Publié le 14 Septembre 2017

A Rancourt, la Chapelle du Souvenir Français.

L’importance stratégique.

 

Les villages de Rancourt et de Bouchavesnes avaient une importance stratégique pendant la bataille de la Somme. La route reliant Péronne à Bapaume qui y passait était importante puisqu’il s’agissait d'un axe de communication allemand, essentiel pour le ravitaillement. C'est pourquoi l'armée française a été chargée en septembre 1916 de la reprendre, au prix de très nombreuses pertes et endeuillant de nombreuses familles.

Les communes de Rancourt et de Bouchavesnes-Bergen abritent aujourd’hui en un espace restreint trois cimetières de nationalités différentes : française, britannique et allemande.  Deux chapelles, une allemande et une française, y sont aussi implantées. Haut-lieu du souvenir de la participation française à la bataille de la Somme, le site de Rancourt-Bouchavesnes témoigne également de la rencontre d'hommages publics et privés.

L’implantation des cimetières, la co-visibilité existant entre eux et la qualité paysagère de leur environnement en font un lieu funéraire très symbolique.  Site international par les hommes qui y sont enterrés, il a également une vocation et pédagogique, puisqu’il permet de comprendre la manière dont chaque nation a rendu hommage aux siens, à travers une architecture, des matériaux, des références culturelles différentes.

Une cérémonie commémorative est organisée annuellement dans chacun des sites, le deuxième dimanche de septembre, ainsi que devant la statue du Maréchal Foch, au coeur du village de Bouchavesnes. La prochaine cérémonie se déroulera le dimanche 17 septembre 2017. S'appuyant sur la forte dimension symbolique et internationale de ce secteur mémoriel, la « Rose Somme 2016 » y a été baptisée le 25 juin 2016. Elle rend un hommage unique à l’ensemble des combattants inhumés, quelque soit leur nationalité.

 

La Chapelle du Souvenir Français.

Cette chapelle en pierre de taille est le fruit d’une initiative privée. La famille du Bos, originaire de la région, voulut ériger un monument à la mémoire de son fils mort et de ses camarades de combat, tombés dans le secteur, à la suite de combats très violents.

Depuis 1937, le Souvenir Français assure la gestion de l’édifice et l’animation du site, via un petit centre d’accueil. La nécropole française, située à Rancourt-Bouchavesnes, est la plus grande de sa catégorie dans la Somme (28 000 m²). 8 566 soldats y reposent, inhumés sous les stèles, ou dans les quatre ossuaires. Cette nécropole atteste de la violence des combats pendant la bataille de la Somme (1er juillet - 18 novembre 1916), résultant de la guerre de masse, totale et industrielle.

Marie-Thérèse et Jean-Pierre Desain sont les actuels gardiens de la Chapelle du Souvenir Français, de son musée ainsi que du centre d’accueil. La Chapelle est ouverte tous les jours de 9h à 18h de 10h à 17h du 1er octobre au 31 mars). Son accès est libre. Adresse : 2, route Nationale 80360 Rancourt - Téléphone + 33 (0) 3 22 85 04 47.

 

Le cimetière allemand.

 

Après le conflit, l'État français en 1920 choisit de regrouper les cimetières provisoires et les tombes isolées allemandes. Ainsi, est créé sur le champ de bataille de Rancourt-Bouchavesnes l’un des plus grands cimetières de la Somme. La plupart des combattants inhumés sont morts en 1916 et en 1918. Dans le cadre de la convention franco-allemande, le VDK (Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge, organisation allemande chargée de recenser, préserver et entretenir les sépultures des victimes de guerre allemandes à l'étranger) investit le site en 1929. La chapelle y aurait été alors élevée, comprenant une sculpture de mise au tombeau. Elle est inaugurée le 17 septembre 1933 en présence des autorités locales.

 

Le cimetière britannique.

 

Après la bataille de la Somme, l’armée française est relevée par l’armée britannique dans le secteur de Rancourt-Bouchavesnes. Les unités de la Guards Division y aménagent un cimetière pendant l'hiver 1916-1917 et l'utilisent à nouveau pour inhumer les officiers des 12e et 18e divisions en septembre 1918. Le cimetière définitif a été dessiné par N.A. Rew.

Marie-Thérèse et Jean-Pierre Desain.

Marie-Thérèse et Jean-Pierre Desain.

Sources :

 

  • Stéphane Audoin-Rouzeau, Jean-Jacques Becker, Encyclopédie de la Grande guerre, Bayard, 2004.
  • John Buchan, La bataille de la Somme, Thomas Nelson & Sons, 1920.
  • Marjolaine Boutet et Philippe Nivet, La bataille de la Somme, Taillandier, 2016.
  • Général Georges Girard, La bataille de la Somme en 1916, Plon, 1937.
  • Archives du Souvenir Français – Siège national.
  • Archives de la Délégation du Souvenir Français pour les Hauts-de-Seine et du Comité d’Issy-les-Moulineaux-Vanves.
  • Les informations de cet article sont issues du site Internet www.somme14-18.com

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Publié le 25 Août 2017

Debout sur une jeep, Jules Gaucher s’adresse à ses légionnaires de la « 13 ».

Debout sur une jeep, Jules Gaucher s’adresse à ses légionnaires de la « 13 ».

Biographie.

 

Jules Gaucher nait à Bourges le 13 septembre 1905. I intègre la promotion « Maréchal Gallieni » à l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr et sort diplômé en 1929. Nommé sous-lieutenant, il est affecté au 23e régiment de tirailleurs algériens.

 

Deux années plus tard, il sert à la Légion étrangère, tout en restant en Afrique du nord, au sein du 1er régiment étranger, puis au 3e régiment étranger d’infanterie. Il participe à la pacification du Haut-Atlas au Maroc. En 1938, promu capitaine, il est nommé au 1er bataillon du 5e régiment étranger d’infanterie au Tonkin, dans le nord du Vietnam.

 

C’est là qu’il combat les Japonais en 1940, puis les Thaïlandais l’année suivante. A la tête du bataillon, le 9 mars 1945, il est en première ligne au moment du « coup de force » des Japonais. Evitant de peu la capture, et son exécution, il réussit à passer la frontière chinoise le 1er mai 1945 avec le reste de son unité lors de la retraite de la « colonne Alessandri » (du nom de son général). Il prend ensuite la tête du bataillon de marche composé des survivants du régiment et la ramènera en 1946 au Tonkin après avoir parcouru plus de 3.000 kilomètres à pied.

 

Promu chef de bataillon la même année, il rejoint le dépôt commun des régiments étrangers (DCRE) à Sidi-Bel-Abbès en Algérie puis la 13e demi-brigade de la Légion étrangère (DBLE).

 

En 1949, il est désigné pour l’Extrême-Orient afin de prendre le commandement du 3e bataillon de la 13e DBLE. Le 9 avril 1950, il est rapatrié sanitaire. En octobre 1951, il est promu au grade de lieutenant-colonel et une année plus tard il revient en Indochine. De retour à la « 13 », il prend les fonctions de commandant en second, puis celles de chef de corps le 1er septembre 1953. Sous son commandement, ses unités s’illustrent au cours d’opérations dans le delta du Fleuve Rouge et lors de la bataille d’Hoa-Binh.

 

A Dien Bien Phu, en mars 1954, il est désigné commandant du Groupe mobile n°9, qui comprend trois bataillons d’infanterie, une batterie d’artillerie. Le colonel de Castries, qui commande le camp retranché, lui donne l’ordre d’assurer la résistance de cinq centres : les collines Béatrice, Claudine, Dominique, Eliane et Huguette. Le PC du lieutenant-colonel Gaucher se trouve alors assez proche de celui du colonel de Castries.

 

Ce 13 mars 1954.

 

Giacomo Signoroni, ancien de la « 13 » et présent à Dien Bien Phu ce fameux 13 mars 1954, a confié des archives au Souvenir Français d’Issy-Vanves. Parmi celles-ci se trouve une copie du témoignage du légionnaire Mariano Hernandez.

 

« Le camp retranché de Dien Bien Phu subissait vers 17h30 un pilonnage massif, au même moment où la position avancée Béatrice tenue par le 3/3/13e connaissait le même sort, avec un objectif différent. Nous étions obligés de rester dans nos abris du fait de l’intensité de ce pilonnage. De temps en temps, une légère accalmie se faisait sentir dans la cuvette, où nous pouvions sortir de nos tranchées. C’est à ce moment là, que l’on pouvait juger de l’importance du feu qu’essuyait la position Béatrice.

 

Notre colonel Gaucher, avec plusieurs officiers, dirigeait les opérations depuis son PC de l’attaque de Béatrice, qui se trouvait proche de mon emplacement de combat. Il devait être dans les environs de 18h30, lorsqu’eu lieu de nouveau une série d’explosions à proximité du PC et des emplacements du 1/13e DBLE.

 

C’est à ce moment-là, que nous vîmes apparaître quelques gars de chez nous hurlant comme des aliénés, que le PC de notre colonel avait été touché par un obus d’artillerie, et ils criaient qu’il n’y avait aucun survivant. Pendant que l’un d’eux partait à l’antenne Grauwin chercher des médecins et des infirmiers, le sergent Dubois avec quelques hommes de ma section, dont moi-même, se rendit tout de suite sur le lieu du blockhaus qui tenait lieu de PC. Nous avons donné un coup de main à l’équipe de pionniers de notre unité que dirigeait l’adjudant Signoroni. Le spectacle était horrible à voir. Une jeep se trouvait déjà sur les lieux, ils évacuèrent le colonel qui était encore vivant, mais déchiqueté de toute part et dont le visage avait l’aspect cadavérique. Il y avait parmi eux un ou deux officiers morts et plusieurs blessés, dont mon chef de bataillon Brinon. Ils furent transportés sur l’antenne du GM9.

 

Nous apprîmes un peu plus tard le décès de notre colonel. A la suite de cette triste nouvelle, les commandants de compagnie, sous-officiers, légionnaires, savions que sans « Pouss-Pouss » (nous l’appelions familièrement ainsi) les choses ne seraient plus les mêmes. Notre moral fut très fortement atteint, et je vis que mon capitaine Chounet, fut lui-même très fortement éprouvé. Je ne me doutais pas encore que le lendemain une nouvelle épreuve m’attendait, ainsi qu’à plusieurs de mes camarades. Etant donné qu’après mon retour de sonnette, dans les environs de 4h à 6h du matin, je commençais à faire du café des boîtes pacifiques, lorsque je m’aperçus qu’il y avait un peu trop de mouvement dans les alentours. Quand notre sergent de section nous appela pour le rassemblement du matin, et que la compagnie fut au complet, le sergent de semaine présenta la compagnie au capitaine Chounet, commandant la 2/4/13e. Une fois les formalités terminées, le chef de compagnie nous annonça qu’il lui fallait des volontaires pour aller chercher sur Béatrice, les morts et les blessés restés sur place, après le combat et l’anéantissement de la position, qui venait de se terminer quelques heures auparavant. Il pria donc les volontaires de s’avancer d’un pas, afin qu’ils se fassent connaître. Les gars de la 2e compagnie se proposèrent tous, à l’exception de quelques réticents. A ce moment-là, le capitaine appela le sous-officier de section, afin qu’il procéda à un tri parmi les hommes. Nous étions une dizaine de légionnaires de la 2/1/13e.

 

Peu avant l’heure de la mission, le capitaine Chounet nous prévint que notre seul équipement se composerait d’une tenue de combat, casque léger et d’une petite pelle de campagne. Un sous-officier de la compagnie nous amena à la hauteur de l’antenne du commandant Grauwin, là où se trouvaient les véhicules qui devaient nous emmener par la RP 41 sur Béatrice. L’effectif de cette mission se composait d’un officier médecin, du 1/13e DBLE, du Père Trinquant, notre aumônier de la 13e, de deux brancardiers avec l’adjudant Signoroni, chef des pionniers du 1/13e. Nous étions donc au total une quinzaine  et nous appartenions tous au 1/13e. Aucun sous-officier ou légionnaires d’autres unités ne firent partie de cette mission, comme certains voudraient bien laisser croire.

 

En tête de file se trouvait le capitaine-médecin Le Damany, dans un véhicule 4 :4 ou une jeep. Mes camarades et moi étions dans un GMC avec quelques filets et nos pelles. Le père devait se trouver dans une ambulance avec le chauffeur. A 10h du matin, le convoi démarra dans la direction de Béatrice. Lorsque nous fûmes sur les lieux, un officier Viet donna ses instructions au chef de convoi. Une fois que nous étions descendus des véhicules, ceux-ci opérèrent un demi-tour afin de se tenir prêt pour repartir. Au pied des pitons se trouvait une petite chapelle du 3e bataillon apparemment intacte, et de tout côté, on pouvait voir des impacts d’obus, de grenades qui jonchaient le sol, qu’accompagnait un silence de mort. Lorsque nous commençâmes à escalader les pitons par des escaliers de terre, renforcés de planches, on apercevait au loin sur les pitons, des sentinelles viets, l’arme au poing, qui nous faisaient des signes, nous désignant ainsi l’emplacement des morts et des blessés.

 

Le spectacle qui s’offrit à nos yeux était insoutenable. Dans les tranchées pleines de boue, on voyait nos camarades à moitié ensevelis, complètement déchiquetés. Nous nous sommes dispersés en petits groupes, dans les trois pitons, à la recherche des survivants. Il y en avait malheureusement que très peu, car ils étaient au nombre de deux ou trois. Nous les avons déposés dans les camions. A ma connaissance, nous n’avions ramené qu’un seul mort, et j’ai su par la suite qu’il s’agissait du seul sous-officier retrouvé mort, du 3e bataillon. Le reste des hommes qui se trouvait dans les tranchées complètement déchiquetés, et étant donné que le temps nous était compté, puisque l’on avait 1h30 pour cette trêve, nous avons reçu l’ordre de les laisser sur place, car ils étaient intransportables.

 

Au moment où nous regagnâmes nos véhicules, nous aperçûmes une petite colonne de blessés, rescapés de la veille, que les sentinelles viets escortaient afin que nous les emmenions. Vers 11h30, nous reprîmes le chemin du retour et 600 m avant d’arriver à la hauteur de l’antenne, où nous devions les déposer, nous subîmes par l’artillerie viet plusieurs impacts, dont quelques éclats blessèrent un légionnaire mais sans gravité. Ce fait ne fut d’ailleurs jamais rapporté, ni écrit dans aucun livre à ma connaissance. Je ne savais pas que 16 jours plus tard, mon sort serait identique à ce qu’avait connu mes camarades. Puisque le 30 mars 1954, me trouvant sur Eliane 2, nous subîmes le même pilonnage que souffrit Béatrice. Je fus blessé à la tête et aux jambes, et enseveli dans mon poste de combat par l’impact d’un obus d’artillerie. Dégagé par mes camarades, et dans le coma, je fus laissé dans un boyau. Les circonstances et l’acharnement de l’attaque ennemie n’ont pas permis à mes camarades de m’évacuer vers les arrières. Je fus enlevé par les Viets et amené dans les lignes arrières ennemies. Quelque temps je fus interné dans le camp n°42. »

 

 

Sources.

 

  • Archives personnelles de Giacomo Signoroni, commandeur de la Légion d’honneur.
  • Georges Fleury, La Guerre en Indochine, Perrin, 2000.
  • Recherches dans les archives des Bulletins de l’Ecole français d’Extrême-Orient d’archéologie.
  • Extraits du journal Le Figaro du 28 décembre 1993.
  • Encyclopédie en ligne Wikipédia.
  • Encyclopédie en ligne Larousse.
  • Jacques Chancel, La nuit attendra, Flammarion.
  • Archives du journal Paris Match : www.parismatch.com .
  • Site Internet du Souvenir Français d’Asie et de Chine : www.souvenir-francais-asie.com
  • Site Internet des « Soldats de France ».
  • Site Internet « Legio Patria Nostra » (crédit photo).

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Rédigé par Souvenir Français Issy

Publié dans #Indochine

Publié le 23 Août 2017

La Garde républicaine.

Présentation.

 

La Garde républicaine, commandée par un général de division, comprend deux régiments d’infanterie, un régiment de cavalerie, un état-major et des formations musicales (orchestre et chœur de l’armée française).

 

Le 1er régiment d’infanterie, implanté principalement à Nanterre, s’articule en trois compagnies de sécurité et d’honneur (CSH), une compagnie de sécurité de la présidence de la République (CSPR), un escadron motocycliste et la musique de la Garde républicaine.

 

Le 2e régiment d’infanterie, dont l’état-major est situé à la caserne Kellermann (Paris), se compose de quatre compagnies de sécurité et d’honneur (CSH), de la compagnie de sécurité de l'hôtel Matignon (CSHM) et de la compagnie de sécurité des palais nationaux (CSPN).

 

Le régiment de cavalerie s’articule en trois escadrons de marche, un escadron hors rang ainsi qu’un centre d’instruction. L’escadron hors rang comprend, notamment, une fanfare de cavalerie, un service vétérinaire et des maréchaux-ferrants.

 

Enfin, l’état-major dispose d’un bureau des opérations et de l’emploi, d’un bureau des ressources humaines et des services logistiques qui comprennent, en particulier, des ateliers de tradition (sellerie, armurerie et costumes d’époque).

 

Missions.

 

Elles sont au nombre de quatre :

 

1 - Assurer le protocole militaire de l'État :

Le protocole militaire est fortement ancré dans la tradition nationale et il revient à la Garde républicaine de l'assurer lorsque le Président de la République ou des chefs d'État étrangers y sont associés.

Il prend la forme de services à pied et d'escortes d'honneur à cheval ou à moto, notamment sur l’esplanade des Invalides et sur les Champs-Elysées.

La musique de la Garde et la fanfare de cavalerie sont spécialement chargées de rehausser l’éclat des cérémonies officielles.

La Garde rend également les honneurs aux présidents des deux assemblées parlementaires à l'ouverture de chaque séance.

 

2 - Assurer la sécurité des palais nationaux :

La Garde républicaine participe au fonctionnement régulier des institutions en assurant la sécurité des hauts lieux gouvernementaux et en contribuant sous réquisition permanente à celle des assemblées parlementaires. Le 1er régiment d'infanterie se consacre à la sécurité de l'Élysée (contrôle des entrées, rondes périmétriques) tandis que le 2e régiment d'infanterie assume les mêmes charges à Matignon, au Quai d'Orsay, à l’hôtel Beauvau, à l'hôtel de Brienne ainsi qu'au Palais Bourbon, au palais du Luxembourg et au Conseil constitutionnel.

Particularité parisienne, la Garde contribue aussi à la sécurité du Palais de justice.

 

Il n'est pas exceptionnel que des gardes républicains soient dépêchés temporairement dans des ambassades françaises à l'étranger lorsque la situation locale exige que leur sécurité soit renforcée.

Ces missions mobilisent quotidiennement 900 gendarmes qui bénéficient d'une formation adaptée au tir et à la maîtrise des individus. Parmi eux, les tireurs d’élite, qualifiés annuellement par le GIGN, sont dotés de fusils de précision pour s'opposer à d'éventuels tireurs embusqués.

 

3 - Contribuer à la sécurité publique générale :

Force polyvalente, la Garde républicaine met quotidiennement ses compétences techniques particulières au service de la sécurité publique générale.

Les sept pelotons d'intervention de l'infanterie sont fréquemment sollicités par les unités territoriales d'Ile-de-France et par des offices centraux, en cas d'interpellation à risque ou d’escorte de détenus. Leur haut degré d'entraînement les rend aptes à remplir des missions éprouvantes comme la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane.

Les motocyclistes de la Garde assurent de nombreuses escortes de convois sensibles et sécurisent les épreuves cyclistes majeures, au premier rang desquelles figure le Tour de France depuis 1953.

 

Les trois pelotons de surveillance et d'intervention à cheval développent de nouveaux savoir-faire en police montée. Une quarantaine de cavaliers sont employables par la préfecture de Police de Paris, dans le cadre de patrouilles urbaines ou d'appui des forces mobiles autour des stades. Plus largement, ils constituent une réserve d'intervention à disposition des autorités de sécurité publique sur l'ensemble du territoire dans les contextes et sur les terrains où la composante équestre apporte une plus-value : recherche de personne en milieu forestier, surveillance de zones difficiles d'accès, sécurité de grands rassemblements ou de secteurs touristiques.

 

4 - Contribuer au rayonnement international de la France :

Parce qu'elle incarne un prestige certain, la Garde républicaine constitue un vecteur de rayonnement à la disposition des plus hautes autorités de l'Etat. A cet effet, elle abrite dans ses rangs deux formations musicales de très haut niveau et capable d'interpréter les œuvres majeures du répertoire classique : l'Orchestre symphonique et le Chœur de l'Armée française.

D'autre part, ses compétences équestres intéressent de nombreux pays étrangers et sont à l'origine d'accords bilatéraux pour la formation de cavaliers ou la création d'unités complètes.

La ville d’Issy-les-Moulineaux est la ville marraine depuis l’an 2000 du 2e régiment d’infanterie de la Garde républicaine.

 

 

Sources :

 

Site de la Garde républicaine : www.gendarmerie.interieur.gouv.fr

Photo : copyright Wikipedia

 

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Publié le 5 Août 2017

Le cimetière de Soupir, au pied du Chemin des Dames.

Le cimetière de Soupir, au pied du Chemin des Dames.

Contexte.

 

Printemps 1917. Une nouvelle fois, le grand commandement militaire français décide de faire la différence, une « bonne fois pour toutes », et de renvoyer les Allemands à Berlin. En dépit de plusieurs échecs depuis 1914, la décision est prise. Et puis, Verdun a montré l’année précédente, que la victoire était possible…

 

Le 16 avril 1917, l’armée française lance donc une grande offensive en Picardie, sur le Chemin des Dames, qui doit son nom au fait que cette route était régulièrement, deux siècles plus tôt, empruntée par Victoire et Adélaïde, filles de Louis XV.

 

Mais l’échec de l’offensive est consommé en 24 heures malgré l’engagement des premiers chars d’assaut français. On n’avance que de 500 mètres au lieu des 10 kilomètres prévus, et ce au prix de pertes énormes : 30.000 morts en dix jours. Le général Nivelle, qui a remplacé Joseph Joffre à la tête des armées françaises le 12 décembre 1916, en est tenu pour responsable. Lors de la conférence interalliée de Chantilly, le 16 novembre 1916, il assurait à tout un chacun que cette offensive serait l’occasion de la « rupture » décisive tant attendue. « Je renoncerai si la rupture n’est pas obtenue en quarante-huit heures » promettait Nivelle. Mais le lieu choisi, non loin de l’endroit où s’était déroulée la bataille de la Somme de l’année précédente, n’est pas propice à la progression des troupes, avec ses trous d’obus et ses chemins défoncés. De plus, les Allemands ont abandonné leur première ligne et construit un nouveau réseau enterré à l’arrière : la ligne Hindenburg.

 

Le ressentiment et le désespoir des poilus – qui bientôt se transformera en mutineries au sein de nombreux régiments – s’expriment dans la Chanson de Craonne.

 

La chanson.

 

Cette chanson anonyme a certainement plusieurs auteurs. Elle est apprise par cœur et se diffuse oralement de manière clandestine. Antimilitariste, le chant est bien entendu interdit par l’armée. Une légende veut que le commandement militaire ait promis une récompense d’un million de francs or et la démobilisation à quiconque dénoncerait l’auteur !

 

Chantée sur plusieurs fronts (Notre Dame de Lorette, Verdun), sa première version publiée parait le 24 juin 1917. Elle est notamment retrouvée dans les carnets du soldat François Court. Elle y est suivie de la mention « chanson créée le 10 avril 1917 sur le plateau de Craonne ».

 

Quand au bout d'huit jours le r'pos terminé

On va reprendre les tranchées,

Notre place est si utile

Que sans nous on prend la pile

Mais c'est bien fini, on en a assez

Personne ne veut plus marcher

Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot

On dit adieu aux civ'lots

Même sans tambours, même sans trompettes

On s'en va là-haut en baissant la tête

- Refrain :

Adieu la vie, adieu l'amour,

Adieu toutes les femmes

C'est bien fini, c'est pour toujours

De cette guerre infâme

C'est à Craonne sur le plateau

Qu'on doit laisser sa peau

Car nous sommes tous condamnés

Nous sommes les sacrifiés

 

Huit jours de tranchée, huit jours de souffrance

Pourtant on a l'espérance

Que ce soir viendra la r'lève

Que nous attendons sans trêve

Soudain dans la nuit et dans le silence

On voit quelqu'un qui s'avance

C'est un officier de chasseurs à pied

Qui vient pour nous remplacer

Doucement dans l'ombre sous la pluie qui tombe

Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes

- Refrain

C'est malheureux d'voir sur les grands boulevards

Tous ces gros qui font la foire

Si pour eux la vie est rose

Pour nous c'est pas la même chose

Au lieu d'se cacher tous ces embusqués

F'raient mieux d'monter aux tranchées

Pour défendre leur bien, car nous n'avons rien

Nous autres les pauv' purotins

Tous les camarades sont enterrés là

Pour défendr' les biens de ces messieurs là

- Refrain :

Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront

Car c'est pour eux qu'on crève

Mais c'est fini, car les trouffions

Vont tous se mettre en grève

Ce s'ra votre tour, messieurs les gros

De monter sur le plateau

Car si vous voulez faire la guerre

Payez-la de votre peau

 

Philippe Pétain.

 

Le général Nivelle est limogé. Il est remplacé par le général Philippe Pétain, vainqueur de Verdun. Il s’applique en premier lieu à redresser le moral des troupes. Il fait sanctionner avec modération les faits d’indiscipline collective, limitant à quelques dizaines – sur des milliers – le nombre d’exécutions (de fait, bien moindre que le nombre de fusillés de 1915).

 

En 1918, le général Pétain est resté le plus populaire des officiers généraux de l’armée française. La Chanson de Craonne aussi... Depuis 1918, elle a été reprise des centaines de fois.

 

 

 

Sources :

 

  • Encyclopédies Larousse, Britannica, Wikipédia.
  • Thierry Bouzard, Histoire du chant militaire français, de la monarchie à nos jours, Editions Grancher, 2005.
  • Jean-Claude Klein, Florilège de la chanson française, Ed. Bordas, 1989.
  • Guy Marival, La Mémoire de l’Aisne, 2001, et Enquête sur une chanson mythique, 2014.
  • Pierre Miquel, le Chemin des Dames, Perrin, 1997.
  • René-Gustave Nobécourt, Les Fantassins du Chemin des dames, Robert Laffont, 1965.
  • Nicolas Offenstadt, le Chemin des Dames, Paris, Stock, 2004.
  • Site www.herodote.net

 

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Publié le 22 Juillet 2017

Hôpital militaire du camp de Salonique - Une chambre de malades. 1918.

Hôpital militaire du camp de Salonique - Une chambre de malades. 1918.

Le cimetière militaire français de Zeitenlick à Thessalonique (Salonique), en Grèce, rassemble les corps de 8.309 soldats morts pour la France sur le front d'Orient, lors de la Première Guerre mondiale.

 

A l’automne 1915, l’expédition franco-britannique des Dardanelles, destinée à couper les Turcs des Empires centraux, est un échec. L’entrée en guerre de la Bulgarie, en octobre, entraîne l’effondrement de la Serbie. Les troupes de l'Entente débarquent à Thessalonique, dans une Grèce initialement neutre, divisée entre les partisans de l’Entente ralliés autour du Premier Ministre Vénizélos et les sympathisants des Empires centraux représentés essentiellement par la Cour.

 

Ce front est resté statique jusqu'à l'offensive en Macédoine déclenchée le 15 septembre 1918. Le général Franchet d’Espèrey contraint alors la Bulgarie, dès le 29 septembre, à demander l’armistice. Belgrade est libérée le 1er novembre, prémisse à l'effondrement des forces austro-allemandes.

 

Dès 1923, anticipant les clauses du traité de Lausanne, les autorités grecques concèdent aux Alliés un terrain proche de Thessalonique pour y installer une nécropole internationale. La partie française abrite les restes des militaires français, inhumés en divers cimetières de la Macédoine grecque, après leur regroupement en ce lieu. Ce site regroupe aussi les tombes provisoires des sépultures de guerre italiennes ainsi que celles des Serbes et du Commonwealth. Le cimetière interallié de Salonique est ainsi créé.

 

La partie française s'étend sur 3 500 m2 et rassemble 8.309 sépultures individuelles dont 208 abritent des corps non identifiés.

 

Une chapelle de style ottoman a été installée au centre du carré.

 

L’entretien de la nécropole militaire de Zeitenlick est assuré par les services du consulat général de France. Des travaux de rénovation ont été effectués en 2012.

 

Un  hommage aux combattants est rendu deux fois par an : lors d’une cérémonie fin septembre,  à laquelle participent l’association française « Mémorial du Front d’Orient » ainsi que les représentants officiels des puissances alliées et lors de la commémoration de l’Armistice du 11 novembre 1918.

 

 

Renseignements

Consulat Général de France à Thessalonique

8, Mackenzie King

54622 Thessalonique

Tél.: (+30) 2310 244 030/031

Fax : (+30) 2310 282839

www.consulfrance-salonique.org

Courriel : consul@consulfrance-salonique.org (link sends e-mail)

 

 

 

 

Sources :

 

  • Site Internet : www.cheminsdememoire.gouv.fr dépendant du Ministère de la Défense.
  • Ambassade de France en Grèce.
  • Photographies « Les hôpitaux du camp retranché de Salonique (1918) – Ministère de la culture – Médiathèque du patrimoine.

 

Le cimetière militaire français de Salonique, en Grèce.

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Publié le 22 Juillet 2017

Le cimetière militaire français de Gdansk, en Pologne.

La Seconde Guerre mondiale terminée, la France organise la recherche, l'identification et le rapatriement des prisonniers de guerre et des militaires inhumés à l'étranger. Une "mission française de recherche en Pologne" travaille dans ce pays jusqu'en 1950 pour retrouver des tombes et dresser la liste des morts. En 1948, Varsovie cède pour 99 ans aux autorités françaises une parcelle de terrain de 11 500 m² à l'ouest de la ville de Gdansk, afin de regrouper les sépultures des soldats non rapatriés au cours des campagnes de rapatriement de 1951, 1953 et 1961 - 2 180 corps seront réclamés par les familles.

 

Ce cimetière réunit 1 152 corps, dont 329 n'ont pas pu être identifiés. Parmi eux se trouvent mêlés des prisonniers de guerre, des déportés résistants ou politiques, des recrues du service du travail obligatoire (STO), des Alsaciens incorporés de force dans l'armée allemande, et des évadés des camps de détention qui ont combattu dans le maquis polonais. Les dépouilles proviennent principalement des voïvodies d'Olsztyn, de Gdansk, de Bydgoszcz, de Kosalin, de Szczecin, de la Haute et Basse Silésie. Le site se compose de carrés ornés de 1 127 emblèmes funéraires marquant les tombes dont 961 sont occupées - 25 d'entre elles contiennent plusieurs corps non identifiés. Trois croix stylisées monumentales ont été érigées sur un podium en pierre auquel on accède par une volée de marches.

 

Les services consulaires de l'Ambassade de France à Varsovie assurent l'entretien et la gestion du site, sur la base d'une dotation budgétaire allouée par le ministère de la défense.

 

Pour tout renseignement : Ambassade de France à Varsovie 1, rue Piekna 00-477 Varsovie Tél. : + 48 (22) 529 30 00 - www.ambafrance-pl.org

 

 

Sources :

 

Le cimetière militaire français de Gdansk, en Pologne.

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Publié le 2 Juillet 2017

L'attaque de nuit.

« - Mon capitaine, un ordre de la brigade.

 

Descendus la veille des tranchées, après six jours et six nuits durs par le feu et par la pluie, nous occupons, à deux compagnies, les ruines d’un village en position d’alerte, prêts à remonter là-haut au premier signal. Ce signal, nul n’en doute, le voilà, et nous lisons : « Les 1ère et 2e compagnies du… bataillon de chasseurs se porteront immédiatement au chemin des Moulins à la disposition du lieutenant-colonel commandant le secteur ».

Un verre de « gnole » à la hâte ; une ruée des hommes de liaison vers les caves où gîtent les sections, quelques jurements, comme il est d’usage : « Bon Dieu de bon sang ! Sacré métier ! ». Au fond le sentiment profond que c’est dans l’ordre, puisqu’on était en position d’alerte. Vingt-cinq minutes après, les deux compagnies en armes sont massées dans la rue centrale.

Le chemin est long jusqu’aux deuxièmes lignes où la brigade nous envoie. Les boyaux sont pleins d’eau – nous les connaissons. C’est une affaire de trois heures. Mais, sortis du village, à mi-pente, une surprise nous attend. L’ennemi, qui sans doute attaque, veut barrer la route aux réserves et les boyaux sont « sonnés » de main de maître. C’est un beau tir. Le 15 et le 21 alternent, s’écrasant lourdement dans l’axe exact du boyau, couronnés de temps à autre de 105 fusants qui lancent dans le ciel ensoleillé leur fumée couleur d’absinthe.

Les chasseurs ne disent rien, mais je sais ce qu’ils pensent. Il y a des mois que ce fond de secteur est épargné par l’artillerie, et ce bombardement les choque comme un manquement aux règles du jeu : « Bande de vaches ! » murmure le clairon qui me suit, exprimant avec mesure l’opinion générale. J’approuve de la tête et je commande : « Les sections, à cent mètres ! ».

En avant vers les marmites. Là-bas, à demi-perdues dans la fumée collante de « gros », les ruines de la ferme-école nous révèlent le point critique. Il y eut, dans ce coin-là, longtemps, des batteries à nous. Le Boche a eu des mois pour régler. Nous trouverons un barrage soigné. D’un pas rapide, malgré la boue qui tire nos pieds au fond, nous approchons du barrage : 4 coups à la minute, bien placés. On ne passera pas. Je regarde à gauche : le barrage s’étend et d’ailleurs obliquer par là nous écarterait de notre but. A droite, au contraire, c’est assez tranquille. Je transmets à chaque section l’ordre de filer à travers champs en profitant d’un vallonnement modeste. Le mouvement s’exécute à merveille. Vingt minutes après, tout le monde a sauté dans l’autre boyau, profond de 2 mètres, plein d’une eau grise qui gicle à notre choc et retombe en pluie sur nos casques.

Une heure et demie de marche, avec les yeux qui piquent – car le Boche a lancé du puant – quelques coups presque heureux éclatant à droite et à gauche ; pas de casse, un seul blessé léger. Nous voilà au chemin des Moulins. J’arrête la compagnie dans le boyau et je cours à l’abri du colonel, que couronnent des panaches révélateurs.

- Ah ! Voilà les chasseurs, dit le colonel. Tenez, prenez la carte.

Une ligne bleue qui mord sur nos tranchées me renseigne avant tout commentaire. Le Boche, après deux explosions de mine très réussies, a enlevé notre première ligne bouleversée sur 1.200 mètres. Il a poussé son attaque sur la ligne de soutien qui a cédé sur 800 mètres, après avoir été coupée et nivelée par le bombardement. Nous tenons une tranchée médiocre en arrière, nous joignant tant bien que mal, à droite et à gauche aux éléments voisins qui ont pu maintenir leurs positions, mais qui sont séparées par le progrès de l’ennemi. C’est une hernie qu’il faut réduire.

- Je vous donnerai des ordres quand je serai complètement renseigné, conclut le colonel. Attendez dans le chemin creux, et tenez-vous prêts.

Nous connaissons tous le chemin creux. Il a des abris boches, des tombes boches, du matériel boche sous ses talus écroulés. On n’y donne pas un coup de pelle sans remuer un mort.

La nuit est noire et les fusées montent orgueilleusement dans la pluie qui recommence à tomber. Je dispose les guetteurs couchés en haut du talus et le reste de la compagnie s’assied au bas de la pente. Le froid est aigre et l’humidité indiscrète. Mais le spectacle ne permet guère qu’on s’attache à ces incidents. L’artillerie allemande, en effet, vient de rouvrir le feu avec une ardeur redoublée.

- Qui leur a dit qu’on est là ? grogne le sergent Durand.

Et de la troupe accroupie s’élèvent des voix tranquilles qui comptent les coups. Rien que du lourd : les obus tombent sur les deux talus, crachant leurs flammes dans la boue et nous couvrant de terre à chaque coup. Deux tombent dans le chemin : ils n’éclatent pas. Un autre, mieux constitué, explose en face de nous et me blesse quatre hommes. Deux plaies du bras, une plaie de la jambe, un éclat à la main : c’est le « filon », la descente au postes de secours en coupant à l’attaque de nuit.

- Tout droit et à gauche. Bonne nuit, les gars.

Et le grand Camille, en passant devant moi, répond :

- Depuis quatorze mois que je suis là, c’est bien mon tour.

Le Boche tire toujours. Il a bouché les quelques abris encore utilisables. Attendons. L’ordre du colonel viendra nous tirer de ce trou, puisque sûrement c’est nous qui ferons cette nuit la contre-attaque. L’enfer continue, bruit, flamme, fumée, mottes de terre dans les yeux. Les corps se tassent, se courbent, se moulent au sol. Mon lieutenant allume une pipe et murmure avec indifférence :

- On y passera tous si ça dure encore une heure.

Son ordonnance, en un grognement, réplique que les Boches tirent trop mal. Evidemment, mais dix mètres d’écart et ça y sera. Un pas dans l’eau, un cri :

- Le capitaine de la 1ère ?

- C’est moi.

- Voilà l’ordre du colonel.

A l’abri du pan de ma capote, j’allume ma lampe électrique et je lis : « La 1ère compagnie attaquera à minuit direction N.S. et reprendra la tranchée perdue en cherchant la liaison avec la 2e compagnie qui attaquera à sa droite en direction O.E. ».

Tout le monde a vu passer l’agent de liaison. Tout le monde est débout et prêt au départ.

- Planquez-vous, que je passe, les enfants.

Et je me porte en tête. Il y a trois semaines, quand le secteur était calme, ce boyau nord faisait notre orgueil et c’était plaisir, entre ses parois abruptes, de cheminer sur son caillebotis neuf. Je fais dix pas et je me cogne. Je tâte : c’est un 21 qui a comblé le boyau. Escalade et terrain découvert ; de boyau plus de trace et les fusées montent sans arrêt. «  Pas de gymnastique, en avant ! » On court, courbés en deux, on trébuche, on tombe ; puis un trou. Le boyau reprend pour 10 mètres ; nouvel éboulement et l’ascension recommence. Parfois le pied s’affermit sur un cadavre qui peu à peu, sous le passage des vivants, s’enfonce dans la boue. Sans une perte, nous arrivons à ce qui fut naguère notre troisième ligne, à ce qui est cette nuit notre première ligne. Les restes d’une compagnie d’infanterie, qui a encaissé le matin l’explosion d’une mine, sont là et nous reçoivent cordialement. Le capitaine me fait les honneurs de ce réduit de notre défense et fait serrer à gauche pour donner place à mes hommes. Il est 11h10. Nous avons cinquante minutes pour nous préparer.

Nous nous glissons entre les morts posés sur le parapet et dont les pieds heurtent nos épaules et nous regardons. De la tranchée, plus rien : nivellement complet. Le Boche nous éclaire par des fusées répétées, et j’ai tout de suite l’impression qu’il n’a pas eu le temps de refaire une tranchée complète, moins encore de creuser des boyaux. Bonne affaire : ce seront des combats de petits postes et, comme nous sommes moins bêtes qu’eux, nous les aurons.

- Parlez bas, me dit le camarade qui me guide. Dans le boyau, leur barricade est à 20 mètres.

Comme confirmation, un pétard arrive dans notre dos et pulvérise trois sacs de terre. Dix pétards de chez nous répondent et un hurlement strident jaillit en face. Une gaité générale accueille ce résultat aussitôt attribué à l’habileté notoire du grenadier Lombard, clerc de notaire.

Nous allons travailler en douceur. Il s’agit de reprendre à l’ennemi environ 450 mètres de tranchée, sans doute à peu près détruite, et d’enlever à la grenade les postes qu’il a dû établir dans les parties les moins mauvaises.

Une patrouille de six hommes commandée par un sergent se hisse sur la barricade et disparaît dans le noir. Entre les éclatements d’obus, nous guettons le silence : rien. Dix minutes passent. Des pétards explosent à 150 mètres. Est-ce le Boche qui tire sur les nôtres ? Un quart d’heure encore qui me paraît long. Puis un appel, étouffé : « Attention, les gars ! »  C’est un des patrouilleurs qui revient, annonçant qu’on a 60 mètres libres en face, un petit poste allemand au bout, d’autres éléments boches à 100 mètres plus à l’est.

Le sergent a continué en faisant un détour pour voir plus loin. Il n’y a pas de temps à perdre et je donne les ordres d’exécution : « Première section en avant à la grenade aussi loin que possible. Deuxième section prête à la soutenir. Troisième section avec des pelles suivant la progression et refaisant la tranchée au fut et à mesure. Quatrième section en réserve ». Dans un glissement presque muet, car tout le monde a compris le prix du silence, les hommes passent devant moi et s’enfoncent dans la nuit que la neige épaissit.

Il est 11h40. Nous avons de l’avance sur le programme. S’il faisait moins froid, nous nous sentirions parfaitement confortables, car l’affaire s’annonce assez bien. Une seule ombre au tableau : dans le désordre causé par les incidents du matin, on a oublié de renouveler la provision de sacs à terre, et une progression à la grenade sans sacs, c’est moins facile que de faire du maniement d’armes.

Une seule ressource reste, mais combien médiocre ! La barricade d’où nous partons, soit une soixantaine de sacs remplis, difficiles à manier et bien insuffisants comme nombre. La quatrième section entreprend la démolition et se charge du transport. C’est très risqué, si le Boche réagit. Mais qui ne risque rien n’a rien. Le sous-lieutenant, qui commande la section de tête, revient à moi ; ça marche et jusqu’à présent, comme l’avait signalé la patrouille, pas de difficulté. Ce qui sera dur, ce sera de refaire la tranchée. J’avais espéré qu’une réparation suffirait, mais tout est aplati. Gros travail. J’envoie un coureur chercher le peloton de pionniers du bataillon et, enjambant ce qui reste de la barricade, je vais pousser ma section de travailleurs, qui grogne en travaillant, à découvert, avec un sang-froid imperturbable. Le sergent patrouilleur et les hommes qui étaient restés avec lui rentrent à ce moment ; pas de casse, ça va.

Mais la pétarade augmente et, bien que mal protégé, l’ennemi l’est tout de même mieux que nous. Fort heureusement, ses liaisons sont aussi difficiles que les nôtres et d’ailleurs les Fritz, avec qui nous échangeons des pétards, ne lanceront pas les fusées rouges qui appelleraient sur eux, en même temps que sur nous, le feu de leur artillerie.

Il faut pousser : c’est la seule façon de s’en tirer et je lance en avant deux sections. Il est 1h40 et le jour, en cette fin d’hiver, ne nous gênera pas de sitôt. A partir de ce moment, j’ai le sentiment d’être dans la main du destin, d’avoir fait tout le possible et de ne pouvoir savoir ce qui en sortira. Mes chefs de section sont gens de tête et de cœur : ils feront pour le mieux. On place les gens. On leur donne un objectif. On les pousse. On les encourage. Et puis, à la grâce de Dieu ! 2 heures : le colonel fait demander des nouvelles. Par bonheur, je puis lui en fournir de précises, car en repoussant les Boches à coups de pétard, nous venons d’atteindre un croisement de boyaux qui nous donne plus qu’à demi-partie gagnée. De mes mains grasses de boue, je tire un crayon et mon carnet ; et, tant bien que mal je rédige deux lignes.

Tout le monde est content, en pleine action, en plein succès. Au croisement que nous venons de regagner en repoussant l’ennemi pas à pas, les sacs à terre de la barricade démolie sont transportés et l’on improvise quelque chose de sommaire, mais qui fait plaisir tout de même. L’organisation défensive, si modeste qu’elle soit, a une valeur morale en même temps que matérielle. On sait qu’on a désormais un point où s’accrocher. Mais dans le ciel blanc de neige, des lueurs éclatent, striées de petites baguettes : ce sont des minenwerfer qui commencent à travailler. Tir violent, très dense, mais qui par fortune est réglé 20 mètres au moins an arrière de nous. Personne ne s’arrête. Grenadiers et travailleurs continuent : tout le monde sait qu’il faut avoir fini avant le jour, et, du petit poste qu’on vient d’achever pour consolider le terrain gagné, une escouade s’élance en avant.

Malheureusement, le Boche se doute de quelque chose et voici qu’un tir de 15 s’ajoute à celui des mines. Mais comme il a peur de taper sur les siens, il tire trop long et le tumulte de ses éclatements retentit 50 mètres derrière nous. S’il continue comme cela, on s’arrangera.

On s’arrange en effet. Maintenant, nous sommes à 15 mètres de notre objectif final. Nous avons repris 2 mitrailleuses perdues l’après-midi et que l’ennemi n’avait pas eu le temps d’emporter. Toute la compagnie est dans la partie reconquise et des renforts d’infanterie commencent à prendre la place que nous avons laissée vide. Les pauvres gars, en montant, ont reçu les marmites qui nous étaient destinées et ils ont perdu du monde.

Le succès est maintenant certain. Si la nuit n’était pas finie, il serait complet. Malheureusement le temps passe. Le jour s’annonce. On y voit à 20 mètres. Or le petit poste, qui a atteint l’objectif final, est séparé du reste de la compagnie par un espace découvert où, faute de temps, la tranchée n’a pas pu être refaite. Les Boches, qui le voient isolé, lui tirent dans le dos. S’il reste là, quand il fera tout à fait clair, il sera fusillé comme lapin au gîte. Quel que soit le regret de tous, il n’y a pas à hésiter et je lui donne l’ordre de rentrer. Il refait, en courant, le trajet de retour, sous un feu nourri, qui blesse deux hommes, et nous achevons de nous organiser face à l’ennemi, ayant reconquis dans notre nuit 400 mètres de tranchées. Il fait grand jour et le Boche s’aperçoit que, comme disait l’autre, il n’y a vu que du feu. Un bombardement sévère affirme aussitôt sa mauvaise humeur. Il a cru que pendant huit heures que nous menions contre lui des combats de patrouilles. L’aube lui révèle une tranchée reprise et refaite : cela mérite bien un marmitage, médiocre au surplus, qui ne nous vaut qu’une demi-douzaine de blessés.

Notre rôle est fini. Les braves biffins achèvent de nous relever. Nous redescendons au chemin des Moulins où nous allons rester en réserve dans des abris relativement sûrs. Une allégresse générale couronne cette nuit d’aventure et je songe, une fois de plus, a ce mot d’un de mes chefs : « Quoi que nous fassions, jamais nous n’arriverons à être dignes de nos soldats ».

 

 

 

Sources :

Ce texte est extrait des notes d’un capitaine de chasseurs, pendant la bataille de Verdun, et des archives du périodique L’Illustration, publié de 1843 à 1944, et qui fut en son temps le magazine hebdomadaire le plus lu de France.

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Publié le 17 Juin 2017

Jacques Vignaud donne une conférence sur la Résistance au collège Henri Matisse – Juin 2008.

Jacques Vignaud donne une conférence sur la Résistance au collège Henri Matisse – Juin 2008.

Nous avons eu la douleur de perdre notre ami et adhérent, Jacques Vignaud, le 3 juin 2017, à l’âge de 91 ans. Avant son inhumation dans le caveau de famille au cimetière de Notre-Dame de Fontenay-le-Comte, un hommage lui a été rendu le jeudi 8 juin 2017, en l’église Saint-Benoît à Issy-les-Moulineaux, en présence de sa famille, ses amis, de Madame le sénateur Isabelle Debré et du Souvenir Français.

 

« Mon cher Jacques,

 

Nous y voilà. Ce dernier voyage dont tu me parlais souvent. Ce dernier voyage qui en vaut bien un autre aurait dit ton ami Gilbert Prouteau, le Chouan, qui s’y connaissait comme toi en impertinence, en philosophie de la vie mais aussi en contrepèteries et autres calembours.

 

D’autres voyages. Bien sûr. Celui que nous avons fait ensemble, au Souvenir Français d’Issy-les-Moulineaux et Vanves pendant près de 10 ans. Quand toi le Gaulliste, tu m’écrivais ton histoire, celle de la Résistance, celle de ton parcours chez Time Life Magazine – où les Américains t’avait demandé de prendre les Parisiens en photos – ou plus tard dans le monde de la chimie, de l’apprentissage des langues ou encore des œuvres des Auberges de Jeunesse. Celui de ton engagement auprès des jeunes et en particulier du collège Henri Matisse.

 

Le voyage. Celui qui t’a amené à me parler de ton engagement dans la Résistance au 93e RI. Engagement dont tu parlais peu comme souvent ceux qui ont connu les combats. Tu n’as d’ailleurs jamais demandé les médailles auxquelles tu avais pourtant droit. Pensez donc : un adolescent qui fait écrire à sa mère « je ne rentrerai pas ce soir, car je rentre dans la Résistance ». Cet engagement qui fait te battre contre l’ennemi allemand dès tes premiers jours, vêtu d’un uniforme anglais, un peu trop grand, et sachant à peine te servir de la mitraillette que tes supérieurs t’ont confié. De missions de reconnaissance en combats et embuscades tu multiplies les coups dans la région de la Charente-Maritime.

 

En janvier 1945, avec quelques compagnons d’infortune, tu te retrouves bloqué par les Allemands à Marans, dans la Sèvre niortaise. Sonne l’heure de la retraite à travers les marais. Dans une maison, vous allez trouver refuge. Vous vous installez au premier étage pour mieux surveiller les alentours. Sans imaginer une seule seconde que les Allemands vont eux, dans la nuit, loger au rez-de-chaussée. Ils sont dix fois plus nombreux et mieux armés. Vous voilà prisonniers. « Faits comme des rats, des rabougris », aurait encore dit Gilbert Prouteau. Puis c’est l’évasion, digne d’un film d’aventure, avec des copains qui tombent, fauchés par la mitraille ennemie, une patrouille de la Wehrmacht qui ne regarde pas ou qui refuse de regarder trois jeunes gars qui se cachent dans les rues de la Rochelle. « De jeunes pouilleux, mais qui ont aussi libéré la France » aurait ajouté Maurice Druon.

 

Alors le voilà ton dernier voyage. Tu vas rejoindre ta chère Vendée. Tu vas retrouver, quelque part du côté de Mouilleron-en-Pareds Georges Clemenceau et le général de Lattre de Tassigny, tes idoles.

 

Une dernière fois je souhaiterais que l’on puisse t’entendre. Tu disais : « C’en est terminé de notre guerre. Bientôt les Allemands se rendent en masse. Notre joie est indescriptible. Pourtant. Ombres funestes. Je pense à tous nos camarades qui n’ont pas eu notre chance, qui se sont battus et ont été tués, qui se sont fait prendre, alors que la liberté s’offrait à eux. Ainsi, je pense particulièrement Paul Couzinet, Joseph Martin et Paul Rolland, qui ont été arrêtés alors qu’ils étaient au rez-de-chaussée de la caserne et que les premières évasions venaient d’être découvertes. Ils ont été lâchement abattus par la soldatesque ennemie et c’est un crime impardonnable. Nos combats sont demeurés au second plan, inconnus. Mais cela n’est ni tout à juste ni tout à fait bon. Le Devoir de Mémoire est indispensable si l’on veut que nos jeunes disposent encore aujourd’hui du patrimoine national que nous avons contribué à reconquérir. »

 

 

CDT (RC) Frédéric RIGNAULT

Président

Délégué général adjoint pour les Hauts-de-Seine.

 

 

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Publié le 27 Mai 2017

Charles de Foucauld et le général Laperrine.

Charles de Foucauld et le général Laperrine.

Biographie.

François Henry Laperrine d’Hautpoul, descendant du fameux général d’Hautpoul mort à Eylau, nait le 29 septembre 1860 à Castelnaudary dans l’Aude. Fils d’Alphonse Laperrine d’Hautpoul, receveur des finances dans cette commune, il entre à Saint-Cyr en octobre 1878. Capitaine au 2e régiment de dragons en novembre 1891, attiré par l’aventure, il est volontaire pour servir en Afrique.

En 1897, il recrute et organise les Compagnies méharistes sahariennes, qui ne deviendront officielles que le 30 mars 1902, par décret, tout en restant des troupes semi-régulières. En 1901, il est nommé commandant supérieur des oasis.

Il fait découvrir le Sahara à Charles de Foucauld, un de ses lointains cousins, lors d’une « tournée d’apprivoisement » des populations du grand Sud. Les deux saint-cyriens se connaissent depuis longtemps. L’un veut gagner les Sahariens à la France, l’autre à la cause du Christ. Peut être Laperrine s’imagine-t-il que grâce à l’aide du missionnaire et à celle de Moussa Ag Amastan, il pourra mettre en place « une confédération targuie du Sahara, sorte de royaume franc du Centre Afrique, à dominante chrétienne, socle de la civilisation africaine ». C’est oublier que Moussa Ag Amastan, bien qu’il ait fait par réalisme le choix de pactiser avec les Français, est un musulman pieux et sincère, ce qui lui valait d’ailleurs l’estime de Charles de Foucauld.

En 1904, alors que Laperrine est commandant supérieur des oasis sahariennes, son subordonné, le capitaine Métois, chef de l’annexe du Tidikelt, fait signer au chef des Touareg Ked-Ahaggarn l’amenokal Moussa Ag Amastan, une sorte de traité qui fixe à celui-ci « les conditions dans lesquelles le Gouvernement français accepte sa collaboration ». Mais Laperrine, le supérieur hiérarchique de Métois, interprète ce traité comme une soumission de Moussa AG Amastan et le lui fera comprendre l’année suivante. Son action au Sahara lui vaudra le surnom de « pacificateur du Sahara ».

Général de Brigade en 1912, François Henry Laperrine d’Hautpoul participe à la Première Guerre mondiale, avec entre autres les batailles d’Ypres et de Verdun. En 1917, il est rappelé au Sahara par le général Lyautey, qui exige d’avoir sous son commandement des officiers qui parlent parfaitement arabe et montent à dos de chameau. L’année suivante, Laperrine est nommé général de division.

En février 1920, Laperrine remplace le général Nivelle, rappelé à Paris, pour participer à un raid aérien. Mais le 18 février, l’avion dans lequel il a pris place sur les genoux d’un mécanicien se perd après l’escale de Tamanrasset. L’engin doit se poser en catastrophe en plein désert et capote. Après plusieurs jours sans nourriture, le général meurt d’épuisement le 5 mars 1920. Son corps est ramené à Tamanrasset ; il est inhumé le 26 avril 1920 à Carcassonne. Son corps repose au cimetière Saint-Michel.

 

Distinctions et hommages.

Le général de division François-Henry Laperrine d’Hautpoul était :

  • Grand officie de la Légion d’honneur.
  • Croix de Guerre 1914-1918.
  • Médaille coloniale avec les agrafes Algérie, Soudan, Sénégal, Sahara, AOF.
  • Croix de Guerre belge 1914-1918 avec palme.

Durant la période de la colonisation française, son nom est donné au fort situé dans le sud du Sahara, fort qui deviendra petit à petit la ville de Tamanrasset. Des rues portent le nom du général Laperrine à Paris, à Nice ; la 143e promotion de Saint-Cyr porte également son nom de même que la caserne du 3e RPIMa, située à Carcassonne.

 

La mort du général.

Charles Nardin, commandant le Parc du 3e Groupe d’aviation à Sétif a recueilli le rapport et le témoignage d’un mécanicien, le soldat Marcel Vaslin, qui se trouvait avec le général Laperrine au moment de l’accident fatal. Voici, grâce au site internet, www.cerclealgerianiste.fr dont le but est de sauvegarder, défendre, transmettre l’histoire et la mémoire des Français d’Algérie, a publié ce rapport. En voici de larges extraits :

« Etant mécanicien dans une escadrille de Constantine, j'ai été désigné, dans le courant de janvier 1920, pour rejoindre, avec quelques camarades, le poste de Tamanrasset, dans le but de recevoir les avions du Raid Transsaharien. Nous avons rejoint Tamanrasset le 31 janvier, après une dure randonnée en camionnette à travers le Sahara. Le 15 février 1920, nous voyons atterrir le capitaine D'Alleman, pilote du commandant Rolland, le lieutenant Sabatier, avec son passager l'adjudant mécanicien Faury, l'adjudant Bernard, pilote du général Laperrine; le 16 atterrissait le commandant Vuillemin, ayant à bord le lieutenant observateur Chalus. Après quelques vérifications et menues réparations, il est décidé que le capitaine D'Alleman et le lieutenant Sabatier repartiront le 17 à destination d'Alger. Le commandant Vuillemin et l'adjudant Bernard prendront leur vol pour Tombouctou et Dakar le 18. Le 17 au soir, le commandant Vuillemin fait demander un volontaire parmi les mécaniciens du poste, pour prendre place à bord de l'avion du général Laperrine; le 18 à l'aube, je me présente et je suis agréé.

Les moteurs des deux avions ronflent déjà; nous n'avons pas eu le temps d'aménager une troisième place dans l'appareil qui doit me prendre; le général s'installe sur mes genoux et, à 7h30, nous décollons devant une foule de Touaregs, parmi lesquels nous remarquons leur grand chef Moussa Agama Stal, figurent aussi le lieutenant Pruvot, résident du Hoggar et quelques militaires européens en station à Tamanrasset. Avant le départ, il avait été convenu que les deux avions marcheraient de conserve parce que si l'un d'eux était contraint d'atterrir, l'autre viendrait se poser à son tour pour lui porter secours. Pendant quelques minutes, nous survolons Tamanrasset et la région du Hoggar et, après avoir pris une hauteur de marche, nous prenons la direction sud-ouest en suivant autant que possible, la piste chamelière de Tamanrasset Tin-Raro. Au bout de 15 km, la piste n'est plus visible. Nous suivons alors un oued qui semble nous donner la bonne direction; le commandant Vuillemin marche mais à plus faible altitude; l'adjudant Bernard le suit comme il était convenu. Comme le général n'a pu se repérer depuis le départ et qu'à 11h30 nous ne sommes pas en vue de Tin-Aquaten, Bernard se décide à lancer les signaux de détresse par T.S.F.A. À ce moment, le commandant Vuillemin est à environ 1000 mètres de nous, en avant et à gauche. Nous n'avons d'essence que pour une vingtaine de minutes de vol; aussi Bernard se dispose à atterrir.

Il se présente un terrain excessivement plat mais très mou et bordé au nord par des dunes de sable. Ayant le vent debout au-dessus de 2000 mètres, Bernard amène son appareil sur le terrain face au sud; nous ne sommes plus qu'à une quinzaine de mètres du sol, lorsqu'un fort remous incline l'appareil sur l'aile gauche, pour comble de malheur, au ras du sol, le vent nord-sud souffle, ce qui contribue à nous faire capoter violemment. Le général qui n'était pas attaché, se trouve pris entre le pare-brise et moi; il est, de ce fait, blessé assez sérieusement; il a la clavicule gauche cassée, une côte enfoncée et il se ressent de contusions internes; Bernard s'était attaché avant le départ et il se retire de sous l'appareil; quant à moi, j'ai la tête dans le sable, je me relève un peu contusionné. Revenu de notre première émotion, nous sommes désagréablement surpris de constater que l'avion du commandant Vuillemin a disparu. Notre première préoccupation est de ramener les bidons contenant l'eau de réserve; ils sont pêle-mêle avec les boîtes de « singe », les outils, les bougies de rechange, etc..., le tout enfoui plus ou moins dans le sable.

Il est environ midi, la température atteint 45°, nous nous mettons à l'ombre sous les plans de l'appareil retourné et le général Laperrine nous dit: « Mes enfants, nous allons essayer de manger, puis nous nous reposerons jusqu'à demain matin et ensuite nous aviserons ». Pensant, Bernard et moi, que le général connaît bien la région, nous ne sommes pas très inquiets; nous absorbons donc quelques tranches de gigot de gazelle et un peu de pain provenant d'un casse-croûte offert au général à Tamanrasset, un peu d'eau et nous nous étendons. Notre chef mange très peu; nous sommes courbaturés et nous nous efforçons de dormir mais le sommeil ne vient pas. Vers 16 heures, la température est plus supportable, nous quittons nos vêtements pour nous étendre sur le sable qui commence à être frais; dans le courant de la nuit, nous dormons d'un sommeil très léger, coupé par de longs intervalles de méditation.

Le 19 au matin, avant qu'il fasse jour, le général décide que nous partions dans la direction nord-ouest, dans l'espoir de trouver les montagnes de l'Adrar. Nous rassemblons donc ce qui nous est indispensable pour la route. Il y a dix boîtes de viande de 300 gr, vingt biscuits de guerre, une boîte de phoscao de 250 gr, une boîte de lait condensé de 250 gr, 100 gr environ de sucre en poudre, 1/2 litre d'arquebuse appartenant à Bernard, six bidons d'eau de deux litres et deux bidons de quatre litres; un mousqueton de cavalerie, une couverture, une toile de tente et nos objets personnels.

À la pointe du jour, nous nous mettons en route, le général est muni de ses jumelles et de son porte-cartes; il marche difficilement. Bernard et moi, portons les vivres, l'eau, etc..., nous sommes sérieusement chargés. Après cinq heures de marche, nous nous arrêtons pour prendre un repos bien gagné. À l'aide de la carabine, nous montons la tente tant bien que mal en nous servant des bidons d'eau pour fixer les coins de la toile et là, très mal abrités du soleil, nous attendons le soir. L'eau est rationnée, il a été convenu entre nous que nous ne boirons pas plus d'un litre d'eau chacun par 24 heures. Il fait très chaud, nous souffrons beaucoup de la soif mais nous respectons la consigne. Le soir, une boîte de viande de 300 gr fait tous les frais de notre repas; l'appétit ne va pas fort! Le général nous encourage en nous disant que la piste n'est pas à plus de 50 km de nous, nous avons confiance en lui; il nous dit de faire du feu pour tâcher d'attirer l'attention sur nous; nous cherchons du combustible et nous trouvons quelques herbes sèches qui nous permettront de faire une petite lueur pendant 10 minutes. Dans la nuit, nous tirons trois coups de carabine mais en vain, personne ne nous entend.

Le 20, de très bonne heure, nous nous remettons en route dans la même direction que la veille, nous espérons que la journée ne se passera pas sans que nous ayons aperçu les montagnes de l'Adrar. Le terrain très mou rend notre marche pénible à chaque pas, le pied s'enfonce de 10 cm. De temps en temps, le général braque ses jumelles devant lui, mais il ne découvre rien, toujours l'immensité.

Le 21 février, à l'heure habituelle, nous repassons sur nos traces et nous marchons dans la direction de l'avion que nous avons abandonné deux jours plus tôt; le général est dans un état de faiblesse extrême; nous faisons des petites étapes d'une heure; à 10 heures, nous apercevons, à notre très grande joie, des traces de pattes de chameaux; déjà nous croyons être sur une piste mais, malheureusement, au bout d'une dizaine de mètres, elles n'existent plus. À l'aide de mon mousqueton, je trace une flèche sur le sol indiquant le sens de notre marche et j'inscris la date: « 21 février 1920 ». Nous profitons de cet incident pour faire une petite halte et le général se décide à rédiger un petit billet sur lequel il est dit ceci: « Nous marchons vers notre avion qui se trouve à une dizaine de kilomètres d'ici » et il signe son nom en écriture touareg et arabe. Le billet est pris entre deux pierres pour éviter qu'il ne s'envole. Nous repartons; au fur et à mesure que le poids de nos vivres diminue, celui de nos fatigues augmente. A 11 heures, grande halte habituelle; nous avons la gorge tellement sèche que nous ne pouvons manger, aussi nous ne mangeons que le soir. Nous repartons alors au bord d'un oued, ne pouvant continuer car nous ne voyons plus nos traces. Après avoir mangé notre boîte de « singe » quotidienne, nous disposons des bidons en file indienne afin de marquer notre sens de direction pour le lendemain matin, car nous partirons avant qu'il fasse jour; nous devons retrouver notre appareil dans la matinée. Ce soir, l'état du général devient très inquiétant, c'est avec beaucoup de peine qu'il arrive jusqu'ici, il se plaint sans cesse de son dos; comme il ne peut manger, nous lui réservons le phoscao et le lait condensé; Bernard lui fait des massages avec de l'arquebuse. Nous ne sommes pas longs à nous endormir car nous sommes extrêmement fatigués.

Le 22 vers 4 heures, nous avons beaucoup de mal à nous mettre debout. Le général ne peut se lever seul, nous l'aidons donc et nous repartons péniblement; nous nous arrêtons toutes les demi-heures à cause de notre chef qui est à bout de forces. À 8 heures, nous apercevons l'appareil et cela nous fait plaisir, bien que nous sachions que le salut ne nous y attend pas. Il nous semble que l'appareil n'est pas loin de nous, mais nous marchons encore longtemps. Nous arrivons enfin à 400 m de notre but; notre chef ne peut plus avancer. « Mes enfants, dit-il, allez à l'appareil déposer vos affaires et vous reviendrez me chercher ensuite ». Cependant Bernard le soutient et nous continuons très lentement. À 9h30, nous arrivons près de notre « coucou », il n'a pas bougé !... Les plans supérieurs, qui touchent près du sol, sont déjà recouverts de sable. Nous allons tout de suite nous rendre compte si le radiateur a fui, et nous sommes heureux de voir qu'il est presque plein. Nous avons rapporté un litre d'eau de notre expédition. Avant la grande chaleur, nous nous empressons de tendre une couverture que nous fixons à l'aide du fil d'antenne de TSF, d'une part à l'aile inférieure droite, puis au fuselage, et enfin au stabilisateur; nous serons ainsi protégés du soleil. Nous couchons tout de suite le général sous la couverture et près du fuselage; nous prenons place près de lui et nous lui tenons compagnie. Nous nous reposons, notre chef se plaint et pousse de longs soupirs au moindre mouvement, il ressent une vive douleur. Dès que le soleil est couché, nous commençons à vider le radiateur en emplissant nos bidons et nous recueillons 18 litres (il doit encore en rester 4 litres environ). Nous creusons un trou dans le sable et nous enterrons nos bidons pour les protéger de la chaleur. La ration d'eau est toujours fixée à 1 litre par personne et par jour; le soir nous mangeons encore une boite de viande et nous faisons du phoscao pour notre chef. Après le repas, nous nous étendons encore et nous dormons vite.

Le 23, au réveil, rien de nouveau.

Le 24, vers 10 heures du matin, nous apercevons une gazelle à une centaine de mètres de nous; je tire dessus neuf cartouches, mais sans succès. Les mirages nous causent de fausses joies.

Le 25, vers midi, nous apercevons encore une gazelle, Bernard essaie en vain de la tuer. Dans la nuit du 25 au 26, le général appelle Bernard à plusieurs reprises pour lui demander s'il dort.

Le 27, de 10 heures à 18 heures, nous subissons une forte tempête de sable qui nous oblige à nous cacher sous des couvertures; l'état du général devient de plus en plus inquiétant.

Le 28, rien à l'horizon. Bernard commence à faire son testament, nous sommes découragés; la chaleur est très forte, pendant six heures nous en souffrons beaucoup. Dans la journée, nous essayons de manger la pâte dentifrice, cela semble nous rafraîchir quelques instants, pour nous altérer par la suite; malgré tout, nous y revenons de temps à autre.

Dimanche 29 février, je fais mon testament pour ma mère, je suis découragé au plus haut point. Je termine ma lettre ainsi: « Marcel Vaslin, que la destinée emporte vers Dieu ».

Le 1er mars, voici douze jours que nous n'avons vu personne, ni amis, ni ennemis; des marques de grand désespoir sont visibles sur nos traits, j'échange mes impressions avec Bernard, nous employons notre temps à démonter les instruments de bord pièce par pièce.

Le 2 mars, rien. La journée se passe semblable aux autres, le soir nous faisons un petit feu, nous brûlons un pneu et une housse de moteur. Soir et matin, nous tirons trois cartouches, mais cela ne sert à rien, jamais personne ne nous entend.

Le 3, forte tempête de sable, cela nous donne des idées plus noires que d'habitude, le général respire avec beaucoup de difficultés et son état de santé commence à nous inquiéter beaucoup. Bernard consulte les cartes et croit, d'après elles, que nous sommes à 120 km de Tin-Zaouaten. Nous formons le projet de marcher dans la direction de ce poste, espérant qu'en cours de route nous rencontrerons du secours; notre chef nous autorise à tenter cette autre expédition en nous disant: « Mes enfants, si vous allez là-bas, vous ne reviendrez certainement pas ». Après avoir fait un repas plus copieux que d'habitude, c'est-à-dire augmenté de deux biscuits, nous quittons le général Laperrine vers 9 heures, en emportant avec nous de l'eau pour quatre jours et des vivres, tout en laissant la ration du général près de lui. Nous marchons directement sur les dunes qui bordent le terrain où nous avions atterri; à la troisième rangée de dunes, nous montons au sommet après des efforts extraordinaires en comparaison de notre faible constitution du moment. Bernard s'écroule comme une masse et me dit: « Je ne peux ni avancer, ni reculer. Je reste là ». Mes forces sont également bien diminuées, malgré tout je m'efforce de faire comprendre à mon camarade de misère, qu'il est impossible de rester dans les dunes et qu'il vaut mieux mourir près de l'avion car, là-bas, on nous retrouverait un jour ou l'autre, mort ou vivant. Nous rentrons à l'appareil péniblement et là, nous apercevons notre chef qui, depuis notre départ, n'a pas eu la force de boire.

Le 4, il se plaint de plus en plus et nous nous attendons à le voir mourir incessamment; il absorbe difficilement son chocolat. Cette journée est lugubre, nous voyons des oiseaux de proie qui nous survolent en croassant. Ont-ils senti qu'il y aurait bientôt un mort parmi nous?

Le 5, nous retrouvons le général à quelques mètres de sa place habituelle, il a la bouche pleine de sang; nous avons le pressentiment qu'il va bientôt partir, nous nous efforçons de lui faire prendre son chocolat, mais il ne peut plus avaler quoi que ce soit. Sentant sa mort prochaine, il nous dit quelques paroles: « Mes enfants, on croit que je connais le désert, mais personne ne le connaît; c'est moi qui ai fait votre malheur; j'ai traversé dix fois le Sahara et j'y resterai la onzième fois ». Nous supposions qu'il allait encore tenir un jour ou deux. Vers midi, il demande de l'eau, je le relève et Bernard le fait boire, je le recouche vers 15 heures, je suis très occupé à causer avec Bernard lorsque ce dernier me dit: « C'est drôle que le général ne nous réclame pas à boire ». Nous l'appelons à plusieurs reprises mais il ne nous répond pas; Bernard, qui est le plus près de lui, touche sa jambe: il est mort sans avoir poussé la moindre plainte. Ceci est bien triste pour nous, nous nous rendons compte que notre jour est proche aussi, nous sommes également dans un état de faiblesse extrême et, dès que nous voulons nous mettre debout, nous sommes pris d'étourdissements et nous sommes obligés de nous recoucher. Cependant, à la nuit tombante, nous rassemblons tout ce qui nous reste de force pour transporter notre chef sur le plan opposé. Là, nous le couvrons avec de la toile d'avion prise sur une des ailes.

Le 6, triste réveil en voyant que notre chef est manquant; nous pensons à l'inhumer, mais nous avons quand même l'espoir d'être retrouvés aujourd'hui. Le soir arrive, nous ne voyons aucune âme qui vive. Ce jour-là, nous souffrons encore beaucoup de la chaleur, laquelle augmente tous les jours. Nous avons encore six jours d'eau et quatre jours de vivres. Bernard et moi, nous décidons de nous rationner de plus en plus, nous boirons deux quarts et demi d'eau par jour chacun. Dans le courant de la journée, Bernard a une soif terrible mais il ne veut pas toucher à sa ration d'eau, alors il casse les boussoles et absorbe le liquide qu'elles contiennent. Le soir, notre repas se compose d'un biscuit pour chacun. En raison de notre état de faiblesse, nous grelottons la nuit et, quand le jour arrive, nous sommes gelés. Le matin, nous avons encore un peu d'espoir, mais nous le perdons dès que la chaleur devient forte. Au soleil couchant, nous nous acheminons vers un sillon qu'a fait une roue de l'avion au moment de l'atterrissage et là, avec nos mains, nous agrandissons le trou où doit reposer notre « grand chef ». Ce travail est terminé au bout d'une heure, nous allons chercher le général pour le transporter à sa dernière demeure et, une fois enseveli, craignant que la tombe ne soit rendue invisible après une tempête de sable, nous posons sur elle une roue de rechange à laquelle nous fixons le képi. Après avoir rendu les derniers hommages à notre chef, nous nous retirons tristement. La tombe est à une dizaine de mètres devant l'appareil.

Le 8, nous rassemblons nos affaires personnelles, nous en formons chacun un petit colis et nous joignons l'adresse de nos familles, sans oublier quelque monnaie pour l'affranchissement. Les deux colis sont logés dans la valise du général et la valise est ensuite rangée dans le fuselage.

Le 9, réveil sans espoir. L'adjudant Bernard écrit quelques mots au recto d'une enveloppe: « Le général est enterré à une dizaine de mètres devant l'appareil; un képi, une roue, un pneu sur sa tombe. Prière d'ouvrir cette valise. Dans un compartiment il y a des lettres et des colis à expédier à nos familles tout est prêt, il y a de l'argent pour l'affranchissement. Merci à qui le fera. Le 9 mars 10 heures, pensons tenir jusqu'au 12 mars. Bernard ».

Le 10, nous ne bougeons plus, nous restons étendus toute la journée, fouillant l'horizon de nos yeux, mais rien! Toujours rien! Nous n'avons plus rien à manger. Bernard absorbe de la glycérine que le général avait dans sa valise, moi je mange de la pâte dentifrice, ce qui altère énormément; nous consommons quelques pastilles « Jubel », nous sommes insensibles.

Le 11, la situation ne s'améliore pas, au contraire, nous espérons maintenant la mort prochaine; voici deux jours que nous n'avons pas mangé; nous avons encore réduit la consommation d'eau à trois quarts pour deux par 24 heures.

Le 12, Bernard veut en finir et il me le propose. Je m'efforce de lui remonter le moral, mais il me fait comprendre que si nous n'allons pas au-devant de la mort, notre fin sera terrible ce à quoi j'acquiesce. Le soir, à 21 heures, il écrit ces quelques mots à la lueur d'une lampe électrique de poche qui avait appartenu au général: « Ce soir, 12 mars, à 21 heures, n'ayant plus de vivres, ni d'eau, nous nous donnons volontairement la mort. Ne comprenons pas qu'en 23 jours, on ne nous a pas retrouvés si on a fait des recherches ? Nous disons adieu à cette terre. Bernard ». J'ai quand même réussi à l'empêcher de suivre son idée et, le 13 au matin, nous sommes encore de ce monde. La journée se passe plus pénible encore que la précédente nous ne pouvons bouger. Le soir, l'idée du suicide revient à Bernard, plus belliqueuse que la veille; nous buvons le dernier quart d'eau. Alors c'est décidé: Bernard sort de sa valise, deux lames de rasoir « Gillette »; nous en prenons chacun une, mais avant, nous avons disposé près de nous, deux récipients dans lesquels nous ferons couler notre sang, à seule fin de pouvoir le boire et calmer notre soif une dernière fois avant de mourir. Bernard, plus courageux commence le premier. Il se fait, avec la lame de rasoir, une plaie assez profonde, près de l'artère du poignet gauche. J'avais déjà commencé à me blesser aussi, mais en voyant que le sang de Bernard ne sort pas je ne continue pas. Mon pauvre camarade est très en colère et il rejette sa lame au loin et je l'imite. Il me dit alors: « Nous en finirons demain matin avec les trois dernières cartouches qu'il nous reste ».

Le 14 de très bonne heure, un fort vent de sable commence à se lever. J'entends Bernard me dire: « Es-tu prêt? Nous en finissons ce matin ». Je lui réponds « Attendons jusqu'à midi, j'ai encore de l'espoir ». Sur ce, je rejette la couverture sur nous; nous ne dormons pas mais nous méditons. Une heure s'est à peine écoulée lorsque je perçois, dans le lointain, le beuglement d'un chameau. À ce moment-là, je ne sais quelle force extraordinaire s'empare de moi. Aussitôt je rejette au loin ma couverture, je saisis brusquement le mousqueton et je tire en l'air les trois dernières cartouches. Nous avons été entendus et nous sommes sauvés. J'aperçois deux méharis qui arrivent au galop et je me précipite vers eux; je cours à peu près pendant vingt mètres et je m'effondre devant mon sauveur qui, déjà me tend une gamelle d'eau. Quelques instants après, nous voyons arriver le lieutenant Pruvost au grand galop, accompagné du maréchal des logis et du brigadier Delplanque qui, tout de suite dressent une tente et nous prodiguent les premiers soins. Notre émotion est si forte que nous pouvons à peine causer avec nos sauveurs. Dans la journée, nous absorbons trente-quatre fois du thé bien sucré et deux grands plats de potage. La joie nous empêche de dormir et, pendant toute la nuit, je cause avec Bernard, je cause sans cesse. Nous échangeons nos projets. Le lendemain 15 février, le lieutenant Pruvost nous explique que nous n'avons été retrouvés que par un grand fait du hasard, car il ne venait pas du tout à notre recherche: il descendait à Agadez se ravitailler et il nous croyait retrouvés depuis plus de dix jours; ce bruit avait circulé à Tamanrasset. Le 16 au matin, nous partons dans la direction d'Agadez, nous marchons six jours pour atteindre le premier puits, faisant des étapes de 6 à 9 heures par jour, les débuts à dos de chameau sont pénibles pour nous qui n'avons que peu ou pas de force. Encore six jours de marche et nous atteignons le second puits. Nous trouvons là, beaucoup de troupeaux de chameaux, de bœufs et de moutons, qui appartiennent aux Touaregs du Hoggar.

Nous restons douze jours à Tasaya pour nous refaire. Le lieutenant Pruvost nous laisse des vivres avant de partir pour Agadez, où il se rend pour le ravitaillement de son détachement. Il emporte un quart de riz pour cinq jours de route, en compagnie de maréchal des logis et du brigadier déjà nommé. Nous le voyons revenir douze jours après et nous repartons ensemble pour Tamanrasset où nous arrivons quinze jours après, à dos de chameaux, ramenant la dépouille du général Laperrine. Dans la matinée de notre arrivée, a lieu l'inhumation au cimetière, près du père de Foucauld, qui a trouvé aussi la mort dans le Sahara. Nous sommes restés huit jours à Tamanrasset. Après avoir salué une dernière fois notre grand chef, nous partons vers le nord en camionnette automobile. »

 

Sources :

  • Rapport du mécanicien soldat Marcel Vaslin, repris par Charles Nardin, commandant le Parc du 3e Groupe d’aviation à Sétif.
  • René Pottier, Laperrine, conquérant pacifique du Sahara, Bibliothèque de l’Institut maritime et colonial, 1913.
  • Paul Pandolfi, Une correspondance saharienne. Lettres inédites du général Laperrine.
  • Encyclopédies Wikipédia, Larousse et Britannica.
  • Pierre Montagnon, Histoire de l’Algérie : des origines à nos jours, Pygmalion, 1998.
  • Georges Fleury, Comment l’Algérie devint française, Perrin, 2004.

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Publié le 7 Mai 2017

Ratissage près de Bou Saada par le 117e RI en 1956.

Ratissage près de Bou Saada par le 117e RI en 1956.

Histoire du 117e RI.

Il est toujours important de rappeler ce que fut l’histoire d’un régiment. C’est d’ailleurs l’une des premières choses que l’on apprend quand on intègre une unité : histoire et traditions !

 

Vieux régiment, son histoire remonte au 17e siècle quand il est de ces compagnies appelées « Vieux corps ». En 1656, cette unité forme un régiment du roi et l’un de ses bataillons passe au régiment de Bourgogne créé en 1668. Participant aux guerres de la Révolution française et au Premier empire, le 117e est dissous en 1814.

 

Récréé en 1872, le régiment a son casernement au Mans dans la Sarthe. Affecté au 4e corps d’armée, à la 8e division d’infanterie et à la 16e brigade, le 117 participe à la bataille de la Marne en 1914, est en Champagne l’année suivante, à Verdun puis à nouveau en Champagne en 1916. En 1918, il s’illustre à l’occasion de la seconde bataille de la Marne. Le 12 novembre 1918 à Charleville, le général Guillaumat, commandant la Ve armée, remet la Croix de guerre 1914-1918 au drapeau du 117e RI. Par décision du 30 novembre 1918 du maréchal Pétain, commandant en chef des armées de l’Est, le régiment est cité à l’ordre de l’armée. Le droit au port de la fourragère aux couleurs du ruban de la Croix de guerre 1914-1918 lui est en outre accordé.

 

Au 1er septembre 1939 intervient la mobilisation générale. Après l’envahissement de la Pologne par l’Allemagne nazie, la France se déclare en état de guerre. Le 4 septembre, le 117e RI se trouve dans les Ardennes. Il est l’un des régiments qui pénètrent dans la Sarre. Mais cette occupation en Allemagne est de courte durée. En effet, en réaction à cette offensive, des divisions allemandes sont rapidement mobilisées et les Français décident de se replier derrière la Ligne Maginot. A la veille de la ruée massive des divisions de Panzer, fin mai 1940, le régiment occupe des positions au sud-ouest de Péronne.

 

Dans la nuit du 4 et 5 juin 1940, l’artillerie allemande pilonne les positions françaises. L’attaque des blindés allemands débute à l’aube du 5 juin. Le 117e, qui ne bénéficie de la protection d’aucun obstacle antichar naturel, supporte presque tout le poids de l’attaque blindée. Dès 3h30, après un redoublement des tirs de l’artillerie, le régiment voit arriver sur lui les vagues d’assaut de trois divisions blindées. Les chars bombardent, mitraillent puis dépassent les fantassins français qui voient apparaître les motocyclistes, puis les éléments portés débarquant au plus près. Entre deux vagues de chars, les stukas lancent leurs bombes en piqué. Les points d’appui et les centres de résistance sont neutralisés un à un après la destruction des lisières des villages par des obus incendiaires. Obligés d’abandonner leurs positions, les hommes du 117e se replient, bien souvent aux prix de sacrifices de dizaines d’hommes. D’ailleurs, l’âpreté de la résistance opposée par l’unité aux Allemands lui vaut des éloges : « Vos hommes ont combattu magnifiquement » dira plus tard un général de la Wehrmacht.

 

Le 1er août 1940, ce qui reste de la 13e compagnie de pionniers et le 21e bataillon sont dissous à Saint-Yriex dans la Creuse.

 

En Algérie.

Reconstitué le 17 avril 1956, à l’occasion du rappel de la classe 1953, le 117e régiment d’infanterie fait partie de la première vague des unités en vue du rétablissement de l’ordre en Algérie. Il appartient alors au 23e corps d’armée et à la 20e division d’infanterie.

 

Georges Albert Raymond Segard nait le 23 octobre 1924 à Mazingarbe dans le département du Pas-de-Calais. Habitant Issy-les-Moulineaux au moment de son service militaire, il est incorporé au 117e régiment d’infanterie et débarque en Algérie en mai 1956. Son séjour est malheureusement extrêmement bref. Il meurt des suites de blessures accidentelles reçues le 22 juin 1956 à Alger. Il est déclaré Mort pour la France. Trois jours plus tôt, les premiers membres du Front de Libération National condamnés à mort ont été exécutés.

 

Au cessez-le-feu du 19 mars 1962, le 117e RI constitue, comme quatre-vingt onze autres régiments, les 114 unités de la Force locale, en l’occurrence la 462e UFL-UFO, composée de 10% de militaires métropolitains et de 90% de militaires musulmans. Elle œuvre pendant la période transitoire entre les Accords d’Evian et l’indépendance de l’Algérie (5 juillet 1962) au profit de l’exécutif provisoire algérien.

 

Entre 1956 et 1962, le 117e régiment d’infanterie aura perdu 113 officiers, sous-officiers et hommes du rang.

 

 

Témoignage d’un ancien d’Algérie.

Un site Internet reprend l’histoire du 117e RI en Algérie et comporte des témoignages d’appelés (ou rappelés) du contingent. Voici celui de Gilbert T., publié sans modifications:

 

« Nous avons débarqué à Alger le 4 mai 1956 pour un séjour de 4 jours à Hussein-Dey et rejoindre ensuite Bou Saada pour une quinzaine de jours. C’est à la périphérie de cette cité que nous installons un camp de toiles et organisons notre bataillon. Les débuts ont été difficiles car il manquait de tout et nous ne comprenions pas la raison de notre rappel sous les drapeaux alors que nous étions tous bien engagés dans la vie civile, le service militaire était bien loin derrière nous. J'avais un camarade pharmacien qui venait d'ouvrir son officine et se tracassait à l'idée de pouvoir rembourser ses crédits.

 

Après avoir effectué les services d’usage en cantonnement, un événement majeur a failli tourner à l’émeute. La nourriture, à l’accoutumé bien chiche et peu appétissante, manqua brusquement et sans raison. Pas un cadre pour répondre à notre revendication, l’excitation était à son comble quand enfin le chef du bataillon paru sous une clameur d’hostilités et un concert de gamelles avec ce leitmotiv unanime : « à bouffer ! à bouffer… ». Il calma la foule en promettant de voir à cette anomalie et invita l’officier d’ordinaire à faire le nécessaire illico, malgré les plaintes d’impuissance de ce dernier qui avait tout fait selon ses moyens. J’immortalisai la scène avec mon appareil photos et je pris soin d’envoyer par la poste la pellicule à faire développer. Jamais je ne reçus les épreuves ?!!! Décidément les débuts du régiment furent pittoresques et bien mal engagés pour être crédible au regard des missions à venir.

 

Le 4° Bataillon quitte Bou Saada pour Alger et se scinde en deux groupements pour occuper les djebels entre L’arba et Aumale. Nous avions coutume de dire alors « Que nous étions les derniers de la dernière compagnie du dernier bataillon du 117». Cette fois ce n’est plus le cas, car nous passions de la 16e compagnie à la 4e.

 

Installation sur le Piton et l’occupation des fermes et caves vinicoles par la 4e Compagnie : Cette fois on s’installe enfin, on le devine car rien ne filtre de la part du commandement de la 4e Compagnie. Nous sommes au nord de L’arba, direction la moyenne montagne, transbahutés sur une mauvaise piste. Au lieu dit « Tazarine » nous recevons l’ordre de débarquer et de dresser nos tentes individuelles par deux. On nous fait comprendre que c’est notre cantonnement et qu’il va falloir l’organiser. Le lieu est idyllique dans une forêt de chênes-lièges, pas d’âmes qui vivent aux alentours. Peu à peu le cantonnement prend forme, on y a érigé une tour en dur, de celle-ci on voit la grande et belle plaine de L’arba, au loin Alger et la mer scintillante au soleil. Pas le temps de se lamenter, nous sommes sollicités pour des opérations de contrôle de la population dans les douars environnants. On y recueille des renseignements utiles pour découvrir des caches qui prouvent de l’activité nocturne des rebelles. Des suspects sont arrêtés et interrogés par la gendarmerie qui nous accompagne partout. Le séjour se passe sans heurts avec l’ALN qui n’a pas encore pris possession du territoire pour nous nuire véritablement.

 

Dans le cadre des missions tactiques du quadrillage destinées à assurer la sécurité des personnes et des biens, nous sommes affectés dans la ferme-coopérative vinicole « Torrez » du nom de son propriétaire, non loin de Fondouck. Nous sommes mieux lotis, le quotidien se révèle plus agréable. On se fait même des amis avec les Européens du cru. Je passe mes dimanches de liberté à Hussein-Dey chez un nouvel ami pied-noir. Un camarade ayant une marraine de guerre à Alger nous introduit dans le cercle du docteur Bonnafous, respecté par les autochtones soignés par lui. Mon camarade et moi avons été invités au mariage de sa fille sur les hauteurs d’Alger. J’avais honte de ma tenue militaire de drap affreusement fripée et mal taillée. Arrivés en retard nous n’avions pas le temps de nous excuser que le docteur invita les 300 convives à faire silence afin de nous présenter. Geste élégant d’un homme courtois et philanthrope qui nous a mis tout de suite à l’aise. La jeunesse nous a pris en charge pour rendre l’invitation mémorable. Nous étions en 1956, la symbiose était totale, notre présence nécessaire afin de poursuivre l’exploitation des vignobles. Dans des fermes moins protégées, les propriétaires avaient armés les employés musulmans pour sécuriser la propriété. Le séjour des réservistes arrive à son terme, je regagne la Métropole sur un bananier, je me bats pour obtenir une cabine alors que mes camarades sont en fond de cale ».

 

 

 

 

Sources :

 

  • Bachaga Boualam " Les Harkis au service de la France" ; Editions France Empire, 1962.
  • Nicolas d'Andoque "Guerre et Paix en Algérie. L'épopée silencieuse des SAS" ; Edité par SPL Société de Production Littéraire 10 rue du Regard 75006 Paris.
  • Benjamin Stora, Histoire de la guerre d’Algérie (1954-1962), La Découverte & Syros, 2004.
  • Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Fayard, 1994.
  • Pierre Montagnon, Histoire de l’Algérie : des origines à nos jours, Pygmalion, 1998.
  • Georges Fleury, Comment l’Algérie devint française, Perrin, 2004.
  • Encyclopédies en ligne : Larousse, Britannica, Wikipedia.
  • Site Internet d’anciens du 117e RI en Algérie.

 

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