennes. Sur son drapeau sont inscrites les batailles suivantes : Gênes en 1800 ; Splügen, la même année ; Mayence en 1814 ; l’Ourcq en 1914 ; Reims et Arnes en 1918.

 Dissous puis récréé en 1854 à partir du 29e régiment d’infanterie légère, ses quartiers sont établis à Paris et à Argentan au début de la Première Guerre mondiale. Son état-major est alors le suivant : colonel Drouot, chef de corps ; lieutenant-colonel Rochefrette en chef de corps adjoint ; capitaine Ruef, major du régiment ; lieutenant Soyeux, en charge des détails ; lieutenant Gacon en charge de l’approvisionnement ; sous-lieutenant Denoux, en charge du service téléphonique ; médecin-major Trassagnac ; lieutenant Gillet, prote drapeau ; chef de musique Vivet ; lieutenant Poigny, commandant la 1e section de mitrailleuses ; lieutenant Thoreau, commandant la 2e section ; lieutenant Guedes, commandant la 2e section. Trois bataillons composent également le 104 : le premier, bataillon d’état-major avec quatre compagnies, sous les ordres du chef de bataillon Forcinal ; le deuxième, sous les ordres du commandant Henry et le 3e sous ceux du commandant Levin, avec quatre compagnies, les 9e, 10e, 11e et 12e , cette dernière étant sous les ordres du capitaine Vinter.

 Eugène Chaulin est dans cette 12e compagnie.

 Au cours de la Première Guerre mondiale, le 104 va participer aux combats en Belgique, à la bataille de la Marne, sur la Somme, le tout en 1914 ; l’année suivante, il est en Champagne, puis à Verdun en 1916. En 1917, il est sur les hauts de la Meuse puis à nouveau sur Verdun ; en 1918, il bataille au mont Kemmel, dans les Flandres, sur la montagne de Reims, dans la Marne et enfin sur Mourmelon-le-Grand (rivière de l’Arnes).

 Au cours de ces cinq années de guerre, le 104e RI va perdre 84 officiers et plus de 2.700 hommes, dont 411 disparus.

 Le 104 est un régiment de la 14e brigade d’infanterie, 7e division d’infanterie (général de Trentinian), 4e corps d’armée (général Boëlle), IIIe armée (général Ruffey – qui sera limogé le 30 août 1914).

 Le général de Trentinian sera révoqué après la bataille d’Ethe, en Belgique, en 1914. Militaire de talent et reconnu pour ses états de guerre, principalement dans les colonies (Tonkin, puis Sénégal, Soudan, Sahel et enfin Madagascar), il publiera un mémoire expliquant les différents combats d’Ethe, dont il est l’un des rares vainqueurs. Plus tard, à la tête des 103 et 104, il sauvera le gain de la bataille de la Marne avec les fameux taxis de la Marne. Le général de Trentinian, dreyfusard (ceci explique peut-être aussi pour partie cela), sera réhabilité par le général Gallieni, qui lui remettra le grade de Grand-croix de la Légion d’honneur, puis par un rapport mais qui ne sera publié qu’en 1923 (par le commandant Grasset – Rapport sur la Bataille d’Ethe).

  

Sources :

 - Renseignements et archives familiales de Monsieur le colonel Pierre Keraudren et Madame.

- Encyclopédie Universalis, dictionnaire Larousse, encyclopédie Wikipédia.

- André Castelot et Alain Decaux : Histoire de la France et des Français, Larousse.

- Service historique de la Défense – Site « Mémoire des hommes » du ministère de la Défense.

- Site internet www.chtimiste.com sur l’historique des régiments.

- Site Internet : www.sambre-marne-yser.be

- Journal de Marche du 104e RI.

Le général Edgard de Trentinian (© Mr J de Trentinian et www.sambre-marne-yser.be )

Le général Edgard de Trentinian (© Mr J de Trentinian et www.sambre-marne-yser.be )

Voir les commentaires

Publié le 1 Février 2014

 

ypres3

Des éclaireurs-cyclistes se rendent sur Ypres.

 

Le 342e régiment d’infanterie, régiment de réserve du 142e RI de Lodève-Mende, a été crée à la mobilisation, le 2 août 1914. Il est alors composé de 2186 hommes qui quittent Mende (Lozère), le 10 août 1914 sous les ordres du lieutenant-colonel Heliot, « un vieil et rude africain ». Le régiment est composé de deux bataillons : le 5e commandé par le chef de bataillon Julien qui encadre quatre compagnies (capitaines Danton, Boge, Saget, Balesta) et le 6e avec à sa tête, le chef de bataillon Bernard qui encadre aussi quatre compagnies (capitaines Petitjean, Devaux, Chourreu et Taffin). Les hommes viennent de la Lozère, de l'Aveyron, de l'Hérault, de l'Aude, des Pyrénées-Orientales. Un noyau important d'Auvergnats de Paris apporte, au milieu du patois méridional, un accent faubourien qui sait blaguer aux heures difficiles.

 

La bataille d’Ypres

 

Le 19 août, c’est le baptême du feu en lisière sud du bois de Mulwald pour couvrir Angviller (Moselle). Le 26 août, le 342e se distingue à La Mortagne (Meurthe-et-Moselle). Les compagnies Danton et Saget subissent leurs premières pertes. La campagne de Lorraine terminée, le 342e rejoint Saint-Mihiel (Meuse) puis Manoncourt (Meurthe-et-Moselle) sous une pluie battante et une marche épuisante. Le 24 septembre, elle perd son premier officier, le sous-lieutenant Lasvignes de la 24e Cie.

Le secteur s'organise, les tranchées se creusent, des réseaux barbelés sont posés, les attaques deviennent vaines sans une préparation d'artillerie encore impossible à réaliser. Les escarmouches sont quotidiennes et le 342e tient bon la place quand, fin octobre, il est envoyé à Ypres (Belgique). Le 5e bataillon (Julien) est placé, le 1er novembre au matin, sous les ordres du chef de corps du 143e R. I. et va renforcer ce régiment, au nord de Wyschaête (Belgique), sur la route de St-Éloi. La 18e Cie (Boge) est au sud, les 17e (Danton) et 20e (Balesta), au centre, la 19e (lieutenant Pic), au nord, tout le bataillon est face à l'est sur deux lignes et l'on s'efforce de faire le plus de volume possible.

Le capitaine Balesta est tué le soir du 1er novembre. Le capitaine Boge et le sous-lieutenant Surbézi (20e Cie) le 2 novembre, le commandant Julien et le lieutenant Ribes (17e Cie) sont grièvement blessés ce même jour. Les pertes sont importantes. Les combats violents se poursuivent Le lieutenant téléphoniste Teisserenc essaie de les contenir ; il est tué presque aussitôt et la poussée est si forte, que le 342e est contraint à céder un peu de terrain. A la 22e compagnie, le capitaine Devaux et le lieutenant Geoffroy sont tués, les lieutenants Palanca et Cayrel sont très grièvement blessés ; à la 23e compagnie, le seul officier présent, le sous-lieutenant Gleyses, est grièvement blessé à la tête ; les mitrailleurs perdent leur chef, le sous-lieutenant Justafré, tué en tête de sa section. Au soir du 3 novembre, le bataillon Bernard ne compte plus que deux officiers valides : le sous-lieutenant Darnaudy de la 24e compagnie et le lieutenant Rigal qui prend le commandement du 6e bataillon où une compagnie reste encore sous le commandement d'un adjudant, car il n'y a pas assez d'officiers…

 

Noël 1914 en Belgique

Après cette hécatombe, le 342e est relevé par des Anglais pendant trois jours avant de repartir au combat. Il est renforcé par près de 300 hommes. Le 9 décembre, les hommes abandonnent les tranchées de Saint-Eloi et les cantonnements de Dickebusch, pour la Clytte et le secteur de la ferme de Hollande devant Groote-Vierstraat.

Noël 1914 se passe à la Clytte en joyeuses fraternisations avec Anglais et Belges, puis le 342e occupe de nouveau Saint-Éloi. Le 28 décembre, le régiment de réserve prend enfin le secteur de Laukof, au nord du canal d'Ypres à Commines. Là, les tranchées sont par endroits à quinze mètres de celles de l'ennemi. Tout le mois de janvier 1915, les compagnies passent à tour de rôle, 36 heures consécutives dans les tranchées, en première ligne.

Le 31 janvier, une attaque allemande à la grenade s’empare d’une tranchée française. Pour la reprendre, le 6e bataillon (capitaine Laliron) perd 143 hommes, dont deux officiers. En février, le 342e RI quitte avec amertume les zones de combats où il a connu de terribles souffrance malgré le renfort, entre novembre 1914 à février 1915, de 1.867 hommes venus d’autres régiments.

 

Bataille de la Champagne

Le 342e RI est transféré sur le front de Champagne. Le 19 mars, seulement une demi-heure après avoir relevé le 96e RI, les hommes du LCL Heliot essuient un violent bombardement et une fulgurante attaque de l’infanterie ennemie. Le régiment qui riposte vaillamment perd 176 hommes ainsi que 122 blessés et une centaine de disparus. Parmi les premiers tués : le capitaine Laliron commandant le 6e bataillon et ses quatre commandants de compagnie : le capitaine Combet, le lieutenant Rigal, le capitaine Garnier et le lieutenant Guiraud. Un sixième officier grièvement blessé tombe aux mains de l'ennemi : le sous-lieutenant Daubiné (21e Cie) qui rentrera plus tard d'Allemagne les deux jambes coupées. Cette même journée, dans une escarmouche proche de la Ferme de Beauséjour, le chef de corps du 342e RI, le LCL Héliot est grièvement blessé et trois de ses officiers du 5e bataillon sont tués : le capitaine Jacoby (19e Cie), le lieutenant Ribes et le sous-lieutenant Le Garrec (20e Cie).

C’est le capitaine Danton qui vient prendre le commandement du régiment et le conduit le 23 mars à Somme-Bionne où arrivent un nouveau chef de corps, le Lieutenant-colonel Blavier, les officiers et gradés du 107e bataillon de marche, en tout 462 hommes en divers renforts. Installé à l’ouest de Perthes-les-Hurlus en avril 1915, le régiment doit affronter la terrible guerre des mines et celle des créneaux où les tireurs d'élite font merveille ; ce sont les meurtrières fléchettes, les bombes de tout calibre que l'on s'envoie de tranchée à tranchée et qui, par leur harcèlement continu, ralentissent les travaux. Les cinq mois à Perthes-les-Hurlus se passent en luttes incessantes ; « on se grignote » de tranchées en tranchées pour gagner 10 mètres, en reperdre 15 puis en reprendre 20…

Pendant cette période (avril à août 1915) le 342e reçoit le renfort de 817 hommes. A la fin août, le Régiment est à Rapsécourt (Marne), puis à Chaudefontaine, d'où il va travailler vers Berzieux et Ville-sur-Tourbe (Marne) en vue de l'offensive d'automne. Il est, à de rares exceptions, laissé en réserve de la 32e division même si la 18e compagnie (Gely) est éprouvée le 28 septembre à la Main de Massiges. Le 28 octobre, le 342e occupe un secteur sur les pentes ouest de la Butte de Tahure (1). Le 5e bataillon (Beaudesson) repousse les vagues d'assauts ennemies ; les mitrailleuses des sections Boulard et Jourda font merveille aux deux extrémités de ce bataillon. Le 30 octobre, malgré les efforts du 6e bataillon (Rochard), l’ennemi parvient à prendre la Butte de Tahure, descendant dans le dos des 22e et 23e Cie. Le commandant Beaudesson qui arrive pour renforcer la résistance est tué à l’ennemi. Plus de 120 soldats du 342e RI perdent la vie dans cette bataille (2).

 

Bataille de Verdun

Epuisé par les fatigues de la Bataille de Champagne, le régiment retourne à l’arrière prendre un repos mérité. Le 28 novembre, il revient à Hautvillers, près d'Épernay et achève de se reconstituer. En janvier 1916, le 342e, commandé par le lieutenant-colonel Blavier, a ses cadres au complet : le chef de bataillon Pauly commande le 5e bataillon formé des compagnies : Maurandy, Bernard, de La Brosse et Pic ; au 6e, il y a le chef de bataillon Saunier et les compagnies Lapeyre, Durand, Pillieux et Ménigoz ; les mitrailleurs ont le capitaine Lapisse. Fin Janvier 1916, il prend le secteur assez calme de Soissons où il ne rencontre aucune difficulté majeure. Relevé à la mi-février par le 80e RI, le 342e va stationner à Fismes près de Verdun car la grande bataille est déclenchée. C’est en août 1916 que le 342e régiment d’infanterie connaît son heure de gloire. Le 16 août, il relève le 4e régiment mixte Zouaves et Tirailleurs.

Le 23 août 1916, le bataillon Pauly est chargé de conquérir la fameuse crête Fleury-Thiaumont, particulièrement importante à posséder pour cacher à l'ennemi le ravin des Vignes d'où partira plus tard l'attaque qui délivrera Douaumont. Durant quatre heures, l’artillerie fait excellente besogne ; les obus de 155mm, s’abattent drus sur les positions allemandes. A 17 h. 30, les lieutenants Chaumont, Mouzon et Broussaud s'élancent avec la première vague d'assaut de leurs compagnies respectives ; tout le reste du bataillon les suit en deux autres vagues.

Les hommes, enthousiasmés par la belle préparation d'artillerie, y vont de tout leur cœur. Les combats font rage pendant plusieurs jours avec quelques périodes d’accalmie. Les deux chefs de bataillon Pauly et Saunier sont tués au combat.

 

Argonne et Côte 304

 

Le 31 août au soir, le 342e est relevé et s'embarque le lendemain à Lempire (Aisne) pour Foucaucourt (Somme) où il jouit d'un repos bien gagné. Le 8 septembre, le Lieutenant-colonel Blavier, les deux chefs de bataillon tués, les capitaines du 5e bataillon et quelques militaires sont cités à l'ordre de la 2e Armée par le Général Nivelle.

Après avoir participé à la bataille en Argonne (automne 1916), le 342e revient, le 12 janvier 1917, à Foucaucourt où la température descend à vingt degrés en dessous de zéro. Dans la nuit du 21 au 22 janvier, le bataillon Thiébaud, renforcé des mitrailleurs du 6e bataillon et de la 22e compagnie, prend le secteur de la côte 304. Le 25 janvier 1917, après une très violente préparation d'artillerie et de torpilles, les Allemands réussirent à s'emparer de la première ligne tenue par le 5e bataillon sur le sommet de la côte 304. Les fantassins français ont épuisé sans résultat apparent leurs moyens de liaison avec l'arrière, du reste le 6e bataillon alerté a des éléments jusqu'à Jouy-en-Argonne et ne peut arriver qu'à la fin de l'action. Tout est emporté par l'ennemi entre 15 et 16 heures, seuls surnagent le poste de commandement du bataillon et une section de mitrailleurs du capitaine Lapisse. Le 28 janvier à 14 heures, deux bataillons essayent sans succès de reconquérir le sommet de la côte 304. Le 16 février, le 6e bataillon (capitaine de la Brosse) prend de nouveau le secteur 304 et, jusqu'au 13 mars, les deux bataillons (5e et 6e) alternent entres les premières lignes et Jouy-en-Argonne, tandis que tous les mitrailleurs restent en ligne. Durant un mois, les positions s'organisent malgré la neige, la pluie et la boue. Le 8 mars, le 5e bataillon est mis au repos à Nixéville (Meuse). Le 13 mars, c’est au tour du 6e bataillon de rejoindre l’arrière à Osches (Meuse).

Un temps affecté (avril) dans le secteur du Bec entre la côte 304 et le Mort-Homme, le 342e RI est relevé le 10 mai 1917 et mis au repos aux camps du Deffoy et des Clairs-Chênes ; le 11 mai, il cantonne à Jubécourt et Brocourt.

 

La dissolution : mai 1917

La réorganisation de l'armée française après l'offensive du 16 avril 1917 réduit à trois régiments toutes les divisions. Le 342e doit donc quitter ses camarades de combat de la 32e division : le 15e d'Albi, le 80e de Narbonne et le 143e de Castelnaudary. Le Colonel Bertrand qui commande, depuis janvier 1916, la 63e brigade, où il a remplacé le général de Voillemont, vient faire ses adieux au régiment et rend hommage à sa « fermeté dans l'accomplissement du sacrifice » (Ordre n° 257). Le régiment est dissous le 12 mai 1917. Ce même jour, les bataillons s'embarquent à Lemmes pour la Ve Armée, où ils sont affectés au 35e R.I. de Belfort (Bataillon Thiébaud) et au 60e R.I. de Besançon (Bataillon Jusselain).

Le 342e RI a payé un lourd tribut en moins de trois ans : sur les 2186 hommes qui sont partis le 10 août 1914, seuls un peu plus de la moitié sont encore vivants le 12 mai 1917. Le 342e a perdu 976 hommes de troupe en 33 mois (sans compter les officiers).

 

tahure 2 

 

La butte de Tahure.

 

1 Le village de Tahure comptait 185 habitants en 1911. Pendant la Première Guerre mondiale, le village fut anéanti. Il ne s'est plus jamais relevé.

2 La Butte de Tahure n’est reconquise que le 20 septembre 1918, par des régiments de la 14e Division, composée pour une bonne part de vieux soldats du 342e qui ainsi vengèrent leurs malheureux camarades.

 

 Cet article a été écrit par le LTN (r) C. Soulard, pour le Bulletin de Liaison n°148 de l’association des réservistes de l’infanterie, ANORI (Sources : historique du 342e RI).

 

Voir les commentaires

Publié le 16 Juin 2013

 

Départ pour la Grande Guerre

Août 1914 : des soldats du 5ème de ligne partent pour la guerre (Copyright www.centenaire.org ).

 

 

Jacques Vignaud, isséen, retraité, est ancien administrateur du collège Henri Matisse et du conservatoire de musique d’Issy-les-Moulineaux. Professionnellement, il a occupé de nombreuses fonctions dans l’industrie chimique puis dans des sociétés d’apprentissage des langues étrangères. Par ailleurs, il a été représentant de la France dans les institutions internationales des Auberges de Jeunesse.

 

L’un de ses amis lui a confié le carnet de route d’un aïeul, Poilu de la Grande Guerre, Louis Vincent. Voici le début de ce récit :

 

« C’est le samedi 1er août 1914 que sonnât la mobilisation générale, et je le sus qu’à 10 heures du soir, en sortant de travailler de la Société des mines d’or et de charbonnages de Chavaignac. Je fus saisi d’une profonde émotion, en apprenant que la mobilisation générale avait éclaté.

 

Mais je finis par me rendre fort, et me dire en moi-même que j’accomplirai mon devoir de vaillant Français. Etant de la classe 14, et qu’on avait passé le conseil de révision depuis quatre mois, je m’attendais à être appelé de suite. J’attendais ma feuille de route avec impatience. Tellement que tous les soirs à 4 heures, j’allais à la gare avec deux intimes camarades de ma classe, attendre le courrier pour savoir si notre feuille de route n’était pas arrivée. Mais elle n’arrivait jamais, et on s’en retournait en se disant que peut-être elle arriverait le lendemain. Et le 4 septembre, je reçus ma feuille si attendue. Je devais rejoindre le 75ème RI à Romans, immédiatement et sans délai : aussi dès le lendemain je partis pour Romans.

 

J’arrivai à la caserne à 11 heures du soir, mais en rentrant on poste on me dit qu’ils n’ont pas de place pour me faire coucher. Je ressortis pour aller coucher en ville et je revins le lendemain matin. Ils me trouvèrent de la place et je ne tardai pas à être habillé en militaire. Je restai en en caserne jusqu’au 18 septembre et le lendemain, à 4 heures du matin, nous partîmes sac au dos au camp de Chambaran, dans le département de l’Isère, à 50 kilomètres de là. Nous y fîmes nos classes qui ne furent pas trop longues. Je commençais à trouver que je n’étais pas si bien qu’en caserne. A Romans, je couchais dans un lit, tandis qu’au camp de Chambaran nous couchions sous des marabouts et sur la terre que je trouvais bien dure. Mais encore, ce n’était à proportion de ce que j’ai souffert plus tard sur le front.

 

Le 4 novembre 1914, nous quittâmes le camp en chemin de fer pour rentrer à notre dépôt puis nous fûmes dirigés vers le front. Le 7 novembre, à 4 heures de l’après-midi, le commandant passa dans les rangs et demanda tous ceux qui étaient volontaires pour partir sur le front. Moi, je fus du nombre pour aller aider à chasser ces vulgaires Prussiens. Et le lendemain, à 8 heures, nous partîmes en détachement de 300 à la frontière, pour la direction des Boches. Le 11 novembre, on débarqua à Guillaucourt, dans le département de la Somme. De là, on partit sac au dos pour aller cantonner à Vauvillers, qui se trouvait à 15 kilomètres du front.

 

Je dis qu’on avait cantonné au village, mais ce n’était plus vraiment un village : il ne restait presque plus une maison debout… ».

 

Voir les commentaires

Publié le 30 Mars 2013

 

 

Soldats du 4ème zouaves.

 

 Le 4ème zouaves.

 

La dénomination de zouave vient du berbère zwava, qui est le nom d’une tribu kabyle. Entièrement composés de métropolitains, les régiments de zouaves se couvrent de gloire partout où ils combattent. Leur réputation commence avec l’arrivée des Français en Algérie en 1830 : les Kabyles fournissaient des soldats aux Turcs sous la régence d’Alger ; avec la domination de la France, ils fourniront le Royaume puis la République. Ces unités sont également remarquables par l’exigence ultime de leur discipline ; d’où l’expression « faire le zouave » : un zouave est capable de tout faire, sur un simple commandement.

 

En 1914, le 4ème zouaves (RZ) est fort de sept bataillons. Alors que les 1er et 2ème bataillons sont en pleine campagne au Maroc, et que le 5ème bataillon est cantonné à Rosny-sous-Bois, près de Paris, les 3ème, 4ème et 6ème bataillons sont stationnés dans leurs quartiers et Bizerte et de Tunis.

 

Prosper Honoré Verpillat nait le 29 juillet 1874 à Paris. La capitale se remet peu à peu du siège de l’armée prussienne de 1870-1871. D’ailleurs, les travaux d’une nouvelle enceinte fortifiée sont votés par le gouvernement. Il grandit dans le culte de la revanche vis-à-vis de cet empire allemand qui a mis à genoux la France glorieuse et éternelle. Ses parents, qui se sont installés à Issy-les-Moulineaux, se sacrifient pour que le jeune garçon puisse passer des concours et tenter les grandes écoles. A l’âge de 20 ans, Verpillat entre à l’Ecole militaire de Saint-Cyr. Il choisit, comme un grand nombre de ses camarades, l’Armée d’Afrique, qui a le double avantage d’offrir de l’aventure aux jeunes gens galvanisés par les articles de l’hebdomadaire L’Illustration, et des conditions financières et d’avancement plus avantageuses.

 

La déclaration de guerre.

 

Un zouave a raconté a posteriori la mobilisation du 4èm en Tunisie et la sa guerre de 14-18: « Le 1er août 1914, à 17 heures, les quartiers de Tunis et de Bizerte furent consignés. L’ordre de mobilisation venait d’être affiché. On le communiqua aux troupes et les zouaves déjà prêts à sortir en ville débouclèrent leur ceinturon avec le plus grand calme, raccrochèrent leur baïonnette et remirent leur bourgeron comme un soir ordinaire de piquet. Dès le 4 septembre, toutes les dispositions ayant été prises, les inspections faites, le 3ème bataillon s’embarque à Bizerte et le 4ème à Tunis. En exécution du plan de mobilisation, ils rejoignent en France, au fort de Rosny-sous-Bois, les 5ème et 11ème bataillons pour former le 4ème régiment de zouaves sous le commandement du colonel Pichon. Salué par les camarades qui demeurent en Tunisie, acclamés avec enthousiasme, ils reçoivent à leur départ des marques répétées de confiance de la Colonie, déjà fière de leur passé et de leur belle attitude.

 

Les bataillons sont transportés à Alger en chemin de fer, et c’est à Alger que l’on doit prendre la mer. Le 9, le départ d’Alger sera plus solennel encore. La présence d’une composée de trois cuirassiers fera plus imposante la levée d’ancre et les honneurs rendus au Drapeau sur la place du Gouvernement. Le 10 et le 11, c’est la pleine mer. On vogue tous feux éteints. Au matin du 12, la côte de France est abordée à Sète. Les zouaves débarquent, s’égaillent dans la ville, où ils sont fêtés, comblés et entourés jusqu’au soir. C’est par le train qu’ils rejoignent Rosny. Les journées des 14 et 15 sont passées à recevoir les réservistes, déjà organisés, équipés et répartis au fort de Rosny. Le 16 au matin, le 4ème régiment de marche de zouaves se trouve réuni dans la gare de Bercy, après avoir fait à pied, au milieu des acclamations, le trajet de Romainville-Bercy.

 

La musique joue, le drapeau flotte, les fleurs voltigent, panachent les selles des chevaux, les fusils des hommes. Paris croit à la promptitude de la victoire et les zouaves rayonnants sous le rouge des chéchias, campés dans la blancheur de leurs sarouels, répondent avec crânerie aux vœux de la foule ».

 

A Tarciennes.

 

Au départ, sous la direction du colonel Pichon, unité de la 38ème division d’infanterie, le 4ème zouaves comprend : le 3ème bataillon du commandant Ballivet, le 4ème avec le commandant Daugan ; le 5ème avec le commandant Bézu et le 11ème avec le commandant Eychenne.

 

Le régiment reçoit son baptême du feu à l’occasion de la bataille de Charleroi. Cette bataille réside dans la rencontre entre la IIème armée allemande, du général von Bülow, qui progresse à travers la Belgique, face à la Vème armée française du général Lanrezac, qui tente justement d’éviter l’encerclement par l’ouest de l’ensemble des armées alliées.

 

Le 23 août 1914, situé dans le village de Tarciennes, le 4ème s’apprête à livrer le combat : « L’ordre de se porter en avant arriva à minuit et l’on partit à 2 heures. On dépassa l’artillerie en position d’attente. Les quatre bataillons marchaient de formation largement ouverte. On allait voir l’ennemi, se mesurer, et certainement le vaincre ». Mais le régiment est vite débordé à la fois par la puissance de l’artillerie ennemie et par des troupes, beaucoup plus nombreuses, qui les contournent par la gauche. Avec leurs uniformes rouges, bleus et blancs, les zouaves font des cibles parfaites pour les grenadiers prussiens : ce n’est plus la guerre mais un tir de fête foraine !

 

Il n’y a qu’une solution possible : retraiter, et si possible en bon ordre pour permettre à la Vème armée de Lanzerac de se reformer. Le 5 septembre, le régiment se trouve à quelques kilomètres de Provins, dans le sud du département de la Seine-et-Marne. Des centaines de kilomètres ont été parcourus en une dizaine de jours, « pas un instant les zouaves n’avaient cru la partie perdue. Soutenus par leurs officiers qui se dépensèrent brillamment au cours de la retraite, ils se laissaient dire que le recul préparait l’attaque et les chefs qui leur parlaient ainsi avaient leur confiance ».

 

Reprise de l’offensive.

 

Il n’est pas possible pour l’Armée française de reculer plus loin (« Vous n’irez pas plus loin » est-il écrit sur bon nombre de monuments de la Première bataille de la Marne). Au matin du 7 septembre 1914, le 4ème repart en avant et refait les étapes dans l’autre sens. Il participe au mouvement général de reconquête initiée par le général Joffre et bien aidé dans son œuvre par le général Gallieni qui envoie plus de 6.000 hommes depuis Paris à quatre (ou plus) dans des taxis !

 

Le terrain perdu quelques jours auparavant est repris sans trop d’effort : alors tous ces morts pour rien ? En fait, les Allemands n’ont pas respecté l’ordre initial qui consistait à fondre sur Paris, et il leur manque 120.000 hommes restés en Belgique pour prendre la place forte d’Anvers. Le 13, ils se replient finalement sur la ligne qu’ils avaient préparée avant l’offensive et ils y installent des casemates et des abris imprenables.

 

« La bataille s’engage. Elle est dure. Le 14 au soir, la division se trouve en flèche par rapport aux autres éléments de l’armée. Il faut attendre. Le 15, l’ennemi affirme sa résolution d’arrêt par un violent tir d’artillerie. Le 16, notre mouvement continue. Tandis que la 38ème division se porte sur Craonne, la 12ème compagnie du 4ème zouaves avance sur Ailles, le 11ème bataillon va aider les Anglais à Cerny et le commandant Daugan reçoit l’ordre d’attaquer Vauclerc avec son bataillon, la 9ème compagnie et des éléments du 12ème d’infanterie. La lutte se stabilise autour de la ferme d’Hurtebise. Lutte terrible : nous attaquons et nous sommes attaqués. Nos fantassins sont mis à rude épreuve. Ils en ressortent aguerris, grandis, plus confiants en eux-mêmes et dans leurs chefs, dont trois – le capitaine Rajer, le capitaine Gavory, le sous-lieutenant Parison – trouvèrent là une mort héroïque ».

 

Repli sur l’Yser.

 

A l’issue de la bataille de la Marne, les belligérants tentent de se contourner par le flanc. C’est ce qui restera dans l’histoire sous le nom de « Course à la mer » : partant de la Champagne et de la Picardie, les Alliés et les Allemands vont tenter à plusieurs reprises de percer les lignes afin de se prendre à revers. Toutes les tentatives resteront des échecs et cette course prendra fin à la mer du Nord. La bataille de l’Yser est l’une de ces tentatives.

 

Le 15 octobre 1914, après avoir perdu Anvers, les restes de l’Armée belge se réfugient sur Gand. Mais la situation devient vite intenable face à des ennemis beaucoup plus forts. Un ordre est donné : « Le ligne de l’Yser constitue notre dernière ligne de défense en Belgique et sa conservation est nécessaire pour le développement du plan général des opérations. Cette ligne sera donc tenue à tout prix ». La 38ème DI fait partie du dispositif. Au 4ème RZ : « Ces jours monotones et tristes d’octobre sont marqués cependant par une détente de trois jours à Révillon. On a aussi appris à compter avec un ennemi terrible : la boue ! Les hommes savent maintenant l’énergie qu’il faut déployer pour lutter contre la pluie, qui envahie les tranchées, les transforme en cloaques, en ruisseaux et en marécages glacés. L’arrivée des effets de drap, en permettant de remplacer la tenue de toile en guenilles a bien apporté quelques conforts mais les larges culottes rouges, qui s’alourdissent d’eau et de vase, restent peu pratiques ».

 

Des bataillons du 4ème sont maintenant portés sur Ypres pour retrouver des divisions d’infanterie et des troupes coloniales. Les combats contre les troupes du Reich reprennent. Intervient là un épisode resté dans les mémoires comme « la mort héroïque d’Assas » : alors qu’une colonne allemande se porte à l’attaque d’un pont défendu par les troupes françaises, elle pousse au-devant d’elle quelques prisonniers. Ce sont des zouaves. Les soldats cessent le tir : il n’est pas question de mettre en joue des camarades qui se replient. Mais les zouaves se mettent à hurler : « Mais tirez donc, nom de Dieu, ce sont les Boches qui arrivent ! ». La fusillade reprend. Des zouaves se sont sacrifiés pour que reste intacte le pont et leur honneur…

 

Au 4ème RZ : « Les zouaves, sous la conduite habile de leur chef, répondent avec le plus grand empressement à tous les appels et combattent avec la plus grande bravoure. Le 11 novembre, après un bombardement d’une violence inouïe, les colonnes allemandes culbutent la première ligne anglaise. La 15ème compagnie qui était en première ligne est submergée. Le capitaine Chevrier rassemble la trentaine d’hommes qui lui restent et défend le terrain pied à pied. La situation est encore une fois critique. Le commandant Bonnery, appuyé par le capitaine Verpillat ordonne une contre-attaque : les compagnies Helbert, Grambouland et les débris de la compagnie Chevrier s’élancent à la baïonnette avec une énergie telle que l’ennemi, non seulement est arrêté, mais recule jusqu’à son front de départ. Les Boches n’ont pas passé cette fois encore. Le zouave Paquet, le capitaine Verpillat, l’adjudant Arsant, le caporal Spkiling se font remarquer entre tous. Ils se battent comme des lions. Le premier n’hésite pas à faire des prisonniers. Après la mort de son capitaine, l’adjudant, quoique blessé, garde avec énergie le commandement de sa section et le caporal reste le seul gradé dans la sienne ».

 

Dans le Journal de Marche du 4ème zouaves, la mort du capitaine Verpillat ne fait qu’une ligne…

 

Par la suite, le 4ème participe aux batailles d’Ypres, de Verdun (Douaumont, la Côte 304, Louvement, les Chambrettes), de l’Aisne en 1917 et d’Orvillers-Sorel l’année suivante. En quatre années de guerre, le 4ème zouaves va perdre près de 10.000 hommes de rang, sous-officiers et officiers.

 

Verpillat Prosper

 

 

Sources :

 

-         Journal de Marche du 4ème zouaves.

-         Historique du 4ème zouaves, anonyme, numérisé par Jérôme Charraud.

-         Encyclopédie Universalis, dictionnaire Larousse, encyclopédie Wikipédia.

-          André Castelot et Alain Decaux : Histoire de la France et des Français, Larousse.

-         Service historique de la Défense – Site « Mémoire des hommes » du ministère de la Défense.

-         Les troupes coloniales dans la Grande Guerre – L’Armée d’Afrique, par Léon Rodier.

-         L’Armée d’Afrique, Historama, n° 10, 1970.

-         Histoire de l’Armée française en Afrique, par Anthony Clayton, Ed. Albin Michel, 1994.

-         L’Armée d’Afrique, 1830-1962, par Robert Huré, 1830-1962, ED. Lavauzelle, 1977.

 

Voir les commentaires

Publié le 9 Novembre 2012

 
 
106eme RI - Soldats
 Soldats du 106ème RI
 
A Châlons-en-Champagne.
 
Charles Julien Louis Poncet nait à paris le 19 août 1889. L’exposition universelle vient de fermer ses portes. L’attention des visiteurs a été surtout retenue par la Tour métallique, dont certains se questionnent déjà sur l’utilité et prévoient la démolition ; tour qui prendra bientôt le nom de son constructeur : Gustave Eiffel.
 
De la classe 1909, matricule 4280 au 3ème bureau de recrutement de la Seine, Charles Poncet intègre le 106ème régiment d’infanterie au moment de la déclaration de la Première Guerre mondiale en août 1914 (matricule 4662 au Corps).
 
L’histoire de ce régiment a été racontée par un très grand écrivain, qui l’a connu au plus près pour avoir été de tous les combats, entre août 1914 et avril 1915, date de ses blessures et de sa réforme. Il s’agit de l’ouvrage Ceux de 14, écrit par le lieutenant de réserve Maurice Genevoix, futur membre de l’Académie française.
 
Maurice Genevoix : « L’ordre de mobilisation est tombé comme un coup de tonnerre : courses précipitées par la ville, avec la crainte et la certitude d’oublier quelque chose. Je trouve à peine le temps de prévenir les miens. Dernière revue dans la cour du quartier. J’étais à la cantine lorsque l’ordre m’a surpris. J’ai bondi, traversé la cour, et me voici, raide comme un piquet, devant deux files de capotes bleues et de pantalons rouges. (…) Nous allons à Troyes. On nous l’a dit. De Troyes, nous filerons sur Mulhouse pour occuper la ville conquise et la défendre. On nous l’a dit aussi. (…) Défilé en ville : trottoirs grouillants, mouchoirs qu’on agite, sourires et pleurs. (…) Une jeune ouvrière, blonde, rebondie, me sourit de toutes ses dents. Grand bien me fasse ce sourire : je vais à la guerre. J’y serai demain ».
 
 
 
Le principe des 3.
 
Le 106, avec le 132ème RI, forme la 24ème brigade de la 12ème division d’infanterie du général Souchier, au sein de la IIIème Armée du général Sarrail. Embarqués en train depuis Châlons, les hommes descendent à Saint-Mihiel, dans la Meuse.
 
Au cours de l’automne puis de l’hiver 1914, ils se battent dans la région de la Woëvre et celle des Eparges. Le principe est relativement clair : à trois jours de repos à l’arrière succèdent trois jours en seconde ligne puis trois jours en première ligne. Maurice Genevoix le décrit avec précision :
 
-       « Lundi 28 septembre : On ne les entend pas venir ces fusants. C’est trop rapide, le réflexe qu’on a pour se protéger se déclenche trop tard. L’obus qui a sifflé de loin n’atteint pas. Mais celui qui tombe sans dire gare, celui-là est dangereux et effraye : les mains restent fébriles longtemps encore après l’explosion ».
 
-       « Mardi 29 septembre (NB : alors que le régiment est à l’arrière, qu’après un repas chaud, les hommes dorment dans des granges réquisitionnées à cet effet, Maurice Genevoix et son camarade Robert Porchon sont invités à dormir chez l’habitant) : « Puis la femme est sortie doucement. Lorsqu’elle est revenue, elle ramenait avec elle cinq ou six villageoises d’alentour. Et toutes ces femmes nous regardaient rire, dans notre grabat ; et elles s’ébaubissaient en chœur de ce spectacle phénoménal : deux pauvres diables de qui la mort n’avait pas encore voulu, deux soldats de la grande guerre qui s’étaient battus souvent, qui avaient souffert beaucoup et qui déliraient de bonheur, et qui riaient à la vie de toute leur jeunesse, parce qu’ils couchaient, ce soir-là, dans un lit ».
 
Les Eparges.
 
Au début de l’année 1915 commence l’une des plus terribles batailles de la Première Guerre mondiale : les Eparges.
 
Le village des Eparges est situé dans le nord du département de la Meuse, non loin de la Woëvre, région vallonnée couverte de forêts. Sur ces collines, pendant des mois les armées françaises et allemandes vont batailler pour quelques arpents de terre. Les attaques sur les boyaux et les tranchées sont quotidiennes et il n’est pas rare que les combats se terminent au corps à corps.
 
L’attaque débute le 17 février par des sapes que font sauter les hommes du génie. Les premières positions allemandes sont facilement conquises par les biffins du 106 et du 132. Mais la riposte ne se fait pas attendre. Dès le lendemain, les nouvelles positions françaises sont pilonnées par des milliers d’obus. Après près de trois heures d’un matraquage inouï de violence, ayant perdu une grande partie des officiers, les soldats français se retirent sur leurs positions initiales.
 
Pour autant une nouvelle offensive est déclenchée le 20 février et cette fois les éléments du 106 et du 132, en dépit de fortes pertes (plus de 300 tués et 1.000 blessés), tiennent bon. Avec son escouade, Charles Poncet est de toutes les attaques. Il s’en sort à chaque fois.
 
Ordre du corps d’armée n°60 : « Le 27 février, dans une opération brillante dans une opération brillante, la 24e Brigade a enlevé de haute lutte une partie importante de la position des Éparges.
 
L'ennemi avait accumulé sur cette hauteur escarpée, des travaux considérables. Depuis 4 mois, avec une science avisée, le Capitaine du Génie Gunther dirigeait par la sape et par la mine les travaux de siège régulier qui devaient ouvrir la voie à notre infanterie. Le jour de l'attaque, après une quadruple explosion de nos fourneaux de mines et une remarquable préparation par l'artillerie, le brave 106e Régiment d'infanterie, dans un élan magnifique, escalada les pentes abruptes et couronna toute la partie ouest de la position. Au même moment, le 132e RI aborda crânement la partie ouest des Éparges et s'y installa. Le 19 février, l'attaque fut poursuivie sur tout le front.
 
Au cours de cette bataille de 4 jours, pendant lesquels l'ennemi nous disputa le terrain avec la dernière âpreté, nos troupes furent soumises à un bombardement formidable. Elles conservèrent néanmoins les positions conquises. Elles repoussèrent deux contre attaques furieuses, firent éprouver des pertes sévères à l'ennemi, lui enlevèrent 700 mètres de tranchées, lui prirent 2 mitrailleuses, 2 minenwerfer et firent 175 prisonniers. Le 106e, le 132e, le 67e Bataillon Haguenin, la compagnie du Génie, qui prirent la tête dans la colonne d'assaut ont noblement soutenu le renom de la vaillance du 6e Corps d'Armée et montré une fois de plus quel succès naît de la fraternité des armes et de l'union des cœurs. Le Général, commandant le 6e Corps d'Armée, adresse ses félicitations à ces braves troupes. Il salue pieusement la glorieuse mémoire de ceux qui sont morts pour le pays. Il félicite les Colonels Barjonet, commandant le 106e RI et Bacquet, commandant le 132e RI qui ont magnifiquement conduit leurs régiments au feu». Signé : Général Herr.
 
Le répit est de courte durée. Dès le mois de mars, les combats reprennent. La 24ème division doit achever le travail commencé en janvier 1915 : reprendre la totalité du territoire des Eparges. Le 5 avril, alors qu’il tombe des cordes et que les soldats pataugent dans un mètre de boue, ordre est donné de s’emparer des collines restant encore aux mains des Allemands. Au prix de sacrifices invraisemblables, le 106 tient une partie de la crête. Encore une fois, les renforts ennemis arrivent et délogent nos braves poilus. Encore une fois, le sergent Charles Poncet s’en sort sans dommages…
 
Maurice Genevoix : « Et toujours les obus pleuvaient. Les canons-révolvers de Combres démolissaient les parapets que nous refaisions, inlassables, avec les mêmes sacs à terre. Par crises, les gros arrivaient. Il en tombait cent, deux cents, qui ne faisaient point d’autre mal qu’ensevelir quelques hommes, vite dégagés. Mais tout d’un coup, il y en avait un qui trouvait la tranchée, et qui éclatait, en plein dedans : alors c’étaient les mêmes cris que naguère, les mêmes hommes qui couraient, ruisselants de sang frais et rouge ; et, tout autour de l’entonnoir brûlé, empli encore de fumée puante, les mêmes cadavres déchiquetés… Les autres restaient là, les jambes prises dans ce ruisseau lourd, profond, glacé, les jambes engourdies et mortes. »
 
Le 25 avril 1915, alors qu’il s’apprête à sortir du boyau à la tête de sa compagnie, le lieutenant Genevoix reçoit deux balles au bras gauche et une troisième vient lui entailler le torse : « Il faut me lever, me traîner ailleurs… Est-ce Sansois qui parle ? Est-ce qu’on me porte ? Je n’ai pas perdu connaissance ; mon souffle fait un bruit étrange, un rauquement rapide et doux ; les cimes des arbres tournoient dans un ciel vertigineux, mêlé de rose et de vert tendres ».
 
 
Souain.
 
A l’approche de l’été, alors que les hommes viennent de connaître plusieurs mois de combats incessants, les positions se stabilisent. Sur ce front, comme d’autres, on assiste à l’enlisement des régiments. Du côté allemand, des tranchées renforcées et des casemates sont construites. Du côté français, ce sont des tranchées plus légères : « Provisoire » est le maître mot. Telle est l’idée du Grand-Quartier-Général : par une nouvelle offensive, en Champagne, la guerre de mouvement va reprendre et mettre à bas définitivement l’Allemagne du Kaiser. Les hostilités n’ont que trop duré. Et puis, focaliser l’attention des Allemands sur ce front, c’est aussi permettre aux alliés russes et polonais de se « refaire une santé » sur leur front respectif, après les multiples défaites qu’ils viennent de subir. Le choix de la Champagne s’impose pour le général Joffre car c’est un terrain relativement plat, qui permet une avance rapide. Il n’y a pas de villes importantes dans lesquelles l’ennemi pourrait se retrancher et s’accrocher.
 
La préparation d’artillerie commence le 22 septembre. Le 25 septembre, l’offensive générale est lancée. A gauche, la IVème armée du général Henri Gouraud avance assez rapidement, comme le 2ème corps colonial du côté de la ferme de Navarin (le général Gouraud s’y fera enterrer au milieu de ses hommes en 1946). Par contre, au centre du dispositif, sur la route de Souain à Tahure, les 11ème et 14ème corps se heurtent à une résistance acharnée des Allemands. Les combats sont terribles. Le sergent Charles Poncet est l’un des premiers à tomber. Il n’est pas le seul.
 
Le 29 septembre 1915, devant le peu de terrain gagné, le général Joffre ordonne l’arrêt de l’offensive. Sur le champ de bataille, 138.576 soldats français sont morts au combat, montrant l’effroyable vérité : en Champagne, on s’est battu pour rien !
 
Le 11 juin 1920, Charles Poncet est déclaré Mort pour la France et le jugement est transmis à la mairie d’Issy-les-Moulineaux. Plus tard, son nom est inscrit parmi ceux du millier d’isséens morts pendant la Première Guerre mondiale.
 
Maurice Genevoix : « Notre guerre… Vous et moi, quelques hommes, une centaine que j’ai connus. En est-il donc pour dire : « La guerre est ceci et cela » ? Ils disent qu’ils comprennent et qu’ils savent ; ils expliquent la guerre et la jaugent à la mesure de leurs débiles cerveaux.
 
On vous a tué, et c’est le plus grand des crimes. Vous avez donné votre vie, et vous êtes les plus malheureux. Je ne sais que cela, les gestes que nous avons faits, notre souffrance et notre gaîté, les mots que nous disions, les visages que nous avions parmi les autres visages, et votre mort.
 
Vous n’êtes guère plus d’une centaine, et votre foule m’apparaît effrayante, trop lourde, trop serrée pour moi seul. Combien de vos gestes passés aurai-je perdus, chaque demain, et de vos paroles vivantes, et de tout ce qui était vous ? Il ne me reste plus que moi, et l’image de vous que vous m’avez donnée.
 
Presque rien : trois sourires sur une toute petite photo, un vivant entre deux morts, la main posée sur leur épaule. Ils clignent des yeux, tous les trois, à cause du soleil printanier. Mais du soleil, sur la petite photo grise, que reste-t-il ? »
 
106ème RI - Monument Eparges 
 
Monument à la gloire des héros du 106ème RI
 
 
 
Sources :
 
-       Maurice Genevoix, Ceux de 14, Ed. Flammarion.
-       Journal de Marche du 106ème RI
-       Encyclopédie Universalis, dictionnaire Larousse, encyclopédie Wikipédia.
-        André Castelot et Alain Decaux : Histoire de la France et des Français, Larousse.
-       Service historique de la Défense – Site « Mémoire des hommes » du ministère de la Défense.
-       - Pierre Miquel : Le gâchis des généraux, Plon 2001 ; Les Poilus, Plon, 2000 ; Je fais la guerre, Clemenceau, Taillandier, 2002.
 
 
 
 

Voir les commentaires

Publié le 21 Octobre 2012

Tavannes24

 

 

Naître chez l’ennemi.

 

Dabo est un village des Vosges mosellanes, placé entre Sarrebourg, Phalsbourg et Saverne. Le 1er Janvier 1875, comme un peu partout – que ce soit dans la République française ou l’Empire allemand – on fête le premier jour de l’année. Fête retenue au village : voilà près de cinq années que Dabo fait partie de l’Alsace-Lorraine annexée. Ce sont les lois de l’Empire qui s’appliquent et non plus celles de la République.

 

A Dabo, ce jour est également très particulier chez les Steiner : le petit Joseph Léon vient de pousser ses premiers cris ! Dans quelques années, il sera isséen et sera recensé puis appelé comme militaire du rang au 3ème bureau de la Seine sous le matricule 531 de la classe 1895. En 1914, il rejoint son unité d’affectation : le 24ème régiment d’infanterie territoriale.

 

 

Tavannes.

 

Tavannes est un village de la Meuse qui rassemble aussi un fort, élément de défense contre l’ennemi héréditaire, et un tunnel de la ligne de chemin de fer entre Saint-Hilaire-au-temple et Hagondange. Celle-ci dessert entre autres les gares de Suippes, Valmy, Sainte-Menehould, Verdun et Etain. Long de 1.170 mètres, le tunnel a été construit de 1873 à 1874. Il présente une largeur d’environ 5 mètres.

 

Quant au fort, il a été bâti de 1876 à 1879, sur les ordres du général Séré de Rivières, par ailleurs auteur de la ceinture fortifiée autour de Paris. D’abord construit en maçonnerie simple, l’élément de défense est pourvu dix années plus tard de renforts en béton, notamment au niveau des abris et de la caserne. En forme de polygone, ses dimensions sont relativement modestes. Situé à 1.600 mètre au sud-ouest de Vaux, il fait partie de la zone de défense de Verdun.

 

En 1915, le Grand Quartier Général décide de désarmer tous les forts. Ce sont des éléments de défense statiques, qui consomment beaucoup de munitions et d’obus, sans une grande efficacité, obus qu’il faut bien apporter donc au moyen de routes à protéger. En 1915, l’idée est plutôt orientée sur la guerre de mouvements.

 

 

Le tunnel.

 

Pour autant, en février 1916, dès le déclenchement de la bataille de Verdun, le fort de Tavannes subit des bombardements incessants. Pour les Allemands, la prise d’un fort est à la fois symbolique et permet aux hommes de constituer un point d’appui pour la prochaine avancée. Alors, il s’agit maintenant de le défendre…

 

Quant au tunnel de Tavannes, jugé suffisamment protégé par la dizaine de mètres de terre le recouvrant, il présente un abri idéal. Dès le début de la bataille, la circulation des trains est arrêtée. Quelques escouades en profitent pour s’y réfugier. Puis une compagnie. Bientôt, ce sont des éléments entiers de plusieurs régiments qui s’y abritent, exploitant là un relai fantastique pour être au plus près des combats.

 

S’y côtoient l’état-major de la 16ème Division, des éléments des 1er et 8ème génie, des 22ème, 24ème et 98ème régiments territoriaux, des blessés avec leurs médecins et leur infirmiers, des soldats du 346ème, 367ème, 368ème et 369ème RI.

 

Témoignage du général Rouquerol de la 16ème D.I. : « L’éclairage électrique avait été organisé avec un moteur à essence. Toutefois, on avait eu tort, dans ce travail hâtif, d’établir des câbles à hautes tension, nus à proximité immédiate des installations pour les hommes. Plusieurs cas mortels d’électrocution firent apporter les modifications nécessaires à la distribution du courant. L’éclairage n’existait d’ailleurs que sur la partie du tunnel utilisée comme logements ou dépôts ; le reste était obscur. Un puits d’aérage avait été fermé par des toiles pour parer à la pénétration éventuelle des gaz de combat.

 

L’organisation du tunnel comportait des rigoles d’écoulement pour les eaux de condensation et d’infiltration qui n’étaient pas négligeables ; mais sans souci de la nécessité de prévoir l’assèchement du tunnel, le personnel chargé de cette organisation avait comblé toutes les rigoles. Le résultat ne s’était pas fait attendre et de longues portions du tunnel étaient bientôt transformées en un marécage d’une boue fétide. La plupart des immondices des occupants y étaient jetés. On y aurait trouvé même des cadavres. Tant de causes d’infection, jointes à la suppression de l’aérage ne pouvaient manquer d’entretenir dans le tunnel des émanations malsaines qui ont donné lieu à plusieurs cas d’une jaunisse au nom suggéré de « jaunisse des vidangeurs ».

 

Le commandant d’une division occupant le secteur de Tavannes au mois de juillet voulut faire nettoyer ces écuries d’Augias. Il dut y renoncer sur l’observation du service de santé d’après laquelle l’agitation de la boue et des eaux polluées causait immanquablement de nombreuses maladies. Il fallut se contenter de répandre dans les endroits les plus malpropres de la chaux vive ».

 

Témoignage du lieutenant BENECH du 321e R.I. : "Nous arrivons au tunnel. Serons-nous donc condamnés à vivre là? Je préfère la lutte à l'air libre, l'étreinte de la mort en terrain découvert. Dehors, on risque une balle ; ici, on risque la folie. Une pile de sacs à terre monte jusqu'à la voûte et ferme notre refuge. Dehors, c'est l'orage dans la nuit et le martèlement continu d'obus de tous calibres. Au-dessus de nous, sous la voûte qui sonne, quelques lampes électriques sales, jettent une clarté douteuse, et des essaims de mouches dansent une sarabande tout autour. Engourdies et irritantes, elles assaillent notre épiderme et ne partent même pas sous la menace d'un revers de main. Les visages sont moites, l'air tiède est écœurant. Couchés sur le sable boueux, sur le rail, les yeux à la voûte ou face contre terre, roulés en boule, des hommes hébétés qui attendent, qui dorment, qui ronflent, qui rêvent, qui ne bougent même pas lorsqu'un camarade leur écrase un pied. Par place, un ruissellement s'étend ! De l'eau ou de l'urine ? Une odeur forte, animale, où percent des relents de salpêtre et d'éther, de soufre et de chlore, une odeur de déjections et de cadavres, de sueur et d'humanité sale, prend à la gorge et soulève le cœur. Tout aliment devient impossible ; seule l'eau de café du bidon, tiède, mousseuse, calme un peu la fièvre qui nous anime ».

 

Ainsi, depuis le mois de février 1916, chaque jour, des compagnies viennent faire une halte au tunnel de Tavannes pour y rester quelques heures ou plus. Saisissant la situation sanitaire désastreuse, l’Armée française décide d’évacuer les lieux et même de faire sauter le tunnel. Mais les Allemands se rapprochent. Non seulement l’abri subit des bombardements de plus en plus violents, mais des unités françaises se rapprochent poussées par les attaques ennemies. Les combats se déroulent maintenant à quelques centaines de mètres seulement de l’entrée du tunnel.

 

 

Le 4 septembre 1916.

 

René Le Gentil : « Je peux vivre cent ans, je me souviendrai toujours des heures vécues dans ce ghetto, tandis qu'au-dessus la mitraille faisait rage. Imaginez un boyau long de quinze cents mètres, large de cinq, fait pour une seule voie par où passait le chemin de fer allant de Verdun à Metz et où de 1000 à 2000 hommes travaillaient vivaient, mangeaient et satisfaisaient à tous leurs besoins!... »

 

René Le Gentil est un soldat du groupe des brancardiers de la 73ème division d’infanterie. Au front depuis des mois, il a été rapatrié à l’arrière à la suite d’une blessure. Ses camarades lui écrivent pour lui demander des nouvelles de sa santé. Peu après le 4 septembre 1916, ils lui apprennent un drame atroce : « Vous aurez sans doute appris l’affreux malheur ? Cent-un exactement de nos malheureux camarades sont restés ensevelis sous le tunnel de Tavannes. Tous morts ! Pauvre groupe de brancardiers déjà assez éprouvé, le voici presque anéanti ! Comme sergents survivants, il ne reste que Kohler et Mongeot. Quelle affreuse chose que la guerre… ».

 

René le Gentil : « Le 4 septembre, une formidable explosion, sur la cause de laquelle on n'était pas fixé, avait eu lieu sous le tunnel, faisant près d'un millier de victimes, dont les brancardiers de la 73e division. Ma pensée angoissée alla vers mes infortunés camarades, mon peloton, et Dehlinger qui m'avait écrit le 3, la veille ! ... Cent-un! me disait le mot laconique. Je songeai un instant que, peut-être, mon peloton avait été relevé. J'essayai de m'accrocher à de fragiles espoirs; mais, de la journée je ne pus penser à autre chose ; et c'est à peine s'il me fut possible de fermer l’œil ».

 

Plusieurs hypothèses existent quant à cette explosion. Celle, généralement admise, veut qu’un mulet, transportant des grenades et du ravitaillement, effrayé par des fusées, ait buté contre une traverse et renversé sa cargaison. Ce faisant certains engins explosent et provoquent un début d’affolement. Dans leur panique, des soldats sortent précipitamment du tunnel, rendu encore plus sombre car la nuit est tombée. Il est 21h45. L’un d’eux, portant des fusées, accroche des fils électriques qui courent tout au long des parois. L’incendie s’étend aux bidons d’essence du groupe électrogène de l’entrée du tunnel. La déflagration qui s’ensuit anéanti tout sur son passage…

 

René Le Gentil : « Ces hommes, tirés de leur sommeil pour vivre le plus atroce des cauchemars, fuyaient donc, pêle-mêle vers l'autre issue, à travers les flammes, et, pour lutter contre la fumée qui, par l'appel d'air de ce long boyau, les gagnait de vitesse, la plupart avaient adapté les masques contre les gaz. Dans ce tunnel devenu le huitième cercle de l'Enfer, des centaines de damnés masqués participaient à cette course à la mort, butaient contre les traverses, tombaient sous les pieds des camarades, hurlaient le : « Sauve qui peut ! » féroce et égoïste de l'homme en danger, quand, devant eux, une terrible explosion se produisit... un feu d'artifice jaillit... trouant l'obscurité d'éclairs effroyables: c'était le dépôt de munitions qui sautait !

Le déplacement d'air fut tel que ceux qui se trouvaient à la sortie, du côté de Fontaine-Tavannes, faillirent être renversés.

 

Feu devant, feu derrière, prise entre les flammes et gagnée par l'asphyxie, la pauvre troupe, hurlante et douloureuse vit la mort s'avancer à grands pas... Seuls, René Birgé, secrétaire du colonel Florentin et dessinateur de la brigade, enseveli par un heureux hasard tout à l'entrée, et un homme du 8ème ou 10ème génie, purent être assez heureux pour échapper à la catastrophe ; dès le début, ce dernier avait pu s'évader par l'unique bouche d'air existante, en gagnant l'ouverture grâce à une échelle, et d'autres malheureux le suivaient, quand, sous leur poids l'échelle se brisa !...

 

Près de mille hommes périrent donc là : Etat-major de la 146ème brigade, colonel Florentin en tête, officiers et soldats des 8ème et 1er génie et des 24ème, 98ème et 22ème régiments territoriaux ; médecins majors et infirmiers régimentaires des 346ème, 367ème, 368ème et 369ème d'infanterie; blessés de ces régiments qui, après de rudes souffrances, attendaient là, sur des brancards, leur transfert ; vous, médecin major Bruas que je regrette doublement, puisque je vous dois la vie, et dont, seule trace de votre fin, on n'a retrouvé que la chevalière !… Et vous, les médecins et brancardiers de la 73ème division. Lorsque, deux jours plus tard, on put déblayer l'entrée du tunnel, on ne retrouva rien, rien que des restes humains calcinés qui tombèrent en poussière dès qu'on les toucha. »

 

Devant l’impossibilité d’identifier les cadavres, et pour éviter toute polémique quant aux responsabilités, l’Etat-major de l’armée décide de déclarer tous les hommes, dont Joseph Steiner, « disparus » ou « tués à l’ennemi » et morts pour la France

 

Steiner Joseph

 

 

 

 

Sources :

 

- Témoignages du général Rouquerol, du lieutenant Benech et du soldat René le Gentil.

- Encyclopédie Universalis, dictionnaire Larousse, encyclopédie Wikipédia.

- André Castelot et Alain Decaux : Histoire de la France et des Français, Larousse.

- Service historique de la Défense – Site « Mémoire des hommes » du ministère de la Défense.

- Pierre Miquel : Le gâchis des généraux, Plon 2001 ; Les Poilus, Plon, 2000 ; Je fais la guerre, Clemenceau, Taillandier, 2002.

- Alain Denizot : Verdun et ses champs de bataille.

- www.fortiffsere.fr/verdun/index

- www.lesfrancaisaverdun-1916.fr

- www.espacetrain.com

 

 

 

Voir les commentaires

Publié le 13 Octobre 2012

 

spadXIII

Spad XIII.

 

 

 

C'était dans les années cinquante. Il ne se passait pas de mois sans que ne sortent en librairie les souvenirs des pilotes qui, quelques années plutôt, s'affrontaient dans le ciel en feu de la Deuxième Guerre mondiale et dont, pour n'en citer que quelques uns, « Les carnets » de René Mouchotte, « Le grand cirque » de Pierre Clostermann, « La vieille équipe » de Bernard Dupérier côtoyaient sur les rayonnages « Jusqu'au bout sur nos Messerschmitt » d'Adolf Galland, « Pilote de stuka » d'Hans Rudel, ou « La dernière rafale » de Peter Henn.

 

Me voyant passionné par ces récits de combats aériens, mon père me dit un jour : « J'ai acheté dans les années trente un livre qui devrait t'intéresser » et, le sortant de sa bibliothèque, il me mit dans les mains un bouquin un peu fatigué, orné du« Petit Poucet » avec ses bottes de sept lieues, en noir sur fond jaune. Et c'est ainsi que j'ai pu découvrir ce rare témoignage d'un  pilote de chasse pendant la Grande Guerre.

 

Paru en 1935 aux Éditions Berger-Levrault sous le titre « Escadrille 155 » et rédigé par le journaliste romancier Jean Bommart, ce livre porte en sous-titre : « D'après les notes de guerre du pilote Jean Puistienne ». Ce dernier, « fantassin de 2éme  classe au 105éme régiment d'infanterie », blessé au visage sur la Somme à l'automne 1916 par un éclat d'obus, est enfin, en mars 1917 et après quatre demandes infructueuses, « par décision du G.Q.G., versé dans l'aviation comme élève pilote ». Avant d'aborder sa carrière opérationnelle, il est intéressant de suivre sa formation de pilote :

 

·         - 31/03. Dijon. Cours théoriques de « débourrage » aéronautique.

 

·         - 06/04. Miramas. Arrivée en École de pilotage.

 

·         - 11/04. Premier vol d'initiation sur Caudron G.3.

 

·         - 14/04. Premier vol en « double commande », en place avant, le moniteur derrière.

 

·         - 31/04. Lâcher : premier vol « solo », en place arrière. Virages à plat.

 

·         - 02/06. Passage en « Perfectionnement ». Virages au manche.

 

·         - 04/06. « Spirales ».

 

·         - 06/06. Épreuve de « Hauteur », 3500 mètres atteints.

 

·         - 07/06. Épreuves de « Lignes droites » et « Voyage en triangle ».

 

·         - 08/06. Breveté ! « Vite ! Mes ailes au col, du fil, une aiguille... ! »

 

·         - 21/06. Avord, Division des « Pingouins », un Nieuport aux ailes rognées permettant de maîtriser le roulage au sol.

 

·         - 20/07. Division « Nieuport ». Un mois de double commande sur Nieuport 28, puis 23, et enfin 18, ce nombre indiquant la surface alaire en m² des différents modèles de Nieuport. Comme le souligne le rédacteur « la surface portante des appareils diminue à mesure que le perfectionnement se poursuit !»

 

La pédagogie est brutale, comme en témoigne cette affiche :

 

«  Pilotes, perdez tout ce que vous voulez,

mais ne perdez pas votre vitesse.

Ne virez pas au ras du sol.

Ne montez pas en chandelle.

Ne croisez pas les commandes, sinon...

Au dessous, deux tibias et une tête de mort » !

 

 

·         - 13/08. Lâcher sur Nieuport.

 

·         - 15/08. Qualifié « Perfectionné » sur Nieuport avec 16h05 de vol.

 

 

Puis c'est le départ pour Pau, où est implantée la Division Avion de Combat.

 

-        19/08. Arrivée à Pau.

 

« Ici, au moins on vole ! … En six jours de présence à la D.A.C. Je me trouve avec plus d'heures de vol qu'en deux mois à l’École d'Avord !... Le 15 mètres sur lequel je suis, 80 chevaux Rhône, est un prodigieux joujou. Il décolle en 20 mètres, répond à la moindre touche des commandes, grimpe comme un ascenseur. »

 

·         - 25/08. Passage aux « Vols de groupe ».

 

·         - 29/08. Épreuve d'altitude, atteint 5900 mètres (sans oxygène !).

 

·         - 31/08. Enfin sur Nieuport 13, le fameux « Bébé Nieuport », afin d'apprendre à maîtriser, après les avoir simulés sur le « Fantôme », fuselage d'avion fixé au sol, « La vrille, le renversement, le retournement, le virage à la verticale et la glissade sur l'aile. Le looping n'est pas obligatoire, car il est peu utilisé en combat (sic). »

 

·         - 05/09. Départ pour le Groupe de Divisions d'Entraînement, à Plessis-Belville, entre Meaux et Senlis, dernière étape avant le front.

 

·         - 27/09. Le caporal Puistienne rejoint l'escadrille N 155, stationnée à Mélette, près de Châlons-sur-Marne. L'unité est dotée de Nieuport (d'où l'initiale N) et son insigne est le « Grand Cacatois », bizarre perroquet exotique.

 

Il n'a donc fallu que six mois pour transformer un « poilu » habitué à son fusil Lebel et chargé d'un « barda » de 30 kilos en pilote opérationnel en unité ! Mais c'était la guerre, une guerre qui a vu très vite évoluer les tactiques de la toute jeune aviation de chasse : « Les temps héroïques du chasseur isolé ne sont plus...Les fritz ne sortent que par trois, six, ou même dix. Nous en faisons autant...  Les « as » eux-mêmes doivent se plier à la règle commune des patrouilles. Maintenant le chasseur n'est qu'un cavalier dans le grand carrousel aérien. »

 

En escadrille, Puistienne découvre les différents aspects des missions de l'unité, comme en témoigne ces exemples :

 

  • - 01/11. Il est « de jour », enregistrant « le nombre des sorties et rentrées, les pannes ; combats et victoires au besoin » pendant que les quarante avions du groupe sont partis vers les lignes... Mais coup sur coup deux « saucisses » françaises sont incendiées. Une protection est réclamée d'urgence. Il décolle en solo, patrouille le long du front, est pris à partie par la D.C.A., rejoint un combat tournoyant, repère un avion camouflé, attend que les croix noires passent dans le viseur... « Nom d'un chien... les cocardes ! », et rentre au terrain pour apprendre que l'on commence à avoir aussi « chez nous des zincs camouflés » !

 

  • 13/11. Escorte à cinq Nieuports d'un Dorand de reconnaissance. Au passage des lignes deux Nieuports ont déjà abandonné sur panne. Un tir de D.C.A. fait éclater la patrouille. Puistienne, sur sa « Môme Jeannette », aperçoit en dessous de lui trois Albatros, pique sur le dernier : « La silhouette aux croix noires dans mon viseur... Feu ! Malheur à moi ! Une seule traçante frappe nettement le boche... et ma mitrailleuse enrayée reste muette ! ». Pris en chasse par cinq appareils ennemis, il part en vrille, redresse alors que les Albatros,  encadrés par les tirs de la D.C.A. amie, fuient... « Braves artilleurs, merci ! ». Mais ... «  A droite, un trou rond dans le plan inférieur ; la toile est brûlée... Mon plan gauche est cintré. Il se courbe, se gondole, les haubans détendus vibrent... Va-t-il céder ?... Le terrain approche. Le terrain est là... tout doucement je pique... le sol monte. Je le touche. Je roule. Je m'arrête. »

 

Le début de l'année 1918 est fertile en événements : d'abord, à partir du début janvier, les Nieuport 27 sont remplacés par des Spad XIII, et donc au début de février la N 155 devient la SPA 155.

 

Avec trois autres escadrilles, les SPA 48, 94 et 153, elle constitue le Groupe de combat 18 qui rejoint le terrain de Villeneuve-les-Vertus où il forme avec deux autres groupes la 1ère Escadre de combat. Enfin le 1er mars la SPA 155 perd son « Grand Cacatois » et arbore un nouvel insigne, le « Petit Poucet » qui « a vraiment bonne figure ; avec ses bottes de sept lieues, il a l'air de dévorer l'espace ». Mais dès la fin de janvier, Puistienne a enregistré sa première victoire :

 

  • - 27/01. Mission de protection d'une sortie de reconnaissance menée par un Spad biplace de l'Escadrille 48. Au delà des lignes, à 6.500 mètres, baisse de pression d'air dans le réservoir, le moteur ralentit, le pilote pompe à la main et le moteur repart. Mais il a perdu de l'altitude. « Où est mon poussin, le Spad biplace ?...Là-bas un point noir... il faut le rattraper... le biplace s'enfonce encore chez le boche... Mais il était jaune clair... maintenant vert foncé... Ah ! Des croix noires !». C'est un gros biplace Rumpler qui rentre au gîte et que Puistienne abat de longues rafales de sa mitrailleuse, le suivant pendant sa vrille mortelle et ne redressant qu'à quelques centaines de mètres au dessus du sol : « J'en ai un ! J'ai un boche ! »

 

Mais sous la poussée allemande le front évolue vite et les escadrilles se replient fin mars sur le terrain du Plessis-Belleville, à seulement 35 kilomètres de Paris ! La mission principale est maintenant le mitraillage des colonnes ennemies :

 

  • - 26/03. Patrouille région de Montdidier. Puistienne et un jeune ailier, son leader s'étant posé dans un champ après une panne, découvrent... « Cette tache verdâtre, qui coupe la route... Parbleu, ce sont eux ! Je cabre la « Môme Jeannette... Je pique et mes deux mitrailleuses crépitent ; les traçantes zèbrent l'air de longues traînées blanches, s'enfoncent dans une masse mouvante vert-de-gris... En bas la colonne boche s'éparpille. Des hommes courent à toutes jambes dans les champs... ».

 

De fin mars à début août l'escadrille déménage une douzaine de fois au gré des offensives allemandes et des contre-attaques alliées. Les ordres du 20 août caractérisent l'activité des escadrilles : « Départ des patrouilles à 8h20. Secteur d'attaque nord-est Soissons. Mission : interdiction des lignes ; protection des avions de corps d'armée ; mitraillage des formations et batteries ennemies. »

 

Au cours de cette journée, Puistienne mitraille une ligne de pièces d'artillerie embusquées dans un petit ravin mais revient avec « la moitié du volet de mon stabilisateur en miettes... Le plan fixe entamé et le volet bloqué... l'air s'engouffrant par la plaie béante de l'aile gauche risque de la désentoiler... ». Avant l’atterrissage, il coupe le contact, l'avion tombe... et le pilote se retrouve dans son lit avec seulement quelques contusions. Mais la « Môme Jeannette » est en miettes !

 

Le 12 septembre, au cours d'une mission d'escorte de Bréguets de bombardement, Puistienne engage le combat avec un Fokker D7 allemand et le voit disparaître traînant un long panache de fumée noire.

 

Le 21 octobre nouvel accrochage avec les D7 au cours d'une mission d'attaque de « Drachen ». Atterrissage de précaution avec encore une « Môme Jeannette » à mettre à la ferraille, « mât de cabane droit arrière broyé, les ferrures de câbles tordues, un longeron de fuselage haché... En tout vingt-trois balles, y compris les deux du pare-brise » !

 

Enfin le 11 novembre, c'est l'armistice et le 19, dans Metz reconquise, défilé des troupes victorieuses survolées par les appareils de la division aérienne. Et c'est le drame : « … Lequel a commencé ?... Un carrousel aérien se déclenche... Loopings, glissades, boucles... au dessus de la foule ravie... Soudain, une clameur s'élève... Avec fracas un Spad vient de s'écraser sur le pavé... »

 

Le 13 décembre, la sanction tombe. Quatre de ses camarades et « le Sergent Puistienne, du 105ème d'infanterie, détaché à l'escadrille SPA 155, cité à l'ordre de l'armée... Une blessure... Sont tous les cinq punis de quinze jours d'arrêts de rigueur... Sont radiés du personnel navigant de l'aéronautique et renvoyés dans leurs armes respectives, avec le motif suivant : « Pilotes absolument inconscients, sont un danger pour la sécurité publique ».

 

« Nous nous sommes inclinés, sans protester. La guerre était finie.    On avait plus besoin de nous. »

 

 

Pour compléter les biographies ou les souvenirs des « As » de la 1ère guerre mondiale, les Guynemer, Fonck, Nungesser ou Madon, il est passionnant de découvrir avec le caporal Puistienne, de l'« Escadrille 155 », ce que fut la vie en unité d'un des quelques 6.000 aviateurs français formés pendant cette période. Fantassins ou « tringlots », transmetteurs, cavaliers ou artilleurs, ils ont, devenus pilotes, contribué à écrire les premières pages de la glorieuse histoire de l'aviation de chasse.

Couverture Escadrille 155

Voir les commentaires

Publié le 11 Février 2012

 

LCL Emile Driant

 

La revue trimestrielle du Souvenir Français, dans son numéro n°485 du mois de janvier 2012, a publié, un article très complet sur les régiments de Zouaves qui firent partie de l'armée française pendant plus de cent trente ans.

Parmi ceux-ci, figure le 4ème régiment de Zouaves qui présente la particularité d'avoir été le « héros » d'un des romans les plus connus du Capitaine Danrit : La guerre en rase campagne. Dans ce livre d'anticipation militaire, paru en 1892, l'auteur imagine cette guerre de revanche qui, dans l'esprit de ses contemporains, devait permettre à la France de recouvrer les provinces perdues en 1871. Et de sa garnison de Tunis à la grande bataille de Neufchâteau, de la libération de Strasbourg à la prise de Berlin, le lecteur suit le régiment dans lequel il servit en capitaine, mais sous son nom réel d’Émile Driant. Né en 1855, adolescent profondément marqué par le désastre de Sedan, Driant rentre à Saint-Cyr et commence une double carrière d'officier d'active et d'auteur de romans « patriotiques » avant de devenir au début du siècle dernier député de Nancy. 

En août 1914 il reprend du service en lieutenant-colonel et obtient le commandement de la demi-brigade qui regroupe les 56ème et 59ème bataillons de Chasseurs à Pied. Il est à leur tête, les 21 et 22 février 1916, au bois des Caures, quand ses hommes et lui subissent, avec un formidable barrage d'artillerie, le premier choc de l'offensive allemande sur Verdun. Il faudra à l'ennemi quarante-huit heures et deux divisions pour venir à bout des chasseurs de Driant qui fut tué le 22, vers quatre heures de l'après-midi, alors qu'il venait de donner l'ordre de repli aux quelques dizaines de survivants de son unité. Ces deux jours gagnés permettront au Commandement français l'acheminement des renforts indispensables... et Verdun tiendra.

A quelques jours du 96ème anniversaire de leur sacrifice héroïque, il était bon de rappeler leur souvenir.

 

 

GBA (2s) Jean-Claude Ichac

Président honoraire du Comité d'Issy-les-Moulineaux

du Souvenir Français

Voir les commentaires

Publié le 22 Décembre 2011

Louis Thauvin

 

Au centre : le cuisinier Louis Thauvin.

 

Comme un beau conte de Noël !

 

Le 19 avril 2010, nous avions publié sur ce site Internet du Souvenir Français d’Issy-les-Moulineaux, une histoire des opérations militaires des Français en Orient pendant la Première Guerre mondiale. Et nous avions évoqué Louis Thauvin en ces termes : « Louis Thauvin nait le 25 février 1888 à Meung-sur-Loire, bourgade du Val de Loire et de Sologne, fief de la tribu des Alains. En son église, en 1429, Jeanne d’Arc vient s’y recueillir. Louis Thauvin, de la classe 1908, est engagé au bureau d’Orléans. Il porte le matricule 202 et, intègre le régiment de marche d’Afrique pour moins d’une année : il disparaît dans les combats du 2 mai 1915, pendant la bataille de Gallipoli. Par le jugement du 3 décembre 1920, transcrit le 7 janvier 1921, Louis Thauvin est déclaré « Mort pour la France ». Son nom est gravé sur le monument aux morts de la place de la mairie d’Issy-les-Moulineaux ».

 

Monsieur Francis Thauvin a récemment découvert cet article et nous a fait parvenir la photographie ci-dessus et de nombreux renseignements sur son oncle.

 

A Issy, rue Jean-Jacques Rousseau.

 

Francis Thauvin : « Louis Thauvin, était un de mes oncles, et il exerçait la profession de cuisinier. Il avait été d’abord chef-saucier au restaurant Edouard VII à Paris puis chef-cuisinier auprès de la princesse Ghika (1). Il était né à Meung-sur-Loire où ses parents tenaient un café-restaurant. Ce qui déjà représentait un travail lourd. Mais il faut ajouter qu’ils étaient en plus chargés de huit enfants ! Louis Thauvin avait quitté sa Sologne natale pour « monter » à Paris, comme cela se fait toujours. Il était domicilié à Issy-les-Moulineaux, au 263 rue Jean-Jacques Rousseau, chez l’une de ses sœurs. La tradition familiale veut qu’il se soit engagé dans la Légion Etrangère à la suite d’un chagrin d’amour ».

 

A la Légion Etrangère.

 

« Après avoir effectué son service militaire de 1908 à 1911, et avoir vécu son métier pendant trois années environ, Louis Thauvin débarque en Algérie, s’engage à Sidi-Bel-Abbès et est affecté au 2ème Etranger, 13ème compagnie, à Saïda. Il porte le matricule 158.21. Du 23 septembre 1914 à la fin du mois de février 1915, il est stationné avec son régiment en Algérie. L’unité prend ensuite ses quartiers au Maroc où elle va, jusqu’en 1919 et en dehors de quelques compagnies, œuvrer à la pacification du Maroc sous les ordres d’un certain maréchal Lyautey.

 

Louis Thauvin est versé dans le Bataillon de marche de la Légion Etrangère en mars 1915 et s’embarque d’Afrique du Nord pour rallier Marseille le même mois. Ensuite, il incorpore le régiment de marche d’Afrique (compagnie D3, matricule 15813) pour se rendre sur l’île grecque de Lemnos, à environ 50 kilomètres du détroit des Dardanelles, gardé par la presqu’île fameuse de Gallipoli. Il débarque avec son unité sur Morto-Bay et est tué le 2 mai 1915.

 

Le 5 septembre 1915, son acte de disparition est enregistré au ministère de la Guerre, et le document sera dressé au dernier domicile de Louis Thauvin, à Issy-les-Moulineaux, six mois après la date du décret portant cessation des activités. »

 

 

 

(1)            La princesse Ghika, de son nom de jeune fille Henriette Aurélie Soubiran, fille du fantasque Paul Soubiran, dont les exploits et les aventures imaginaires ou réelles se racontent encore dans le Gers, à Lectoure. Elle nait de l’union de son père avec Caroline Aimée Le Sueur de La Chapelle à Caen en 1820. Henriette reçoit une très bonne éducation et, portée sur la littérature, ne tarde pas à se faire connaître dans les salons parisiens. Il y côtoie Balzac, Alexandre Dumas ou encore Henri Monnier. En 1849, elle épouse le prince roumain Grigore Ghika, qui a des prétentions de régner sur les provinces alors réunies de Moldavie et de Valachie. Le couple mène grand train dans son hôtel parisien. Malheureusement, dix années plus tard, le prince meurt dans un accident de voitures à cheval. La princesse se réfugie en Roumanie. Bénéficiaire testamentaire du prince, elle se voit contrainte de transiger avec le gouvernement de Bucarest et se retire alors dans le Gers, à Lectoure, où elle meurt en 1904.

 

 

Sources :

- Renseignements et archives familiales de Monsieur Francis Thauvin.

- Encyclopédie Universalis, dictionnaire Larousse, encyclopédie Wikipédia.

- André Castelot et Alain Decaux : Histoire de la France et des Français, Larousse.

- Service historique de la Défense – Site « Mémoire des hommes » du ministère de la Défense.

- Pierre Miquel : Les poilus d’Orient, Fayard, 1998 ; La poudrière d’Orient, Fayard 2004 ; Le gâchis des généraux, Plon 2001 ; Les Poilus, Plon, 2000 ; Je fais la guerre, Clemenceau, Taillandier, 2002 ; Les Enfants de la Patrie, Fayard, 2002.

- Pierre Gosa : Franchet d’Espérey, Nouvelles Editions Latines, 1999.

- Jacques Ancel : Les travaux et les jours de l’Armée d’Orient, Paris, 1921.

- Site internet www.chtimiste.com sur l’historique des régiments.

- Journal de Marche du 1er Régiment de Marche d’Afrique

- Journal de Marche du Corps Expéditionnaire d’Orient

Voir les commentaires