Publié le 22 Juillet 2017

Le cimetière militaire français de Gdansk, en Pologne.

La Seconde Guerre mondiale terminée, la France organise la recherche, l'identification et le rapatriement des prisonniers de guerre et des militaires inhumés à l'étranger. Une "mission française de recherche en Pologne" travaille dans ce pays jusqu'en 1950 pour retrouver des tombes et dresser la liste des morts. En 1948, Varsovie cède pour 99 ans aux autorités françaises une parcelle de terrain de 11 500 m² à l'ouest de la ville de Gdansk, afin de regrouper les sépultures des soldats non rapatriés au cours des campagnes de rapatriement de 1951, 1953 et 1961 - 2 180 corps seront réclamés par les familles.

 

Ce cimetière réunit 1 152 corps, dont 329 n'ont pas pu être identifiés. Parmi eux se trouvent mêlés des prisonniers de guerre, des déportés résistants ou politiques, des recrues du service du travail obligatoire (STO), des Alsaciens incorporés de force dans l'armée allemande, et des évadés des camps de détention qui ont combattu dans le maquis polonais. Les dépouilles proviennent principalement des voïvodies d'Olsztyn, de Gdansk, de Bydgoszcz, de Kosalin, de Szczecin, de la Haute et Basse Silésie. Le site se compose de carrés ornés de 1 127 emblèmes funéraires marquant les tombes dont 961 sont occupées - 25 d'entre elles contiennent plusieurs corps non identifiés. Trois croix stylisées monumentales ont été érigées sur un podium en pierre auquel on accède par une volée de marches.

 

Les services consulaires de l'Ambassade de France à Varsovie assurent l'entretien et la gestion du site, sur la base d'une dotation budgétaire allouée par le ministère de la défense.

 

Pour tout renseignement : Ambassade de France à Varsovie 1, rue Piekna 00-477 Varsovie Tél. : + 48 (22) 529 30 00 - www.ambafrance-pl.org

 

 

Sources :

 

Le cimetière militaire français de Gdansk, en Pologne.

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Publié le 2 Juillet 2017

L'attaque de nuit.

« - Mon capitaine, un ordre de la brigade.

 

Descendus la veille des tranchées, après six jours et six nuits durs par le feu et par la pluie, nous occupons, à deux compagnies, les ruines d’un village en position d’alerte, prêts à remonter là-haut au premier signal. Ce signal, nul n’en doute, le voilà, et nous lisons : « Les 1ère et 2e compagnies du… bataillon de chasseurs se porteront immédiatement au chemin des Moulins à la disposition du lieutenant-colonel commandant le secteur ».

Un verre de « gnole » à la hâte ; une ruée des hommes de liaison vers les caves où gîtent les sections, quelques jurements, comme il est d’usage : « Bon Dieu de bon sang ! Sacré métier ! ». Au fond le sentiment profond que c’est dans l’ordre, puisqu’on était en position d’alerte. Vingt-cinq minutes après, les deux compagnies en armes sont massées dans la rue centrale.

Le chemin est long jusqu’aux deuxièmes lignes où la brigade nous envoie. Les boyaux sont pleins d’eau – nous les connaissons. C’est une affaire de trois heures. Mais, sortis du village, à mi-pente, une surprise nous attend. L’ennemi, qui sans doute attaque, veut barrer la route aux réserves et les boyaux sont « sonnés » de main de maître. C’est un beau tir. Le 15 et le 21 alternent, s’écrasant lourdement dans l’axe exact du boyau, couronnés de temps à autre de 105 fusants qui lancent dans le ciel ensoleillé leur fumée couleur d’absinthe.

Les chasseurs ne disent rien, mais je sais ce qu’ils pensent. Il y a des mois que ce fond de secteur est épargné par l’artillerie, et ce bombardement les choque comme un manquement aux règles du jeu : « Bande de vaches ! » murmure le clairon qui me suit, exprimant avec mesure l’opinion générale. J’approuve de la tête et je commande : « Les sections, à cent mètres ! ».

En avant vers les marmites. Là-bas, à demi-perdues dans la fumée collante de « gros », les ruines de la ferme-école nous révèlent le point critique. Il y eut, dans ce coin-là, longtemps, des batteries à nous. Le Boche a eu des mois pour régler. Nous trouverons un barrage soigné. D’un pas rapide, malgré la boue qui tire nos pieds au fond, nous approchons du barrage : 4 coups à la minute, bien placés. On ne passera pas. Je regarde à gauche : le barrage s’étend et d’ailleurs obliquer par là nous écarterait de notre but. A droite, au contraire, c’est assez tranquille. Je transmets à chaque section l’ordre de filer à travers champs en profitant d’un vallonnement modeste. Le mouvement s’exécute à merveille. Vingt minutes après, tout le monde a sauté dans l’autre boyau, profond de 2 mètres, plein d’une eau grise qui gicle à notre choc et retombe en pluie sur nos casques.

Une heure et demie de marche, avec les yeux qui piquent – car le Boche a lancé du puant – quelques coups presque heureux éclatant à droite et à gauche ; pas de casse, un seul blessé léger. Nous voilà au chemin des Moulins. J’arrête la compagnie dans le boyau et je cours à l’abri du colonel, que couronnent des panaches révélateurs.

- Ah ! Voilà les chasseurs, dit le colonel. Tenez, prenez la carte.

Une ligne bleue qui mord sur nos tranchées me renseigne avant tout commentaire. Le Boche, après deux explosions de mine très réussies, a enlevé notre première ligne bouleversée sur 1.200 mètres. Il a poussé son attaque sur la ligne de soutien qui a cédé sur 800 mètres, après avoir été coupée et nivelée par le bombardement. Nous tenons une tranchée médiocre en arrière, nous joignant tant bien que mal, à droite et à gauche aux éléments voisins qui ont pu maintenir leurs positions, mais qui sont séparées par le progrès de l’ennemi. C’est une hernie qu’il faut réduire.

- Je vous donnerai des ordres quand je serai complètement renseigné, conclut le colonel. Attendez dans le chemin creux, et tenez-vous prêts.

Nous connaissons tous le chemin creux. Il a des abris boches, des tombes boches, du matériel boche sous ses talus écroulés. On n’y donne pas un coup de pelle sans remuer un mort.

La nuit est noire et les fusées montent orgueilleusement dans la pluie qui recommence à tomber. Je dispose les guetteurs couchés en haut du talus et le reste de la compagnie s’assied au bas de la pente. Le froid est aigre et l’humidité indiscrète. Mais le spectacle ne permet guère qu’on s’attache à ces incidents. L’artillerie allemande, en effet, vient de rouvrir le feu avec une ardeur redoublée.

- Qui leur a dit qu’on est là ? grogne le sergent Durand.

Et de la troupe accroupie s’élèvent des voix tranquilles qui comptent les coups. Rien que du lourd : les obus tombent sur les deux talus, crachant leurs flammes dans la boue et nous couvrant de terre à chaque coup. Deux tombent dans le chemin : ils n’éclatent pas. Un autre, mieux constitué, explose en face de nous et me blesse quatre hommes. Deux plaies du bras, une plaie de la jambe, un éclat à la main : c’est le « filon », la descente au postes de secours en coupant à l’attaque de nuit.

- Tout droit et à gauche. Bonne nuit, les gars.

Et le grand Camille, en passant devant moi, répond :

- Depuis quatorze mois que je suis là, c’est bien mon tour.

Le Boche tire toujours. Il a bouché les quelques abris encore utilisables. Attendons. L’ordre du colonel viendra nous tirer de ce trou, puisque sûrement c’est nous qui ferons cette nuit la contre-attaque. L’enfer continue, bruit, flamme, fumée, mottes de terre dans les yeux. Les corps se tassent, se courbent, se moulent au sol. Mon lieutenant allume une pipe et murmure avec indifférence :

- On y passera tous si ça dure encore une heure.

Son ordonnance, en un grognement, réplique que les Boches tirent trop mal. Evidemment, mais dix mètres d’écart et ça y sera. Un pas dans l’eau, un cri :

- Le capitaine de la 1ère ?

- C’est moi.

- Voilà l’ordre du colonel.

A l’abri du pan de ma capote, j’allume ma lampe électrique et je lis : « La 1ère compagnie attaquera à minuit direction N.S. et reprendra la tranchée perdue en cherchant la liaison avec la 2e compagnie qui attaquera à sa droite en direction O.E. ».

Tout le monde a vu passer l’agent de liaison. Tout le monde est débout et prêt au départ.

- Planquez-vous, que je passe, les enfants.

Et je me porte en tête. Il y a trois semaines, quand le secteur était calme, ce boyau nord faisait notre orgueil et c’était plaisir, entre ses parois abruptes, de cheminer sur son caillebotis neuf. Je fais dix pas et je me cogne. Je tâte : c’est un 21 qui a comblé le boyau. Escalade et terrain découvert ; de boyau plus de trace et les fusées montent sans arrêt. «  Pas de gymnastique, en avant ! » On court, courbés en deux, on trébuche, on tombe ; puis un trou. Le boyau reprend pour 10 mètres ; nouvel éboulement et l’ascension recommence. Parfois le pied s’affermit sur un cadavre qui peu à peu, sous le passage des vivants, s’enfonce dans la boue. Sans une perte, nous arrivons à ce qui fut naguère notre troisième ligne, à ce qui est cette nuit notre première ligne. Les restes d’une compagnie d’infanterie, qui a encaissé le matin l’explosion d’une mine, sont là et nous reçoivent cordialement. Le capitaine me fait les honneurs de ce réduit de notre défense et fait serrer à gauche pour donner place à mes hommes. Il est 11h10. Nous avons cinquante minutes pour nous préparer.

Nous nous glissons entre les morts posés sur le parapet et dont les pieds heurtent nos épaules et nous regardons. De la tranchée, plus rien : nivellement complet. Le Boche nous éclaire par des fusées répétées, et j’ai tout de suite l’impression qu’il n’a pas eu le temps de refaire une tranchée complète, moins encore de creuser des boyaux. Bonne affaire : ce seront des combats de petits postes et, comme nous sommes moins bêtes qu’eux, nous les aurons.

- Parlez bas, me dit le camarade qui me guide. Dans le boyau, leur barricade est à 20 mètres.

Comme confirmation, un pétard arrive dans notre dos et pulvérise trois sacs de terre. Dix pétards de chez nous répondent et un hurlement strident jaillit en face. Une gaité générale accueille ce résultat aussitôt attribué à l’habileté notoire du grenadier Lombard, clerc de notaire.

Nous allons travailler en douceur. Il s’agit de reprendre à l’ennemi environ 450 mètres de tranchée, sans doute à peu près détruite, et d’enlever à la grenade les postes qu’il a dû établir dans les parties les moins mauvaises.

Une patrouille de six hommes commandée par un sergent se hisse sur la barricade et disparaît dans le noir. Entre les éclatements d’obus, nous guettons le silence : rien. Dix minutes passent. Des pétards explosent à 150 mètres. Est-ce le Boche qui tire sur les nôtres ? Un quart d’heure encore qui me paraît long. Puis un appel, étouffé : « Attention, les gars ! »  C’est un des patrouilleurs qui revient, annonçant qu’on a 60 mètres libres en face, un petit poste allemand au bout, d’autres éléments boches à 100 mètres plus à l’est.

Le sergent a continué en faisant un détour pour voir plus loin. Il n’y a pas de temps à perdre et je donne les ordres d’exécution : « Première section en avant à la grenade aussi loin que possible. Deuxième section prête à la soutenir. Troisième section avec des pelles suivant la progression et refaisant la tranchée au fut et à mesure. Quatrième section en réserve ». Dans un glissement presque muet, car tout le monde a compris le prix du silence, les hommes passent devant moi et s’enfoncent dans la nuit que la neige épaissit.

Il est 11h40. Nous avons de l’avance sur le programme. S’il faisait moins froid, nous nous sentirions parfaitement confortables, car l’affaire s’annonce assez bien. Une seule ombre au tableau : dans le désordre causé par les incidents du matin, on a oublié de renouveler la provision de sacs à terre, et une progression à la grenade sans sacs, c’est moins facile que de faire du maniement d’armes.

Une seule ressource reste, mais combien médiocre ! La barricade d’où nous partons, soit une soixantaine de sacs remplis, difficiles à manier et bien insuffisants comme nombre. La quatrième section entreprend la démolition et se charge du transport. C’est très risqué, si le Boche réagit. Mais qui ne risque rien n’a rien. Le sous-lieutenant, qui commande la section de tête, revient à moi ; ça marche et jusqu’à présent, comme l’avait signalé la patrouille, pas de difficulté. Ce qui sera dur, ce sera de refaire la tranchée. J’avais espéré qu’une réparation suffirait, mais tout est aplati. Gros travail. J’envoie un coureur chercher le peloton de pionniers du bataillon et, enjambant ce qui reste de la barricade, je vais pousser ma section de travailleurs, qui grogne en travaillant, à découvert, avec un sang-froid imperturbable. Le sergent patrouilleur et les hommes qui étaient restés avec lui rentrent à ce moment ; pas de casse, ça va.

Mais la pétarade augmente et, bien que mal protégé, l’ennemi l’est tout de même mieux que nous. Fort heureusement, ses liaisons sont aussi difficiles que les nôtres et d’ailleurs les Fritz, avec qui nous échangeons des pétards, ne lanceront pas les fusées rouges qui appelleraient sur eux, en même temps que sur nous, le feu de leur artillerie.

Il faut pousser : c’est la seule façon de s’en tirer et je lance en avant deux sections. Il est 1h40 et le jour, en cette fin d’hiver, ne nous gênera pas de sitôt. A partir de ce moment, j’ai le sentiment d’être dans la main du destin, d’avoir fait tout le possible et de ne pouvoir savoir ce qui en sortira. Mes chefs de section sont gens de tête et de cœur : ils feront pour le mieux. On place les gens. On leur donne un objectif. On les pousse. On les encourage. Et puis, à la grâce de Dieu ! 2 heures : le colonel fait demander des nouvelles. Par bonheur, je puis lui en fournir de précises, car en repoussant les Boches à coups de pétard, nous venons d’atteindre un croisement de boyaux qui nous donne plus qu’à demi-partie gagnée. De mes mains grasses de boue, je tire un crayon et mon carnet ; et, tant bien que mal je rédige deux lignes.

Tout le monde est content, en pleine action, en plein succès. Au croisement que nous venons de regagner en repoussant l’ennemi pas à pas, les sacs à terre de la barricade démolie sont transportés et l’on improvise quelque chose de sommaire, mais qui fait plaisir tout de même. L’organisation défensive, si modeste qu’elle soit, a une valeur morale en même temps que matérielle. On sait qu’on a désormais un point où s’accrocher. Mais dans le ciel blanc de neige, des lueurs éclatent, striées de petites baguettes : ce sont des minenwerfer qui commencent à travailler. Tir violent, très dense, mais qui par fortune est réglé 20 mètres au moins an arrière de nous. Personne ne s’arrête. Grenadiers et travailleurs continuent : tout le monde sait qu’il faut avoir fini avant le jour, et, du petit poste qu’on vient d’achever pour consolider le terrain gagné, une escouade s’élance en avant.

Malheureusement, le Boche se doute de quelque chose et voici qu’un tir de 15 s’ajoute à celui des mines. Mais comme il a peur de taper sur les siens, il tire trop long et le tumulte de ses éclatements retentit 50 mètres derrière nous. S’il continue comme cela, on s’arrangera.

On s’arrange en effet. Maintenant, nous sommes à 15 mètres de notre objectif final. Nous avons repris 2 mitrailleuses perdues l’après-midi et que l’ennemi n’avait pas eu le temps d’emporter. Toute la compagnie est dans la partie reconquise et des renforts d’infanterie commencent à prendre la place que nous avons laissée vide. Les pauvres gars, en montant, ont reçu les marmites qui nous étaient destinées et ils ont perdu du monde.

Le succès est maintenant certain. Si la nuit n’était pas finie, il serait complet. Malheureusement le temps passe. Le jour s’annonce. On y voit à 20 mètres. Or le petit poste, qui a atteint l’objectif final, est séparé du reste de la compagnie par un espace découvert où, faute de temps, la tranchée n’a pas pu être refaite. Les Boches, qui le voient isolé, lui tirent dans le dos. S’il reste là, quand il fera tout à fait clair, il sera fusillé comme lapin au gîte. Quel que soit le regret de tous, il n’y a pas à hésiter et je lui donne l’ordre de rentrer. Il refait, en courant, le trajet de retour, sous un feu nourri, qui blesse deux hommes, et nous achevons de nous organiser face à l’ennemi, ayant reconquis dans notre nuit 400 mètres de tranchées. Il fait grand jour et le Boche s’aperçoit que, comme disait l’autre, il n’y a vu que du feu. Un bombardement sévère affirme aussitôt sa mauvaise humeur. Il a cru que pendant huit heures que nous menions contre lui des combats de patrouilles. L’aube lui révèle une tranchée reprise et refaite : cela mérite bien un marmitage, médiocre au surplus, qui ne nous vaut qu’une demi-douzaine de blessés.

Notre rôle est fini. Les braves biffins achèvent de nous relever. Nous redescendons au chemin des Moulins où nous allons rester en réserve dans des abris relativement sûrs. Une allégresse générale couronne cette nuit d’aventure et je songe, une fois de plus, a ce mot d’un de mes chefs : « Quoi que nous fassions, jamais nous n’arriverons à être dignes de nos soldats ».

 

 

 

Sources :

Ce texte est extrait des notes d’un capitaine de chasseurs, pendant la bataille de Verdun, et des archives du périodique L’Illustration, publié de 1843 à 1944, et qui fut en son temps le magazine hebdomadaire le plus lu de France.

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Publié le 17 Juin 2017

Jacques Vignaud donne une conférence sur la Résistance au collège Henri Matisse – Juin 2008.

Jacques Vignaud donne une conférence sur la Résistance au collège Henri Matisse – Juin 2008.

Nous avons eu la douleur de perdre notre ami et adhérent, Jacques Vignaud, le 3 juin 2017, à l’âge de 91 ans. Avant son inhumation dans le caveau de famille au cimetière de Notre-Dame de Fontenay-le-Comte, un hommage lui a été rendu le jeudi 8 juin 2017, en l’église Saint-Benoît à Issy-les-Moulineaux, en présence de sa famille, ses amis, de Madame le sénateur Isabelle Debré et du Souvenir Français.

 

« Mon cher Jacques,

 

Nous y voilà. Ce dernier voyage dont tu me parlais souvent. Ce dernier voyage qui en vaut bien un autre aurait dit ton ami Gilbert Prouteau, le Chouan, qui s’y connaissait comme toi en impertinence, en philosophie de la vie mais aussi en contrepèteries et autres calembours.

 

D’autres voyages. Bien sûr. Celui que nous avons fait ensemble, au Souvenir Français d’Issy-les-Moulineaux et Vanves pendant près de 10 ans. Quand toi le Gaulliste, tu m’écrivais ton histoire, celle de la Résistance, celle de ton parcours chez Time Life Magazine – où les Américains t’avait demandé de prendre les Parisiens en photos – ou plus tard dans le monde de la chimie, de l’apprentissage des langues ou encore des œuvres des Auberges de Jeunesse. Celui de ton engagement auprès des jeunes et en particulier du collège Henri Matisse.

 

Le voyage. Celui qui t’a amené à me parler de ton engagement dans la Résistance au 93e RI. Engagement dont tu parlais peu comme souvent ceux qui ont connu les combats. Tu n’as d’ailleurs jamais demandé les médailles auxquelles tu avais pourtant droit. Pensez donc : un adolescent qui fait écrire à sa mère « je ne rentrerai pas ce soir, car je rentre dans la Résistance ». Cet engagement qui fait te battre contre l’ennemi allemand dès tes premiers jours, vêtu d’un uniforme anglais, un peu trop grand, et sachant à peine te servir de la mitraillette que tes supérieurs t’ont confié. De missions de reconnaissance en combats et embuscades tu multiplies les coups dans la région de la Charente-Maritime.

 

En janvier 1945, avec quelques compagnons d’infortune, tu te retrouves bloqué par les Allemands à Marans, dans la Sèvre niortaise. Sonne l’heure de la retraite à travers les marais. Dans une maison, vous allez trouver refuge. Vous vous installez au premier étage pour mieux surveiller les alentours. Sans imaginer une seule seconde que les Allemands vont eux, dans la nuit, loger au rez-de-chaussée. Ils sont dix fois plus nombreux et mieux armés. Vous voilà prisonniers. « Faits comme des rats, des rabougris », aurait encore dit Gilbert Prouteau. Puis c’est l’évasion, digne d’un film d’aventure, avec des copains qui tombent, fauchés par la mitraille ennemie, une patrouille de la Wehrmacht qui ne regarde pas ou qui refuse de regarder trois jeunes gars qui se cachent dans les rues de la Rochelle. « De jeunes pouilleux, mais qui ont aussi libéré la France » aurait ajouté Maurice Druon.

 

Alors le voilà ton dernier voyage. Tu vas rejoindre ta chère Vendée. Tu vas retrouver, quelque part du côté de Mouilleron-en-Pareds Georges Clemenceau et le général de Lattre de Tassigny, tes idoles.

 

Une dernière fois je souhaiterais que l’on puisse t’entendre. Tu disais : « C’en est terminé de notre guerre. Bientôt les Allemands se rendent en masse. Notre joie est indescriptible. Pourtant. Ombres funestes. Je pense à tous nos camarades qui n’ont pas eu notre chance, qui se sont battus et ont été tués, qui se sont fait prendre, alors que la liberté s’offrait à eux. Ainsi, je pense particulièrement Paul Couzinet, Joseph Martin et Paul Rolland, qui ont été arrêtés alors qu’ils étaient au rez-de-chaussée de la caserne et que les premières évasions venaient d’être découvertes. Ils ont été lâchement abattus par la soldatesque ennemie et c’est un crime impardonnable. Nos combats sont demeurés au second plan, inconnus. Mais cela n’est ni tout à juste ni tout à fait bon. Le Devoir de Mémoire est indispensable si l’on veut que nos jeunes disposent encore aujourd’hui du patrimoine national que nous avons contribué à reconquérir. »

 

 

CDT (RC) Frédéric RIGNAULT

Président

Délégué général adjoint pour les Hauts-de-Seine.

 

 

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Publié le 27 Mai 2017

Charles de Foucauld et le général Laperrine.

Charles de Foucauld et le général Laperrine.

Biographie.

François Henry Laperrine d’Hautpoul, descendant du fameux général d’Hautpoul mort à Eylau, nait le 29 septembre 1860 à Castelnaudary dans l’Aude. Fils d’Alphonse Laperrine d’Hautpoul, receveur des finances dans cette commune, il entre à Saint-Cyr en octobre 1878. Capitaine au 2e régiment de dragons en novembre 1891, attiré par l’aventure, il est volontaire pour servir en Afrique.

En 1897, il recrute et organise les Compagnies méharistes sahariennes, qui ne deviendront officielles que le 30 mars 1902, par décret, tout en restant des troupes semi-régulières. En 1901, il est nommé commandant supérieur des oasis.

Il fait découvrir le Sahara à Charles de Foucauld, un de ses lointains cousins, lors d’une « tournée d’apprivoisement » des populations du grand Sud. Les deux saint-cyriens se connaissent depuis longtemps. L’un veut gagner les Sahariens à la France, l’autre à la cause du Christ. Peut être Laperrine s’imagine-t-il que grâce à l’aide du missionnaire et à celle de Moussa Ag Amastan, il pourra mettre en place « une confédération targuie du Sahara, sorte de royaume franc du Centre Afrique, à dominante chrétienne, socle de la civilisation africaine ». C’est oublier que Moussa Ag Amastan, bien qu’il ait fait par réalisme le choix de pactiser avec les Français, est un musulman pieux et sincère, ce qui lui valait d’ailleurs l’estime de Charles de Foucauld.

En 1904, alors que Laperrine est commandant supérieur des oasis sahariennes, son subordonné, le capitaine Métois, chef de l’annexe du Tidikelt, fait signer au chef des Touareg Ked-Ahaggarn l’amenokal Moussa Ag Amastan, une sorte de traité qui fixe à celui-ci « les conditions dans lesquelles le Gouvernement français accepte sa collaboration ». Mais Laperrine, le supérieur hiérarchique de Métois, interprète ce traité comme une soumission de Moussa AG Amastan et le lui fera comprendre l’année suivante. Son action au Sahara lui vaudra le surnom de « pacificateur du Sahara ».

Général de Brigade en 1912, François Henry Laperrine d’Hautpoul participe à la Première Guerre mondiale, avec entre autres les batailles d’Ypres et de Verdun. En 1917, il est rappelé au Sahara par le général Lyautey, qui exige d’avoir sous son commandement des officiers qui parlent parfaitement arabe et montent à dos de chameau. L’année suivante, Laperrine est nommé général de division.

En février 1920, Laperrine remplace le général Nivelle, rappelé à Paris, pour participer à un raid aérien. Mais le 18 février, l’avion dans lequel il a pris place sur les genoux d’un mécanicien se perd après l’escale de Tamanrasset. L’engin doit se poser en catastrophe en plein désert et capote. Après plusieurs jours sans nourriture, le général meurt d’épuisement le 5 mars 1920. Son corps est ramené à Tamanrasset ; il est inhumé le 26 avril 1920 à Carcassonne. Son corps repose au cimetière Saint-Michel.

 

Distinctions et hommages.

Le général de division François-Henry Laperrine d’Hautpoul était :

  • Grand officie de la Légion d’honneur.
  • Croix de Guerre 1914-1918.
  • Médaille coloniale avec les agrafes Algérie, Soudan, Sénégal, Sahara, AOF.
  • Croix de Guerre belge 1914-1918 avec palme.

Durant la période de la colonisation française, son nom est donné au fort situé dans le sud du Sahara, fort qui deviendra petit à petit la ville de Tamanrasset. Des rues portent le nom du général Laperrine à Paris, à Nice ; la 143e promotion de Saint-Cyr porte également son nom de même que la caserne du 3e RPIMa, située à Carcassonne.

 

La mort du général.

Charles Nardin, commandant le Parc du 3e Groupe d’aviation à Sétif a recueilli le rapport et le témoignage d’un mécanicien, le soldat Marcel Vaslin, qui se trouvait avec le général Laperrine au moment de l’accident fatal. Voici, grâce au site internet, www.cerclealgerianiste.fr dont le but est de sauvegarder, défendre, transmettre l’histoire et la mémoire des Français d’Algérie, a publié ce rapport. En voici de larges extraits :

« Etant mécanicien dans une escadrille de Constantine, j'ai été désigné, dans le courant de janvier 1920, pour rejoindre, avec quelques camarades, le poste de Tamanrasset, dans le but de recevoir les avions du Raid Transsaharien. Nous avons rejoint Tamanrasset le 31 janvier, après une dure randonnée en camionnette à travers le Sahara. Le 15 février 1920, nous voyons atterrir le capitaine D'Alleman, pilote du commandant Rolland, le lieutenant Sabatier, avec son passager l'adjudant mécanicien Faury, l'adjudant Bernard, pilote du général Laperrine; le 16 atterrissait le commandant Vuillemin, ayant à bord le lieutenant observateur Chalus. Après quelques vérifications et menues réparations, il est décidé que le capitaine D'Alleman et le lieutenant Sabatier repartiront le 17 à destination d'Alger. Le commandant Vuillemin et l'adjudant Bernard prendront leur vol pour Tombouctou et Dakar le 18. Le 17 au soir, le commandant Vuillemin fait demander un volontaire parmi les mécaniciens du poste, pour prendre place à bord de l'avion du général Laperrine; le 18 à l'aube, je me présente et je suis agréé.

Les moteurs des deux avions ronflent déjà; nous n'avons pas eu le temps d'aménager une troisième place dans l'appareil qui doit me prendre; le général s'installe sur mes genoux et, à 7h30, nous décollons devant une foule de Touaregs, parmi lesquels nous remarquons leur grand chef Moussa Agama Stal, figurent aussi le lieutenant Pruvot, résident du Hoggar et quelques militaires européens en station à Tamanrasset. Avant le départ, il avait été convenu que les deux avions marcheraient de conserve parce que si l'un d'eux était contraint d'atterrir, l'autre viendrait se poser à son tour pour lui porter secours. Pendant quelques minutes, nous survolons Tamanrasset et la région du Hoggar et, après avoir pris une hauteur de marche, nous prenons la direction sud-ouest en suivant autant que possible, la piste chamelière de Tamanrasset Tin-Raro. Au bout de 15 km, la piste n'est plus visible. Nous suivons alors un oued qui semble nous donner la bonne direction; le commandant Vuillemin marche mais à plus faible altitude; l'adjudant Bernard le suit comme il était convenu. Comme le général n'a pu se repérer depuis le départ et qu'à 11h30 nous ne sommes pas en vue de Tin-Aquaten, Bernard se décide à lancer les signaux de détresse par T.S.F.A. À ce moment, le commandant Vuillemin est à environ 1000 mètres de nous, en avant et à gauche. Nous n'avons d'essence que pour une vingtaine de minutes de vol; aussi Bernard se dispose à atterrir.

Il se présente un terrain excessivement plat mais très mou et bordé au nord par des dunes de sable. Ayant le vent debout au-dessus de 2000 mètres, Bernard amène son appareil sur le terrain face au sud; nous ne sommes plus qu'à une quinzaine de mètres du sol, lorsqu'un fort remous incline l'appareil sur l'aile gauche, pour comble de malheur, au ras du sol, le vent nord-sud souffle, ce qui contribue à nous faire capoter violemment. Le général qui n'était pas attaché, se trouve pris entre le pare-brise et moi; il est, de ce fait, blessé assez sérieusement; il a la clavicule gauche cassée, une côte enfoncée et il se ressent de contusions internes; Bernard s'était attaché avant le départ et il se retire de sous l'appareil; quant à moi, j'ai la tête dans le sable, je me relève un peu contusionné. Revenu de notre première émotion, nous sommes désagréablement surpris de constater que l'avion du commandant Vuillemin a disparu. Notre première préoccupation est de ramener les bidons contenant l'eau de réserve; ils sont pêle-mêle avec les boîtes de « singe », les outils, les bougies de rechange, etc..., le tout enfoui plus ou moins dans le sable.

Il est environ midi, la température atteint 45°, nous nous mettons à l'ombre sous les plans de l'appareil retourné et le général Laperrine nous dit: « Mes enfants, nous allons essayer de manger, puis nous nous reposerons jusqu'à demain matin et ensuite nous aviserons ». Pensant, Bernard et moi, que le général connaît bien la région, nous ne sommes pas très inquiets; nous absorbons donc quelques tranches de gigot de gazelle et un peu de pain provenant d'un casse-croûte offert au général à Tamanrasset, un peu d'eau et nous nous étendons. Notre chef mange très peu; nous sommes courbaturés et nous nous efforçons de dormir mais le sommeil ne vient pas. Vers 16 heures, la température est plus supportable, nous quittons nos vêtements pour nous étendre sur le sable qui commence à être frais; dans le courant de la nuit, nous dormons d'un sommeil très léger, coupé par de longs intervalles de méditation.

Le 19 au matin, avant qu'il fasse jour, le général décide que nous partions dans la direction nord-ouest, dans l'espoir de trouver les montagnes de l'Adrar. Nous rassemblons donc ce qui nous est indispensable pour la route. Il y a dix boîtes de viande de 300 gr, vingt biscuits de guerre, une boîte de phoscao de 250 gr, une boîte de lait condensé de 250 gr, 100 gr environ de sucre en poudre, 1/2 litre d'arquebuse appartenant à Bernard, six bidons d'eau de deux litres et deux bidons de quatre litres; un mousqueton de cavalerie, une couverture, une toile de tente et nos objets personnels.

À la pointe du jour, nous nous mettons en route, le général est muni de ses jumelles et de son porte-cartes; il marche difficilement. Bernard et moi, portons les vivres, l'eau, etc..., nous sommes sérieusement chargés. Après cinq heures de marche, nous nous arrêtons pour prendre un repos bien gagné. À l'aide de la carabine, nous montons la tente tant bien que mal en nous servant des bidons d'eau pour fixer les coins de la toile et là, très mal abrités du soleil, nous attendons le soir. L'eau est rationnée, il a été convenu entre nous que nous ne boirons pas plus d'un litre d'eau chacun par 24 heures. Il fait très chaud, nous souffrons beaucoup de la soif mais nous respectons la consigne. Le soir, une boîte de viande de 300 gr fait tous les frais de notre repas; l'appétit ne va pas fort! Le général nous encourage en nous disant que la piste n'est pas à plus de 50 km de nous, nous avons confiance en lui; il nous dit de faire du feu pour tâcher d'attirer l'attention sur nous; nous cherchons du combustible et nous trouvons quelques herbes sèches qui nous permettront de faire une petite lueur pendant 10 minutes. Dans la nuit, nous tirons trois coups de carabine mais en vain, personne ne nous entend.

Le 20, de très bonne heure, nous nous remettons en route dans la même direction que la veille, nous espérons que la journée ne se passera pas sans que nous ayons aperçu les montagnes de l'Adrar. Le terrain très mou rend notre marche pénible à chaque pas, le pied s'enfonce de 10 cm. De temps en temps, le général braque ses jumelles devant lui, mais il ne découvre rien, toujours l'immensité.

Le 21 février, à l'heure habituelle, nous repassons sur nos traces et nous marchons dans la direction de l'avion que nous avons abandonné deux jours plus tôt; le général est dans un état de faiblesse extrême; nous faisons des petites étapes d'une heure; à 10 heures, nous apercevons, à notre très grande joie, des traces de pattes de chameaux; déjà nous croyons être sur une piste mais, malheureusement, au bout d'une dizaine de mètres, elles n'existent plus. À l'aide de mon mousqueton, je trace une flèche sur le sol indiquant le sens de notre marche et j'inscris la date: « 21 février 1920 ». Nous profitons de cet incident pour faire une petite halte et le général se décide à rédiger un petit billet sur lequel il est dit ceci: « Nous marchons vers notre avion qui se trouve à une dizaine de kilomètres d'ici » et il signe son nom en écriture touareg et arabe. Le billet est pris entre deux pierres pour éviter qu'il ne s'envole. Nous repartons; au fur et à mesure que le poids de nos vivres diminue, celui de nos fatigues augmente. A 11 heures, grande halte habituelle; nous avons la gorge tellement sèche que nous ne pouvons manger, aussi nous ne mangeons que le soir. Nous repartons alors au bord d'un oued, ne pouvant continuer car nous ne voyons plus nos traces. Après avoir mangé notre boîte de « singe » quotidienne, nous disposons des bidons en file indienne afin de marquer notre sens de direction pour le lendemain matin, car nous partirons avant qu'il fasse jour; nous devons retrouver notre appareil dans la matinée. Ce soir, l'état du général devient très inquiétant, c'est avec beaucoup de peine qu'il arrive jusqu'ici, il se plaint sans cesse de son dos; comme il ne peut manger, nous lui réservons le phoscao et le lait condensé; Bernard lui fait des massages avec de l'arquebuse. Nous ne sommes pas longs à nous endormir car nous sommes extrêmement fatigués.

Le 22 vers 4 heures, nous avons beaucoup de mal à nous mettre debout. Le général ne peut se lever seul, nous l'aidons donc et nous repartons péniblement; nous nous arrêtons toutes les demi-heures à cause de notre chef qui est à bout de forces. À 8 heures, nous apercevons l'appareil et cela nous fait plaisir, bien que nous sachions que le salut ne nous y attend pas. Il nous semble que l'appareil n'est pas loin de nous, mais nous marchons encore longtemps. Nous arrivons enfin à 400 m de notre but; notre chef ne peut plus avancer. « Mes enfants, dit-il, allez à l'appareil déposer vos affaires et vous reviendrez me chercher ensuite ». Cependant Bernard le soutient et nous continuons très lentement. À 9h30, nous arrivons près de notre « coucou », il n'a pas bougé !... Les plans supérieurs, qui touchent près du sol, sont déjà recouverts de sable. Nous allons tout de suite nous rendre compte si le radiateur a fui, et nous sommes heureux de voir qu'il est presque plein. Nous avons rapporté un litre d'eau de notre expédition. Avant la grande chaleur, nous nous empressons de tendre une couverture que nous fixons à l'aide du fil d'antenne de TSF, d'une part à l'aile inférieure droite, puis au fuselage, et enfin au stabilisateur; nous serons ainsi protégés du soleil. Nous couchons tout de suite le général sous la couverture et près du fuselage; nous prenons place près de lui et nous lui tenons compagnie. Nous nous reposons, notre chef se plaint et pousse de longs soupirs au moindre mouvement, il ressent une vive douleur. Dès que le soleil est couché, nous commençons à vider le radiateur en emplissant nos bidons et nous recueillons 18 litres (il doit encore en rester 4 litres environ). Nous creusons un trou dans le sable et nous enterrons nos bidons pour les protéger de la chaleur. La ration d'eau est toujours fixée à 1 litre par personne et par jour; le soir nous mangeons encore une boite de viande et nous faisons du phoscao pour notre chef. Après le repas, nous nous étendons encore et nous dormons vite.

Le 23, au réveil, rien de nouveau.

Le 24, vers 10 heures du matin, nous apercevons une gazelle à une centaine de mètres de nous; je tire dessus neuf cartouches, mais sans succès. Les mirages nous causent de fausses joies.

Le 25, vers midi, nous apercevons encore une gazelle, Bernard essaie en vain de la tuer. Dans la nuit du 25 au 26, le général appelle Bernard à plusieurs reprises pour lui demander s'il dort.

Le 27, de 10 heures à 18 heures, nous subissons une forte tempête de sable qui nous oblige à nous cacher sous des couvertures; l'état du général devient de plus en plus inquiétant.

Le 28, rien à l'horizon. Bernard commence à faire son testament, nous sommes découragés; la chaleur est très forte, pendant six heures nous en souffrons beaucoup. Dans la journée, nous essayons de manger la pâte dentifrice, cela semble nous rafraîchir quelques instants, pour nous altérer par la suite; malgré tout, nous y revenons de temps à autre.

Dimanche 29 février, je fais mon testament pour ma mère, je suis découragé au plus haut point. Je termine ma lettre ainsi: « Marcel Vaslin, que la destinée emporte vers Dieu ».

Le 1er mars, voici douze jours que nous n'avons vu personne, ni amis, ni ennemis; des marques de grand désespoir sont visibles sur nos traits, j'échange mes impressions avec Bernard, nous employons notre temps à démonter les instruments de bord pièce par pièce.

Le 2 mars, rien. La journée se passe semblable aux autres, le soir nous faisons un petit feu, nous brûlons un pneu et une housse de moteur. Soir et matin, nous tirons trois cartouches, mais cela ne sert à rien, jamais personne ne nous entend.

Le 3, forte tempête de sable, cela nous donne des idées plus noires que d'habitude, le général respire avec beaucoup de difficultés et son état de santé commence à nous inquiéter beaucoup. Bernard consulte les cartes et croit, d'après elles, que nous sommes à 120 km de Tin-Zaouaten. Nous formons le projet de marcher dans la direction de ce poste, espérant qu'en cours de route nous rencontrerons du secours; notre chef nous autorise à tenter cette autre expédition en nous disant: « Mes enfants, si vous allez là-bas, vous ne reviendrez certainement pas ». Après avoir fait un repas plus copieux que d'habitude, c'est-à-dire augmenté de deux biscuits, nous quittons le général Laperrine vers 9 heures, en emportant avec nous de l'eau pour quatre jours et des vivres, tout en laissant la ration du général près de lui. Nous marchons directement sur les dunes qui bordent le terrain où nous avions atterri; à la troisième rangée de dunes, nous montons au sommet après des efforts extraordinaires en comparaison de notre faible constitution du moment. Bernard s'écroule comme une masse et me dit: « Je ne peux ni avancer, ni reculer. Je reste là ». Mes forces sont également bien diminuées, malgré tout je m'efforce de faire comprendre à mon camarade de misère, qu'il est impossible de rester dans les dunes et qu'il vaut mieux mourir près de l'avion car, là-bas, on nous retrouverait un jour ou l'autre, mort ou vivant. Nous rentrons à l'appareil péniblement et là, nous apercevons notre chef qui, depuis notre départ, n'a pas eu la force de boire.

Le 4, il se plaint de plus en plus et nous nous attendons à le voir mourir incessamment; il absorbe difficilement son chocolat. Cette journée est lugubre, nous voyons des oiseaux de proie qui nous survolent en croassant. Ont-ils senti qu'il y aurait bientôt un mort parmi nous?

Le 5, nous retrouvons le général à quelques mètres de sa place habituelle, il a la bouche pleine de sang; nous avons le pressentiment qu'il va bientôt partir, nous nous efforçons de lui faire prendre son chocolat, mais il ne peut plus avaler quoi que ce soit. Sentant sa mort prochaine, il nous dit quelques paroles: « Mes enfants, on croit que je connais le désert, mais personne ne le connaît; c'est moi qui ai fait votre malheur; j'ai traversé dix fois le Sahara et j'y resterai la onzième fois ». Nous supposions qu'il allait encore tenir un jour ou deux. Vers midi, il demande de l'eau, je le relève et Bernard le fait boire, je le recouche vers 15 heures, je suis très occupé à causer avec Bernard lorsque ce dernier me dit: « C'est drôle que le général ne nous réclame pas à boire ». Nous l'appelons à plusieurs reprises mais il ne nous répond pas; Bernard, qui est le plus près de lui, touche sa jambe: il est mort sans avoir poussé la moindre plainte. Ceci est bien triste pour nous, nous nous rendons compte que notre jour est proche aussi, nous sommes également dans un état de faiblesse extrême et, dès que nous voulons nous mettre debout, nous sommes pris d'étourdissements et nous sommes obligés de nous recoucher. Cependant, à la nuit tombante, nous rassemblons tout ce qui nous reste de force pour transporter notre chef sur le plan opposé. Là, nous le couvrons avec de la toile d'avion prise sur une des ailes.

Le 6, triste réveil en voyant que notre chef est manquant; nous pensons à l'inhumer, mais nous avons quand même l'espoir d'être retrouvés aujourd'hui. Le soir arrive, nous ne voyons aucune âme qui vive. Ce jour-là, nous souffrons encore beaucoup de la chaleur, laquelle augmente tous les jours. Nous avons encore six jours d'eau et quatre jours de vivres. Bernard et moi, nous décidons de nous rationner de plus en plus, nous boirons deux quarts et demi d'eau par jour chacun. Dans le courant de la journée, Bernard a une soif terrible mais il ne veut pas toucher à sa ration d'eau, alors il casse les boussoles et absorbe le liquide qu'elles contiennent. Le soir, notre repas se compose d'un biscuit pour chacun. En raison de notre état de faiblesse, nous grelottons la nuit et, quand le jour arrive, nous sommes gelés. Le matin, nous avons encore un peu d'espoir, mais nous le perdons dès que la chaleur devient forte. Au soleil couchant, nous nous acheminons vers un sillon qu'a fait une roue de l'avion au moment de l'atterrissage et là, avec nos mains, nous agrandissons le trou où doit reposer notre « grand chef ». Ce travail est terminé au bout d'une heure, nous allons chercher le général pour le transporter à sa dernière demeure et, une fois enseveli, craignant que la tombe ne soit rendue invisible après une tempête de sable, nous posons sur elle une roue de rechange à laquelle nous fixons le képi. Après avoir rendu les derniers hommages à notre chef, nous nous retirons tristement. La tombe est à une dizaine de mètres devant l'appareil.

Le 8, nous rassemblons nos affaires personnelles, nous en formons chacun un petit colis et nous joignons l'adresse de nos familles, sans oublier quelque monnaie pour l'affranchissement. Les deux colis sont logés dans la valise du général et la valise est ensuite rangée dans le fuselage.

Le 9, réveil sans espoir. L'adjudant Bernard écrit quelques mots au recto d'une enveloppe: « Le général est enterré à une dizaine de mètres devant l'appareil; un képi, une roue, un pneu sur sa tombe. Prière d'ouvrir cette valise. Dans un compartiment il y a des lettres et des colis à expédier à nos familles tout est prêt, il y a de l'argent pour l'affranchissement. Merci à qui le fera. Le 9 mars 10 heures, pensons tenir jusqu'au 12 mars. Bernard ».

Le 10, nous ne bougeons plus, nous restons étendus toute la journée, fouillant l'horizon de nos yeux, mais rien! Toujours rien! Nous n'avons plus rien à manger. Bernard absorbe de la glycérine que le général avait dans sa valise, moi je mange de la pâte dentifrice, ce qui altère énormément; nous consommons quelques pastilles « Jubel », nous sommes insensibles.

Le 11, la situation ne s'améliore pas, au contraire, nous espérons maintenant la mort prochaine; voici deux jours que nous n'avons pas mangé; nous avons encore réduit la consommation d'eau à trois quarts pour deux par 24 heures.

Le 12, Bernard veut en finir et il me le propose. Je m'efforce de lui remonter le moral, mais il me fait comprendre que si nous n'allons pas au-devant de la mort, notre fin sera terrible ce à quoi j'acquiesce. Le soir, à 21 heures, il écrit ces quelques mots à la lueur d'une lampe électrique de poche qui avait appartenu au général: « Ce soir, 12 mars, à 21 heures, n'ayant plus de vivres, ni d'eau, nous nous donnons volontairement la mort. Ne comprenons pas qu'en 23 jours, on ne nous a pas retrouvés si on a fait des recherches ? Nous disons adieu à cette terre. Bernard ». J'ai quand même réussi à l'empêcher de suivre son idée et, le 13 au matin, nous sommes encore de ce monde. La journée se passe plus pénible encore que la précédente nous ne pouvons bouger. Le soir, l'idée du suicide revient à Bernard, plus belliqueuse que la veille; nous buvons le dernier quart d'eau. Alors c'est décidé: Bernard sort de sa valise, deux lames de rasoir « Gillette »; nous en prenons chacun une, mais avant, nous avons disposé près de nous, deux récipients dans lesquels nous ferons couler notre sang, à seule fin de pouvoir le boire et calmer notre soif une dernière fois avant de mourir. Bernard, plus courageux commence le premier. Il se fait, avec la lame de rasoir, une plaie assez profonde, près de l'artère du poignet gauche. J'avais déjà commencé à me blesser aussi, mais en voyant que le sang de Bernard ne sort pas je ne continue pas. Mon pauvre camarade est très en colère et il rejette sa lame au loin et je l'imite. Il me dit alors: « Nous en finirons demain matin avec les trois dernières cartouches qu'il nous reste ».

Le 14 de très bonne heure, un fort vent de sable commence à se lever. J'entends Bernard me dire: « Es-tu prêt? Nous en finissons ce matin ». Je lui réponds « Attendons jusqu'à midi, j'ai encore de l'espoir ». Sur ce, je rejette la couverture sur nous; nous ne dormons pas mais nous méditons. Une heure s'est à peine écoulée lorsque je perçois, dans le lointain, le beuglement d'un chameau. À ce moment-là, je ne sais quelle force extraordinaire s'empare de moi. Aussitôt je rejette au loin ma couverture, je saisis brusquement le mousqueton et je tire en l'air les trois dernières cartouches. Nous avons été entendus et nous sommes sauvés. J'aperçois deux méharis qui arrivent au galop et je me précipite vers eux; je cours à peu près pendant vingt mètres et je m'effondre devant mon sauveur qui, déjà me tend une gamelle d'eau. Quelques instants après, nous voyons arriver le lieutenant Pruvost au grand galop, accompagné du maréchal des logis et du brigadier Delplanque qui, tout de suite dressent une tente et nous prodiguent les premiers soins. Notre émotion est si forte que nous pouvons à peine causer avec nos sauveurs. Dans la journée, nous absorbons trente-quatre fois du thé bien sucré et deux grands plats de potage. La joie nous empêche de dormir et, pendant toute la nuit, je cause avec Bernard, je cause sans cesse. Nous échangeons nos projets. Le lendemain 15 février, le lieutenant Pruvost nous explique que nous n'avons été retrouvés que par un grand fait du hasard, car il ne venait pas du tout à notre recherche: il descendait à Agadez se ravitailler et il nous croyait retrouvés depuis plus de dix jours; ce bruit avait circulé à Tamanrasset. Le 16 au matin, nous partons dans la direction d'Agadez, nous marchons six jours pour atteindre le premier puits, faisant des étapes de 6 à 9 heures par jour, les débuts à dos de chameau sont pénibles pour nous qui n'avons que peu ou pas de force. Encore six jours de marche et nous atteignons le second puits. Nous trouvons là, beaucoup de troupeaux de chameaux, de bœufs et de moutons, qui appartiennent aux Touaregs du Hoggar.

Nous restons douze jours à Tasaya pour nous refaire. Le lieutenant Pruvost nous laisse des vivres avant de partir pour Agadez, où il se rend pour le ravitaillement de son détachement. Il emporte un quart de riz pour cinq jours de route, en compagnie de maréchal des logis et du brigadier déjà nommé. Nous le voyons revenir douze jours après et nous repartons ensemble pour Tamanrasset où nous arrivons quinze jours après, à dos de chameaux, ramenant la dépouille du général Laperrine. Dans la matinée de notre arrivée, a lieu l'inhumation au cimetière, près du père de Foucauld, qui a trouvé aussi la mort dans le Sahara. Nous sommes restés huit jours à Tamanrasset. Après avoir salué une dernière fois notre grand chef, nous partons vers le nord en camionnette automobile. »

 

Sources :

  • Rapport du mécanicien soldat Marcel Vaslin, repris par Charles Nardin, commandant le Parc du 3e Groupe d’aviation à Sétif.
  • René Pottier, Laperrine, conquérant pacifique du Sahara, Bibliothèque de l’Institut maritime et colonial, 1913.
  • Paul Pandolfi, Une correspondance saharienne. Lettres inédites du général Laperrine.
  • Encyclopédies Wikipédia, Larousse et Britannica.
  • Pierre Montagnon, Histoire de l’Algérie : des origines à nos jours, Pygmalion, 1998.
  • Georges Fleury, Comment l’Algérie devint française, Perrin, 2004.

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Publié le 7 Mai 2017

Ratissage près de Bou Saada par le 117e RI en 1956.

Ratissage près de Bou Saada par le 117e RI en 1956.

Histoire du 117e RI.

Il est toujours important de rappeler ce que fut l’histoire d’un régiment. C’est d’ailleurs l’une des premières choses que l’on apprend quand on intègre une unité : histoire et traditions !

 

Vieux régiment, son histoire remonte au 17e siècle quand il est de ces compagnies appelées « Vieux corps ». En 1656, cette unité forme un régiment du roi et l’un de ses bataillons passe au régiment de Bourgogne créé en 1668. Participant aux guerres de la Révolution française et au Premier empire, le 117e est dissous en 1814.

 

Récréé en 1872, le régiment a son casernement au Mans dans la Sarthe. Affecté au 4e corps d’armée, à la 8e division d’infanterie et à la 16e brigade, le 117 participe à la bataille de la Marne en 1914, est en Champagne l’année suivante, à Verdun puis à nouveau en Champagne en 1916. En 1918, il s’illustre à l’occasion de la seconde bataille de la Marne. Le 12 novembre 1918 à Charleville, le général Guillaumat, commandant la Ve armée, remet la Croix de guerre 1914-1918 au drapeau du 117e RI. Par décision du 30 novembre 1918 du maréchal Pétain, commandant en chef des armées de l’Est, le régiment est cité à l’ordre de l’armée. Le droit au port de la fourragère aux couleurs du ruban de la Croix de guerre 1914-1918 lui est en outre accordé.

 

Au 1er septembre 1939 intervient la mobilisation générale. Après l’envahissement de la Pologne par l’Allemagne nazie, la France se déclare en état de guerre. Le 4 septembre, le 117e RI se trouve dans les Ardennes. Il est l’un des régiments qui pénètrent dans la Sarre. Mais cette occupation en Allemagne est de courte durée. En effet, en réaction à cette offensive, des divisions allemandes sont rapidement mobilisées et les Français décident de se replier derrière la Ligne Maginot. A la veille de la ruée massive des divisions de Panzer, fin mai 1940, le régiment occupe des positions au sud-ouest de Péronne.

 

Dans la nuit du 4 et 5 juin 1940, l’artillerie allemande pilonne les positions françaises. L’attaque des blindés allemands débute à l’aube du 5 juin. Le 117e, qui ne bénéficie de la protection d’aucun obstacle antichar naturel, supporte presque tout le poids de l’attaque blindée. Dès 3h30, après un redoublement des tirs de l’artillerie, le régiment voit arriver sur lui les vagues d’assaut de trois divisions blindées. Les chars bombardent, mitraillent puis dépassent les fantassins français qui voient apparaître les motocyclistes, puis les éléments portés débarquant au plus près. Entre deux vagues de chars, les stukas lancent leurs bombes en piqué. Les points d’appui et les centres de résistance sont neutralisés un à un après la destruction des lisières des villages par des obus incendiaires. Obligés d’abandonner leurs positions, les hommes du 117e se replient, bien souvent aux prix de sacrifices de dizaines d’hommes. D’ailleurs, l’âpreté de la résistance opposée par l’unité aux Allemands lui vaut des éloges : « Vos hommes ont combattu magnifiquement » dira plus tard un général de la Wehrmacht.

 

Le 1er août 1940, ce qui reste de la 13e compagnie de pionniers et le 21e bataillon sont dissous à Saint-Yriex dans la Creuse.

 

En Algérie.

Reconstitué le 17 avril 1956, à l’occasion du rappel de la classe 1953, le 117e régiment d’infanterie fait partie de la première vague des unités en vue du rétablissement de l’ordre en Algérie. Il appartient alors au 23e corps d’armée et à la 20e division d’infanterie.

 

Georges Albert Raymond Segard nait le 23 octobre 1924 à Mazingarbe dans le département du Pas-de-Calais. Habitant Issy-les-Moulineaux au moment de son service militaire, il est incorporé au 117e régiment d’infanterie et débarque en Algérie en mai 1956. Son séjour est malheureusement extrêmement bref. Il meurt des suites de blessures accidentelles reçues le 22 juin 1956 à Alger. Il est déclaré Mort pour la France. Trois jours plus tôt, les premiers membres du Front de Libération National condamnés à mort ont été exécutés.

 

Au cessez-le-feu du 19 mars 1962, le 117e RI constitue, comme quatre-vingt onze autres régiments, les 114 unités de la Force locale, en l’occurrence la 462e UFL-UFO, composée de 10% de militaires métropolitains et de 90% de militaires musulmans. Elle œuvre pendant la période transitoire entre les Accords d’Evian et l’indépendance de l’Algérie (5 juillet 1962) au profit de l’exécutif provisoire algérien.

 

Entre 1956 et 1962, le 117e régiment d’infanterie aura perdu 113 officiers, sous-officiers et hommes du rang.

 

 

Témoignage d’un ancien d’Algérie.

Un site Internet reprend l’histoire du 117e RI en Algérie et comporte des témoignages d’appelés (ou rappelés) du contingent. Voici celui de Gilbert T., publié sans modifications:

 

« Nous avons débarqué à Alger le 4 mai 1956 pour un séjour de 4 jours à Hussein-Dey et rejoindre ensuite Bou Saada pour une quinzaine de jours. C’est à la périphérie de cette cité que nous installons un camp de toiles et organisons notre bataillon. Les débuts ont été difficiles car il manquait de tout et nous ne comprenions pas la raison de notre rappel sous les drapeaux alors que nous étions tous bien engagés dans la vie civile, le service militaire était bien loin derrière nous. J'avais un camarade pharmacien qui venait d'ouvrir son officine et se tracassait à l'idée de pouvoir rembourser ses crédits.

 

Après avoir effectué les services d’usage en cantonnement, un événement majeur a failli tourner à l’émeute. La nourriture, à l’accoutumé bien chiche et peu appétissante, manqua brusquement et sans raison. Pas un cadre pour répondre à notre revendication, l’excitation était à son comble quand enfin le chef du bataillon paru sous une clameur d’hostilités et un concert de gamelles avec ce leitmotiv unanime : « à bouffer ! à bouffer… ». Il calma la foule en promettant de voir à cette anomalie et invita l’officier d’ordinaire à faire le nécessaire illico, malgré les plaintes d’impuissance de ce dernier qui avait tout fait selon ses moyens. J’immortalisai la scène avec mon appareil photos et je pris soin d’envoyer par la poste la pellicule à faire développer. Jamais je ne reçus les épreuves ?!!! Décidément les débuts du régiment furent pittoresques et bien mal engagés pour être crédible au regard des missions à venir.

 

Le 4° Bataillon quitte Bou Saada pour Alger et se scinde en deux groupements pour occuper les djebels entre L’arba et Aumale. Nous avions coutume de dire alors « Que nous étions les derniers de la dernière compagnie du dernier bataillon du 117». Cette fois ce n’est plus le cas, car nous passions de la 16e compagnie à la 4e.

 

Installation sur le Piton et l’occupation des fermes et caves vinicoles par la 4e Compagnie : Cette fois on s’installe enfin, on le devine car rien ne filtre de la part du commandement de la 4e Compagnie. Nous sommes au nord de L’arba, direction la moyenne montagne, transbahutés sur une mauvaise piste. Au lieu dit « Tazarine » nous recevons l’ordre de débarquer et de dresser nos tentes individuelles par deux. On nous fait comprendre que c’est notre cantonnement et qu’il va falloir l’organiser. Le lieu est idyllique dans une forêt de chênes-lièges, pas d’âmes qui vivent aux alentours. Peu à peu le cantonnement prend forme, on y a érigé une tour en dur, de celle-ci on voit la grande et belle plaine de L’arba, au loin Alger et la mer scintillante au soleil. Pas le temps de se lamenter, nous sommes sollicités pour des opérations de contrôle de la population dans les douars environnants. On y recueille des renseignements utiles pour découvrir des caches qui prouvent de l’activité nocturne des rebelles. Des suspects sont arrêtés et interrogés par la gendarmerie qui nous accompagne partout. Le séjour se passe sans heurts avec l’ALN qui n’a pas encore pris possession du territoire pour nous nuire véritablement.

 

Dans le cadre des missions tactiques du quadrillage destinées à assurer la sécurité des personnes et des biens, nous sommes affectés dans la ferme-coopérative vinicole « Torrez » du nom de son propriétaire, non loin de Fondouck. Nous sommes mieux lotis, le quotidien se révèle plus agréable. On se fait même des amis avec les Européens du cru. Je passe mes dimanches de liberté à Hussein-Dey chez un nouvel ami pied-noir. Un camarade ayant une marraine de guerre à Alger nous introduit dans le cercle du docteur Bonnafous, respecté par les autochtones soignés par lui. Mon camarade et moi avons été invités au mariage de sa fille sur les hauteurs d’Alger. J’avais honte de ma tenue militaire de drap affreusement fripée et mal taillée. Arrivés en retard nous n’avions pas le temps de nous excuser que le docteur invita les 300 convives à faire silence afin de nous présenter. Geste élégant d’un homme courtois et philanthrope qui nous a mis tout de suite à l’aise. La jeunesse nous a pris en charge pour rendre l’invitation mémorable. Nous étions en 1956, la symbiose était totale, notre présence nécessaire afin de poursuivre l’exploitation des vignobles. Dans des fermes moins protégées, les propriétaires avaient armés les employés musulmans pour sécuriser la propriété. Le séjour des réservistes arrive à son terme, je regagne la Métropole sur un bananier, je me bats pour obtenir une cabine alors que mes camarades sont en fond de cale ».

 

 

 

 

Sources :

 

  • Bachaga Boualam " Les Harkis au service de la France" ; Editions France Empire, 1962.
  • Nicolas d'Andoque "Guerre et Paix en Algérie. L'épopée silencieuse des SAS" ; Edité par SPL Société de Production Littéraire 10 rue du Regard 75006 Paris.
  • Benjamin Stora, Histoire de la guerre d’Algérie (1954-1962), La Découverte & Syros, 2004.
  • Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Fayard, 1994.
  • Pierre Montagnon, Histoire de l’Algérie : des origines à nos jours, Pygmalion, 1998.
  • Georges Fleury, Comment l’Algérie devint française, Perrin, 2004.
  • Encyclopédies en ligne : Larousse, Britannica, Wikipedia.
  • Site Internet d’anciens du 117e RI en Algérie.

 

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Publié dans #Algérie

Publié le 1 Mai 2017

Prosper-Olivier Lissagaray.

Jeunesse.

Hippolyte Prosper Olivier Lissagaray nait le 24 novembre 1838 à Toulouse, de l’union de Laurent Lissagaray, pharmacien, et de Marie-Louise Boussès de Foucaud. Il a un frère, Henri.

 

Son père meurt alors qu’Henri et lui sont encore petits. Prosper-Olivier rentre au collège d’Aire-sur-l’Adour dans des conditions difficiles. En classe de seconde, il fait ses premières armes littéraires sous la houlette du professeur de littérature l’abbé Légé, « maigre, pâle et toussant comme un phtisique, un parfait homme de lettres ». Ce dernier divise ses élèves en deux camps : les classiques et les romantiques. Prosper compte au nombre de ces derniers. Il écrit ainsi, à l’âge de 15 ans, avec son camarade Paul Lacome d’Estalenx, un roman médiéval : Les mystères des Croisades – Histoire de Louis VII et d’Aliénor d’Aquitaine. Après le baccalauréat, il ne voit plus ses camarades mais « au fond du cœur un endroit où tous vivent ».

 

Journaliste.

En 1860, il s’installe à Paris après un voyage en Amérique. Il dirige une société littéraire à but non lucratif. Lissagaray et son ami Juette deviennent les fondateurs des conférences publiques avec les Conférences de la rue de la Paix. Il écrit également une Revue des études littéraires, destinée aux élèves.

 

En 1864, il est l’auteur d’une conférence houleuse sur Alfred de Musset, mort en 1857 et toujours très populaire. Pour Lissagaray, Musset est « un homme sans opinion, sans conviction, sans principes, qui prétend incarner dans lui-même l’esprit de cette époque ». Il y dénonce les côtés vicieux et débauchés du poète et de ce fait n’est point un modèle pour la jeunesse : « Nous n’avons plus le temps d’être jeune. Soyons vieux à 25 ans, si nous ne voulons pas être serfs à 30… ». La conférence est très mal accueillie par la jeunesse elle-même…

 

En 1868, il confirme son engagement contre le Second empire en créant le journal L’Avenir, à Auch dans le Gers ; journal qui veut : ‘rallier dans le Gers toutes les forces éparses du grand parti de la révolution ». Deux ans plus tard, il créé avec Henri Rochefort La Marseillaise. Mais très rapidement les condamnations pleuvent : une pour un duel à Auch et l’autre pour « offenses envers les personnes de l’empereur et de l’impératrice ». En prison, il continue à écrire et mène son combat contre Napoléon III. Les rédacteurs de La Marseillaise finissent par être tous arrêtés. Libéré, Prosper Lissagaray prend part aux réunions publiques contre le gouvernement de l’empereur. De nouvelles condamnations arrivent. Le journaliste s’enfuie en Belgique. Il rentre à Paris le 4 septembre 1870, jour de la proclamation de la République. En effet, après le désastre de Sedan, l’empereur Napoléon III a abdiqué deux jours plus tôt.

 

Au Fort d’Issy.

Pendant toute la Commune, Prosper-Olivier Lissagaray use autant de la plume que du fusil. Il crée dès le 18 mars 1871 l'Action, un journal dans lequel il défend les communards et condamne le gouvernement. Puis, c'est autour du Tribun du peuple de sortir sans interruption du 17 mai au 24 mai.

 

En 1876, il publie son Histoire de la Commune de 1871, le premier ouvrage de témoignages sorti sur ces terribles événements. Voici ce qu'il écrit sur les combats dans Issy et la chute du fort qu'il défendit jusqu'au bout, armes à la main. Nous sommes le 1er mai : « l'orgueilleuse redoute n'était plus un fort, à peine une position forte, un fouillis de terre et de moellons fouettés par les obus. Les casemates défoncées laissaient voir la campagne ; les poudrières se découvraient ; la moitié du bastion 3 était dans le fossé ; on pouvait monter à la brèche en voiture. Une dizaine de pièces au plus répondaient à l'averse des soixante bouches à feu versaillaises ; la fusillade des tranchées ennemies visant les embrasures, tuait presque tous les artilleurs. Le 3, les Versaillais renouvelèrent leur sommation, ils reçurent le mot de Cambronne. Le chef d'état-major laissé par Eudes avait filé. Le fort resta aux mains vaillantes de deux hommes, l'ingénieur Rist et Julien, commandant du 141e bataillon - XIe arrondissement. A eux et aux fédérés qu'ils surent retenir, revient l'honneur de cette défense extraordinaire ».

 

Le fort résiste jusqu'au 9 mai. Lissagaray défend les barricades de Paris jusqu'au 24 mai 1871.

 

La fuite et la suite.

Une nouvelle fois, Lissagaray parvient à s’enfuir. D’abord à Bruxelles, où il publie la première version de son Histoire de la Commune de 1871, justement sous-titrée : « Pour qu’on sache ». C’est en Belgique qu’il apprend, le 18 juin 1873, qu’il est condamné en France à la déportation par contumace. Il part ensuite à Londres, où il fréquente assidûment Eleanor, la troisième fille de Karl Marx. C’est elle qui traduit sa principale œuvre en anglais. Mais des divergences, en premier lieu politiques, l’ont éloigné du père du Capital et de la convoitée. Prosper-Olivier Lissagaray est en effet plutôt de sensibilité anarchiste, proche des blanquistes anticléricaux. Tensions qui se sont muées en haine lorsque ses fiançailles avec Eleonor ont été brisées.

 

Sur la liste des amnistiés du 14 juillet 1880, Lissagaray rentre en France. Il partage alors son temps entre le journal, la Bataille, politique et sociale, et l’éternel remise sur l’ouvrage de son Histoire de la commune. Lissagaray est historien rigoureux, sans cesser d’être partisan. Il rassemble les faits, collecte les témoignages, les classe, les hiérarchise. Et tire des conclusions. Et bien qu’amoureux de la Commune, il n’en est pas moins lucide et sévère. Ne pas avoir occupé le mont Valérien, avoir hésité à marcher sur Versailles, avoir trop tardé à couvrir Paris d’un réseau de barricades… Autant de fautes militaires qu’il repère et condamne. Il n’épargne pas non plus certains travers politiques comme la mollesse du commandement, le désordre dans l’administration… Mais surtout il déplore d’avoir, par un scrupule de légalité déplacé en période révolutionnaire, respecté la banque, dont les millions pouvaient tout sauver ! Il en pointe sévèrement cette absurdité : « La Commune abolit le budget des cultes… et resta en extase devant la caisse de la haute bourgeoisie qu’elle avait sous la main. » Mais l’Histoire de la Commune est surtout un hymne à la gloire des ouvriers parisiens en même temps qu’une déclaration d’amour à la ville de Paris « qui avait fait trois Républiques et bousculé tant de dieux ».

Lissagaray n’a pas perdu sa verve dans ses vieilles années. Il dirige le seul journal révolutionnaire de Paris, la Bataille, qui paraît par intermittence jusqu’en 1893. Journal dédié à la défense des travailleurs, il attaque successivement et avec vigueur Jules Ferry, qualifié de « roi » et son dauphin Clemenceau, puis enfin Boulanger, qu’il considère comme une réelle menace pour la République. Lissagaray s’éteint peu après, en 1901. Pour son incinération, deux mille personnes saluent sa mémoire.

 

 

Sources :

 

  • Encyclopédie Larousse.
  • Encyclopédie Wikipedia.
  • Encyclopédie Universalis.
  • Louise Michel, La Commune.
  • Site Rebellyon : www.rebellyon.info
  • Site Historim (une partie de cet article a été écrit par Madame Maestracci, présidente de cette association) : www.historim.fr
  • Site de la ville d’Issy-les-Moulineaux : www.issy.com
  • Site Internet du journal L’humanité : www.humanite.fr

 

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #1870-1871

Publié le 26 Avril 2017

Le monument de Diên Biên Phù.

Madame Pagès, veuve du lieutenant-colonel Henry Pagès, avait, il y a quelques années, confié quelques archives au Souvenir Français d’Issy-les-Moulineaux. Parmi ces papiers, figure un exposé fait en 1995 par Rolf Redel, sur le monument qu’il a érigé à Diên Biên Phù au Vietnam, et dédicacé au LCL.

 

Le sergent-chef Rolf Rodel, s’est engagé dans les rangs de la Légion étrangère le 17 avril 1950 et l’a quittée le 25 avril 1957. Après avoir successivement servi à Sidi-Bel-Abbès puis Mascara, il part en Indochine à la 3e compagnie du 4e bataillon du 2e REI (régiment étranger d’infanterie). De retour sur le continent africain, il rejoint la 15e compagnie du 4e bataillon du 4e REI. Il se porte volontaire pour un second séjour en Indochine. Il vivra Diên Biên Phù comme chef du commando de la 10e compagnie du 3e bataillon du 3e REI.

 

En 1995, devant la Délégation ANAPI (Association Nationale des Anciens Prisonniers Internés Déportés d’Indochine), Rolf Redel exposait les raisons et l’histoire du monument de Diên Biên Phù. Le Souvenir Français tient à rappeler que ce document date de 1995, et que deux années plus tôt, le Mémorial des guerres en Indochine avait été inauguré à Fréjus et que les restes d’une partie importante des soldats enterrés en Indochine avaient été rapatriés à la fin des années 1980. Il est également vrai qu’aucun monument français à Diên Biên Phù n’existait.

 

« Mesdames et chers camarades,

 

Je vais essayer de vous raconter l’essentiel de l’histoire du monument aux Morts que j’ai créé et construit sur le site de Diên Biên Phù. Comme je ne suis pas un bon orateur et pour ne rien oublier, je me permets de vous lire le récit que j’ai préparé.

 

C’est en mars 1992 que je suis retourné en Indochine pour la première fois, pour revoir les lieux des combats que j’ai connu pendant mes deux séjours. J’avais emporté une plaque gravée : « A la mémoire de tous les légionnaires tombés au champ d’Honneur au cours des combats de Diên Biên Phù », que j’ai déposée au Musée militaire de Diên Biên Phù. D’autre part, j’avais découvert une dalle de ciment, entourée d’une petite murette, érigée dans les années 80 par un particulier inconnu « Pour les morts de l’armées française à Diên Biên Phù ». cette dalle, jamais entretenu par personne, était abandonnée au milieu des champs de maïs, cassée, fêlée, sale – bref, pourrie et envahie par lé végétation – et la petite murette était en partie disparue. Quand j’ai vu cette « lamentable chose » je l’ai réparée, restaurée, repeinte et remise à l’état neuf avec les moyens du bord de Diên Biên Phù. Je pense que vous avez peut-être vu mon reportage photographique paru dans Képi blanc, le journal de la Légion étrangère en février 1993, ou les différents articles de presse parus dans Le Progrès de Lyon et dans d’autres journaux et magazines.

 

Après mon retour en France, étant donné que beaucoup de monde était au courant de ces faits, j’avais pensé et surtout espéré que cette histoire ferait bouger quelques personnes concernées, ou inciterait les autorités de Paris à entreprendre une action en faveur de nos disparus. Malheureusement, il n’y eu aucune suite et étant donné que pendant 40 ans aucun gouvernement, aucun ministère concerné, ni personne ne s’est intéressé à faire, sur place, quelque chose de valable pour honorer nos morts, et comme aucun corps n’a jamais été rapatrié de Diên Biên Phù en France, j’ai décidé de créer et de construire moi-même et tout seul, à l’occasion du 40e anniversaire de la fin de la bataille de Diên Biên Phù et de la guerre d’Indochine, un véritable monument aux morts, digne de ce nom, sur l’ancien champ de bataille même de Diên Biên Phù.

 

Je tiens à préciser que, contrairement à ce qui a été dit ou écrit dans différents articles, mon monument est dédié à tous ceux qui sont tombés au champ d’Honneur, « Morts pour la France », c’est-à-dire de l’Armée française, y compris les tirailleurs, paras, commandos et supplétifs vietnamiens, les montagnards et les civils vietnamiens ou d’autres ethnies fidèles à la France, pendant toute la guerre d’Indochine, et non pas seulement pour les légionnaires morts à Diên Biên Phù. En ce qui concerne les Vietnamiens que je viens de citer, il est impossible de préciser ces détails sur le monument, car la plupart des ces Vietnamiens qui ont combattu avec l’Armée française et qui, à la fin, ont été lâchement abandonnés par la France, ont été massacrés ou ont fini dans des « camps de rééducation » qui sont semblables aux goulags communistes en Sibérie dans l’ancienne Union soviétique.

 

J’avais gardé mon secret car je craignais un « court-circuitage » ou un sabotage éventuel de mon projet. Seuls, les généraux Coullon, président de la Fédération des sociétés d’anciens de la Légion étrangère, Fouques, Duparc et Colcomb, commandant la Légion étrangère à Aubagne, le colonel Bonfils, vice-président national et président de l’ANAPI Rhône-Alpes, et quelques amis étaient au courant de mon projet et m’avaient fait connaître leur approbation. Le général Coullon m’avait remis la somme de trois mille francs avec la mission de représenter tous les anciens légionnaires et de faire de mon mieux pour honorer tous nos morts.

 

Alors, au début de l’année, j’ai commencé les préparatifs, chez moi, à Lyon : j’ai dessiné les plans du monument ; j’ai choisi les textes définitifs et j’ai fait les maquettes des quatre plaques à fixer sur le monument ; j’ai fait traduire les textes également en vietnamien et j’ai commandé la gravure et sa fabrication ; j’ai acheté 25 kilos de peinture spécial béton et les outils nécessaires, car il n’y a rien de tout cela au Vietnam et encore moins à Diên Biên Phù, et j’ai envoyé le tout, sauf les plaques, soit 36 kilos de fret par Air France de Lyon à Saigon.

 

En arrivant à Saigon le 2 avril, premiers problèmes avec la douane vietnamienne, mais avec beaucoup de palabres, beaucoup de ténacité, beaucoup de patience surtout, et parfois l’aide d’un bakchich, il est possible d’obtenir ce que l’on veut. Ensuite, voyage en train de Saigon à Hanoi – 1.700 kilomètres avec mes quatre-vingt kilos de bagages et avec des étapes à Nha-Trang, Tourane (Da Nang) et à Hué. En arrivant à Hanoi, j’ai pris les premiers contacts pour obtenir l’autorisation de pouvoir construire le monument, mais sans résultat, sauf l’accord et l’appui du directeur général des Musées militaires du Vietnam, un vieux colonel en activité, ancien du Vietminh à Diên Biên Phù, qui m’avait déjà aidé pour le dépôt de ma plaque en 1992.

 

Toujours à Hanoi et en prévision de mes plans, j’ai acheté deux cents fleurs en plastique, car à Diên Biên Phù il n’y a pratiquement pas de fleurs, une grosse chaîne en fer forgé pour l’entrée de l’enceinte du monument et des tissus bleu, blanc, rouge et vert et rouge, pour pouvoir confectionner des rubans, bien inexistants au Vietnam, destinés pour la cérémonie d’inauguration.

 

Ensuite, voyage Hanoi – Diên Biên Phù, j’ai loué un 4x4 chinois de l’armée – 470 kilomètres sur l’ancienne RC 41 – aujourd’hui une piste en mauvais état, voyage de deux jours avec étape à Son La. 24 avril, arrivée à Diên Biên Phù, les Viets se préparaient les festivités, défilé, etc.… du 40e anniversaire de leur victoire. J’ai reçu une invitation pour assister, le 7 mai, sur la tribune officielle des personnalités, à leur grand meeting en présence du général Giap et d’autres « grands chefs », mais bien sûr, j’ai refusé cette invitation.

 

J’ai contacté les autorités du district de Diên Biên Phù, le président de la province de lai Chau, etc… pour obtenir l’autorisation de pouvoir construire le monument, et de plus, la prolongation de mon visa de séjour. Ils n’étaient « pas très chauds » au début, et j’ai rencontré beaucoup, beaucoup de problèmes et de difficultés – n’oublions que là-bas c’est toujours un régime communiste, noyé dans la bureaucratie et infesté par la corruption, qui n’a pas du tout changé de nos jours. Malgré tout, j’ai réussi à les convaincre et à les persuader du bien-fondé et de la nécessité de pouvoir réaliser mon projet, en mettant l’accent sur l’importance que représente pour nous, les anciens combattants, ainsi que pour le peuple français, de pouvoir perpétuer le souvenir et la mémoire des nombreux morts de l’Armée française pendant la guerre d’Indochine, et ils ont enfin admis et reconnu que la création et la réalisation de ce monument était une affaire noble et urgente après quarante ans d’oubli et de désintérêt.

 

Il fallait l’accord, la permission et l’autorisation : du gouvernement, du Premier ministre, du ministre de l’Armée, du ministre des Affaires étrangères, du ministre de la Culture, de la Sécurité nationale, de la Police, du Musée militaire de Diên Biên Phù, de la direction des Musées militaires du Vietnam, du président du district de Diên Biên Phù, du président du Comité populaire de la province de Lai Chau. Et à la fin, après un mois d’attente, quand j’ai eu l’accord de tous, reçu par l’intermédiaire du président de Lai Chau, il a exigé l’accord de l’ambassade de France à Hanoi. Alors, voyage par avion vers Hanoi pour rencontrer l’ambassadeur de France qui m’a fait savoir qu’il avait demandé l’accord des ministères concernés à Paris – et pour moi, une nouvelle attente.

 

Pendant tout ce temps, je suis allé deux fois à Lai Chau, au total 640 kilomètres de mauvaise piste en moto, et j’ai fait deux voyages par avion Diên Biên Phù – Hanoi – Diên Biên Phù pour régler toutes les formalités. En attendant les réponses et la suite, j’ai profité de mon temps libre pour confectionner une couronne de fleurs mortuaires, les gerbes et les bouquets prévus pour l’inauguration et ayant découvert une fille qui possédait une machine à coudre, j’ai fait fabriquer les rubans bleu, blanc, rouge, et vert et rouge destinés aux fleurs et pour la cérémonie. Toutes ces préparations, sans connaître le résultat de mes démarches, mais en espérant que la suite serait favorable à mon égard.

 

Enfin, le 14 mai, j’avais le feu vert de tous, mais avec des restrictions concernant la taille du monument – j’avais prévu la hauteur de l’obélisque à 6,50 mètres et ils ne m’ont accordé que 3,50 mètres au total. L’ambassadeur a fait savoir au président de Lai Chau qu’il ne voyait aucun inconvénient à ce que je réalise le projet moi-même. J’ignore s’il a reçu une réponse de Paris ou non. J’étais très content et le lendemain, j’ai acheté un morceau de terrain, un champ de maïs, pour pouvoir agrandir la surface de l’enceinte du monument, et j’ai débuté les travaux en commençant par casser la stèle, cet « affreux pavé de ciment » ainsi que les restes de la murette qui l’entourait, en récupérant, bien sûr, les deux plaques de souvenir qui y étaient fixées, pour les sceller par la suite sur le futur monument. Ensuite, j’ai eu d’autres problèmes pour avoir les matériaux nécessaires à la construction, et à cause de la pluie car c’était le début de la mousson.

 

Le 26 juin, après six semaines de travaux, a eu lieu l’inauguration officielle du monument par moi, j’étais le seul Français et le seul Européen, en présence, sur invitation, des autorités de Diên Biên Phù et de Lai Chau, d’anciens combattants du Vietminh et du Viêt-Cong dont le président et le vice-président de leur « Association des anciens combattants du Vietminh de Diên Biên Phù », de chefs thaïs et méos, de beaucoup d’habitants de Diên Biên Phù et de Hmong des alentours. L’ambassadeur de France, prévenu et invité par moi pour présider la cérémonie n’a pas pu se déplacer.

 

J’avais préparé le programme de la cérémonie d’inauguration qui a commencé par l’explosion d’une centaine de pétards, une coutume vietnamienne, qui chasse les mauvais esprits et qui porte bonheur par la suite. J’ai prononcé mon discours d’inauguration ; traduction en vietnamien ; discours du président de la province de Lai Chau ; une minute de silence : tous les vietnamiens décoiffés et au garde à vous avec moi. Ensuite, Le Boudin, le chant traditionnel de la Légion, tout le monde toujours au garde à vous, transmis à pleine puissance par une radio-transistor à cassettes que j’avais emprunté, en expliquant ensuite aux Viets qu’il s’agissait d’une musique spécialement destinée aux morts, et étant donné qu’ils ne connaissaient pas Le Boudin, ils étaient bien obligés de croire à mes explications. Coupure du ruban bleu-blanc-rouge par le président de Lai Chau et moi-même ; dépôt de fleurs que j’avais préparé auparavant ; une couronne à titre personnel pour tous mes camarades légionnaires ; une gerbe de roses rouges au nom de la Légion étrangère pour tous ses morts ; une gerbe de l’ANAPI pour tous ses morts dans les camps de prisonniers ; et une de tous les anciens combattants de la France. Le tout avec des rubans bleu-blanc-rouge ou vert et rouge. Beaucoup de Vietnamiens dont les anciens combattants du Vietminh ont déposés des bouquets de fleurs et ont brûlé des bâtons d’encens à la mémoire de nos morts.

 

Ensuite, j’ai offert un pot à tous les invités sur des tables louées et préparées à l’avance, et nous sommes allés au cimetière du Vietminh pour déposer également des fleurs. Pour clore cette journée mémorable, nous avons pris un repas en commun, offert par les autorités de Diên Biên Phù. Beaucoup de Vietnamiens n’ont pas compris et m’ont posé la question : « Pour quelle raison c’était moi, un simple sous-officier de la Légion étrangère, et non le gouvernement de la France, qui avait entrepris la réalisation de ce monument aux Morts ? ». Une question logique, fondée et raisonnable, mais à laquelle je me suis abstenu de répondre.

 

Comme par hasard, trois jours après l’inauguration, le 29 juin, le général Bigeard, en visite au Vietnam et de passage à Diên Biên Phù, accompagné de son éditeur et d’un caméraman d’Antenne 2, d’un journaliste d’Europe 1, de photographes et de journalistes, croyant trouver la vieille plaque de béton, a eu la surprise de découvrir le monument, et de ce fait, a été le premier Français « ancien de Diên Biên Phù » à se recueillir. L’émotion était grande, il m’a embrassé et remercié, et nous n’avons pas pu retenir nos larmes.

 

J’ai établi et rédigé un contrat d’entretien du monument entre la direction du Musée militaire de Diên Biên Phù et moi-même, moyennant une indemnité pécuniaire mensuelle. Par la suite, après avoir séjourné deux mois et demi à Diên Biên Phù, je suis retourné à Hanoi, toujours par la route, accompagné de 130 kilos de reliques de l’Armée française que j’avais déterrés ou trouvés sur place, comme par exemple : un FM 24/29 ; une carcasse de MAT-49 ; des chargeurs ; des douilles de 105 et de 155 mm ; des éclats ; des cartouches ; des grenades ; des morceaux de barbelés ; des obus de mortier de 60 mm ; des gamelles ; des sacs à parachute ; des morceaux de parachutes ; des tenues du Vietminh ; des fusils thaïs, du Vietminh et de fabrication locale ; des arbalètes méos ; un fanion français…

 

Le tout destiné au musée de la Légion à Aubagne, au musée militaire de Lyon et pour mon musée personnel. Trois semaines de démarche à Hanoi avec encore beaucoup de problèmes, car pour le Vietnam c’est toujours du matériel militaire, pour pouvoir exporter et expédier l’ensemble par voie aérienne à Lyon. J’ai ramené trois mille photos et dix-huit heures d’enregistrement vidéo. Il y a quatre mois, le général Bigeard a sorti un album Ma Guerre d’Indochine, dans lequel figure une belle photo du monument et il n’a pas oublié de dire du bien de la Légion.

 

Pour terminer, je peux vous dire qu’aujourd’hui, il existe à Diên Biên Phù, sur l’ancien champ de bataille, un véritable monument aux Morts, le premier et le seul au Vietnam et dans toute l’ancienne Indochine, et je suis heureux d’avoir atteint, seul et sans aucune aide de personne, l’objectif que je m’étais fixé :

 

  • D’une part, d’honorer tous nos camarades qui reposent encore pour l’éternité dans cette terre lointaine de Diên Biên Phù, quelque part, ailleurs, dans la brousse ou sous les rizières.
  • D’autre part, d’avoir créé un lieu qui permet aux anciens combattants, aux familles de disparus et aux sympathisants de se recueillir à la mémoire de tous ceux qui sont tombés au champ d’Honneur pour la France, et de leur rendre l’hommage qui leur est dû.

 

Ce monument permettra, espérons-le, aux jeunes et aux générations futures de ne pas oublier les sacrifices de tous ces soldats français qui ont laissé leur vie, là-bas, pour la France ».

 

 

 

Sources :

 

  • Archives du LCL Henry Pagès, qui fut officier en Indochine et prisonnier lors du désastre de la RC4 en 1950.
  • Site de l’ANAPI : www.anapi.asso.fr
  • Site : www.legionetrangere.fr
  • Encyclopédies Wikipédia, Larousse et Britannica.

 

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #Indochine

Publié le 17 Avril 2017

Paul Casta, de la 2e DB, mort pour la France.

Histoire de la 2e DB.

12 juillet 1940. Le capitaine de cavalerie Philippe de Hauteclocque, 38 ans, déjà deux fois évadé des mains allemandes, portant encore les traces d'une blessure à la tête reçue au combat, passe en Espagne. Son patriotisme, son honneur, la conception qu'il a de son métier font devoir à ce père de six jeunes enfants de rejoindre celui qui, de Londres, a lancé l'appel à poursuivre la lutte. Devant lui, c'est l'inconnu, l'aventure : il n'a jamais rencontré de Gaulle. Un mois plus tard, le 25 août, par une nuit d'encre, sous des trombes d'eau, devenu colonel Leclerc, il arrive en pirogue, avec une poignée d'hommes, à Douala, au Cameroun, en Afrique. Trempé mais vibrant de volonté, parlant au nom du général de Gaulle, il subjugue les Français qu'il rencontre, au premier rang desquels le capitaine Dio qui l'appuie de sa troupe et le ne quittera plus.

Après quelques semaines au cours desquelles l'Afrique française libre s'organise, réunissant le Gabon au Congo, à l'Oubangui, au Tchad et au Cameroun, Leclerc reçoit du général de Gaulle une nouvelle mission : prendre la tête des moyens militaires disponibles au Tchad et faire rentrer, avec eux, l'armée française dans la guerre. Alors commence l'épopée. Arrivé à Fort-Lamy le 2 décembre 1940, Leclerc parle dès le 3 d'aller attaquer Koufra, redoutable forteresse italienne perdue dans les sables, à quelque 2 000 kilomètres !

Au Tchad aussi les visages s'éclairent, mais les spécialistes hochent quand même la tête lorsque, le 25 janvier, les premiers éléments d'une colonne s'éloignent vers le nord-est, vers Koufra qui hante Leclerc. En tout, le Colonel n'emmène que deux cent cinquante hommes sur cent mauvais camions et il ne dispose que d'un canon.

Les débuts sont de fait fort difficiles : le climat, le terrain, l'absence de pistes, l'ennemi bien équipé offrent de gros obstacles. Malgré l'échec sanglant, le 30 janvier, de la patrouille britannique qui précédait la colonne, Leclerc maintient ses ordres : le 7 février, avec un élément léger, il va lui-même « tâter » la forteresse ; les 18 et 19, il livre à la Compagnie saharienne mobile italienne qui bat l'estrade sous les remparts, un combat décisif et, aussitôt, il met le siège devant la citadelle. Dix jours plus tard, le 1er mars 1941, contre toute attente et contre toute logique, grâce à la fougue, à l'imagination et au talent des hommes et du chef, la garnison ennemie capitule.

C'est le premier succès des armes de la France depuis l'été 1940. Sans attendre, le colonel Leclerc engage l'avenir : Ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg. C'est le serment de Koufra, serment que tous ceux qui, désormais, se joindront à Leclerc se sentiront tenus d'accomplir.

Un an s'écoule ensuite, consacré à préparer l'opération qui permettra d'aller rejoindre les Britanniques au bord de la Méditerranée, au bout de 2 200 kilomètres de désert, vers le nord cette fois. Avant de donner le départ, il se décide à porter les étoiles de général que de Gaulle lui a données six mois plus tôt. Après des revers face au « Renard du Désert » (Rommel) à la tête de l’Africa Korps, la situation s’améliore du côté britannique. A l’automne 1942, il apparaît que la grande opération vers la mer va devenir possible. Entre-temps, les moyens se sont un peu étoffés : des hommes sont arrivés, venus du monde entier, anxieux de se joindre à ce jeune chef qui sait se battre et gagner ; des armements aussi, fournis par la France libre. Et c'est avec trois mille hommes cette fois, montés sur trois cent cinquante véhicules, non blindés certes mais corrects, appuyés de seize avions, que la colonne Leclerc s'élance vers le nord, peu avant Noël, au départ du Tibesti. Tous les postes italiens du Fezzan tombent les uns après les autres : Umm et Araneb le 4 janvier 1943, Gatroun et Brack le 6, Mourzouk le 8, Sebha (le chef-lieu) le 12, Midza le 22 ; le 24, nos avant-gardes rencontrent, dans Tripoli, celles de la VIIIe Armée de Montgomery : la mer est atteinte, cette Méditerranée qui borde aussi la France !

Commence alors la poursuite de l'ennemi qui reflue vers la Tunisie. Rapidement recomplétée en hommes, véhicules et équipements de toutes sortes, la colonne Leclerc devient la force L. Elle flanc-garde à l'ouest les gros de la VIIIe Armée, s'illustre en arrêtant le 10 mars, à Ksar Rhilane, une contre-attaque de Panzers, entre la première à Gabès le 29 mars et, le 20 mai, elle participe au défilé de la victoire dans Tunis libéré. Dès lors, il apparaît que la prochaine étape sera le continent, peut-être la France, ce que tout le monde espère. Mais, pour atteindre ce rêve, il va falloir que la maigre colonne sortie du désert se multiplie, s'équipe, s'instruise en vue des combats de tout autre dimension qu'elle espère. Cet amalgame, cette transformation, c'est au Maroc d'abord, près de Rabat, dans la forêt de Temara, puis, à partir de Pâques 1944, en Angleterre, dans de nombreux villages du Yorkshire, qu'ils s'accomplissent, vite, efficacement, au prix d'un travail acharné, sans pour autant que ni l'âme ni la foi qui avaient permis les succès antérieurs soient le moins du monde altérés.

Autour des vétérans d'origines déjà fort diverses - marsouins du Tchad, spahis d'Egypte, compagnies de chars reconstituées en Angleterre - se réunissent ainsi des régiments entiers d'Afrique du Nord demeurés jusque-là l'arme au pied, une unité de fusiliers-marins et une nuée de volontaires venus, seuls ou groupés, de tous les points du monde avec l'intense désir de se battre : jeunes gens et cadres de métropole, réchappés des prisons espagnoles ; corps-francs d'Afrique ; jeunes femmes arrivant des Etats-Unis avec leurs ambulances ; anciens guérilleros républicains espagnols, etc. Si beaucoup de choses peuvent les séparer, ils ont en commun d'être volontaires, d'aimer profondément la France, d'être jeunes et d'avoir de fiers caractères !

Vient le jour du débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944. La 2e DB est alors en Yorkshire, piaffant d'impatience, mais sûre que, bientôt, elle débarquera en France avec, bien sûr, Strasbourg comme point de mire. Mise à la disposition de la IIIe Armée américaine du général George S. Patton — quel plus fantastique entraîneur peut-elle espérer ? —, la 2e DB franchit la Manche dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1944. Débarquant à Utah Beach, au pied du Cotentin, elle est bien vite lancée, par la toute fraîche percée d'Avranches, dans le vaste mouvement qui permet de couper la retraite aux forces allemandes de Bretagne et de venir frapper sur le flanc sud de celles qui tentent de quitter la Normandie pour gagner la basse Seine. Les premiers combats de chars se livrent dans l'enthousiasme sous un ciel éclatant et la Division, poussant vers Argentan qui est son objectif, détruit dans les journées qui suivent, autour et dans la forêt d'Ecouves, ce qui reste de la grande unité ennemie. Ce brillant succès contribue à la libération de tout l'ouest de la France, il est pour tous la preuve que l'outil durement trempé au Maroc et en Angleterre est valable.

Malgré les hésitations, les réticences, les craintes du haut-commandement allié, Leclerc arrache l'ordre et, le 23 au matin, la 2e DB quitte Argentan en direction de la capitale. Le soir même, à Rambouillet, dans un brouhaha de veille de fête, Leclerc signe l'ordre d'opérations pour le lendemain : Mission : 1° s'emparer de Paris... De Gaulle, qui l'a rejoint, lui dit simplement : « Vous avez de la chance ! »

Le 24 août, en deux colonnes, la Division s'élance vers Paris. Par la vallée de Chevreuse, Jouy-en-Josas, Clamart, Massy, Wissous, Fresnes, le groupement Billotte fraye leur chemin à coups de canon. Les Allemands, solidement armés, se battent bien ; mais le soir, vers 20 heures, à la Croix-de-Berny, Leclerc sent qu'une occasion se présente : il saisit le capitaine Dronne au passage et il le lance, avec trois chars et trois sections sur half-tracks, vers le cœur de Paris. L'audace est payante : à 21 heures 22, Dronne arrive place de l'Hôtel de Ville, les cloches de la capitale sonnent à toute volée ; les Parisiens frémissent. Le lendemain 25, c'est le coup de grâce : la 2e DB entre dans la ville, s'empare du gouverneur allemand et réduit au silence tous les centres de résistance. Près d'une centaine des nôtres, souvent des Parisiens d'ailleurs, trouvent la mort dans ces opérations toujours sanglantes ; mais, dans les rues, quelle joie, quel soulagement ! Les groupes de résistance, qui se battaient depuis près de huit jours à un contre dix, soupirent et fêtent ces soldats français providentiels que Paris attendait depuis quatre ans sans trop y croire.

Après dix jours consacrés à remettre en état les quatre mille véhicules, à recompléter les rangs, à prendre un repos et une détente bien mérités aussi, le 8 septembre la Division reprend la route. Pas un homme ne manque au départ : qu'on y songe en pensant à ceux, nombreux, qui, absents depuis deux, trois ou quatre ans, auraient pu estimer pouvoir céder leur place à d'autres... La direction est l'est, bien sûr. La 2e DB retrouve sa place dans le dispositif américain avec le XVe Corps et, dès la Marne franchie, elle aborde l'ennemi, Il faut se battre, sévèrement, à Andelot, puis, entre Meuse et Moselle, à Contrexéville, Vittel, et surtout Dompaire où les sous-groupements Minjonnet et Massu rencontrent une Panzerbrigade toute fraîche, équipée de chars neufs, lancée en contre-attaque. En même temps, plus au nord, le mouvement en avant s'est poursuivi et, dans la matinée du 15, le sous-groupement La Horie franchit la Moselle à Châtel. Nos éléments y subissent une nouvelle contre-attaque, la déjouent de nouveau, s'avancent jusqu'à la Mortagne de Doncières à Moyen, passent la Meurthe de vive force le 22 dans la région de Flin et, finalement, s'arrêtent, sur ordre, dans la forêt de Mondon, au sud de Lunéville. Un répit est nécessaire pour que les Forces alliées se regroupent avant d'aborder les Vosges, pour que les ravitaillements suivent, pour qu'hommes et véhicules se reconstituent après une chevauchée de quinze jours riche en péripéties.

Pendant tout le mois d'octobre, donc, la 2e DB s'immobilise. Si elle cesse d'avancer, elle ne cesse pas de se battre contre un ennemi qui reste actif et qui harcèle nos postes.

Minutieusement montée, mettant en œuvre six sous-groupements dont chaque temps est réglé, l'attaque de Baccarat menée de main de maître réussit au moindre prix : elle sera plus tard comparée à un menuet du Grand Siècle. Puis, derrière le gros du XVe Corps américain qui se heurte à la ligne de défense que les Allemands ont pu réaliser au pied des Vosges, les escadrons de reconnaissance du 1er Régiment de marche des spahis marocains guettent la première percée : elle se produit les 15 et 16 novembre. Leclerc y engouffre aussitôt ses moyens et, dès lors, la course commence. Au nord, le groupement Dio vise Saverne en franchissant les Vosges, soit par le col de Saverne, soit par la Petite-Pierre. Au sud, le groupement de Langlade, profitant de la chute de Badonviller obtenue le 17 par le sous-groupement du lieutenant-colonel de La Horie — qui y trouve la mort —, passe la crête du Dabo ; le groupement V, du colonel de Guillebon le suivra et, en plaine, tout le monde convergera vers Strasbourg.

Trois ans et huit mois après Koufra, le serment est ainsi tenu. Retrouvant son vieux compagnon sous les dorures du Kaiserpalast encore soumis aux tirs de l'artillerie allemande, Leclerc peut lui dire : « Hein, mon vieux Dio ! On y est, cette fois ! Maintenant, on peut tous crever ! ».

La guerre pourtant n'est pas finie et l'Alsace, pendant plus de deux mois, va demeurer le champ d'action et le souci de la 2e DB. L’ennemi organise ce qui devient la « poche de Colmar ». L'hiver 1944-1945 est particulièrement rude, nos hommes, nos blindés peinent souvent dans la boue, dans la neige. Entre Noël et le 1er janvier, la contre-offensive allemande des Ardennes oblige le commandement allié à envoyer la 2e DB au nord des Vosges. Aussi est-ce avec beaucoup de rage que les nôtres, unissant leurs efforts à ceux des unités françaises venant du sud, portent leurs coups aux dernières résistances allemandes qui cernent encore Colmar. De sévères combats se livrent, sous un climat cruel, sur un terrain particulièrement difficile : ils culminent à Grussenheim où, le 28 janvier, s'illustre une fois de plus le 501e Régiment de chars de combat, où tombe aussi le lieutenant-colonel Putz, figure de proue du Régiment de marche du Tchad dont il commandait le 3e Bataillon.

Ces opérations achevées, Colmar libéré, le sol national n'était pourtant pas encore totalement débarrassé de toute présence ennemie. Des garnisons allemandes subsistaient sur nos côtes atlantiques, notamment à La Rochelle et à Royan. Pour les anéantir, le général de Gaulle choisit la 2e DB et, du 15 au 17 avril 1945, donnant la main aux vaillantes unités des Forces françaises de l'Intérieur qui ont tenu ce front depuis l'été 1944, nos chars et notre artillerie se donnent à fond près de l'estuaire de la Gironde.

Il n'est alors que temps de repartir vers l'est pour être présent aux dernières opérations de la guerre en Europe. Les premières colonnes, parties le 23 avril de Royan, franchissent le Danube le 29. Ainsi allons-nous pouvoir jouer notre rôle aux côtés des Alliés ; ainsi, le 4 mai au soir, est-ce l'avant-garde du Groupement V qui pénètre la première dans Berchtesgaden, qui met en fuite les derniers défenseurs de la demeure favorite du Führer, le Berghof. A ce moment, les derniers éléments de la 2e DB n'ont pas encore quitté la France, mais d'un bout à l'autre de la colonne, quelle fierté !

 

Paul Casta.

Paul Casta nait le 23 avril 1926 à Urbalacone, dans le département de Corse-du-Sud. Engagé volontaire le 10 septembre 1943 à Djidelli (secteur de Constantine), il rejoint le 2e RMT (Régiment de Marche du Tchad) et sa 5e compagnie. Le régiment dépend du sous-groupement du lieutenant-colonel Jacques Massu (Groupement Tactique Langlade). Après le transfert de la division en Angleterre, il débarque en France le 4 août 1944.

Il prend une part active aux combats qui se déroulent en Normandie. Nommé soldat de 1ère classe le 16 août, Paul Casta est cité à l’ordre de la Division le 20 août. Quatre jours plus tard, il combat au Pont de Sèvres. Il est de ceux qui ont reçu l’ordre d’une manœuvre de diversion ayant pour axe : Dampierre, Chevreux, Toussus-le-Noble, Jouy-en-Josas, bois de Meudon et Pont de Sèvres.

Au cours des combats du Pont du Sèvres, dans la nuit du 24 au 25 août 1944, alors que l’ennemi pénètre les positions de la section, Paul Casta est mortellement atteint. Il s’était lancé dans une contre-attaque à la grenade. Son décès est constaté à l’hôpital des Petits Ménages (Corentin Celton) à Issy. Il est inhumé dans un carré militaire du cimetière communal avec les honneurs militaires.

A titre posthume, Paul Casta sera cité à l’ordre de la Division, recevra la Médaille militaire et son nom sera inscrit au Livre d’Or de la 2e Division Blindée.

Cimetière d’Issy-les-Moulineaux. De gauche à droite, les sépultures des soldats Mohamed Ben Abdeslem, Jean Salis et Paul Casta.

Cimetière d’Issy-les-Moulineaux. De gauche à droite, les sépultures des soldats Mohamed Ben Abdeslem, Jean Salis et Paul Casta.

Sources :

  • Texte du général Philippe Duplay, La 2e DB de Doula à Berchtesgaden, Revue L’Espoir, n°107, 1996.
  • Biographie de Paul Casta par l’Amicale d’Antibes-Vence-Cannes de la 2e DB avec le concours de la Fondation de la France Libre.
  • Site du Ministère de la Défense pour la photographie de l’arrivée de la 2e DB dans Paris.

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Publié le 14 Avril 2017

Cadet de Saumur - Promotion 1936.

Cadet de Saumur - Promotion 1936.

Né le 15 juillet 1912, il perd son père Mort pour la France durant la Première Guerre mondiale alors qu'il a à peine quatre ans. Marqué par ce sacrifice glorieux au service de la Patrie, il n'hésite pas à préparer Saint-Cyr où il devient un brillant élève de la promotion «Roi Alexandre 1er» (1934-1936).

 

Engagé en Lorraine avec son régiment dès 1939, il reçoit très vite le baptême du feu. Puis il se distingue sur la Loire, à la tête des «Cadets de Saumur», n'hésitant pas à attaquer à pied deux chars ennemis; grièvement blessé il sera fait chevalier de la Légion d'Honneur à titre exceptionnel. Après avoir été instructeur à l'Ecole spéciale Militaire à Aix-en-Provence, il est mis en congé d'armistice où il entre dans la Résistance. Il est arrêté par les Allemands en 1943 mais réussit à s'évader et rejoint l'Afrique du Nord après un audacieux périple à travers la France, l'Espagne et le Portugal.

 

Placé à la tête d'un escadron du 3e Régiment de Spahis Marocains il participe brillamment à la campagne d'Italie où il fait preuve de magnifiques qualités de soldat et de chef. A la tête d'un groupement blindé, il se révèle un entraîneur d'hommes hors pair, forçant l'admiration des troupes françaises et alliées qui combattaient à ses côtés. Blessé grièvement à deux reprises il est promu officier de la Légion d'honneur à 32 ans.

 

A l'issue de la guerre il rejoint Saumur comme instructeur et est admis à l'école supérieure de guerre. Il sert alors dans des états-majors de rangs élevés à Paris puis en Allemagne. En 1956, il prend le commandement du 6e Régiment de Spahis Marocains en Algérie entraînant ses hommes avec un allant exceptionnel.

 

Affecté à Washington dans un organisme interallié, il est nommé général et se voit confier ensuite le commandement de la 7e brigade mécanisée expérimentant les structures interarmes. Commandant l'Ecole de Cavalerie de Saumur de 1965 à 1968, il va lui insuffler un esprit novateur et imaginatif inculquant à ses cadres et élèves la rigueur, la distinction et le panache. Investi du commandement du 1er Corps d'Armée à Nancy puis de la 6s Région Militaire à Metz, il aborde «avec une grande largeur de vue et une fertile imagination les questions humaines, tactiques et stratégiques».

 

Admis dans la 2e section du cadre des officiers généraux en 1973, il est nommé gouverneur des Invalides. Dans cette dernière action il va œuvrer pendant plus de vingt ans pour que l'Institution Nationale des Invalides soit digne de ses pensionnaires, payant lui-même de sa personne en entourant fraternellement et chrétiennement les hommes brisés de la guerre, méritant ainsi le surnom respectueux d'«Archange Gabriel».

 

Longtemps isséen, le général d'armée Gabriel de Galbert, Grand'Croix de la Légion d'Honneur meurt le 2 février 2001 à Arradon (Morbihan) dans sa 89e année.

 

 

 

 

Sources :

 

 

 

 

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Publié le 11 Avril 2017

Le Champ de Manœuvre à Issy. © Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget.

Le Champ de Manœuvre à Issy. © Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget.

La ville de Paris souhaite rejeter à l’extérieur de son territoire le terrain de manœuvres du champ de Mars. En 1889, elle saisit l’occasion offerte par l’Exposition Universelle, et annonce son désir de conserver un certain nombre de monuments, dont la Tour Eiffel. Elle acquiert alors des terrains à Issy qu’elle échange ensuite avec l’Armée. Le 31 décembre 1891, les militaires s’installent sur la commune d’Issy-les-Moulineaux et l’Armée devient le plus gros propriétaire foncier.

 

Les militaires louent leurs terrains aux premiers « avionneurs » qui cherchent un espace pour leurs essais. Très vite, la vocation de la plaine s’affirme autour du champ de manœuvres : elle devient au début du XXe siècle le principal lieu d’implantation des industries aéronautiques.

 

A Issy-les-Moulineaux, les frères Charles et Gabriel Voisin s’installent en 1907 en bordure du champ de manœuvres afin d’effectuer facilement leurs essais. Après le décès accidentel d’Edouard Nieuport, pilote chevronné installé à Suresnes, Henri Deutsch de la Meurthe décide le transfert de l’entreprise à proximité des établissements Voisin à Issy. Les frères Caudron créent une école de pilotage et s’installent dans un atelier à l’intersection des rues Rouget de Lisle et Camille Desmoulins.

 

Qualifié par tous les historiens de « Berceau de l’aviation mondiale » le terrain d’Issy-les-Moulineaux voit son histoire débuter fortuitement pendant l’année 1905 alors qu’il se trouve remarqué par quelques fanatiques de l’aviation naissante.

 

Usant de ses relations, Ernest Archdeacon, mécène passionné, obtient l’autorisation d’utiliser ce terrain sous certaines conditions qui revêtent très rapidement un caractère dissuasif pour nos pionniers. Parmi les contraintes imposées par l’autorité militaire, maîtresse du lieu, figure l’obligation de mener les essais de 4 à 6 heures du matin.

 

Toutefois, la phase de l’aviation inaugurée à Issy-les-Moulineaux semble la plus pure de toute l’histoire de cette science : intuition et expérimentation vont de paire avec imagination créatrice. Il est intéressant de constater par exemple que Farman, Voisin, Delagrange ont tous trois étudiés aux Beaux-Arts. Ces pionniers sont en même temps les inventeurs, les ingénieurs et les pilotes d’essai des machines qu’ils mettent sur pied.

 

Au fil du temps et des courses aériennes organisées, le nouveau terrain d’aviation attire les foules de curieux. Celles-ci envahissent le terrain ou se hissent sur les toits pour profiter du spectacle. De simples hangars, puis de véritables ateliers - qui deviendront les entreprises Voisin, Caudron… - s’installent autour du champ d’aviation, faisant de ce quartier le quartier de l’aviation, dont aujourd’hui les noms de rues évoquent encore le passé glorieux.

 

 

 

 

Sources :

 

  • Encyclopédies Wikipédia, Larousse et Britannica.
  • Site Internet de la ville d’Issy-les-Moulineaux : www.issy.com

 

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #Issy d'antan